Dossiers cliniques
En 1960, le professeur Bränemark posait les bases de l'implantologie orale. Depuis, de nombreux auteurs ont contribué à l'étude de l'ostéointégration et de ses critères d'appréciation. Albrektsson et al., en 1981, ont étudié les facteurs qui conditionnent la réussite de l'ostéointégration des implants[]. Certains concepts sont à présent admis de tous : la biocompatibilité du titane, la macro et la...
Résumé
La survie implantaire se définit comme un implant en fonction qui est encore in situ, support de prothèse. Depuis les concepts d'ostéointégration établis par le professeur Bränemark en 1960, les facteurs nocifs ou bénéfiques au processus d'intégration implantaire ont été l'objet de nombreuses études.
Cette étude longitudinale portant sur 1 788 implants a pour objectif l'analyse statistique du taux de survie implantaire du système In-Kone® SA2 de Global D, sur 5 ans. Les objectifs secondaires étaient d'établir les facteurs qui influencent de manière significative ce taux de survie, et proposer un algorithme probabiliste qui permettrait de prévoir les chances d'ostéointégration implantaire. Ainsi, en fonction des conditions cliniques, il incombera au praticien implantologiste de savoir reconnaître ces facteurs favorables ou à risque pour la survie implantaire et d'adapter sa pratique.
En 1960, le professeur Bränemark posait les bases de l'implantologie orale. Depuis, de nombreux auteurs ont contribué à l'étude de l'ostéointégration et de ses critères d'appréciation. Albrektsson et al., en 1981, ont étudié les facteurs qui conditionnent la réussite de l'ostéointégration des implants[]. Certains concepts sont à présent admis de tous : la biocompatibilité du titane, la macro et la microstructure implantaire, la préparation du site receveur, les protocoles chirurgicaux et de mise en fonction prothétique.
D'autre part, des facteurs génétiques, environnementaux, de mode de vie (tabac, etc.), mais également techniques (connectique, platform switching, etc.) et contextuels (type de prothèse, aménagement osseux, etc.) ont un impact conséquent sur le taux de survie des implants. Ils font l'objet d'une remise en question permanente, moteur d'une recherche innovante et d'avancées scientifiques constantes.
L'implant In-Kone® SA2 de Global D présente des caractéristiques techniques correspondant aux dernières évolutions : connectique interne type cône morse et platform switching, double filetage à profondeur croissante, état de surface sablé et mordancé.
L'objectif principal de cette étude est de présenter le taux de survie de cet implant grâce à une étude longitudinale sur 5 ans portant sur 1 788 implants. Les objectifs secondaires sont d'établir les facteurs qui influencent de manière significative ce taux de survie, et proposer un algorithme probabiliste qui permettrait de prévoir les chances d'ostéointégration implantaire.
Dans ce cadre, il nous a semblé nécessaire de préciser le sens de certains termes scientifiques :
• Taux de survie : Ce taux correspond aux implants en fonction qui se trouvent encore in situ, support de prothèse.
• Taux de succès : Ce taux définit la persistance de l'implant in situ. Il est basé sur des critères précis de perte osseuse et de mobilité implantaire.
• Notion d'échecs : Mobilité cliniquement décelable, douleur, sensibilité, péri-implantite active remettant en cause la préservation de l'implant sur l'arcade, radioclarté péri-implantaire. Cette situation peut être de deux ordres :
- Les échecs précoces : l'implant ne s'est jamais ostéointégré. Il est au mieux stabilisé par une « fibro-intégration ». Il ne peut être porteur d'une prothèse d'usage.
- Les échecs tardifs : ils correspondent à une perte d'ostéointégration après la mise en place de la prothèse d'usage.
Nous reviendrons dans la discussion sur ces distinctions qui permettent une analyse comparative pertinente des résultats proposés par les auteurs.
Il s'agit d'une étude portant sur l'analyse multivariée longitudinale monocentrique du taux de survie de 1 788 implants In-Kone® posés par un praticien libéral entre 2010 et 2017 exerçant dans un hôpital privé, l'hôpital Ambroise Paré à Marseille [fig. 1 à 6]. L'échantillon de population est composé de 459 patients traités avec un ou plusieurs implants. L'analyse statistique a été réalisée par le laboratoire de biostatistiques Genovir à Marseille.
Perdus de vue : tous les patients traités ont été contrôlés et inclus dans l'étude.
Le recueil des données des patients a été effectué selon un questionnaire universel comprenant l'état civil du patient et les antécédents médicaux (tabagisme actif, diabète, traitement par biphosphonates, ménopause, traitement hormonal substitutif), les caractéristiques de l'implant, le numéro de la dent à remplacer, le protocole chirurgical utilisé (1 temps mise en charge immédiate, 1 temps mise en charge différée ou deux temps chirurgicaux), la nécessité d'un aménagement osseux et le type de prothèse mis en place.
