Implant n° 4 du 01/12/2018

 

Implant

Implant a rencontré Peter K. Moy, praticien et conférencier de renommée internationale, auteur de multiples publications et communications dans le domaine de l'implantologie et de la chirurgie pré-implantaire. Charline Cervellera a eu le privilège de l'avoir comme mentor durant son post graduate à l'Université de Californie Los Angeles (UCLA). Elle s'est entretenue avec lui sur son expérience professionnelle et sur l'avenir de l'implantologie...

Propos recueillis par Charline Cervellera,
AHU en chirurgie orale à Reims

Nous devrions ralentir et montrer des preuves cliniques d'au moins 3 ans

Quel est votre cursus et depuis combien de temps exercez-vous votre métier ?

J'ai obtenu mon diplôme de docteur en chirurgie-dentaire à l'Université de Pittsburgh (Pennsylvanie) en 1978, mon certificat de praticien généraliste en 1979 (Centre médical Queen's, Honolulu, Hawaii) et enfin mon diplôme de spécialiste en chirurgie orale et maxillo-faciale à l'Université de Californie Los Angeles (UCLA) en 1982. J'ai ouvert mon cabinet privé directement après mon internat mais je suis resté à UCLA en tant que professeur attaché dans le service de chirurgie orale et maxillo-faciale. En 2003, grâce à la généreuse donation de Straumann, j'ai créé le Surgical Dental Center, à UCLA, dédié à la chirurgie implantaire. Je suis toujours le directeur de ce centre à ce jour. En 2011, je suis devenu le premier titulaire de la chaire Nobel Biocare, en chirurgie implantaire, à la faculté de chirurgie dentaire de UCLA.

Décrivez-nous une journée type de votre activité professionnelle.

Une journée type commence à 6h du matin, où je suis en contact avec des amis et des collègues en Europe (milieu d'après-midi) et en Asie (soirée). Je commence à voir des patients à 6h45 dans mon cabinet privé. Je termine à midi et commence à enseigner à UCLA à 13h. Je travaille avec les internes, les étudiants et les enseignants-chercheurs jusqu'à 17h. Je retourne à mon cabinet privé pour compléter mes notes/rapports électroniques, répondre à des e-mails et passer des appels téléphoniques, terminant généralement ma journée entre 19h et 20h.

Quand vous avez du temps libre, comment en profitez-vous ?

Je dors... non je plaisante. J'aime jouer au golf, faire du ski en hiver et lire.

Quel regard portez-vous sur l'implantologie ? Quelles sont vos certitudes ou vos doutes sur l'implantologie contemporaine concernant les domaines chirurgicaux ou prothétiques ?

Mon regard sur l'implantologie aujourd'hui est un optimisme prudent. J'ai eu la chance d'avoir été formé en chirurgie implantaire par P.-I. Brånemark. J'ai suivi la formation sur le système Brånemark en 1983, la dernière formation qu'il a enseignée personnellement. Il a enseigné aux chirurgiens une approche lente et prudente des aspects chirurgicaux. Il était le chirurgien classique : les chirurgies implantaires étaient réalisées dans des conditions stériles dans une salle d'opération, tous les implants étaient posés en deux temps chirurgicaux, permettant une période de cicatrisation de 4 à 6 mois avant la mise en charge prothétique. Aujourd'hui, très peu de chirurgiens, voire aucun, ne placent d'implants dans des conditions propres non stériles. De plus, beaucoup d'équipes chirurgicales et prothétiques placent des prothèses provisoires immédiatement après la pose des implants. Cela est possible grâce aux progrès considérables dans les domaines de la technique, de la science des matériaux et des technologies assistées par ordinateur. Cependant, je reste prudent car bon nombre de ces procédures cliniques acceptées comme routine aujourd'hui n'ont pas été testées cliniquement ou prouvées. Quand P.-I. Brånemark a introduit son concept d'ostéo-intégration, il a refusé d'enseigner sa technique sans un minimum de 15 ans de suivi sur les patients qu'il avait traités. Aujourd'hui, il suffit de 15 mois pour que les cliniciens commencent à essayer de nouvelles techniques. Je crois que nous devrions ralentir et montrer des preuves cliniques d'au moins 3 ans avant que de nouvelles techniques soient acceptées. Nous avons tendance à foncer tête baissée en acceptant de nouvelles procédures et de nouveaux matériaux biologiques sans exiger la preuve scientifique que la procédure ou le matériau soit réellement sûr et efficace. Nous devons l'exiger pour la sécurité et le bien-être de nos patients en chirurgie implantaire.

