chirurgie implantaire
P. RAJZBAUM K. DAVARPANAH S. SZUMKLER-MONCLER M. DAVARPANAH
La difficulté du traitement de l'édentement unitaire dépend du secteur traité. Dans les secteurs postérieurs, en l'absence de tout enjeu esthétique, la problématique chirurgicale et prothétique est relativement simple et n'appelle pas de connaissances particulières. En revanche, dans le secteur antérieur et esthétique, le traitement est plus délicat ; il requiert une grande attention et des connaissances spécifiques. Son succès dépend de l'à-propos de l'indication posée et...
Résumé
Le but de cet article est de décrire le traitement de l'édentement unitaire dans le secteur antérieur. Les considérations chirurgicales et prothétiques sont abordées en mettant l'accent plus particulièrement sur le choix des piliers des réalisations prothétiques.
La difficulté du traitement de l'édentement unitaire dépend du secteur traité. Dans les secteurs postérieurs, en l'absence de tout enjeu esthétique, la problématique chirurgicale et prothétique est relativement simple et n'appelle pas de connaissances particulières. En revanche, dans le secteur antérieur et esthétique, le traitement est plus délicat ; il requiert une grande attention et des connaissances spécifiques. Son succès dépend de l'à-propos de l'indication posée et du respect des impératifs chirurgicaux et prothétiques.
Plusieurs situations cliniques sont à distinguer :
- le site est guéri, c'est-à-dire que l'extraction de la dent à réhabiliter a eu lieu il y a plus de 3 ou 4 mois ;
- le site est en voie d'édentation et il faut décider si le protocole le plus adapté est une implantation immédiate ou une implantation différée.
Indications :
- agénésie dentaire ;
- édentement ancien associé à des dents adjacentes saines ;
- situation en voie d'édentement d'origine infectieuse associée à des dents adjacentes saines ;
- situation en voie d'édentement d'origine traumatique associée à des dents adjacentes saines.
Dans le secteur antérieur, on abordera les considérations chirurgicales des sites guéris ainsi que les considérations prothétiques.
Le volume osseux minimal pour la mise en place d'un implant est à évaluer dans les trois plans de l'espace. Il tient compte du diamètre de l'implant choisi en fonction de la dent à réhabiliter, incisive centrale, latérale ou canine. Ce dernier peut donc varier de 3,0 mm pour un espace réduit à 4,3 mm au maximum.
Les diamètres de 5 mm ne sont plus utilisés dans ce secteur car le but est de mettre en place une lamelle osseuse vestibulaire la plus large possible en position vestibulaire de l'implant.
Pour les implants à deux étages comportant un corps et un pilier prothétique, une cratérisation s'étendant sur une distance d'environ 1,5 mm a été mise en évidence au bout des 3-4 premiers mois[]. Afin de préserver les papilles autour de l'implant, il faut maintenir une crête entre celui-ci et les dents adjacentes. Il faut donc que la distance entre l'implant et les dents adjacentes soit supérieure à 1,5 mm[].
L'introduction du platform-switching semble avoir la capacité de diminuer l'étendue de la cratérisation en direction mésio-distale et de la ramener à une étendue inférieure à 0,5 mm[, ]. Cela permet un assouplissement des règles de placement des implants du secteur esthétique.
L'axe implantaire prend sa place au centre de l'espace mésio-distal disponible. En règle générale, les incisions doivent respecter les papilles et rester à distance. Lorsque le tissu gingival est abondant et que le niveau marginal est coronaire, une incision par les papilles ne remet pas en question leur pérennité.
En présence de racines adjacentes convergentes, un implant conique est indiqué. L'existence d'implants de divers diamètres permet d'adapter le profil d'émergence prothétique à la dent à remplacer ainsi qu'à l'espace mésio-distal disponible.
Lors de la mise en place d'un implant unitaire, le respect de l'intégrité des structures parodontales des dents adjacentes est capital. Au niveau cervical, une distance minimale de 1,5 mm entre implant et dents adjacentes permet d'envisager la préservation ou la néoformation papillaire.
