Chirurgie implantaire
Stéphane Milliez* Patrick Exbrayat** Pierre Cherfane***
*Praticien hospitalier, AP-HP
GH H. Mondor
Exercice exclusif en implantologie et chirurgie orale, Paris
**MCU-PH
Lyon
Expert
Cour d'appel de Lyon
Spécialiste en implantologie
***Implantologie, Parodontologie, Paris
Quel est votre plan de traitement en considérant que 11 est restaurable après dépose de l'ancienne couronne et de l'ancrage radiculaire ?
Il s'agit d'une patiente de 58 ans sans antécédents généraux qui consulte pour motif esthétique. Elle présente 2 couronnes au niveau de 11 et 21 posées il y a plus de 10 ans.
L'examen exobuccal ne met en évidence aucune particularité. La patiente présente une ligne de sourire haute découvrant largement le collet des dents antérieures.
L'examen endobuccal montre :
→ un décalage du niveau des collets entre 11 et 21 ;
→ une infammation gingivale au collet de 21 ;
→ une perte de la papille entre 11 et 12 ;
→ un surcontour vestibulaire important de la couronne associé à un sondage vestibulaire de 3 mm.
L'examen radiographique :
→ la rétro-alvéolaire montre la présence de 2 couronnes céramo-métalliques au niveau de 11 et 21 avec des ancrages radiculaires, une inadaptation des couronnes 11 et 21 ;
→ le CBCT met en évidence une LIPOE inframillimétrique au niveau de 11.
Le motif principal de consultation de la patiente est l'esthétique du secteur antérieur, avec comme difficulté majeure une ligne de sourire très haute, découvrant largement les collets et la gencive.
C'est une situation très délicate et la clef du succès est la gestion des tissus gingivaux et un alignement harmonieux des collets. Il est évident que la perte tissulaire et la migration apicale de la gencive (et de l'os sous-jacent) sur la 21 sont ce qui frappe d'emblée. À mon avis, non seulement le contour gingival autour de 11 n'est pas idéal mais il faudrait en outre augmenter la hauteur coronaire visible de 11 et la rendre plus présente, car elle semble plus petite que la 12.
Dans ce cas esthétique, il me semble préférable de passer par des modèles d'études et par une cire prospective afin d'évaluer le résultat espéré avec une gencive redessinée et des hauteurs de couronnes plus harmonieuses de 11 et 21 (plus grande pour 11 avec une élongation coronaire associée et plus courte pour 21). Il semblerait que les collets de 12 et 22 soient sur un même plan horizontal.
Des logiciels de planification esthétique du sourire ont tout à fait leur place ici.
Si l'on considère l'aspect pathologique, les deux incisives centrales sont conservables (pas de reprise de carie, pas de lésion osseuse irrémédiable, pas de fissure diagnostiquée). La différence est la perte parodontale vestibulaire importante en 21 avec une demande esthétique de la patiente.
C'est pourquoi il paraît plus judicieux de garder la 11 après reprise du traitement endodontique par voie orthograde (la réfection prothétique pour raison esthétique et la probablement légère infiltration sous couronne visible à la rétro-alvéolaire, ainsi que le large sourire gingival, ne sont pas en faveur d'une chirurgie endodontique).
La dent 21, dans cet objectif de prise en charge esthétique, ne peut être conservée. Même si, techniquement, il est possible de proposer une extraction avec implantation et mise en esthétique immédiate (racine étroite et plutôt courte, os au-delà de l'apex > 5 mm, excellents volumes osseux et bonne densité osseuse), cela n'est nettement pas ici le traitement de choix. Nous sommes en présence d'un défaut de classe 3, selon la classification de Tarnow, avec perte osseuse et gingivale associée. Il faut que les tissus « mous » soient reconstitués avant d'envisager l'implant.
Comme la couronne sur 11 est à reprendre, deux couronnes provisoires solidarisées, remplaçant 11 et 21 (en cantilever), pourraient être envisagées.
Plusieurs options de traitement sont envisageables, mais il faudra gérer la perte gingivale et le défaut osseux.
La traction orthodontique de 21 aurait pour intérêt de faire migrer cervicalement l'environnement parodontal vestibulaire, voire proximal, de 21. L'avis de l'orthodontiste est alors requis. Il faut de la place en occlusal. La prothèse provisoire consisterait alors en une couronne sur 11, solidarisée à une facette sur 21, afin de laisser la place au dispositif orthodontique en lingual. Il faudrait retoucher la racine de 21 au fur et à mesure de sa « descente » cervicale. Ce traitement peut être délicat et n'est pas pris en charge chez l'adulte. Il n'est pas toujours évident pour le patient d'accepter cette première étape car le dispositif orthodontique est encombrant et assez disgracieux, surtout quand la patiente a une demande esthétique forte, même dans la gestion de la temporisation.
