Implant n° 2 du 01/05/2020

 

Chirurgie implantaire

Timothée Gellée   Anne-Laure Ejeil  

Résumé

Résumé

Le lichen plan oral est une maladie inflammatoire cutanéo-muqueuse chronique d'origine dysimmunitaire qui atteint entre 0,2 et 1,9 % de la population. L'atteinte muqueuse liée à la maladie peut être aggravée par le port de prothèse adjointe. L'implantologie permet d'améliorer la qualité de vie chez ces patients, tout en augmentant la rétention de la prothèse. À travers une revue de la littérature, nous proposons une mise au point sur l'indication de l'implantologie chez les patients présentant un lichen plan.

Summary

Oral lichen planus is a dysimmune chronic inflammatory skin and mucosal disease that reaches 0,2 to 1,9 % of the population. Mucosal lesions related to the disease is aggravated by the wearing of a denture. Implantology allows these patients, while increasing prosthesis' retention, to improve their quality of life. Through a review of the literature, we propose an update on the indication of implantology in patients with lichen planus.

Key words

Oral lichen planus, dental implant, implant survival rate, quality of life.

Introduction

L'essor de l'implantologie observé lors de ces trente dernières années a conduit à un élargissement du champ de ses indications. Chez les patients présentant un lichen plan, l'implantologie devrait permettre une amélioration de la qualité de vie. En effet, le frottement occasionné par les prothèses adjointes peut entraîner l'apparition de nouvelles lésions de la muqueuse orale chez ces patients. Cependant, cette thérapeutique est peu décrite chez les patients atteints de pathologies de la muqueuse buccale, et plus particulièrement de lichen plan oral. Cette pathologie chronique inflammatoire de la peau et des muqueuses évolue sous forme de poussées avec des phases d'activité et des phases de repos. Son étiopathogénie n'est pas complètement comprise[] mais elle affecte entre 0,2 et 1,9 % de la population, avec une prédominance féminine[]. L'objectif de cette revue de la littérature est d'étudier les bénéfices et les risques de la chirurgie implantaire chez les patients atteint de lichen plan oral.

Matériel et méthodes

Une revue de la littérature a été réalisée sur les moteurs de recherche PubMed et Cochrane. Nous avons inclus tous types d'articles relatifs à l'implantologie chez les patients atteints de lichen plan oral disponibles de janvier 1990 à juin 2019. Nous avons exclu les articles non rédigés en anglais. La recherche bibliographique a été réalisée à partir des mots clés suivants : « lichen » et « implant ». Après lecture des titres et résumés, 22 articles traitant de l'implantologie chez les patients atteint de lichen plan oral ont été retenus (tableau 1). Huit revues de la littérature portaient sur l'implantologie dans un contexte de lichen plan oral[-], de pathologie de la muqueuse buccale[-] ou de pathologies systémiques []. Neuf autres articles rapportaient un cas clinique ou une série de cas[-]. Cinq études décrivaient le taux de survie implantaire en cas de lichen plan oral[-].

Résultats

Seules 8 revues de la littérature ont été publiées sur l'impact de la chirurgie implantaire sur les pathologies de la muqueuse buccale, le reste de la littérature porte essentiellement sur des cas cliniques.

En 2019, Fu et al. rapportent le cas d'une patiente de 65 ans présentant un lichen plan oral, diagnostiqué 5 ans auparavant, dont la prothèse adjointe totale mandibulaire est stabilisée par 4 implants avec des locators posés en phase de rémission. Ils réalisent également une revue de la littérature sur le sujet, la plus récente parmi celles portant exclusivement sur le lichen plan[]. Elle rapporte 86 patients atteints de lichen plan ayant subi une chirurgie implantaire. 259 implants ont été posés avec un taux de survie de 95,8 % pour un suivi de 1 à 13 ans. La réhabilitation implantaire semble possible et reproductible chez ces patients avec un taux de survie superposable à celui rapporté dans la population générale. Cependant, ils soulignent la nécessité de réaliser des essais cliniques randomisés afin de définir les bénéfices et les risques liés à ce traitement.

Petruzzi et al., en 2012, insistent sur le fait qu'en diminuant les frottements d'une prothèse amovible, les implants pourraient s'avérer bénéfiques au contrôle de l'activité de la maladie []. Cependant, ils indiquent la solution implantaire seulement si la maladie est en phase de rémission et soulignent l'importance d'une bonne hygiène bucco-dentaire, associée à un suivi régulier.

