La réussite d'un traitement implantaire repose sur une quantité osseuse horizontale et/ou verticale suffisante. Dans certains cas, les pertes osseuses doivent être comblées par une reconstruction osseuse. La réalisation de prélèvements intra-oraux ramique ou mentonnier permet la reconstruction de ces défects. Ainsi, nous décrirons la technique de greffes osseuses par prélèvement autogène initialement mise au point par Fouad Khoury : prélèvement de lames corticales mises à distance du défaut osseux et comblement de l'espace à l'aide d'os particulaire cortico-spongieux. L'avantage de cette technique est lié à la faible résorption des lames d'os cortical combinées à de l'os particulaire, dont la revascularisation est rapide, afin d'obtenir un os néoformé dont les caractéristiques sont semblables au site receveur. Néanmoins, cette technique nécessite, comme tout acte chirurgical, d'en respecter toutes les étapes.
The success of implantology rely on a sufficient horizontal and/or vertical bone ridge in order to obtain the success of the implant treatment. In some clinical cases, we need to rebuild the bone loss using bone grafting. The donor site is, in most cases, intra-oral in the posterior or anterior mandible and can face every situation. We will describe the split bone block technique brought by Fouad Khoury using thin cortical bone shell and particular bone harvested from the donor area. Bone shell has low speed resorption and particular bone fast revascuralization in order to obtain bone which has the same biological structure as the reconstructed site. Nevertheless, as every surgical technique, this surgical protocol needs to be respected step by step.
Les avulsions dentaires anciennes ou traumatiques et les foyers infectieux dentaires ou parodontaux peuvent entraîner des défauts osseux. Or, ces pertes osseuses en épaisseur (transversales) et/ou en hauteur (verticales) plus ou moins importantes empêchent ou compliquent la pose d'implants compatibles avec un résultat esthétique et fonctionnel.
Les techniques de reconstruction osseuse autogène sont multiples : greffe osseuse en bloc cortico-spongieux, expansion de crête horizontale ou verticale, distraction osseuse, greffe osseuse à l'aide de lames corticales mises à distance du défaut et comblement de l'espace à l'aide d'os particulaire cortico-spongieux[]. Les greffes osseuses en bloc sont constituées essentiellement d'os cortical dont la revascularisation est lente et la résorption importante. Quant à la distraction osseuse, il s'agit d'une technique intéressante d'un point de vue biologique, mais adaptée à des situations cliniques rares et très complexes de gestion de défauts verticaux.
Cet article s'intéresse aux greffes osseuses associant l'utilisation de fines lames d'os cortical, qui présentent une faible résorption, combinées à de l'os particulaire, dont la revascularisation est plus rapide. Cet os néoformé a l'avantage de présenter des caractéristiques semblables au site receveur.
Le choix de la technique de reconstruction osseuse dépend de la forme du défaut osseux et de la future position idéale de l'implant. Cette dernière est issue du projet prothétique physique ou numérique. De plus, les impératifs anatomiques diffèrent au maxillaire et à la mandibule : présence dans le maxillaire des fosses nasales dans le secteur antérieur et du sinus maxillaire dans le secteur postérieur ; présence du nerf alvéolaire inférieur et de son émergence au niveau du foramen mentonnier au niveau mandibulaire.
Ainsi, en tenant compte de ces données, le choix de la technique chirurgicale de greffe est décrit dans les tableaux 1 et 2.
Les contre-indications sont d'ordre général et local.
Les contre-indications générales sont liées à un risque infectieux à distance du site opératoire. Il s'agit des :
- patients à haut risque d'endocardite infectieuse[] : antécédent d'endocardite, porteurs de prothèse valvulaires, cardiopathies congénitales cyanogènes opérées ou non ;
- patients atteints de pathologie chronique non contrôlée : diabète[], immunodépression[] ;
- patients avec antécédent de radiothérapie cervico-faciale ;
- patients traités par biphosphonates iv[] ou par anticorps monoclonaux comme le denosumab (Prolia®, Xgeva®) pour le traitement de pathologies malignes[].
Les contre-indications locales sont liées aux facteurs suivants :
- tabac exerçant une influence néfaste sur la microcirculation et pouvant aboutir à la nécrose des lambeaux avec exposition des lames corticales[] ;
- mauvaise hygiène bucco-dentaire ;
- parodontite chronique généralisée d'origine bactérienne non traitée et/ou non contrôlée[] ;
- port d'une prothèse amovible au niveau du site receveur de la greffe.
La plupart de ces contre-indications locales sont relatives et peuvent être réévaluées après une diminution de la consommation tabagique, un enseignement à l'hygiène orale et le traitement de la maladie parodontale.
Le port d'une prothèse amovible constitue une contre-indication absolue. En effet, la prothèse entraînerait une compression des tissus greffés avec un risque important d'exposition de la greffe osseuse sous-jacente.
