Chirurgie implantaire
RÉsumÉ
La zone interproximale de contact entre une prothèse supra implantaire et une dent naturelle participe à l'esthétique du sourire en protégeant la papille interdentaire et permet la répartition des contraintes fonctionnelles sur l'ensemble des dents. À ce titre, un ajustage précis lors de la conception puis de l'insertion prothétique ainsi qu'un contrôle de la pérennité de ce contact interproximal est essentiel dans l'intégration à long terme de la restauration implanto-prothétique.
The interproximal zone of contact between a supra-implant prosthesis and a natural tooth contributes to the esthetics of the smile by protecting the interdental papilla and allows the distribution of the functional stresses on the whole of the teeth. As such, a precise adjustment during design and then prosthetic insertion as well as a control of the sustainability of this interproximal contact is essential in the long-term integration of implant-prosthetic restoration.
Il est établi que l'hygiène quotidienne autours des implants et de la prothèse qui y est agrégée est essentielle pour éviter l'inflammation des tissus péri implantaires, celle-ci pouvant évoluer vers une péri implantite[-].
Une conception prophylactique de la prothèse doit permettre le retrait de la plaque dentaire en facilitant l'accès aux zones proximales. Ainsi, dans les situations de prothèses supra implantaires plurales, que celles-ci soient solidarisées ou non, l'ouverture des embrasures vestibulaire et linguale ainsi que la situation de la zone proximale de contact doivent être conçues afin de permettre un passage efficace et non traumatique des brossettes dans la zone interdentaire[-] (fig. 1).
La zone de contact est anatomiquement située au tiers occlusal et vestibulaire des faces proximales. Elle assure la continuité de l'arcade et permet la transmission des contraintes fonctionnelles tout en protégeant la papille gingivale sous-jacente. Au cours du temps, cette zone de contact est le siège de micro mouvements liés à la mobilité dentaire pendant la fonction ce qui se traduit par une usure progressive des bombés proximaux et un élargissement de la surface interdentaire en contact. Par ailleurs, les déplacements dentaires physiologiques en rapport avec la croissance faciale ou liés à l'attrition ainsi qu'aux éventuelles extractions non compensées contribuent à altérer l'efficacité des contacts interproximaux.
Le but de cette revue narrative de la littérature est de synthétiser les connaissances scientifiques qui supportent la conception judicieuse et la pérennité de la zone proximale de contact entre les couronnes supra implantaires fixées et les dents naturelles.
Dans le cadre de la gestion esthétique des traitements implanto-prothétiques, de nombreuses modalités chirurgicales[-] ou non[,] ont été décrites pour créer un environnement gingival péri implantaire favorable et éviter la visibilité dans le sourire d'une embrasure vide ou partiellement comblée évoquée sous les termes de « triangle noir » [,].
Ainsi, afin d'assurer la prévisibilité esthétique du résultat thérapeutique, il a été abondamment étudié les interrelations entre la situation de la zone de contact interproximale, la morphologie des zones proximales, l'anatomie gingivale ainsi qu'osseuse.
Concernant les dents naturelles, Tarnow et al.[] ont étudié la présence de la papille en fonction de la distance entre la base de la zone de contact interdentaire et le sommet de la crête osseuse. Pour ces auteurs, si la distance entre le point de contact et la crête osseuse se situe entre 3 à 5 mm, la papille est présente dans presque 100 % des cas. Mais quand cette distance est plus importante, entre 7 et 10 mm alors elle est le plus souvent absente. Ainsi, pour 5 mm de distance entre point de contact et crête osseuse, la papille est présente dans 98 % des cas alors que pour 7 mm, elle l'est seulement dans 27 % des cas.
Pour Salama et al.[], cette distance critique s'avère similaire dans une situation de restauration prothétique supra implantaire adjacente à une dent naturelle. Ainsi, si la distance entre le point le plus apical de la zone de contact de la restauration implantaire et la crête osseuse est de 4 ou 5 mm, le pronostic de présence papillaire est bon. Si la distance est de 6 ou 7 mm le pronostic est incertain, et au-delà il devient défavorable. Pour ces auteurs, la modification de la situation de la zone de contact permettrait de modifier le pronostic d'évolution de cette papille. Ces observations concernant la distance séparant la zone de contact interproximale de la crête osseuse sont en accord avec les conclusions des travaux plus récents de Choquet et al.[] ou de Gastaldo et al.[] qui confirment que 5 mm serait la distance maximale pour obtenir une papille interdentaire entre une dent naturelle et une prothèse supra implantaire.