Esposito et al., en 2000, rapportent un cas d'échec implantaire chez un patient atteint de lichen plan oral[]. Les auteurs attribuent cet échec à une mauvaise qualité osseuse associée à des parafonctions. En 2003, Esposito et al. publient deux cas cliniques de patients réhabilités par prothèses supra-implantaires sur locator[]. Le traitement est indiqué afin de diminuer les frottements de la PAC sur la muqueuse orale. Ils observent une amélioration significative des symptômes cliniques du lichen. Ils recommandent l'absence de port de prothèse durant les deux semaines suivants la chirurgie implantaire, ainsi que l'application de corticoïdes topiques.

Oczakir et al. (2005) rapportent un cas clinique avec pose de 4 implants mandibulaires sans complication sur un suivi de 6 ans[].

Reichart (2006) publient trois cas cliniques avec un taux de survie implantaire de 100 % à 15 ans et 3 mois de suivi, malgré une perte osseuse péri-implantaire moyenne de 3-4 mm[].

Il est à noter que 5 cas cliniques rapportent la survenue de carcinomes épidermoïdes péri-implantaires chez des patients suivis pour un lichen plan oral[-].

Enfin, 5 études abordent la chirurgie implantaire chez le patient atteint de lichen plan afin d'évaluer son impact dans cette population[-].

En 2011, Hernández et al. rapportent un taux de survie implantaire de 100 % dans une étude prospective contrôlée sur 56 implants posés chez 18 patients avec un suivi de 53,5 mois. Par ailleurs, même s'ils constatent dans le groupe lichen plus de mucosites et de péri-implantites, la différence avec le groupe contrôle n'est pas significative[]. Ils soulignent le fait que la présence d'une gingivite desquamative est associée à un risque de mucosite péri-implantaire plus élevé, encourageant sa prise en charge.

Czerninski et al., en 2013, rapportent dans une étude rétrospective contrôlée sur des patients avec un lichen plan oral que, sur 54 implants posés chez 14 patients, aucun échec implantaire n'est décrit sur un suivi de 12 à 24 mois[]. La symptomatologie liée au lichen est identique dans les deux groupes (groupe avec implants vs groupe sans implants).

Lopez-Jornet et al., en 2014, dans leur étude observationnelle, insistent sur l'amélioration notable de la qualité de vie des patients avec prothèse implanto-portée par rapport à ceux avec des prothèses amovibles classiques[].

En 2016, Aboushelib et Elsafi réalisent une étude clinique sur la chirurgie implantaire chez les patients en phase active de lichen plan oral[]. Sur 55 implants posés, 42 échecs sont rapportés sous 7 à 11 semaines. Après dépose, un traitement par corticostéroïdes en bain de bouche et un traitement par laser sont réalisés. Les 42 implants sont reposés et tous sont fonctionnels à 3 ans postopératoire.

En 2018, Anitua et al. décrivent l'indication des implants courts (< 8,5 mm de long) chez ces patients à travers une étude rétrospective[]. Tout traumatisme endobuccal exacerbant les lésions muqueuses de lichen plan (phénomène de Koebner), les implants courts seraient selon eux une alternative aux greffes osseuses, permettant ainsi de diminuer le nombre d'interventions ainsi que leur morbidité. Soixante-six implants sont posés chez 23 patients. À 68 mois, 65 sur 66 implants sont présents, avec une perte osseuse moyenne de 0,96 mm en mésial et de 0,99 mm en distal.

Discussion

Les différents cas cliniques, études et revues de la littérature récentes sur la chirurgie implantaire chez les patients atteints de lichen plan rapportent un taux de survie implantaire chez ces patients comparables à ceux retrouvés chez des patients sains. Ainsi, Hernández et al. (2012) concluent dans leur étude prospective que le lichen plan oral n'est pas un facteur de risque de péri-implantite[]. Czerninski et al. (2006) ajoutent que la pose d'implant n'engendre pas de poussée de lichen plan[]. La chirurgie implantaire semble donc être une alternative appropriée de la prise en charge de l'édentement chez ces patients.

Le lichen plan oral est une maladie chronique auto-immune inflammatoire, dont les lésions muqueuses se développent plus fréquemment chez les patients de plus de 50 ans. Le port de prothèse adjointe chez ces patients entraîne de fortes douleurs liées à la fragilité de la muqueuse. La prothèse supra-implantaire permet d'éviter l'irritation muqueuse, tout en augmentant la stabilité de la prothèse, et ainsi d'améliorer la qualité de vie de ces patients[].