La technique opératoire décrite par Fouad Khoury[] consiste à positionner un fragment osseux prélevé en intra-oral au niveau d'un site receveur, afin de reconstruire la crête osseuse (Fig. 1). A cet effet, après une anesthésie loco-régionale et locale par infiltration, les étapes suivantes doivent être respectées :
- prélèvement osseux intra-oral d'un bloc cortico-spongieux d'origine symphysaire (Fig. 2) ou ramique (Fig. 3). L'os particulaire cortico-spongieux est récupéré à la fois au niveau du bloc osseux (Fig. 4), et au niveau du site donneur ou à distance (os tubérositaire, torus mandibulaire par exemple) (Fig. 5) ;
- ostéosynthèse de la (ou des) fine(s) lame(s) corticale(s) à l'aide de vis (Fig. 6) ;
- incision périostée afin de fermer le site greffé hermétiquement ;
- sutures en un ou plusieurs plans (Fig. 7).
Les étapes chirurgicales sont détaillées ci-dessous.
Le site de prélèvement dépend du site osseux à reconstruire. Dans la plupart des cas, nous opterons pour un prélèvement ramique plus simple à réaliser et avec moins de risque chirurgical qu'un prélèvement mentonnier. En effet, ce dernier peut entraîner des risques d'hypoesthésie labio-mentonnière et de nécrose des incisives mandibulaires par lésion du canal incisif. Néanmoins, si la zone à reconstruire est symphysaire, afin d'éviter la multiplication des sites opératoires, le prélèvement pourra se situer dans cette même localisation.
L'incision d'accès au site donneur pourra être soit dans le fond du vestibule, soit intra-sulculaire.
Si le site à greffer est postérieur mandibulaire, l'incision sera intra-sulculaire et/ou crestale avec une décharge disto-vestibulaire au niveau de la branche montante.
En revanche, afin d'éviter une récession tissulaire marginale, et si le site receveur est à distance du site donneur, il est préférable de réaliser une incision vestibulaire.
Afin de réaliser une conservation maximale du prélèvement intra-oral, celui-ci est réalisé à l'aide d'un piezotome (inserts OT12, OT7, OT8R, OT8L de chez Mectron® par exemple) (Fig. 8) ou de disques diamantés montés sur contre-angle et/ou pièce à main (Dentsply Microsaw® et disque Komet® ref. 943CH.204.080).
La taille du prélèvement dépend de la quantité d'os à reconstruire.
L'os particulaire est récupéré à l'aide d'un récupérateur d'os (Safescraper twist® par exemple) (Fig. 9). Les sites de prélèvement sont multiples :
- au sein de la cavité de prélèvement du bloc cortico-spongieux. Cette zone est riche en os trabéculaire (spongieux) dont la revascularisation est plus rapide que l'os cortical. En outre, cela permet d'obtenir un os néoformé aux caractéristiques semblables au site receveur ;
- au niveau de la ligne oblique externe. L'os est en revanche d'origine corticale, peu vascularisé ;
- au niveau tubérositaire (os spongieux) ;
- au niveau d'un torus ou d'une excroissance osseuse (os principalement cortical) ;
- au niveau de l'intrados du bloc cortico-spongieux (os spongieux).
Le prélèvement se fait par grattage de la zone. L'os est récupéré dans le collecteur puis déposé dans une cupule de sérum physiologique.
Une fois la totalité de l'os spongieux récupéré à l'aide du collecteur d'os et l'intrados du bloc osseux cortical homogène, celui-ci est clivé en deux parties (Fig. 10 à 13) afin d'obtenir deux fines lames de 1mm d'épaisseur en moyenne (Fig. 14).
Le clivage est réalisé en 2 temps : le pourtour est d'abord sectionné à l'aide d'un disque diamanté de petit diamètre (Komet® ref. 943CH.204.080) (Fig. 10). Cela permet ensuite de finaliser la découpe à l'aide d'un disque diamanté de plus grande taille (Komet® ref. 6911H.104.220) (Fig. 12). Il en résulte 2 fragments de lames corticales (Fig. 13).
L'avantage de cette section du bloc est l'obtention de deux lames corticales à partir d'un seul fragment osseux. Un prélèvement plus petit permet donc de réaliser une reconstruction de plus grande étendue.
L'immobilisation du greffon est indispensable. Tout greffon insuffisamment stable risque d'entraîner soit une infection locale, soit une résorption de la lame et de l'os particulaire sous-jacent. L'immobilisation des lames corticales se fait par la mise en place de vis d'ostéosynthèse.
Lorsque la reconstruction osseuse intéresse un secteur peu étendu (une dent par exemple), l'utilisation de vis de petit diamètre permet de stabiliser la lame corticale sans risque de la fragiliser ou de la fracturer. Il en est de même concernant le filetage de la vis. Plus la vis a des spires larges (très taraudantes), plus les contraintes sur la lame augmentent et risquent de la fracturer. Les vis qui répondent à ce cahier des charges sont les microvis carrées femelles Stoma® (Ref. 23060.xx, xx représentant la longueur de la vis allant de 4 à 14 mm) (Fig. 15).
