Implants Zygomatiques
Il n'existe pas, à notre connaissance, de jurisprudence qui concerne une mise en cause de praticien(ne)s pour des problèmes liés aux implants zygomatiques. Les règles d'or que nous allons décrire sont globalement les mêmes que celles à respecter pour l'implantologie orale avec une vigilance accrue afin de ne pas avoir le privilège d'ouvrir le bal de la justice.
C'est au milieu des années 1990 que le Professeur Brånemark a décrit les implants...
Résumé
L'implantologie zygomatique ne déroge pas aux règles juridiques déjà établies pour notre pratique de la chirurgie dentaire : formation, expérience, information du patient, consentement éclairé, dossier du patient, plateau technique, etc.
Mais elle demande une vigilance accrue de toutes ces règles afin de sécuriser au mieux un tel exercice.
Il n'existe pas, à notre connaissance, de jurisprudence qui concerne une mise en cause de praticien(ne)s pour des problèmes liés aux implants zygomatiques. Les règles d'or que nous allons décrire sont globalement les mêmes que celles à respecter pour l'implantologie orale avec une vigilance accrue afin de ne pas avoir le privilège d'ouvrir le bal de la justice.
C'est au milieu des années 1990 que le Professeur Brånemark a décrit les implants zygomatiques [].
L'implant zygomatique est mis en place au niveau du processus maxillaire de l'os zygomatique en recherchant un ancrage osseux sur les derniers millimètres de l'implant, long et très incliné. Cette intervention nécessite la réalisation d'un lambeau de pleine épaisseur jusqu'à l'os zygomatique. En effet, le chirurgien doit avoir un contrôle visuel permanent de la zone de forage osseux du fait de la présence de zones anatomiques sensibles contiguës (cavité orbitaire notamment). Il s'agit donc d'une chirurgie invasive présentant des risques et des complications éventuelles parmi lesquelles lésions nerveuses, lésions vasculaires, hématomes, sinusites, fistules cutanées, pénétration intracérébrale, pénétration orbitaire [].
Une étude d'Aparicio et al. en 2014 [] conclut à un taux de survie moyen des implants zygomatiques de 95,12 % à 10 ans. La même année, une revue systématique par Goïato et al. [], incluant 25 articles et 1541 implants, fait apparaître un taux de survie de 97,86 % à 7 ans.
Pour Chrcanovic et al. [], le taux de survie est de 95,21 % à 12 ans après avoir étudié 68 articles, 2161 patients et 4556 implants zygomatiques.
Le taux de survie est donc assez satisfaisant mais avec un taux de complications prothétiques assez élevé de 7,7 %.
La pratique de l'implantologie zygomatique nécessite une formation en 4 étapes :
• solides connaissances de l'anatomie de la sphère oro-faciale ;
• formation en implantologie orale ;
• formation spécifique à la mise en place des implants zygomatiques ;
• participation à plusieurs chirurgies en direct.
Il va de soi que la pratique des implants zygomatiques ne peut intervenir qu'après avoir acquis une solide expérience de l'implantologie orale et un recul suffisant. Ceci implique une maîtrise de la gestion des échecs.
À ce jour, la pratique de la chirurgie implantaire zygomatique est encore confidentielle, ce qui explique l'absence de jurisprudence. Aucun sinistre n'ayant encore été enregistré, les principales compagnies d'assurance en Responsabilité Civile Professionnelle (RCP) considèrent le risque comme non significatif et ne demandent pas de surprime. Néanmoins, il convient de se renseigner auprès de sa RCP pour être certain d'être couvert et peut-être, en même temps, les informer de cette pratique.
C'est vraisemblablement le point le plus délicat. La décision se prendra en fonction des éléments obtenus à partir du questionnaire médical, des examens radiographiques et complémentaires et de l'entretien individuel (cf. infra.).
Une réponse par oui à toutes les affirmations suivantes est indispensable :
• l'état de santé du patient est compatible avec une telle intervention ;
• le patient ne présente aucune allergie ou hypersensibilité au titane pur de grade 4 et de grade 1 à usage commercial, à l'alliage de titane Ti-6AI-4V (titane, aluminium, vanadium), à l'acier inoxydable ou aux revêtements au carbone amorphe (DLC) (source Nobel Biocare) ;
• le cone beam ne fait apparaître aucune pathologie sinusienne. Dans le cas contraire, l'avis d'un spécialiste ORL a été demandé ;
• le volume osseux donné par le cone beam est satisfaisant ;
• le patient a reçu l'ensemble des informations nécessaires au recueil de son consentement libre et éclairé ;
• le patient a donné son consentement libre et éclairé.
Depuis les arrêts du 11 mars 2010, 3 juin 2010 et 12 janvier 2012, la Cour de Cassation estime que le défaut d'information est vraiment une faute à part qui porte atteinte à la dignité de l'être humain et qui mérite une indemnisation à la hauteur d'un tel préjudice [,].
L'article L. 1111.2 du Code de la Santé Publique a le mérite d'être clair et précise plusieurs points :
« Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus... »
C'est la base du devoir d'information. Tous les points sont importants mais communiquer sur les risques fréquents ou graves ainsi que sur les autres solutions possibles est majeur. De plus, informer sur les risques signifie informer sur les moyens qui seront mis en œuvre pour y remédier s'ils se produisaient. Les autres solutions possibles doivent être décrites même si elles paraissent moins confortables et techniquement compliquées.
« ... Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver.
Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. »
Il n'y a pas d'urgence en chirurgie dentaire qui puisse dispenser un praticien de délivrer une quelconque information.
« Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel... »
L'entretien individuel doit se dérouler non pas au fauteuil mais au bureau assis côte à côte. Il est dirigé par le praticien et non pas par l'assistante...
« ... Des recommandations de bonnes pratiques sur la délivrance de l'information sont établies par la Haute Autorité de santé et homologuées par arrêté du ministre chargé de la Santé. »
La Haute Autorité de santé a publié en mai 2012 une recommandation de bonne pratique concernant « La délivrance de l'information à la personne sur son état de santé » s'appliquant à tous les professionnels de santé (HAS, 2012).
« En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen... ».
« Tout moyen » signifie que l'écrit n'est pas obligatoire. Une information orale est suffisante mais il convient de l'appuyer par des fiches d'information, des croquis ou annotations sur tout support avec notes dans le dossier.
À partir des informations qui lui auront été données, notamment sur les suites post-opératoires, les complications ainsi que les risques, le patient doit donner son consentement libre et éclairé. La signature par le patient d'un quelconque document n'a aucune valeur si les éléments contenus dans le paragraphe précédent n'ont pas été respectés. Même s'il ne présente aucune obligation, le recueil de la signature du patient sur un document clair, précis et contextualisé est souhaitable. En cas de litige, ce document est demandé par la plupart des assureurs en RCP [,].
Exemples types d'informations indispensables [] :
• suites opératoires : douleurs, hématome, saignement nasal, paresthésie ;
• complications : pathologie sinusienne, fistule oro-antrale, complications parodontales, complications implantaires et prothétiques, complications en cas d'antécédents de radiothérapie ;
• risques mineurs : lésion du pédicule zygomatico-facial, hémorragie de l'artère alvéolo-antrale, perforation de la membrane sinusienne ;
• risques majeurs : perforation du plancher de l'orbite, perforation intra-cérébrale.
« ... Il est exact et regrettable que le Docteur D. ne puisse justifier d'aucun dossier médical comportant un bilan clinique initial, un plan de traitement et des comptes rendus opératoires pour les implants et la greffe osseuse réalisée... »
Cet extrait de la décision de la Cour d'Appel de Rennes du 18 septembre 2013 est tout à fait explicite d'un comportement inapproprié lors d'une pratique de chirurgie orale.
Un dossier se doit d'être structuré tel que présenté dans la figure 1.
À cela s'ajoutent des éléments indispensables à la préparation des interventions :
• check-list des éléments administratifs : questionnaire médical, consentement éclairé, devis et autres (examens biologiques, avis ORL...) ;
• check-list de l'ensemble du matériel et des consommables.
Une intervention de chirurgie orale ne doit être arrêtée sous aucun prétexte en raison de la défaillance d'un ou de plusieurs dispositifs médicaux. Aussi est-il indispensable de prévoir :
• un moteur de chirurgie de secours ;
• des forets et implants de secours en cas d'un éventuel problème d'asepsie.
Un programme de maintenance du matériel (moteur d'implantologie, piézo-chirurgie, électrocoagulation...) est à envisager avec une fiche par instrument.
La chirurgie guidée par ordinateur type Navident* ou XGuide* a fait son apparition dans le paysage. À l'heure actuelle, elle n'est pas recommandée pour la chirurgie implantaire zygomatique. En effet, cette chirurgie nécessite, comme expliqué plus haut, un contrôle visuel per-opératoire constant.
L'utilisation de guides n'est pas non plus indiquée pour deux raisons :
• risque non négligeable d'erreur de positionnement de l'implant (Tahmaseb et al, 2014) ;
• nécessité d'une irrigation abondante à l'apex de l'implant zygomatique, et ce afin de réduire les risques d'infection du tissu osseux (Dawood et Kalavresos, 2017).
Le suivi post-opératoire est fondamental pour assurer une bonne prise en charge du patient. Quelques exemples :
• document de recommandations post-opératoires à remettre au patient ;
• appel téléphonique de suivi post-opératoire le soir même. Il est préférable de prévenir le patient avant son départ du cabinet ;
• contrôle réguliers dans les semaines et les mois qui suivent l'intervention, notamment pour valider l'ostéo-intégration.
Les contrôles annuels doivent être gérés par le praticien qui réalise la prothèse. Leur importance est normalement précisée dans le document « Consentement éclairé ».
En 2015, une des sociétés commercialisant les implants zygomatiques, figurant parmi les leaders mondiaux, en aurait vendu environ 6 500 dans le monde contre 3 062 en 2011. Compte tenu du vieillissement de la population et des progrès médicaux dans la prise en charge des cancers maxillo-faciaux, les indications des implants zygomatiques risquent de progresser fortement et de conduire à d'éventuels litiges.
Les implants zygomatiques pouvant être à l'origine de complications post-opératoires, dont certaines sévères, ils ne doivent pas être proposés en première intention. Ils répondent à des indications très précises pour traiter des édentations complètes de maxillaires sévèrement atrophiés ou mutilés.
Laure Tisserand
Chirurgien-dentiste
Pratique libérale
Expert près la Cour d'Appel de Besançon
Jacques Bitton
Chirurgien-dentiste
Pratique libérale
Expert près la Cour d'Appel de Besançon