De manière similaire, Tarnow et al.[] ont mesuré la hauteur des tissus mous inter-implantaires, entre deux implants adjacents présentant une papille. La hauteur moyenne était de 3,4 mm avec un intervalle de 1 à 7 mm. Pour ces auteurs, la position du point de contact des prothèses unitaires ainsi que la situation tridimensionnelle des implants sont des éléments clés à prendre en compte afin d'obtenir un volume suffisant de tissus mous inter-implantaires en fin de traitement. Ainsi, placer plus cervicalement la zone interproximale de contact ou augmenter sa hauteur entre les prothèses supra implantaires unitaires favoriserait les conditions nécessaires au développement d'un volume gingival donnant l'illusion d'une papille.
D'après Orthlieb et al.[], la zone interproximale de contact, entre deux couronnes dentaires naturelles ou artificielles, a pour fonction d'assurer la répartition des contraintes fonctionnelles sur l'ensemble des dents en luttant contre les forces mésialantes qui risquent de perturber la continuité de l'arcade.
Pour Orthlieb et Laurent[], à chaque impact de fermeture, il existerait une pression mésiale au niveau de chaque dent pluricuspidée qui assurerait la permanence des contacts interproximaux et serait responsable de la dérive mésiale des arcades.
Par ailleurs, l'attrition progressive des zones proximales de contact liée au vieillissement entrainerait une réduction de la longueur des arcades dentaires évaluée entre 2 et 5 mm[,].
Enfin, cette zone de contact assure une fonction biologique de protection de la papille interdentaire logée dans l'embrasure gingivale[] limitant ainsi son involution au cours du temps.
D'après Jernberg et al.[], dans le secteur antérieur, l'absence de point de contact inter dentaire serait lié à la présence de poches parodontales.
Pour Kim et al.[], la récession gingivale de la papille interdentaire constatée chez certains patients serait associée notamment à une faible hauteur de la zone proximale de contact, à une distance importante entre la crête osseuse et le point de contact ou à une forme triangulaire des dents.
Dans une étude clinique transversale, Jeong et Chang[] ont rapporté les conséquences cliniques de la perte de contact entre une prothèse supra implantaire et une dent naturelle adjacente. Ils constatent un saignement au sondage, un indice de plaque plus élevé au niveau implantaire ainsi qu'une profondeur de sondage augmentée.
La perte du contact interproximal peut également entrainer des tassements alimentaires responsables de caries sur les dents naturelles adjacentes[,] (fig. 2 et 3).
Au-delà de l'incidence négative sur le plan esthétique, la disparition partielle ou totale de la papille s'accompagne parfois de difficultés phonétiques ou de stases alimentaires rapportée souvent comme très gênantes par les patients.
Lors de la conception d'une prothèse supra implantaire plurale, il a été évoqué l'intérêt de solidariser les éléments afin de limiter la résorption osseuse péri implantaire qui serait liée aux contraintes mal contrôlées s'exerçant au niveau des différentes zones proximales de contact lors de l'insertion prothétique des différents éléments prothétiques unitaires.
Ceci semble en désaccord avec les résultats à 5 ans de l'étude prospective de Vigolo et Zaccaria[] qui montrent qu'il n'existe pas de différence statistiquement significative en termes de perte osseuse marginale concernant le fait de solidariser ou non les restaurations implanto prothétiques plurales. Ceci est confirmé par les conclusions des deux revues systématiques récentes de De Souza Batista et al.[] et Al Amri et Kellersarian[] publiées en 2017 et 2019.
D'après les résultats de l'étude in vitro de Ylmaz[], si un point de contact interproximal avec les dents voisines existe, la solidarisation des implants par l'intermédiaire d'une prothèse plurale ne diminuerait pas les contraintes transmises à l'os.
De même, dans une étude en photo élasticimétrie, Aguiar Júnior et al.[] ont montré l'intérêt d'une zone proximale de contact avec une dent naturelle distale à 2 prothèses supra implantaires unitaires adjacentes dans le contrôle des contraintes fonctionnelles s'exerçant sur l'os péri implantaire et ceci tant verticalement qu'en cisaillement. Pour ces auteurs, l'absence d'une dent naturelle distale à la restauration prothétique inciterait à solidariser les éléments prothétiques unitaires (fig. 4 à 7).
