Chirurgie implantatoire
Résumé
Les lésions nerveuses constituent une partie des complications qui font suite à une pose implantaire. Celles-ci peuvent survenir à tout moment de la chirurgie, mais sont évitables par la réalisation d'une planification pré-implantaire poussée (grâce au Cone Beam) ainsi que par la connaissance de l'anatomie et de ses variations possibles.
Ces complications sont à diagnostiquer et à prendre en charge le plus vite possible, car le facteur temps est primordial pour espérer une guérison. En effet, l'implant causal doit être déposé ou dévissé, et des médicaments tels que des anti-inflammatoires à forte dose et des antiépileptiques doivent être prescrits. Puis, une multitude de traitements seront envisageables selon le délai écoulé et les préférences du patient : la chirurgie, le traitement médicamenteux ou encore une thérapie psycho-sociale.
Nerve damage is a part of the complications following an implant placement. These can occur at any time during surgery, but are preventable thanks to advanced implant planning (especially with CBCT) as well as by knowledge of the anatomy and its possible variations.
These complications should be diagnosed and managed as quickly as possible, because the time factor is essential to hope for a cure. Indeed, the causative implant must be removed or unscrewed, and drugs such as high-dose anti-inflammatory drugs and antiepileptics must be prescribed. Then, a multitude of treatments will be possible depending on the time and preferences of the patient: surgery, drug treatment or psycho-social therapy.
Lors de la pose implantaire, nous avons plusieurs obstacles anatomiques à éviter ; notamment le nerf alvéolaire inférieur, lors du remplacement des prémolaires et molaires mandibulaires. Le contact entre le nerf et l'apex de l'implant peut être source d'une lésion nerveuse et donc de conséquences immédiates pour le patient.
Ces lésions sont des complications de l'implantologie orale difficiles à diagnostiquer et à traiter ; aucun médicament n'y étant spécifique. Les chirurgiens-dentistes peuvent se sentir désarmés face à un patient souffrant de neuropathies, et il est important d'agir au plus vite ; le facteur temps jouant un rôle majeur dans la disparition des symptômes[]. Ces complications sont contraignantes pour le patient, et d'autant plus lorsqu'elles sont douloureuses, dégradant la qualité de vie de celui-ci.
L'objectif de cette revue de littérature était de rassembler les connaissances sur ce sujet afin de créer un protocole de prise en charge sous forme d'arbre décisionnel pouvant aider chaque praticien de manière claire et rapide.
Une recherche internet bibliographique a été menée, de décembre 2017 à août 2018. Les principaux sites de recherche utilisés ont été PubMed et Google Scholar, où une recherche par mots clés a été réalisée. Les articles devaient être publiés entre 2013 et 2018 pour être sélectionnés.
Les principaux mots clés utilisés ont été : implant nerve injury ; neuropathic pain implant ; treatment neuropathy ; ian (inferior alveolar nerve) injury implant ; trigeminal nerve injury...
Dans 70 % des cas, les lésions sont associées à des douleurs neuropathiques. Elles sont définies par l'IASP comme « initiées ou causées par des lésions primaires ou dysfonctions dans le système nerveux »[]. Ces douleurs sont, en général, continues et le patient peut ressentir des symptômes dits « positifs » ou « négatifs »[,] (fig. 1).
Rappelons que Seddon a décrit, en 1943, 3 types de lésions nerveuses ; en fonction de leur sévérité[] :
– la neurapraxie : compression ou étirement du nerf, sans altération axonale,
– l'axonotmèse : compression ou étirement sévère du nerf, provoquant une rupture des axones, un dommage à la myéline et une dégénérescence distale wallérienne,
– la neurotmèse : rupture du tronc nerveux et de l'axone, nécessitant une chirurgie de réparation.
Les lésions nerveuses surviennent majoritairement à la mandibule, du fait du trajet des nerfs[]. Les plus touchés sont le nerf alvéolaire inférieur (64,4 % des cas[]) ainsi que le nerf lingual.
Les lésions nerveuses peuvent être dues à des erreurs commises par le praticien lors de chaque étape de la pose implantaire :
– lors de la planification, si une erreur de mesure a été commise (lorsque la mesure a été réalisée sur orthopantomogramme plutôt que sur CBCT par exemple) ou si l'anatomie n'a pas été correctement étudiée (les variations anatomiques étant possibles)[].
– lors de l'anesthésie, si l'aiguille lèse directement le nerf[] ;
– lors du lambeau ou de la décharge ;
– lors de l'ostéotomie[] (fig. 2) :
– une intrusion partielle du foret dans le canal mandibulaire cause un trauma direct et une ischémie primaire du nerf (fig. 2A) ; auxquels peuvent s'ajouter un hématome et une ischémie secondaire par les débris provoqués (fig. 2B) ;
– une intrusion complète cause une section du nerf ainsi qu'une ischémie (fig. 2C) ;
– un forage trop proche du canal pourra générer de la chaleur endommageant indirectement le nerf par nécrose osseuse ou créer un dommage primaire au nerf.
