Chirurgie implantaire
Résumé
La prise en charge des patients complètement édentés est toujours une étape difficile pour le praticien et une épreuve pour ces patients. Les doléances lors de l'insertion de nouvelles prothèses complètes sont toujours importantes et le temps d'adaptation peut être long. Une des doléances principales est l'instabilité des bases due à une rétention insuffisante. La rétention complémentaire obtenue par des implants ostéo-ancrés est une aide précieuse, et la mise en charge immédiate de ces implants permet de diminuer la durée du plan de traitement afin de rendre aux patients une efficacité masticatoire satisfaisante.
The management of completely edentulous patients is always a difficult step for the practitioner and a test for these patients. Grievances when inserting new full dentures are always significant and the adjustment time can be long. One of the main complaints is the instability of the bases due to insufficient retention. The additional retention obtained by osseointegrated implants is a precious help, and the immediate loading of these implants makes it possible to reduce the duration of the treatment plan in order to restore to patients a satisfactory masticatory efficiency.
L'ostéo-intégration des implants dentaires, décrite par Brånemark [], s'adressait dans les premiers travaux publiés à la réhabilitation des mandibules édentées. En effet, les doléances des patients édentés sont nombreuses : instabilité des bases prothétiques, altération du goût, douleur, hypersalivation, difficultés masticatoires, encombrement excessif, nausées, problèmes esthétiques [].
La prise en charge de ces patients est un défi pour le chirurgien-dentiste. Que ce soit des premières prothèses ou un renouvellement d'anciennes inadaptées, la mise en place de prothèses amovibles complètes (PAC) reste délicate. Ceci est d'autant plus vrai quand les deux arcades sont édentées. Si le maxillaire permet une surface d'appui palatine, la topographie de la mandibule en fer à cheval et la présence de la musculature linguale compliquent la rétention de la PAC mandibulaire.
La forte résorption post-extractionnelle entraîne parfois des situations difficiles à traiter sans rétention complémentaire : l'espace inter-arcade important génère des bascules incompatibles avec la tenue de la prothèse [fig. 1 et 2].
Le ressenti des patients une fois appareillés sur leur qualité de vie est négatif, il est comparable à celui de patients atteints de cancer ou d'insuffisance rénale []. À cela s'ajoute une diminution de leur efficacité masticatoire, bien moindre que celle des patients dentés (les patients édentés ont une puissance masticatoire six fois moins importante que les patients dentés, soit moins de 20 %) [,]. La mobilité des bases prothétiques peut également générer des blessures, ne facilitant pas l'acceptation des prothèses par les patients [fig. 3].
Depuis la conférence de consensus de Mc Gill en 2002 [], le traitement des patients édentés complets consiste, au minimum, en deux PAC et la mise en place de deux implants parasymphysaires mandibulaires pour retenir la prothèse mandibulaire, ceci devant améliorer la qualité de vie des patients et leur santé orale [] [fig. 4].
L'évolution démographique allant vers un vieillissement de la population, une augmentation du nombre de personnes âgées et une augmentation de la population édentée [], le praticien risque de se heurter de plus en plus à la prise en charge difficile de ces patients.
L'arsenal thérapeutique offre désormais des implants de diamètre réduit (diamètre implantaire de 3 mm ou moins), développés pour les crêtes les plus résorbées et les volumes osseux les plus faibles [].
Cet article va étudier une possibilité de prise en charge thérapeutique intéressante : la mise en charge immédiate de quatre mini-implants monoblocs parasymphysaires afin de transformer, dès le jour de la chirurgie, la PAC en PACIR.
Selon la réunion de consensus de l'I.T.I. de Gstaad en 2003 [], la mise en charge immédiate se définit comme l'insertion d'une restauration implantaire, en occlusion avec l'arcade antagoniste, moins de 48 heures après la chirurgie implantaire.
La littérature récente comporte bon nombre d'articles sur la mise en charge immédiate de PACIR mandibulaires, avec des moyens de connexion différents (attachements axiaux, télescopes, barres de conjonction mandibulaires). Quelques résultats vont être énumérés ici, afin de vérifier la viabilité de la mise en charge immédiate de PACIR à la mandibule.