Si c'était à refaire, pensez-vous à un, ou plusieurs cas cliniques que vous auriez traités différemment avec vos connaissances actuelles ?

Il y a tellement de changements survenus au cours de ces 35 dernières années, je vais essayer d'être bref et prendre 3 situations cliniques : un édentement complet, un édentement partiel et un édentement unitaire.

Édentement complet. Je crois que nous avons constaté l'impact le plus significatif concerne cette population de patients. Lorsque j'ai commencé en 1983, nos patients édentés avaient besoin de plus d'implants (6 à 8 implants au maxillaire et 4 à 5 à la mandibule). Ils attendaient 4 mois pour la mandibule et 6 mois pour le maxillaire pour que les implants soient intégrés et puissent supporter une restauration fixe implanto-portée. Aujourd'hui, les cliniciens placent immédiatement les restaurations fixes implanto-portées sur 4 implants au maxillaire et à la mandibule. Je ne suis pas d'accord avec cette approche, en particulier pour le maxillaire. Les restaurations fixes provisoires peuvent être délivrées le jour de la pose des implants. Dans le passé, les restaurations étaient essentiellement de volumineuses prothèses complètes qui étaient vissées sur les implants alors qu'aujourd'hui, les armatures sont fraisées dans des matériaux ultra-modernes, légers et très solides. Grâce à la planification assistée par ordinateur, la précision de l'ajustement est très élevée. Il y a de nombreuses autres améliorations que les cliniciens peuvent utiliser au profit de nos patients totalement édentés.

Édentement partiel. Avec cette catégorie de patients, je crois que la prise en charge a principalement évolué dans la conception des prothèses, la compréhension des forces lors de la mise en charge des implants et l'interaction entre l'implant et la dent naturelle adjacente. Il existe une adéquation entre la réponse des tissus mous à une dent et à un matériau adjacent non vivant, l'implant dentaire. Ceci est souligné par la nécessité de gérer nos patients médicalement compromis (diabète, traitement par corticoïdes au long cours, immunodéficience, tabagisme, etc.) différemment des patients en bonne santé. Nous devons également comprendre les interactions des nouveaux matériaux de restauration avec les dents naturelles opposées, la façon dont l'usure des surfaces occlusales peut compromettre la dimension verticale du patient et l'articulation temporo-mandibulaire.

Édentement unitaire. Cette situation clinique est la plus exigeante et la plus difficile à traiter, en particulier dans le secteur esthétique. Ce scénario clinique était extrêmement difficile lorsque j'ai commencé à traiter ces patients pour la première fois en 1987-1988, en raison du manque de connexions prothétiques qui rendaient difficile la réalisation d'une restauration d'apparence naturelle. Aujourd'hui, même avec les améliorations sur les piliers prothétiques, cela reste difficile en raison des exigences plus élevées du patient. Les situations cliniques sont également plus exigeantes. Souvent, lorsqu'il manque une seule dent à un patient, cela est dû à un traumatisme et l'alvéole dans laquelle sera placé l'implant est compromise. Une augmentation des tissus durs et mous est souvent nécessaire avant la pose de l'implant. Le chirurgien doit à présent être capable de recréer des contours, des couleurs et une architecture naturels pour répondre aux exigences des patients d'aujourd'hui.

Comment voyez-vous l'implantologie de demain ?

L'avenir de la chirurgie implantaire est extrêmement prometteur ! Grâce aux innovations en informatique, aux biomatériaux et à notre compréhension du placement des implants dans les 5 dimensions de l'espace, le chirurgien spécialisé en implantologie devrait être en mesure de fournir un produit fini qui reproduit exactement la ou les dents naturelles absentes.

Un dernier point que vous souhaitez ajouter ?

Il y a une chose très importante que je souhaite inclure dans mon entretien. Je pense que nous devons nous souvenir et apprécier ce que P.-I. Brånemark nous a donné en travaillant dans le domaine de la chirurgie implantaire. Sans son désir d'excellence, sans son désir d'aider les patients et de les restaurer afin qu'ils puissent retrouver une fonction complète, et sans son approche philosophique de l'ostéo-intégration, nous ne pourrions pas profiter de nos propres succès aujourd'hui. Nous devons le remercier de nous avoir aidés à atteindre ce point dans nos carrières et dans nos amitiés à travers le monde. Si ce n'était pas pour l'ostéo-intégration, vous ne m'auriez pas demandé cet entretien ! Je voudrais également dire que j'ai beaucoup apprécié l'année passée avec toi Charline. Les étudiants et les internes me poussent à faire de mon mieux et j'apprécie l'implication dont tu as fait preuve au sein de notre programme à l'Implant Center de UCLA !