Avec ou sans traction orthodontique de préparation, il faut d'emblée ajouter de la gencive le jour de l'extraction de 21. Même si le morphotype gingival semble plutôt épais, la seule cicatrisation gingivale pourrait faire apparaître un tissu peu satisfaisant. En fonction du défaut vertical, une greffe gingivale, avec prélèvement épithélio-conjonctif à la tubérosité ou d'un conjonctif au palais, semble intéressante le jour de l'extraction de 21 pour reconstituer le tissu perdu. L'ajout doit pouvoir réaligner verticalement les collets, voire même être un peu en excès si possible. En parallèle, le collet de la dent « pontique » provisoire sur 21 doit être retouché en rapport avec la quantité de tissu ajoutée.
Deux mois plus tard, un cone beam permet de visualiser les volumes osseux résiduels en 21 (même si l'os n'est pas totalement reconstitué). Selon le projet esthétique et la hauteur des futures couronnes, l'implant devra être positionné à une certaine profondeur. L'utilisation d'un logiciel de planification esthétique du sourire peut être d'une aide précieuse.
L'analyse du cone beam selon la position désirée de l'implant permettra d'évaluer si une reconstruction osseuse préalable à la pose de l'implant est à prévoir en amont (si le niveau osseux en palatin ne semble pas présenter de défaut), ou si l'adjonction d'os peut se faire en même temps que la chirurgie implantaire.
Un guide chirurgical simulant le projet esthétique et la position du futur collet de la dent peut être utile au moment de placer l'implant.
Une fois constatée l'ostéo-intégration de l'implant, il faut passer par une étape de temporisation implanto-portée, si possible transvissée. Cette étape peut prendre un certain temps, mais elle va permettre, par modification progressive, de modeler la gencive, d'ouvrir ou de fermer les espaces proximaux, et surtout d'arriver au plus près du projet initial.
Une fois ce résultat obtenu, il est alors possible de passer aux étapes de prothèse d'usage.
Cette situation clinique impose une réévaluation après dépose des couronnes de 11 et de 21, étape préalable à toute prise de décision. L'examen clinique des racines résiduelles à la recherche d'éventuelles fêlures, un sondage parodontal précis ainsi que l'évaluation du potentiel de restauration de ces dents sont indispensables avant de prendre une quelconque décision.
Dans cette situation, un traitement prothétique dente-porté au niveau de 11 et de 21 doit être envisagé après retraitements endodontiques par voie orthograde. Pour la 11, une élongation coronaire semble nécessaire pour réaligner les collets. Pour la 21, un renfort gingival par greffe de conjonctif enfoui, par exemple, permettrait d'épaissir le biotype parodontal et d'assurer une stabilité sur le long terme. Une phase de temporisation est indispensable jusqu'à stabilisation des profils gingivaux puis la phase de prothèses d'usage peut être envisagée.
Si la 21 s'avère non conservable, j'opterais pour une extraction avec implantation immédiate et mise en esthétique immédiate trans-vissée si l'occlusion le permet. Il sera nécessaire de prévoir une augmentation des tissus mous par greffe de conjonctif enfoui pour rééquilibrer les collets avec une probable élongation coronaire au niveau de la 11.
L'implantation immédiate me semble préférable par rapport à une approche différée car cette dernière nécessiterait de réaliser une régénération osseuse guidée pour compenser la perte osseuse horizontale et verticale consécutive à l'extraction avec un résultat souvent aléatoire.
La résolution de cette situation clinique est un défi car il est toujours compliqué de restaurer 2 incisives centrales avec 2 supports différents : une racine naturelle et un implant. La dégradation de la papille entre les incisives centrales me semble plus risquée lors d'une thérapeutique en 2 temps. L'extraction avec implantation et temporisation immédiate permet de soutenir tout de suite les tissus avec une prothèse de temporisation fixe. L'alignement des collets dans cette situation se fera principalement aux dépens de la 11 par élongation coronaire et renforcement des tissus mous sur la 21 pour espérer une stabilité des profils gingivaux dans le temps.
Devant une situation clinique, chaque praticien va élaborer un plan de traitement dont les grandes lignes sont fondées sur des publications et des techniques avérées. Cependant, des variations sont apportées à ces démarches en fonction de l'expérience professionnelle et des habitudes de chaque praticien.