Une étude rétrospective évalue le succès de PACIR mandibulaires. Deux groupes de patients édentés de plus de 60 ans sont traités. Les patients reçoivent tous quatre implants mandibulaires parasymphysaires avec des piliers Locator® (le diamètre implantaire est de 3,5 ou 4 mm dans cette étude). Un groupe a bénéficié de la mise en charge immédiate de la prothèse, l'autre de la mise en charge différée. À trois ans, aucun implant n'est perdu. Les auteurs rapportent plus de maintenance et d'inconfort pour la mise en charge différée et insistent sur les avantages de la mise en charge immédiate : réduction du temps de traitement, pas de prothèse provisoire nécessaire, pas de second temps chirurgical implantaire [].
Une seconde étude porte sur la mise en charge immédiate de deux implants mandibulaires parasymphysaires (le diamètre implantaire est de 3,75 ou 4,1 mm). Des patients édentés sont répartis en deux groupes : un groupe est réhabilité par des attachements axiaux (Locator®) [fig. 5], l'autre par des barres de conjonction (barre de Dolder®) [fig. 6 et 7]. Le taux de survie implantaire, à deux ans, est de 89,1 % pour le groupe Locator® et 93,5 % pour le groupe Dolder®. Le taux de survie des prothèses est de 95,7 % pour le groupe Locator® et de 93,5 % pour le groupe Dolder®. Le taux important de complications prothétiques est expliqué par le faible couple de serrage des piliers ou de la barre, 15 Ncm, qui a entraîné des rendez-vous de remise en place (les auteurs ont préféré un couple faible dans le cadre de la MCI) [].
Une dernière étude compare la mise en charge différée et immédiate de coiffes télescopiques sur quatre implants mandibulaires (le diamètre implantaire est de 3,5 mm). Le taux de survie implantaire est de 100 % pour les deux groupes. Des dévissages prothétiques sont aussi rapportés, comme pour l'étude précédente, les piliers ont seulement été assemblés avec un couple de serrage de 15 Ncm dans le groupe de mise en charge immédiate [].
Des méta-analyses [,] confortent également ces résultats de mise en charge immédiate de PACIR mandibulaires avec différents systèmes de rétention (94,4 à 100 % de succès pour les attachements axiaux et 96,6 à 100 % pour les barres mandibulaires). Ils insistent sur la nécessité d'avoir une bonne qualité osseuse pour la mise en charge immédiate permettant un couple d'insertion des implants de 35 Ncm correspondant à un ISQ (Implant Stability Quotient) de 60. Les implants sont de diamètre supérieur à 3 mm [] ou ne sont pas renseignés [].
Ces trois études et deux méta-analyses portent sur des implants de taille standard (diamètre supérieur à 3 mm) insérés avec des couples de 30 à 35 Ncm.
Les mêmes résultats sont obtenus avec des mini-implants [-]. Ils insistent sur l'adaptation de ces implants à des mandibules et maxillaires très résorbés, voire atrophiés.
Il apparaît que la mise en charge immédiate de mini-implants mandibulaires est possible dans le cadre de PACIR. Ceci permet de prendre en charge des patients édentés, et notamment ceux avec une résorption mandibulaire marquée, le volume osseux nécessaire étant bien évidemment réduit []. Il est évident que seules des prothèses bien conçues, répondant au cahier des charges des PAC, seront transformées en PACIR. Dans le cas contraire, il faudra renouveler les PAC défectueuses et attendre qu'il n'y ait plus de blessure (réglages des surextensions notamment) avant d'avoir recours à des implants ou mini-implants [fig. 8 et 9].
Les suites prothétiques seront d'autant plus simples que les implants seront monoblocs : les dévissages des piliers ne peuvent pas avoir lieu, ils font corps avec l'implant. En effet, sur des implants standards, le serrage des piliers ou des barres ne se fait qu'à 15 Ncm, les implants n'étant pas ostéo-intégrés, ceci entraînant des réinterventions prothétiques.
Parmi la large offre des systèmes implantaires, nous allons en détailler un : l'Optiloc® (Straumann) [fig. 10]. Les implants à disposition sont de diamètre réduit (2,4 mm) totalement en adéquation avec des crêtes résorbées et des volumes osseux restreints [fig. 11 et 12].
Pour que la prothèse soit pérenne, il est nécessaire au minimum d'en placer six au maxillaire et quatre à la mandibule [fig. 13 à 15]. Ces implants sont monoblocs, il y a par conséquent une partie transgingivale lisse. Il s'agit d'un système de rétention axiale, associant un pilier solidaire de l'implant et des inserts rétentifs de forces différentes.