Le critère de jugement principal est la survie implantaire définie selon les critères de Buser[] :
• Absence de symptômes subjectifs persistants (douleurs, sensations de corps étrangers et/ou dysesthésies).
• Absence d'infection péri-implantaire récidivante avec suppuration.
• Absence de mobilité du pilier implantaire.
• Absence de radiotransparence circulaire au voisinage de l'implant.
Celle-ci est étudiée sur une période de 1 à 5 ans.
Le suivi post opératoire jusqu'à la réalisation de la prothèse a été assuré par le même praticien selon le protocole clinique et paraclinique proposé par Buser et al[]. Une fois la prothèse posée, le suivi selon ce protocole a été assuré par les praticiens traitants en charge de la prothèse. Toute anomalie dans le suivi a conduit à une consultation avec le praticien implantologiste.
Cette base de données a permis dans un premier temps l'analyse statistique univariée du taux de survie ; celui-ci évalue la survie implantaire en fonction des différents paramètres :
- paramètres généraux (âge, sexe, tabac, diabète, prise de biphosphonates, ménopause, traitement hormonaux) [tableau 1] ;
- paramètres locaux (densité osseuse, sites d'implantation, aménagement osseux éventuel) [tableau 2] ;
- paramètres techniques (longueur, diamètre, protocole chirurgical, type de prothèse) [tableau 3].
Dans un second temps, une analyse statistique multivariée a été conduite, aboutissant à un algorithme probabiliste de survie implantaire incluant plusieurs paramètres.
Le tableau 4 présente le taux de survie implantaire en fonction des différents paramètres retenus. Tout p < 0,05 indique qu'il y a un effet significatif du paramètre sur la survie implantaire.
L'analyse univariée montre que la survie de l'implant est liée au sexe féminin (p = 0,0015), à la ménopause (p = 0,0160), à la densité osseuse (p = 0,0083) et au type de prothèse (p < 0,0001) ; le taux de survie est impacté par une chirurgie d'aménagement osseux préalable ou simultanée (p = 0,0382).
Les paramètres significatifs en univariée (p < 0,05) ou avec tendance (< 0,20) sont intégrés dans la régression multivariée afin de déterminer les facteurs indépendants prédictifs de survie.
Les paramètres suivants ont été intégrés dans la régression : « sexe », « tabac », « densité osseuse », « protocole chirurgical », « type d'implantation » et « aménagement osseux ». Les paramètres « ménopause » et « traitement hormonal » sont facteurs de biais car liés au sexe. Ils n'ont donc pas été intégrés au modèle multivarié. Le type de prothèse n'a pas été pris en compte dans l'analyse multivariée du fait du nombre important de sous-classes (bridge partiel scellé, complet fixe scellé, etc.) qui ne permettent pas l'obtention de résultats significatifs.
Le résultat de l'analyse multivariée de la survie des implants sur les paramètres définis précédemment est indiqué dans le tableau 5. Cette analyse permet le calcul de l'odds ratio permettant de définir la chance de survie de l'implant en fonction des paramètres étudiés.
Prenons l'exemple du facteur « tabac ». Un odds ratio est calculé à 0,464 pour le statut fumeur (i.e. odds ratio non-fumeur : 1/0,464 = 2,16), avec effet significatif (p = 0,017). Ceci signifie qu'un implant posé chez un non-fumeur aura une chance de survie 2,16 fois supérieure par rapport à un implant posé sur un terrain tabagique. De même, le risque d'échec augmente de 2,42 fois sur un implant posé chez un homme (odds ratio 0,413, p = 0,0021). Lorsque l'implant est posé selon le protocole 1 temps différé, il a une chance de survie 3,8 fois supérieure à un implant posé selon le protocole de mise en charge immédiate.
Un algorithme permettant de calculer la probabilité de survie a été dérivé du modèle de régression multivariée. Selon les caractéristiques du patient et les conditions protocolaires, la probabilité de survie est excellente (99,58 %).
Le taux de survie (également appelé probabilité de survie) en fonction du temps est donné par la courbe de survie de Kaplan-Meier[] [fig. 7]. Au temps 0, la survie est de 100 %. Puis la courbe est actualisée en fonction du temps de survie de chaque échec et de chaque survie enregistrée. Dans le cas d'une survie, on dit que le temps est censuré à droite, car au moment où a été réalisée la saisie des informations, l'implant était en survie, mais il peut avoir été en échec depuis, ou bien toujours être en survie.
