Prothèse implantaire
C. PARCOU I. BOTHEREL G. GLORY H. PLARD J. PERRIN
L'Organisation Mondiale de la Santé considère l'édentement comme un handicap. Il affecte la fonction (mastication, phonation), l'apparence et les relations sociales[-]. Le traitement des patients édentés totaux est aujourd'hui bien décrit. Différentes solutions permettent de répondre à la situation clinique rencontrée[
Résumé
L'édentement affecte la fonction, l'apparence et les relations sociales. Différentes solutions prothétiques permettent de prendre en charge les patients édentés. L'utilisation d'implants permet d'augmenter leur satisfaction vis-à-vis de leur traitement et dans, certains cas, de réaliser une prothèse fixée supra-implantaire. Il existe également différentes solutions de temporisation pour la période d'ostéo-intégration des implants. Sous certaines conditions, il est possible de mettre en charge immédiatement les implants avec une prothèse totale fixée supra-implantaire temporaire. La description d'un protocole fondé sur le rapport inter-maxillaire et le projet prothétique permet de répondre aux critères de la mise en charge immédiate. Le projet prothétique validé cliniquement guidera la suite des étapes. Le guide radiologique et le guide chirurgical seront des duplicata de ce projet prothétique mais également un index occlusal qui permettra l'enregistrement du rapport inter-maxillaire après la mise en place des implants. Ces étapes permettent de transmettre toutes les informations au laboratoire de prothèse afin de réaliser une prothèse totale fixée supra-implantaire temporaire dans un délai compatible avec une mise en charge immédiate. Ce protocole permet de répondre à toutes les situations cliniques rencontrées de manière systématique.
L'Organisation Mondiale de la Santé considère l'édentement comme un handicap. Il affecte la fonction (mastication, phonation), l'apparence et les relations sociales[-]. Le traitement des patients édentés totaux est aujourd'hui bien décrit. Différentes solutions permettent de répondre à la situation clinique rencontrée[] [fig. 1].
Les prothèses amovibles complètes conventionnelles ne nécessitent pas l'utilisation d'implants et permettent de remplacer les dents absentes à moindre coût[]. En revanche l'utilisation d'implants permet une meilleure satisfaction des patients vis-à-vis de leur traitement[]. Ces implants offrent des solutions prothétiques fixées (bridges, prothèses sur pilotis) ou des prothèses amovibles complètes implanto-retenues (PACIR) grâce à des attachements axiaux[], des barres usinées[] ou des coiffes télescopiques supra-implantaires[-].
Durant la phase d'ostéo-intégration des implants, une prothèse de temporisation est nécessaire. La prothèse amovible temporaire permet de remplacer les dents absentes lors d'une mise en charge conventionnelle. Cependant, les micro-mouvements ayant lieu sous ces prothèses peuvent entraîner une fibro-intégration[]. Sous certaines conditions, une mise en charge immédiate des implants est possible et permet de réaliser une prothèse temporaire fixée supra-implantaire.
La définition retenue par Nkenke est la suivante : « situation dans laquelle la superstructure est fixée aux implants, en occlusion avec la denture opposée, dans les 72 heures »[].
Pour réaliser une mise en charge immédiate, certaines conditions sont nécessaires. Les patients bruxomanes ou présentant un diabète non contrôlé ne sont pas des indications pour ce type de traitement[,].
Le nombre d'implants sera déterminant pour répartir les contraintes occlusales et un minimum de 6 implants à surface rugueuse par arcade est recommandé[-]. La stabilité primaire des implants est également un facteur de succès ; le torque d'insertion doit être au minimum de 30 N.cm[,,].
En solidarisant les implants entre eux avec une structure rigide, la prothèse limite les micro-mouvements à l'interface implant/os (jusqu'à environ 100 micromètres).
L'occlusion devra être réglée de manière très fine pour éviter les contraintes trop importantes et les forces non axiales. Elle devra répondre à plusieurs critères : occlusion symétrique et centrée, dents postérieures avec une surface réduite de la table occlusale, cuspides plates pour éviter les forces latérales, occlusion bilatéralement équilibrée pour répartir les contraintes. L'utilisation de cantilever distaux est à éviter[]. La prothèse d'usage reprendra le même schéma occlusal.
Lorsque les conditions sont réunies, les taux de survie implantaire sont équivalents à ceux des mises en charge conventionnelles[,,], ils sont de 97 à 100 % selon les études[,,]. Les mises en charge immédiates d'implants insérés dans des sites post-extractionnels ou dans des sites d'augmentation osseuse cicatrisés sont également des options thérapeutiques envisageables[,].