Par ailleurs, pour Guichet et al.[], plus le contact interproximal est important en termes d'intensité des contraintes générées après insertion de 3 prothèses unitaires, plus ces contraintes seront transmises à l'os péri implantaire, ceci pouvant entrainer un défaut de passivité du dispositif. Les contraintes occlusales ultérieures semblent se concentrer sur l'implant supportant la prothèse spécifiquement chargée. Inversement, dans une situation de prothèse plurale solidarisée, la charge occlusale entraine une contrainte répartie entre les différents implants.
De même, selon Naves et al.[], l'importance de la surface de contact entre des prothèses unitaires jouerait un rôle dans la transmission des contraintes vers l'os péri implantaire. Ainsi, une surface de contact plus étendue entrainerait une transmission des contraintes plus homogène autour des implants. Néanmoins, d'après ces auteurs, un meilleur comportement serait constaté avec une solidarisation des prothèses.
Dans une étude prospective, Ren et al.[], ont montré qu'à trois mois après insertion d'une prothèse supra implantaire unitaire adjacente à une dent naturelle, l'intensité du point de contact diminuait puis se stabilisait.
D'après Koori et al.[], il serait fréquent d'observer une perte du contact entre les dents naturelles et les prothèses supra implantaires et ceci particulièrement en mésial de ces dernières.
En 2016, dans une revue de la littérature concernant l'ouverture de la zone de contact inter proximale entre une prothèse supra implantaire et une dent naturelle, Greenstein et al.[] rapportent que la fréquence de ce phénomène varierait de 34 à 66 % des restaurations évaluées dans les 5 publications retenues pour cette synthèse. Dans les deux publications les plus récentes datant de 2015, l'incidence retrouvée est similaire pour des durées moyennes variant de 47 à 57 mois, avec une survenue souvent rapide, quelques mois après l'insertion prothétique, de la perte progressive du contact interproximal. Les auteurs suggèrent que la croissance faciale ainsi que la dérive mésiale physiologique des dents naturelles avec attrition progressive des zones de contact interdentaires seraient à l'origine de ce phénomène. Néanmoins, la perte du contact interproximal distal étant également rapportée, les modifications des rapports occlusaux pourraient également être impliquées dans la migration des dents naturelles.
Dans une étude rétrospective transversale portant sur 128 patients[], la zone proximale de contact de 174 prothèses supra implantaires unitaires adjacentes à une dent naturelle a été évaluée. Un fil de 70 micromètres de section a été utilisé pour détecter l'absence de contact interproximal. Les prothèses étudiées étaient fonctionnelles depuis 3 mois jusqu'à 11 années. Les auteurs rapportent une prévalence d'environ 53 % d'ouverture de la zone interproximale de contact, essentiellement en mésial de la restauration prothétique et préférentiellement au maxillaire. Près de 40 % des patients porteurs d'une prothèse présentant une zone proximale de contact déficiente se plaignait d'un tassement alimentaire à ce niveau.
En 2017, dans une étude prospective d'une durée de suivit de 7 années, Pang et al.[], ont évalué la pérennité de 299 zones de contact interproximale entre une prothèse supra implantaire et une dent naturelle. La perte du contact proximal était validée par l'insertion dans la zone interproximale d'un ruban en aluminium d'une épaisseur supérieure ou égale à 50 micromètres. En moyenne sur la durée de l'étude, environ 60 % des zones proximales n'étaient plus en contact. Plus précisément, il est rapporté un taux de perte du contact de 12,5 % à 1 an, 47,6 % à 3 ans et 81 % à 5 ans après insertion prothétique. Pour ces auteurs, la zone proximale de contact mésiale, le niveau osseux de la dent naturelle et l'arcade maxillaire représentaient les critères majeurs en relation avec la disparition du contact interproximal.
Pour French et al.[], dans une étude rétrospective publiée en 2019 portant sur 4 300 implants, ce phénomène était constaté dans environ 17 % des prothèses supra implantaires évaluées. L'absence de contact interproximal était attestée par le libre passage d'un fil de 50 micromètres de diamètre. La perte du contact interdentaire était observée dans 11 % des restaurations 1 année après l'insertion et dans 29 % après 8 années.
La perte progressive du point de contact surviendrait de manière prédominante à la mandibule, sans avoir d'incidence sur la perte osseuse marginale mais en favorisant l'inflammation des tissus gingivaux péri dentaires et implantaires.