Dans ce plan vestibulo-lingual, il faut également tenir compte de la cratérisation circulaire d'environ 1,5 mm précédemment décrite[]. Pour préserver la table vestibulaire et le support qu'elle offre à la gencive marginale, la distance entre le bord de l'implant et le bord externe de la table osseuse doit être supérieure à celle de la cratérisation. Une distance d'au moins 2 mm est recommandée pour anticiper une cratérisation au-delà de celle attendue[].
Le calcul de la distance vestibulo-palatine s'effectue donc en intégrant les 2 mm entre le bord externe de la table osseuse, le diamètre de l'implant, et 1 mm au moins entre le bord implantaire et le bord de la table palatine.
Pour garder cette distance à son meilleur niveau, il peut être préférable de ne pas utiliser des implants dont le diamètre est supérieur au diamètre standard.
Le platform-switching semble avoir la possibilité de réduire l'amplitude de la cratérisation. Une lyse horizontale inférieure à 0,5 mm a été observée[, ], ce qui laisse présager que cette réduction de lyse osseuse s'applique aussi dans le sens vestibulo-palatin. Ainsi que précédemment énoncé, cela permet d'assouplir les règles de placement des implants dans le sens vestibulo-palatin dans les zones où la demande esthétique est élevée.
Pour anticiper sur le long terme une lyse osseuse physiologique qui ne manquera pas d'arriver[] et éviter une récession gingivale, il peut être pertinent d'opérer un surcontour de la table vestibulaire sous la forme d'une augmentation latérale à l'aide d'un matériau de comblement[, , ].
Le point d'émergence implantaire a une incidence capitale sur le type de rétention de la prothèse (scellé ou transvissé). Pour les restaurations transvissées, l'accès à la vis de pilier doit être situé sur le versant lingual, palatin ou sur la face occlusale.
Si la vis de pilier émerge sur le versant vestibulaire, la prothèse sera conçue en deux étages et sera scellée, sauf si l'axe de la vis de pilier peut être rattrapé à l'aide d'une vis spéciale qui prend en charge la fonctionnalité du puits d'accès angulé et qui permet une correction jusqu'à 25 degrés de l'axe du puits d'émergence.
Un axe trop vestibulé entraîne un profil d'émergence prothétique inesthétique pouvant induire une récession gingivale secondaire. Un axe trop lingualé doit être compensé par un surcontour prothétique vestibulaire rendant l'hygiène buccale et la maintenance difficiles.
En l'absence de récession gingivale des dents adjacentes, le col implantaire se trouve idéalement 2 à 4 mm apicalement à la gencive marginale des dents adjacentes.
En présence d'un os alvéolaire peu corticalisé, la stabilité de l'implant peut être compromise par un enfouissement excessif.
Plusieurs options sont possibles pour restaurer un édentement unitaire sur implant. La couronne peut être vissée directement sur l'implant, ou scellée sur un pilier. Ces derniers peuvent être standardisés ou individualisés, selon les indications et les exigences esthétiques. De même, le métal ou la céramique trouvent leur place selon la demande esthétique.
Une des conditions pour réaliser une prothèse transvissée est que l'axe implantaire doit être compatible avec une émergence du puits de la vis au niveau de la face palatine des dents antérieures.
Lorsque l'axe de l'implant émerge sur la face vestibulaire et qu'une prothèse transvissée est souhaitée, il est possible de faire appel à la fonctionnalité du puits d'accès angulé qui permet une correction jusqu'à 25 degrés de l'axe de la cheminée d'émergence de la vis prothétique. La vis et le tournevis possèdent un design spécifique qui permet de visser la vis avec une certaine angulation.
Le cas d'une jeune femme de 29 ans désirant passer d'une réhabilitation dento-portée sous la forme d'un bridge collé à une solution implanto-portée illustre l'indication de la couronne transvissée céramo-métallique.
Elle se présente pour améliorer l'esthétique du secteur denté antérieur de sa mandibule. Son sourire découvre ses dents mandibulaires (fig. 1) et ses doléances portent sur l'aspect inesthétique de sa gencive, des embrasures de sa prothèse dento-portée (fig. 1) et de la partie métallique de sa prothèse qui est visible lors de rires francs (fig. 3).