Les avantages de la mise en charge immédiate sont nombreux : augmentation des capacités masticatoires, amélioration de l'esthétique, présence d'une prothèse temporaire fixe, façonnage des contours gingivaux, préservation de l'os et stimulation du remodelage osseux[].
Néanmoins, elle présente des inconvénients pour le patient qui devra adopter une alimentation molle durant au minimum 4 semaines[]. Pour le praticien, la mise en œuvre peut s'avérer compliquée et il existe une courbe d'apprentissage. La communication entre le praticien et le prothésiste sera un point clé de la réussite du traitement.
La prothèse provisoire permet de contrôler la cicatrisation des tissus mous auxquels pourra s'adapter la prothèse d'usage. Elle permet également de collecter les doléances du patient et peut être modifiée en cas de gêne fonctionnelle ou esthétique. Ces modifications seront prises en compte lors de la réalisation de la prothèse d'usage. De plus, les complications mécaniques sont fréquentes sur les prothèses totales supra-implantaires d'usage. Les fractures de dents prothétiques et chipping touchent un tiers des prothèses à 5 ans et deux tiers à 10 ans[,]. Ces complications qui n'entraînent pas la perte d'implants nécessitent une réparation et la prothèse transitoire conservée par le patient permet la temporisation durant la phase de laboratoire.
Le Dr Botherel possède maintenant un recul clinique important sur son protocole, avec plus de 200 patients traités. Le protocole sera décrit et illustré en détaillant le cas d'une de ses patientes.
Au cours de la première consultation, un examen clinique minutieux est mené. Il permet de recueillir les souhaits du patient, un questionnaire médical, la formule dentaire, la situation parodontale, la perte ou non de dimension verticale [fig. 2]. Des examens complémentaires viennent affiner l'analyse : une radiographie panoramique permet d'objectiver le niveau osseux et les éléments anatomiques majeurs [fig. 3], des empreintes d'étude permettent un début de réflexion prothétique. À ce stade, un bilan photographique est recommandé pour archiver la situation initiale [fig. 4 et 5]. Il permet une analyse complémentaire, même en l'absence du patient[].
Des empreintes secondaires sont réalisées à l'aide de porte-empreintes individuels. Les modèles issus de ces empreintes sont montés sur articulateur après un enregistrement du rapport inter-maxillaire, à l'aide de bases d'occlusion rigides et d'un arc facial [fig. 6].
Les modèles montés sur articulateur vont permettre au prothésiste de réaliser un projet prothétique. Dans le cas des patients traités par une prothèse totale, il s'agit d'un montage directeur en cire avec des dents en résine du commerce. Il est essayé dans la bouche du patient et permet une validation esthétique et fonctionnelle du projet prothétique. Au niveau esthétique, il permettra de valider la forme, la taille et la couleur des dents prothétiques mais aussi le soutien de la lèvre supérieur, l'intégration dans le sourire et la symétrie par rapport au plan sagittal médian. Au niveau fonctionnel, il permettra de valider l'occlusion statique, la phonation et la déglutition.
Une fois cette étape validée par le patient et le praticien, le prothésiste réalise un guide radiologique. Ce guide est le duplicata du projet prothétique en résine transparente rigide. L'axe des futures dents est matérialisé par des puits remplis de gutta-percha radio-opaque. Un examen radiographique en 3 dimensions (Cone Beam Computer Tomography, CBCT) est réalisé avec le guide radiologique en bouche et en occlusion avec l'arcade antagoniste.
L'analyse du CBCT permet de vérifier les volumes d'os en regard des axes idéaux des futures dents prothétiques. En superposant les images des implants en rapport 1/1 sur les logiciels d'imagerie, on planifie notre intervention chirurgicale en fonction de ces volumes osseux, des éléments anatomiques (en particulier les sinus maxillaires) et de la future prothèse [fig. 7]. En cas de volumes insuffisants, des greffes osseuses et/ou des comblements de bas-fonds sinusiens peuvent être envisagés.
Après extraction des dents restantes et dépose des anciens implants, les implants sont mis en place dans le couloir prothétique selon la planification implantaire à l'aide d'un guide chirurgical (c'est un duplicata du projet prothétique) [fig. 8]. La chirurgie est prothétiquement guidée. La 17 a été conservée, afin de stabiliser le guide chirurgical et l'index occlusal décrit ci-après, et le sera encore durant la phase de temporisation pour permettre une détection occlusale plus fine[] [fig. 9]. Elle sera avulsée au terme de l'ostéo-intégration avant la réalisation de la prothèse d'usage. Les conditions pour la mise en charge immédiate sont d'obtenir 6 implants à surface rugueuse présentant un torque d'insertion supérieur à 30 N.cm[,-]. Si les conditions ne sont pas réunies, les implants sont enfouis et une prothèse transitoire amovible est envisagée.