– lors du placement de l'implant, si l'os est trop spongieux. L'implant peut être posé[] (fig. 3) :
– complétement dans le canal, causant un trauma direct (fig. 3A) ;
– partiellement dans le canal, causant un trauma direct ou générant des débris qui viendront léser le nerf (fig. 3B) ;
– a moins de 2mm du canal, créant une inflammation locale[] (fig. 3C),
– le remodelage osseux lors d'une lésion localisée peut provoquer une formation osseuse excessive et compromettre le diamètre du canal (fig. 3D).
Afin d'établir le diagnostic de lésion nerveuse, il convient de cumuler plusieurs méthodes (fig. 4) :
– le questionnaire DN4 (ou « Douleurs Neuropathiques en 4 questions ») développé par Bouhassira est assez simple et rapide d'utilisation[].
– les tests sensoriels quantitatifs ou QST sont adaptés avec les outils du cabinet (extrémité de la sonde, coton, manche de miroir...)[]. Ils servent à cartographier la zone touchée par la lésion ainsi qu'à définir le type de symptôme ressenti par le patient. Ils doivent être répétés tous les mois afin d'apprécier l'évolution de la lésion et l'efficacité des traitements mis en place[].
– les tests électriques ou CPT (current perception threshold) permettent de diagnostiquer des hyper ou hypoesthésies grâce à des fréquences électriques de différentes intensités envoyées par des électrodes sur la zone atteinte par la lésion nerveuse[].
Les auteurs se dirigent de manière générale vers la dépose ou le dévissage de l'implant si celui-ci est bien la cause de la lésion nerveuse[] (un CBCT aidera au diagnostic) ainsi que vers une prise en charge médicamenteuse. Cependant cette prise en charge ne peut s'appliquer à tous les patients et il convient de différencier certains cas.
Si l'implant s'avère être la cause de la neuropathie mais que celui-ci n'impacte pas de manière directe le canal mandibulaire, il faudra dévisser ou déposer l'implant (selon la stabilité de celui-ci)[]. Il convient de prescrire immédiatement un traitement médicamenteux[,,,] (fig. 5).
Lors de cette phase, les tests sensoriels quantitatifs (QST) doivent être réalisés chez le patient rapidement puis de manière régulière, afin de comparer les résultats et d'apprécier une éventuelle évolution de la lésion.
S'il s'avère que le nerf a bien été lésé de manière directe par l'implant, il peut être nécessaire d'envoyer le patient rapidement à un micro-chirurgien pour une réparation chirurgicale du nerf[]. Les traitements chirurgicaux les plus courants sont[] :
– la neurolyse interne : elle consiste en l'ouverture de l'épinèvre de manière très superficielle et longitudinale, afin de décompresser les fascicules nerveux.
– la greffe nerveuse autogène : elle se fait lorsque la continuité nerveuse n'est plus assurée, et que le rapprochement des deux extrémités nerveuses génère trop de tension. Il convient généralement de greffer un bout du nerf sural ou auriculaire supérieur.
Si la prise en charge se fait de manière tardive et qu'une réparation chirurgicale ne peut être envisagée, il convient de prescrire des médicaments systémiques (fig. 6) et topiques[,-] (fig. 7). Ces médicaments peuvent être cumulés pour obtenir un maximum d'amélioration.
Si aucune de ces thérapies n'est satisfaisante et en fonction du patient, les thérapies physiologiques peuvent être proposées afin de réduire les douleurs (acupuncture, thérapie laser de faible niveau) [,] ; ainsi que les thérapies psychosociales (soutien, réassurance, thérapie cognitivo-comportementale avec une aide au sommeil, un entrainement à la relaxation...][,] (fig. 8).
Le traitement des lésions nerveuses et des douleurs associées est complexe et il faudra souvent cumuler les différentes thérapeutiques pour obtenir une amélioration. Il est à noter qu'une baisse de douleur de 30 % représente une amélioration significative pour un patient atteint de neuropathie (contre 50 % pour une douleur traditionnelle)[].
Cependant, même si les médicaments et autres thérapeutiques aident sans aucun doute à la guérison de ces lésions, il reste une part de mystère sur la prise en charge de ces lésions et sur quelques cas de guérison spontanée. Aussi, il a été noté que les vitamines prescrites auraient plutôt un effet placebo que réel.
Lorsqu'une lésion est suspectée mais que l'anesthésie est encore efficace, le praticien pourra lui administrer du mésylate de phentolamine, qui est un agent contrant les effets de l'anesthésie[]. Ainsi, le patient ressentira plus rapidement d'éventuels engourdissements, et la prise en charge de cette lésion nerveuse pourra débuter sans qu'il n'y ait de perte de chance pour celui-ci.
Les conduites à tenir et différents traitements ont été résumés dans un arbre décisionnel que chaque praticien pourra avoir à portée de main au cabinet (fig. 9).
Émilie Gontier
Docteur en Chirurgie Dentaire
Gilbert Nafash
Docteur en Chirurgie Dentaire
Praticien Hospitalier/Chargé d'enseignement – U.F et D.U Implantologie Lille
Ancien Interne des Hôpitaux de Lille
A.E.A. en Odontologie
C.E.S d'Odontologie Chirurgicale