Dans ce qui suit, une étude des données cliniques et radiologiques sera faite pour analyser leur impact sur les différentes thérapeutiques possibles.
L'analyse exo-buccale dévoile une ligne de sourire haute laissant apparaître l'ensemble du parodonte au sourire. Le critère « esthétique » est donc présent.
L'analyse endo-buccale montre une dysharmonie entre les collets des incisives 11 et 21 et entre ces derniers et ceux des dents adjacentes. Il faut noter le biotype parodontal qu'on pourrait qualifier d'épaisseur moyenne.
L'objectif thérapeutique est de restaurer d'une façon fiable la 11 et la 21 en respectant l'harmonie des rapports gencive/dent pouvant être quantifiée par le Pink Esthetic Score/White Esthetic Score (Belser et al., 2009).
Avant de démarrer un tel traitement, il est indispensable de définir le point d'arrivée. La première étape consiste donc à visualiser le résultat final souhaité en le matérialisant par des cires de diagnostic.
Cette étude va permettre de définir la taille adéquate des incisives centrales par rapport aux latérales et la position harmonieuse des collets de ces dents. On peut voir sur les photos initiales que la 11 fait la même taille que la 12 et que leurs deux collets sont alignés. En revanche, on retrouve une grande différence de taille entre 21 et 22 et des niveaux de collets non harmonieux.
Dès lors que les proportions répondant aux critères esthétiques sont établies, la cire de diagnostic est transformée en couronnes provisoires.
La temporisation avec des couronnes bien adaptées va réduire l'inflammation. Une réévaluation des niveaux gingivaux est indispensable après cette phase. Normalement, le collet clinique idéal de 21 devrait se situer à distance de la gencive marginale actuelle, donc plus coronairement. On considère l'hypothèse que la 21 va être extraite. Comment prédire la position de la gencive marginale autour d'un implant ?
En cas d'extraction et d'implantation immédiate, d'une manière générale, le col de l'implant posé devrait se situer dans le sens apico-coronaire au niveau de l'os crestal vestibulaire. La distance préconisée entre le col implantaire et le niveau du col prothétique qu'on souhaiterait obtenir est de 3 à 4 mm. Dans le cas présenté, on peut voir sur les coupes du cone beam (coupes 24 à 26) que le col de la couronne céramo-métallique de 21 est à 3 mm du niveau osseux [fig. 1], donc ce col n'est pas à un niveau satisfaisant. L'information essentielle à déterminer est la différence entre la position du col actuel et celle du col souhaité.
Si la différence est de 1 mm environ, la distance serait de 4 mm entre le col implantaire et le col prophétique, ce qui ne contre-indique pas l'extraction-implantation immédiate.
Dans le cas où plus de 4 mm seraient présents entre l'implant et le futur col, il faut s'attendre à une couronne clinique plus longue que prévu. Par ailleurs, le volume osseux présent est suffisant pour pouvoir assurer une bonne stabilité primaire de l'implant en cas d'extraction et d'implantation immédiate.
Les options deviennent alors les suivantes : accepter le compromis, extraire puis reconstruire le volume osseux par des techniques de régénération ou prévoir une éruption orthodontique lente de la dent pour faire « descendre » le parodonte et donc rendre le niveau osseux plus coronaire.
Si on reste sur l'option extraction-implantation immédiate, l'espace péri-implantaire devrait être comblé pour atténuer la réduction du volume osseux. La table osseuse vestibulaire formée essentiellement par l'os fasciculé va subir une résorption dans tous les cas. Une greffe de tissu conjonctif pourrait compenser la résorption osseuse et garder un profil gingival presque naturel. De plus, une temporisation immédiate aiderait à façonner le profil d'émergence pour un résultat esthétique optimal. Dans ce cas, une période d'ostéo-intégration et de temporisation minimale de 4 mois est nécessaire pour arriver à une situation de maturité gingivale et osseuse. Habituellement, au bout de cette période, la couronne provisoire pourrait être démontée et retouchée pour parfaire le profil d'émergence. Parfois, une greffe supplémentaire de tissu conjonctif pourrait se faire à ce stade. La reproduction fiable de ce profil dans l'empreinte est indispensable pour la réalisation de la partie transgingivale de la couronne implantaire. Il est important que les deux couronnes, sur la dent 11 et sur l'implant 21 soient réalisées en même temps pour obtenir une symétrie parfaite.