Dans le cas contraire, une empreinte implantaire est réalisée à l'issue de la chirurgie. Les transferts d'empreinte sont vissés aux implants [fig. 10], une radiographie de contrôle est effectuée pour vérifier l'absence de hiatus, puis les transferts sont solidarisés avec de la résine auto-polymérisable (Pi-Ku-Plast®, Bredent)[,]. Le matériau d'empreinte utilisé est l'Imprégum en double viscosité : heavy body dans le PEI et light body autour des transferts. L'empreinte est réalisée en technique pick-up (à ciel ouvert)[]. Après réticulation du matériau, les transferts sont dévissés et emportés dans l'empreinte [fig. 11]. Une empreinte de l'arcade antagoniste est réalisée à l'alginate.
Un index occlusal est réalisé par le laboratoire, il s'agit d'un second duplicata du projet prothétique en résine transparente. Contrairement au guide chirurgical, il est évidé de manière à conserver le maximum de contacts occlusaux [fig. 12]. Après l'empreinte, 2 piliers provisoires sont vissés sur les implants en regard des espaces prévus. L'index occlusal est alors essayé pour vérifier son adaptation et l'absence d'interférence avec les piliers.
Le patient est ensuite guidé en position d'occlusion, entre l'index et l'arcade mandibulaire [fig. 13]. Cette occlusion a été validée par les étapes pré-chirurgicales et sera utilisée par le laboratoire pour fabriquer la prothèse transitoire. Dans cette position d'occlusion, l'index est solidarisé aux piliers provisoires à l'aide de résine auto-polymérisable injectée au pistolet (Luxatemp®, DMG) [fig. 14 et 15]. Un matériau d'enregistrement d'occlusion peut venir compléter cette étape. Après la prise de la résine, les piliers sont dévissés et l'index occlusal retiré [fig. 16].
Cette étape permet de transmettre le rapport inter-maxillaire au laboratoire de prothèse et de monter sur articulateur les futurs modèles implantaires. Des piliers de cicatrisation sont mis en place sur les implants le temps de la fabrication de la prothèse transitoire.
L'empreinte implantaire est traitée au laboratoire. Le prothésiste coule le modèle en plâtre (Fuji Rock®, GC) avec une fausse gencive en silicone (GI Mask®, Coltène). Ensuite, l'index occlusal est vissé sur le modèle, ce qui permet de le monter sur articulateur [fig. 17].
Le prothésiste réalise une infrastructure rigide et non une prothèse entièrement en résine, ce qui permet de réduire les micro-mouvements appliqués aux implants[]. Cette infrastructure est une barre en chrome-cobalt collée à des cylindres provisoires supra-implantaires [fig. 18 à 22]. Des dents du commerce sont montées sur de la cire en fonction du projet prothétique, puis de la résine auto-polymérisable est coulée pour solidariser les dents prothétiques et l'infrastructure.
Des espaces sont aménagés pour l'accès à l'hygiène bucco-dentaire. L'occlusion est vérifiée sur articulateur. Puis la prothèse est polie soigneusement.
Dans les 12 heures qui suivent l'insertion des implants, la prothèse transitoire à renfort métallique est mise en charge [fig. 18]. Une radiographie est réalisée pour vérifier l'absence de hiatus. Les contacts occlusaux sont vérifiés : occlusion bilatéralement équilibrée avec des contacts uniformément répartis en occlusion de relation centrée [fig. 23 à 25].
Des conseils d'hygiène bucco-dentaire sont transmis au patient : brossage 3 fois par jour après les repas, passage des brossettes inter-dentaires, utilisation de bain de bouche.
Les impératifs sur l'alimentation sont rappelés au patient : la mastication devra être modérée et non forcée pendant 1 mois. Classiquement, tous les aliments ne pouvant pas être coupés à la fourchette sont interdits.
Des séances de maintenance régulières sont programmées afin de répondre aux doléances du patient, de contrôler la cicatrisation muqueuse, de vérifier l'hygiène bucco-dentaire... L'occlusion est également contrôlée à chaque rendez-vous [fig. 26].