L'examen clinique montre la présence d'une gencive hypertrophique qui apparaît lors du sourire (fig. 1). Elle est le résultat d'une greffe épithélio-conjonctive qui a été réalisée quelques années auparavant dans le but de renforcer le parodonte marginal. Cette greffe s'est épaissie au cours du temps, elle est devenue particulièrement inesthétique et a résisté à quelques tentatives de désépaississement.
La prothèse, réalisée par un collègue il y a quelques années déjà, réhabilite l'agénésie de ses deux incisives latérales mandibulaires (fig. 3 à 5). Cet édentement a été compensé par une attelle de bridge collé coulée avec deux éléments intermédiaires en céramique. Les bords libres ainsi que les collets du groupe incisivo-canin ne sont pas alignés, ils participent eux aussi de la demande esthétique.
Un traitement orthodontique est prévu dans le but de rendre l'arcade mandibulaire plus harmonieuse et de mettre au même niveau les bords libres ainsi que les collets des incisives et des canines (fig. 6 et 7). Cette action augmentera la largeur des espaces édentés causés par l'agénésie des incisives latérales. La pose de deux implants de faible diamètre permettra de réhabiliter prothétiquement l'édentement à l'aide de deux couronnes unitaires implanto-portées.
La chirurgie implantaire est réalisée au cours du traitement orthodontique. Les arcs sont déposés (fig. 6 et 7) et l'alignement des collets est corrigé. La greffe gingivale est désépaissie entre les dents 41 et 33 (fig. 8). Un greffon conjonctif est prélevé dans l'épaisseur de cette greffe pour être placé en vestibulaire du site 42 car il présente une concavité vestibulaire.
Deux implants V3 de 3,3 × 11,5 mm (MIS) sont mis en place ; leur stabilité primaire atteint 35 Ncm malgré la déhiscence vestibulaire (fig. 9). Les piliers de cicatrisation sont vissés sur les implants. Une greffe d'augmentation latérale est réalisée dans le but de recouvrir les déhiscences à l'aide d'un substitut osseux faiblement résorbable (Bio-Oss®, Geistlich) (fig. 10). Le lambeau est suturé autour des piliers de cicatrisation (fig. 11).
L'étape de temporisation débute immédiatement après la pose des implants sur le site prothétique. Les piliers de cicatrisation sont déposés et des transferts d'empreinte à ciel ouvert sont vissés sur les implants (fig. 12). La position des implants est enregistrée par indexation et non à l'aide d'une empreinte postopératoire. L'indexation est réalisée par la solidarisation de petites cales en résine, préparées avant la chirurgie. Elles sont solidarisées en bouche avec de la résine autopolymérisable. Cette clé est fournie au laboratoire (fig. 13). Des répliques d'implants sont vissées sur les transferts d'empreinte et l'ensemble est repositionné sur le modèle en plâtre de manière à obtenir un modèle de travail (fig. 14). Deux couronnes provisoires transvissées sont réalisées sur des piliers provisoires en titane (fig. 15 et 16).
Vingt-quatre heures après la chirurgie implantaire, la patiente se présente pour recevoir ses couronnes provisoires (fig. 17). Les piliers de cicatrisation sont déposés et les couronnes sont transvissées sur les cols implantaires (fig. 18). Les radiographies de contrôle montrent la bonne disposition des implants à l'intérieur des espaces créés par le traitement orthodontique ainsi que la bonne assise de la couronne provisoire en résine avec son pilier en titane (fig. 19). Les couronnes sont soigneusement maintenues en sous-occlusion afin de minimiser les sollicitations biomécaniques lors de la mastication.
Durant la période d'ostéo-intégration, le traitement orthodontique poursuit son cours (fig. 20) et un éclaircissement des dents des deux arcades a été réalisé (fig. 21). Au terme du traitement orthodontique, les couronnes provisoires sont déposées (fig. 22 et 23) et l'empreinte pour la réalisation des prothèses d'usage est effectuée (fig. 24). Elle est envoyée au laboratoire, qui la coule et réalise le maître modèle. Le laboratoire confectionne deux couronnes céramo-métalliques transvissées (fig. 25 et 26). Elles sont mises en place directement sur le col implantaire avec un torque de 30 Ncm. La fig. 27 montre le sourire de la patiente, qui est satisfaite du résultat obtenu. Les radiographies de contrôle montrent la bonne assise des couronnes d'usage et un platform-switching présent en dépit du diamètre réduit des implants (fig. 28).