Seuls les échecs pour lesquels il y a eu ostéointégration de l'implant ont été intégrés dans la suite de l'analyse. Après contrôle, 13 échecs ont ainsi été confirmés. Les 43 échecs précoces (cf. définitions) (2,4 %) n'ont pas été inclus dans l'analyse. Par conséquent, l'analyse de survie totalise 1 745 implants (1 788 – 43 échecs précoces = 1 745 soit 1 732 implants en survie + 13 échecs tardifs)
Ainsi, nous relevons un taux de survie à 1 an de 99,54 %, pour atteindre 99,10 % à 5 ans [tableau 6]. Après la 4e année, le taux de survie est stable. Ces résultats indiquent que le risque d'échec est de 0,46 % la 1re année, puis 0,14 % la 2e année (99,54 % – 99,40 % = 0,14 %), 0,17 % la 3e année (99,40 % – 9,23 % = 0,17 %), 0,13 % la 4e année, et 0 % la 5e année. À noter que le recul de 5 années de suivi n'est disponible que pour 20 % des implants [tableau 7].
L'objectif principal de ce travail était de connaître le taux de survie implantaire du système Global D In-Kone® SA2. Comme nous l'avons vu dans le tableau 6, il est, à 1 an, de 99,54 % ; lorsque le recul est supérieur à 5 ans, ce taux de survie est de 99,10 %. Nous reviendrons dans cette discussion sur les facteurs significatifs qui influencent ces résultats.
Au préalable, il nous a semblé nécessaire de revenir sur la définition de certains termes utilisés en pratique implantaire (taux de survie, taux de succès, échecs précoces, échecs tardifs...). Cette mise au point permet la lecture éclairée des différentes études cliniques publiées. En effet, selon les auteurs, les paramètres de suivi implantaire cliniques et paracliniques divergent. Il en est de même quant à l'évaluation des taux de survie et des taux de succès.
Il est important de souligner que cette étude se concentre sur l'analyse du taux de survie implantaire et non du taux de succès. Ces deux termes sont parfois utilisés à tort au sein de la littérature et peuvent être source d'ambiguïté et de mauvaise interprétation, d'où cette clarification sémantique.
La survie implantaire est définie par le taux d'implants encore en fonction (supports de prothèse). L'analyse de ce taux est basée sur les critères d'évaluation définis par Buser et al. en 1997[]. Ces critères cliniques et radiologiques impliquent des mesures pratiquées au fauteuil dentaire. Les implants sont considérés comme étant en situation d'échec lorsqu'ils présentent une mobilité, une péri-implantite active, une radioclarté périphérique ou lorsque que le patient ressent des douleurs et des sensibilités générés par les implants.
Concernant l'étude du taux de succès, il définit la persistance de l'implant in situ. Il répond à d'autres critères cliniques et radiologiques : indice de plaque, indice gingival, stabilité des implants évalués par Periotest, profondeur des poches péri-implantaires[6 à 8], et enfin des clichés radiographiques standardisés pour quantifier la perte osseuse alvéolaire exacte[9 à 11]. L'analyse de tels paramètres est difficile et peu reproductible en pratique quotidienne et en cabinet.
Nous avons donc choisi de nous appuyer sur les méthodes d'évaluation de Buser et al[].
Nos résultats concernant le taux de survie implantaire doivent être comparés à d'autres études rétrospectives multivariées. Il est à noter que ce taux de 99,10 % que nous présentons avec ce système a été obtenu sur une cohorte de patients a priori peu favorable.
En effet, le recrutement des patients constituant l'échantillon s'est fait sans pré-sélection, en respectant uniquement les contre-indications médicales absolues et relatives à la pose implantaire reconnues par la communauté scientifique.
Il n'y a eu aucune pré-sélection concernant l'âge des patients (20 à 94 ans) et aucune pré sélection concernant les volumes et la qualité de l'os alvéolaire disponible.
Ainsi, les cas référés étaient souvent complexes d'un point de vue chirurgical avec des aménagements osseux et/ou des parties molles pour 780 implants, soit 44 % de l'échantillon. Dans cette étude, le taux de survie des implants posés sur des sites osseux aménagés s'élève à 96 % soit 74 implants fonctionnels au niveau des crêtes alvéolaires régénérées.
Ce nombre important d'implants posés au niveau des sites aménagés est significativement supérieur aux autres études comparables (étude implant Kontact[] : 7 % des implants posés sur sites aménagés et 8 % d'échecs ; étude implant ITI[] : 36 implants soit 7,7 %). Il témoigne de l'efficacité du système In-Kone® sur des sites osseux initialement défavorables.
La présente étude a été réalisée dans une seule clinique par un praticien expérimenté ayant une activité exclusive de chirurgie implantaire et pré-implantaire.
Les 1 788 implants faisant l'objet du suivi ont été posés sur une période de 5 ans. Le fait qu'il n'y ait qu'un seul opérateur renforce la puissance de l'étude : la reproductibilité du geste et la gestion technique identique pour chaque implant posé élimine un biais retrouvé dans certaines études s'appuyant sur plusieurs opérateurs.