Le traitement de l'édenté total est maintenant bien documenté et les implants dentaires sont une solution fiable et reproductible. Ils permettent de réaliser des prothèses totales supra-implantaires fixes. La mise en charge immédiate présente des taux de succès équivalents à ceux des techniques de mise en charge différée lorsque certaines conditions sont réunies : implants à surface rugueuse, torque d'insertion supérieur à 30 N.cm. Cette solution permet donc de proposer aux patients une solution de réhabilitation fixe et de s'affranchir du port d'une prothèse amovible durant l'ostéo-intégration des implants. Les micro-mouvements jusqu'à 100 micromètres ne sont pas préjudiciables pour leur ostéo-intégration. Une prothèse transitoire trans-vissée avec un renfort métallique permet de les solidariser et de répartir les forces qu'ils subissent pour rester en dessous de ce seuil. Cependant, une alimentation molle durant au minimum 1 mois et une occlusion réglée minutieusement sont impératives pour une réussite du traitement. L'accès aux instruments d'hygiène bucco-dentaire est également indispensable pour permettre au patient une prophylaxie correcte.
Au final, la mise en charge immédiate d'une prothèse totale fixée supra-implantaire permet de restaurer la fonction (mastication, phonation) et l'esthétique du patient dès lors que les implants sont insérés en nombre suffisant et avec une stabilité primaire suffisante.
Un des principaux défauts des prothèses totales fixées supra-implantaires est l'accès à l'hygiène bucco-dentaire. Le passage des brossettes inter-dentaires ou du fil dentaire au niveau des piliers prothétiques et sous les pontiques est délicat et contraignant. La phase de prothèse temporaire permet de valider cet aspect et d'adapter la prothèse d'usage. Dans certains cas, la réalisation d'une prothèse d'usage implanto-retenue par un système de coiffes télescopiques sera pertinente. Ce type de prothèse amovible est un bon compromis : elle permet au patient un nettoyage plus facile, en proposant un niveau de rétention très élevé.
La méthode décrite dans cet article permet de standardiser la mise en charge immédiate de prothèses totales fixées supra-implantaires temporaires. Ces étapes sont applicables pour des mises en charge uni ou bi-maxillaires, quelle que soit la situation initiale du patient : édenté total, édenté partiel, voire denté. Cette méthode couvre donc l'ensemble des situations cliniques rencontrées nécessitant une prothèse totale supra-implantaire. Elle permet sous certaines conditions de temporiser avec une prothèse fixée supra-implantaire mise en charge immédiatement.
La mise en charge immédiate est une solution de temporisation validée par la littérature. Pour des prothèses totales fixées trans-vissées supra-implantaires, le fait de solidariser les implants par une infrastructure rigide permet de réduire les micro-mouvements à un seuil compatible avec leur ostéo-intégration. La littérature décrit des taux de survie comparables à ceux des techniques de mises en charge conventionnelles.
Cette technique présente de nombreux avantages : amélioration de l'esthétique, façonnage des contours gingivaux, préservation de l'os et stimulation du remodelage osseux. Pour les patients désireux d'une réhabilitation fixée, le fait de s'affranchir d'une temporisation par une prothèse amovible complète s'avère très confortable. Cette prothèse temporaire rétablit l'esthétique et la fonction pour le patient. Pour le praticien, elle est un véritable test qui permettra d'adapter la prothèse d'usage en fonction des doléances collectées.
Cet article est issu de la thèse d'exercice du Dr Clément Parcou, soutenue le 13 mai 2020 à Rennes.
Les auteurs remercient les docteurs Julie Lelièvre, Xavier Frachon et Jérôme Quero qui ont effectué les étapes chirurgicales et implantaires.
Clément Parcou
Docteur en chirurgie dentaire, praticien attaché du CHU de Rennes
Pratique libérale à Planguenoual
Ivan Botherel
Docteur en chirurgie dentaire, DU clinique de prothèses implanto-portées
Praticien attaché à la faculté de Garancière, Paris VII
Pratique libérale à Vannes
Guillaume Glory
Prothésiste dentaire, Laboratoire Design Implant, Arradon
Hervé Plard
Docteur en chirurgie dentaire, ancien assistant hospitalo-universitaire
Praticien attaché du CHU de Rennes
Pratique libérale à Laval
Helix, groupe de recherche et de formation en odontologie, Rennes
Jérémie Perrin
Docteur en chirurgie dentaire, ancien assistant hospitalo-universitaire
Pratique libérale à Planguenoual
Helix, groupe de recherche et de formation en odontologie, Rennes