L'indication de la couronne unitaire scellée se pose sans ambages lorsque l'axe implantaire fait que la cheminée de la vis émerge sur le bord incisal ou vestibulaire de la couronne à réhabiliter ou qu'il est impossible de rattraper l'axe à l'aide des vis ad hoc.
Le cas suivant illustre ce mode de fixation. La solution scellée a été retenue en dépit de la possibilité d'exploiter la fonctionnalité du puits angulé. Les raisons en sont les suivantes :
- l'émergence de la vis de pilier était trop proche du bord libre, ce qui risquait de donner un aspect grisâtre au bord libre ;
- une facette en vitrocéramique pressée était prévue sur la dent 21. Le fait de concevoir la prothèse en deux étages permet de faire concomitamment une couronne sur la dent 11 dans le même matériau de type e.max et ainsi d'harmoniser le rendu esthétique sur les deux incisives.
Une patiente est en cours de réhabilitation de son incisive centrale droite dont l'extraction a eu lieu suite à un accident sur la voie publique. Un implant V3 de 3,9 × 13 mm a été posé au site 21 et la patiente a déjà reçu sa couronne provisoire (fig. 29 et 30). La couronne provisoire est déposée (fig. 31) et une empreinte à ciel ouvert est effectuée à l'aide d'un transfert d'empreinte qui respecte le platform-switching. Un composite fluide est injecté autour du transfert afin de rapporter fidèlement l'anatomie du profil d'émergence (fig. 32 et 33).
Le maître modèle est coulé avec son analogue. Un pilier esthétique en zircone monté sur une base en titane est utilisé comme pilier, sur lequel la couronne sera scellée (fig. 34). De la céramique est montée sur le pilier en zircone et les limites gingivales sont dessinées pour suivre le feston gingival (fig. 35 à 38). La couronne en céramique est confectionnée sur le pilier céramique préparé (fig. 39).
Le pilier est essayé en bouche, transvissé à 25 Ncm puis contrôlé radiographiquement (fig. 40 et 41). La couronne est ensuite soigneusement scellée de manière à éviter tout résidu du ciment de scellement (fig. 42). Le contrôle radiographique s'assure de la bonne assise du pilier sur l'implant, et de la couronne sur le pilier. De plus, il porte une indication relative quant à d'éventuels restes de ciment (fig. 43).
Les solutions prothétiques pour réhabiliter les dents unitaires dans la zone antérieure esthétique offrent une souplesse dans la réponse à apporter à cette exigence de traitement en termes de mode de rétention, transvissé ou scellé, ainsi que de matériau, métallique ou céramique.
Philippe Rajzbaum
Docteur en chirurgie dentaire
Docteur en sciences odontologiques
Ex-assistant en prothèse, université Paris-V
Attaché au centre de réhabilitation orale de l'Hôpital américain de Paris
Attaché à la consultation du sourire de l'Hôpital Saint-Louis, Paris
Exercice libéral, Levallois-Perret
Keyvan Davarpanah
Docteur en chirurgie dentaire
Ex-interne en chirurgie dentaire des Hôpitaux de Paris
Attaché au centre de réhabilitation orale de l'Hôpital américain de Paris
Exercice libéral, Paris
Serge Szmukler-Moncler
Docteur en chirurgie dentaire
Docteur en science des matériaux
Diplômé de l'IEP de Strasbourg
DU d'hypnose médicale
Attestation de formation aux soins dentaires sous sédation par inhalation de MEOPA
Es-professeur associé, Département de stomatologie et chirurgie maxillo-faciale, Hôpital Pitié-Salpêtrière, université Paris-V
Consultant international en biomatériaux et en implantologie, Bâle, Suisse
Mithridade Davarpanah
Docteur en médecine, stomatologiste
Certificat en parodontologie, université de Californie du Sud,
Diplomate de l'American Board of Periodontology
Membre de l'Académie nationale de chirurgie
Chef de service du centre de réhabilitation orale de l'Hôpital américain de Paris
Exercice libéral limité à la parodontologie, la chirurgie orale et l'implantologie, Paris