L'objectif secondaire de ce travail était de déterminer les facteurs prédictifs de la survie implantaire. Comme nous l'avons vu [tableau 4], l'analyse statistique univariée de chaque paramètre a mis en évidence certains facteurs significatifs (Sexe, Tabac, Densité Osseuse, Protocole Chirurgical, Type Implantation et Aménagement Osseux.)
Concernant le sexe, nos résultats semblent cohérents avec d'autres études telles que celles de Zupnik et al. en 2011[] et de Lin et al. en 2018[].
Concernant le tabac, notre étude met en évidence en analyse univariée qu'il représente un facteur de risque puisque le taux de survie chez les patients fumeurs s'élève à 96 %. Cependant, notons qu'il ne s'agit que d'une valeur statistique à tendance (p < 0,20).
Ce résultat concernant le tabac est à mettre en perspective avec l'étude rétrospective sur 4 ans de Zupnik et al.[]. Il ne révèle pas de différence significative concernant le taux de survie au long cours des implants posés sur patient fumeurs et non-fumeurs.
Nos résultats sur la survie implantaire selon la densité osseuse s'accordent avec la littérature et notamment l'étude de Lin et al.[]. Une densité osseuse de type 1[], surtout retrouvée au niveau des région symphysaire et parasymphysaire mandibulaire, constitue un facteur de risque évident et significatif pour la survie des implants [tableau 4].
De plus, du fait de la difficulté de distinguer cliniquement un os de type 2 ou de type 3, ces deux groupes ont été rassemblés et traduisent un « terrain » implantable favorable.
La différence significative de survie entre un implant placé dans un os natif et un os greffé [tableau 4] est notre seul point de désaccord avec certaines études publiées[, ]. Tran et al. ne retrouvent aucune différence significative du taux de survie implantaire à 5 et 10 ans. Ils obtienent un taux de 94 %, que l'implant soit posé dans un os natif ou un os greffé (ROG, préservation alvéolaire, comblement sinusien...)[].
En revanche, l'étude d'Aghaloo et Moy en 2007[] est cohérente avec nos résultats.
L'analyse fine de ces différentes publications montre que lorsqu'on s'en tient à des techniques d'aménagement peu invasives (ROG, comblement sinusien, préservation d'alvéole, etc.), le taux de survie implantaire est effectivement identique à celui d'un implant placé dans un site d'os natif.
À l'inverse, lorsqu'on inclut des techniques plus avancées (greffes d'apposition, d'interposition, splitting, etc.), le taux de survie est moins favorable.
Dans cette étude, les techniques d'aménagement pré-implantaire diverses n'ont pas été renseignées et le taux de survie de 96 % est donc cohérent avec l'étude d'Aghaloo et Moy[].
En outre, la non pré-sélection des patients greffés (tabac, âge, difficultés anatomiques, etc.) pourrait expliquer ces résultats de survie moins favorables.
La régression statistique multivariée met ainsi en exergue les facteurs favorables au taux de survie : le sexe féminin, l'absence de tabac, un site implantable de densité osseuse 2/3, un protocole en 1 temps chirurgical avec mise en charge différée, protocole d'extraction-implantation immédiate et un site osseux natif non aménagé [tableau 5].
Ces facteurs déterminants permettent de concevoir un algorithme probabiliste qui permet de calculer la probabilité de l'ostéointégration implantaire en fonction du cas rencontré en pratique.
Ainsi, un patient présentant l'ensemble des facteurs favorables aurait 99,58 % de chance que ses implants s'ostéointègrent.
L'implant Global D In-Kone® SA2 est un système fiable. De par notre analyse, cet implant a fait ses preuves dans tous types d'aménagement osseux et de qualité osseuse.
L'analyse statistique a permis de conduire à un modèle probabiliste offrant la possibilité de calculer et d'anticiper les chances d'ostéointégration en fonction des conditions cliniques. Il incombera au praticien implantologiste de savoir les reconnaître, les analyser et les gérer.
Patrick Moheng
DU d'implantologie,
Exercice exclusif en paro/implantologie,
Président du Collège d'implantologie orale
Service d'implantologie
Ambroise Paré
Marseille
Philippe Roche Poggi
MCU-PH
Chirurgie maxillo-facial, stomatologie
DES de chirurgie générale
Marseille
Guillaume Pénaranda
Biostatisticien,
Génovir
Marseille
Pierre Moheng
Étudiant en 6e année de chirurgie dentaire
Faculté de Marseille
Romain Castro
Spécialiste qualifié
en chirurgie orale
AHU, Aix-Marseille université
AP-HM service de chirurgie orale, pavillon odontologie
PH en chirurgie orale,
CH Edmond Garcin, Aubagne