D'après ces auteurs, une explication possible de la perte de contact en mésial d'une prothèse implantaire tiendrait dans la dérive mésiale physiologique des dents naturelles combinée à la pseudo ankylose osseuse des implants. Pour eux, la disparition progressive d'un point de contact distal serait liée à une mauvaise gestion des contraintes occlusales.
Dans le cadre d'une gestion équilibrée des contraintes s'exerçant au niveau des zones proximales de contact, il faut constater l'aspect assez rudimentaire des moyens mis en œuvre tant durant les étapes de laboratoire que lors des séquences cliniques.
Au laboratoire, on rappellera les difficultés potentielles liées à préparation des modèles physiques de travail ou au réglage empirique de l'intensité du contact lors du montage du matériau cosmétique. À ce titre, le paramétrage de ce critère dans le cadre dans d'un flux numérique avant usinage s'avère une source d'amélioration de la qualité de la prothèse réalisée (fig. 8 et 9).
Cliniquement, il faut s'attacher à contrôler l'ajustage de l'élément prothétique tout en évaluant l'intensité du contact interproximal ainsi que son étendue (fig. 10 à 14 ; fig. 15 à 21).
Pour cela, outre la réalisation d'un contrôle radiographique (fig. 25 à 30) il sera utile de déposer un vernis (Arti-spot 2®, Bausch) sur les faces proximales et de procéder à la mise en place de la prothèse.
Les zones en frottement, à l'origine des difficultés d'insertion complète de la prothèse ou de potentielles contraintes excessives, effacent le vernis et mettent en évidence les zones à retoucher. Si nécessaires, des ajustements légers et successifs à l'aide d'une fraise grains fins doivent permettre l'insertion de la prothèse sans pour autant perdre le point de contact. Après un polissage soigneux des faces proximales et l'élimination du vernis résiduel, un contrôle du contact interproximal est réalisé avec un fil dentaire puis le protocole d'assemblage final est entrepris.
Enfin, en raison de la possible disparition dans le temps du contact interproximal entre une prothèse supra implantaire et une dent naturelle, certains auteurs proposent de prévenir les patients de cet inconvénient et de contrôler la pérennité du contact lors de la maintenance. Afin de pouvoir réintervenir plus facilement, il a été préconisé de réaliser des prothèses transvissées ou des prothèses scellées à l'aide de ciments provisoires[,]. Le port nocturne d'une gouttière occlusale a également été évoqué pour limiter l'attrition des zones interproximale de contact[,].
Enfin, quel que soit le type de prothèse réalisé, un contrôle soigneux des points de contact occlusaux doit également être effectué afin d'évaluer leur répartition équilibrée sur la surface occlusale limitant d'autant les contraintes potentiellement délétères.
Une conception pertinente des zones proximales prothétiques est essentielle dans l'ajustage du contact qui se crée entre les dispositifs prothétiques assemblées. L'efficacité de ce contact et sa pérennité au cours du temps conditionnent la santé gingivale péri implantaire et favorisent une situation d'équilibre biomécanique au niveau péri implantaire mais également par rapport aux dents adjacentes. La littérature montre que la perte du contact interproximal entre une prothèse supra implantaire et une dent naturelle adjacente est un évènement fréquent dont la survenue n'est pas prédictible. Lors des visites de maintenance, tout comme les contacts occlusaux, les zones de contacts interproximales doivent être contrôlées régulièrement.
Le déplacement physiologique des dents naturelles au cours du temps peut engendrer une perte progressive de l'efficacité du contact interproximal qui doit être décelée et corrigée avant d'avoir des conséquences néfastes sur l'environnement tissulaire péri prothétique.
Jérémie Perrin
Docteur en Chirurgie Dentaire
Ancien Assistant Hospitalo-Universitaire
Nicolas Laferté
Prothésiste dentaire, Laboratoire LDL
11, rue Houvenagle 22000 Saint-Brieuc
Hervé Plard
Docteur en chirurgie dentaire
Ancien Assistant Hospitalo-Universitaire
Praticien attaché au CHU de Rennes
Hélix, Groupe de Recherche et de Formation en Odontologie
27 boulevard Magenta, 35000 Rennes
Olivier Fromentin
PU-PH
UFR d'Odontologie Faculté de Paris
Hôpital Rothschild (AP-HP)
Directeur DUCICP Université Paris 7