La réhabilitation implantaire nécessite de prendre en compte l'activité et le stade du lichen plan ainsi que tous les critères classiques de l'implantologie (volume et qualité de l'os résiduel, obstacles anatomiques, atteinte parodontale, qualité des tissus mous, espace prothétique, hygiène bucco-dentaire). En effet, Aboushelib et Elsafi, en 2016, rapportent un taux d'échec implantaire élevé chez les patients en phase active de lichen[]. Cependant, la mise en charge précoce à 6 semaines peut être en partie responsable de ces échecs implantaires. Après un traitement approprié et un contrôle de la maladie, le pronostic implantaire est équivalent à celui retrouvé dans la population générale.

L'utilisation de prothèse supra-implantaire retenue par attachements boules en comparaison à une prothèse adjointe peut être indiquée afin de simplifier la chirurgie, diminuer le traumatisme et faciliter l'hygiène. Dans le but de diminuer le traumatisme lié à la chirurgie implantaire et pré-implantaire, Anitua et al. (2018) rapportent l'utilisation d'implants courts chez ce type de patients, avec un taux de survie superposable à celui de la population générale, faisant des implants courts une bonne alternative dans cette population [].

Le taux de succès implantaire est calculé dans chaque étude, mais le taux de survie implantaire n'est jamais abordé. Souvent confondus dans la littérature, le succès et la survie implantaires ont été définis clairement lors d'une conférence de consensus au Congrès international d'implantologie orale à Pise en 2008[]. Le taux de survie implantaire correspond au nombre d'implants encore en bouche à un instant « t ». Le taux de succès implantaire correspond au nombre d'implants encore en fonction à un instant « t », respectant les critères d'ostéointégration définis par Albrektsson et al. en 1986[]. Sensiblement identique au taux de survie implantaire dans les cas de réhabilitation simple, le taux de succès peut chuter dans les réhabilitations complexes. Parmi ces critères, nous retrouvons la perte osseuse verticale annuelle inférieure à 0,2 mm par an après la 1e année postopératoire. Cette perte osseuse est retrouvée chez un grand nombre de patients implantés et atteints de lichen, entraînant un taux de succès nettement inférieur au taux de survie implantaire. Cependant, le bénéfice fonctionnel obtenu par la pose d'implants chez ces patients est plus important que la résorption péri-implantaire observée ainsi que le risque de perte d'implants. Cette perte osseuse péri-implantaire est accentuée chez ces patients, avec probablement comme origine les épisodes répétés de poussée de lichen et les corticothérapies.

Le traitement du lichen est un prérequis essentiel à toute réhabilitation implantaire. Différents protocoles ont été décrits impliquant l'application de corticoïdes locaux, la prise de corticoïdes généraux ou l'utilisation de laser. Aucun consensus ne semble être retenu à ce jour.

La pérennité implantaire repose cependant sur deux piliers : l'hygiène bucco-dentaire et la surveillance accrue à long terme.

La survenue de péri-implantite sera prévenue par une hygiène irréprochable. L'ensemble des études traitant de l'hygiène bucco-dentaire chez les patients atteints de lichen plan oral constatent une amélioration significative des symptômes et des poussées inflammatoires du lichen après détartrage et/ou amélioration de l'hygiène orale [-].

La surveillance permet de diagnostiquer toute péri-implantite, mais également de surveiller l'évolution des lésions du lichen plan et de prendre en charge les poussées.

Il faut garder à l'esprit que le lichen plan oral est une pathologie à risque de transformation, et que même si le taux de transformation n'est que de 1 % [], plusieurs cas de carcinomes épidermoïdes péri-implantaires ont été décrits dans cette population. Les auteurs alertent sur le risque de confusion entre péri-implantite et transformation maligne, et recommandent de réaliser une biopsie devant toute suspicion afin d'éviter un retard de diagnostic.

Conclusion

Cette revue de la littérature permet de retenir l'implantologie comme une thérapeutique de choix chez l'édenté présentant un lichen plan. La diminution de la symptomatologie liée au frottement de la prothèse adjointe ainsi que l'augmentation de sa rétention sont autant de facteurs améliorant la qualité de vie de ces patients. Cependant, la chirurgie implantaire doit être réalisée uniquement lorsque le lichen est inactif. Un traitement chirurgical le moins invasif possible, passant par l'emploi d'implants courts afin d'éviter des chirurgies osseuses pré-implantaires, permet d'éviter de réactiver la maladie. La pérennité implantaire sera garantie par une hygiène accrue. Enfin, une surveillance régulière permettra de poser le diagnostic de poussée de lichen, de péri-implantite ou de transformation maligne du lichen.

Auteurs

Timothée Gellée

CCU-AH Paris Sorbonne-Université

Service de stomatologie et chirurgie maxillo-faciale

Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP

Paris, France

Anne-Laure Ejeil

MCU-PH Paris-Descartes

Département de chirurgie orale

Service d'odontologie

Hôpital Bretonneau, AP-HP

Paris, France

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