L'ostéo-intégration pouvant être altérée par la mise en charge immédiate et le port de la prothèse amovible, ces mini-implants sont traités et recouverts d'une surface favorisant l'ostéo-intégration (Sla® : les implants sont sablés et mordancées à l'acide pour diminuer les délais d'ostéo-intégration). Cet état de surface est associé à de bons résultats à dix ans, sur des mises en charge immédiates, même dans des os de faible qualité []. Il est aussi performant chez les patients à parodonte réduit (anciennement suivis pour maladie parodontale), situation proche de l'édentement complet [].
Le faible diamètre pourrait être à l'origine de fractures implantaires ; pour éviter ces déconvenues, les mini-implants sont en alliage zirconium-titane (Roxolid® : 85 % titane et 15 % zirconium). La littérature montre en effet que le devenir des mini-implants en Roxolid® est comparable à celui d'implants standards en titane [].
L'application des recommandations de la conférence de Mc Gill [] a vu l'essor des attachements axiaux supra-implantaires, notamment dans la zone symphysaire mandibulaire. Le système Locator® a été largement utilisé, il associe des piliers supra-implantaires recouverts de titane nitruré et des inserts rétentifs en nylon de forces rétentives différentes [,]. À l'usage, des limites sont apparues [] pour ce système et des solutions alternatives ont été proposées : tout d'abord des inserts compatibles en Peek, plus résistants [] puis des piliers de formes identiques mais plus résistants, plus lisses et moins abrasifs (Système Novaloc®) [fig. 16] [].
Le système Optiloc® est une évolution du système Novaloc® : même composition des pièces et même forme mais les piliers et les attaches sont plus petits [fig. 17]. Ceci implique le besoin d'avoir des instruments spécifiques à chaque insert rétentif, le fonctionnement étant identique [fig. 18 et 19]. La connexion des boîtiers rétentifs Optiloc® est possible, comme pour les deux autres systèmes, soit directement en bouche soit au laboratoire après une empreinte de positionnement.
Comme expliqué plus haut, le système Optiloc® assure la rétention par l'adaptation d'inserts rétentifs sur les piliers. Les inserts en Peek ont une durée de vie supérieure à ceux en nylon mais vont tout de même s'user et seront à changer quand le dispositif sera inopérant [,,]. Les piliers, quant à eux, font corps avec l'implant et ne pourront pas être changés.
Ils sont plus résistants que les piliers recouverts de titane nitruré du système Locator® afin de limiter leur usure []. La chirurgie doit anticiper la cicatrisation muqueuse pour que, après cicatrisation, le pilier n'émerge ni trop ni pas assez de la muqueuse (dans l'idéal, le pilier dépasse de la muqueuse de 1,5 à 2 mm) [].
La coaptation des inserts sur les piliers n'est possible que si aucun débris alimentaire ou dépôt tartrique s'interpose entre les pièces [fig. 20 et 21], cela nécessitera une hygiène rigoureuse des patients, aussi bien des piliers en bouche que des inserts dans l'intrados prothétique. Des instruments spécifiques sont à la disposition des patients pour entretenir les prothèses (brosses manuelles spécifiques implantaires) [fig. 22 à 26]. Les fortes résorptions interviennent le plus souvent chez des patients âgés, malhabiles dans leur hygiène buccale, des dispositifs tels que l'hydropulseur et la brosse à dents électrique seront alors à recommander pour pérenniser le traitement [,-] [fig. 27].
Bien évidemment, il faudra sensibiliser et apprendre aux patients à entretenir les PACIR, et les prévenir des renouvellements d'inserts à prévoir. La durée des inserts est d'environ 21 mois pour le système Locator® [fig. 28] [].
Le recours à des mini-implants permet d'optimiser la rétention des prothèses amovibles complètes, notamment à la mandibule. La possibilité de les mettre en charge immédiatement diminue la durée du plan de traitement. Le faible diamètre des mini-implants autorise la prise en charge des mandibules les plus résorbées. Ce complément de rétention améliore la qualité de vie des patients édentés et augmente leur capacité masticatoire. Cependant, une maintenance personnelle stricte et professionnelle sera nécessaire pour que le traitement soit efficient le plus longtemps possible.
Linda Martin
Docteur en Chirurgie Dentaire
Jérémie Perrin
Docteur en Chirurgie Dentaire, ancien Assistant Hospitalo-Universitaire