La stabilisation de la lame corticale se fait par la mise en place d'au moins deux vis par lame corticale. L'utilisation d'un foret de diamètre légèrement supérieur ou égal au diamètre de la vis au niveau de la lame permet d'obtenir plusieurs axes de vissage. La cavité de forage peut également être légèrement ovalisée. La bonne stabilisation du fragment est assurée par le méplat de la vis. En revanche, au niveau du site receveur, la cavité de forage de la vis doit être inférieure au diamètre de la vis afin de bien stabiliser la lame.
Celui-ci se fait par remplissage de la cavité à l'aide d'os particulaire récupéré dans le collecteur d'os (Fig. 16 et 17). Il est important que le comblement de la cavité soit suffisamment dense en os particulaire, afin d'éviter toute invagination de tissus épithéliaux qui compromettrait la greffe.
Il existe sur le marché une quantité importante de marques, modèles et tailles de fils de sutures (Vicryl, Ethicon® ; Prolene. Ethicon® ; PTFE Sutures, Golnit sutures®, etc.). Afin d'obtenir un résultat au niveau du site receveur présentant le moins de brides cicatricielles possibles, notamment en zone esthétique, les fils hydrophobes (comme le PTFE) sont à privilégier. Ces fils doivent être de petit diamètre (5/0 à 6/0, surtout au niveau des zones de décharges) et de préférence en monofilament (Fig. 18) afin de limiter la quantité de plaque bactérienne et donc une inflammation de la cicatrice. Cette inflammation peut entraîner des brides cicatricielles.
Le site donneur pourra en revanche être suturé avec du polyglactine par exemple (Vicryl, Ethicon®) (Fig. 19).
Il est également impératif que les sutures ne présentent aucune tension sous peine d'exposition de la greffe. Il faut donc réaliser des incisions périostées jusqu'à obtenir une suture du lambeau sans aucune tension (Fig. 7).
La technique de suture est très dépendante des habitudes du chirurgien. Néanmoins, nous recommandons la réalisation de points de Blair Donati modifiés ou de Matelassiers verticaux qui permettent une bonne traction du lambeau en direction coronaire.
Les contours osseux reconstruits doivent être impérativement insérés dans les contours originels du site receveur (Fig. 20) pour éviter une pression excessive des tissus mous sur la greffe. Cette pression excessive lors de la réalisation de greffe en surcontour (Fig. 21 et 22) entraîne une résorption importante du greffon et donc un possible échec de la greffe.
La lame corticale doit avoir une épaisseur d'environ 1 mm (Fig. 14). Si celle-ci est trop fine (Fig. 23 et 24), elle peut soit se résorber et entraîner une fonte partielle ou totale de la reconstruction sous-jacente, soit se fracturer (Fig. 23).
Un contact intime entre la lame corticale et le site receveur est indispensable. L'absence d'herméticité entre la lame et le site receveur (Fig. 25) entraîne fréquemment une invagination de tissu épithélial et donc une résorption partielle (Fig. 26) ou totale de la greffe.
Les angles du greffon doivent être bien émoussés (Fig. 27). En effet, des bords anguleux (Fig. 28 et 29) entraîneront une perforation du lambeau conduisant à un échec de la reconstruction osseuse.
Les complications immédiates post-opératoires sont principalement inflammatoires. Le patient peut présenter un œdème post-opératoire associé à un hématome localisé au niveau du site de prélèvement et du site receveur (Fig. 30 et 31). Ces suites sont liées à un décollement large et aux incisions périostées.
Jusqu'à 1 mois post-opératoire, le patient peut présenter des complications infectieuses compromettant la réussite du traitement. Il s'agit de cellulite cervico-faciale, suppuration au niveau du ou des tracé(s) d'incision ou de fistule crestale (Fig. 32). Dans certains cas, toute la greffe peut alors être compromise et nécessiter une nouvelle reconstruction.
Le greffon peut également être exposé précocement (Fig. 33). Dans ce cas, il faut procéder à l'ablation de la ou des vis exposée(s) et retirer ou meuler la partie de la lame exposée dans la cavité orale. Toute tentative de réouverture du site receveur afin de tracter pour obtenir une nouvelle fermeture du site est vaine. Au contraire, le risque est d'exposer davantage le greffon ou d'exposer une zone recouverte par les tissus mous.
A distance de l'intervention, 2 à 3 mois post-opératoire, sur une muqueuse fine, la tête de la vis peut être exposée à travers les tissus mous (Fig. 34). Dans ce cas, le greffon étant revascularisé, le retrait de la vis peut se faire sans conséquence pour le greffon[].
A la réouverture en vue de la pose d'implants, à partir de 4 mois post-opératoire, la principale complication est la résorption partielle (Fig. 35) ou totale du greffon (Fig. 36). Une résorption excessive des blocs corticaux peut être expliquée par une durée de la phase de revascularisation supérieure à celle de la résorption.
Les facteurs influençant la résorption sont :
- la proximité entre les blocs corticaux et les insertions musculaires (difficulté notamment des greffes antérieures mandibulaires) ;
- l'immobilisation insuffisante du greffon (influence la qualité et la rapidité de revascularisation) ;
- la taille de l'incision périostée qui doit être la plus petite possible ;
- une lame d'os cortical trop épaisse ;
- une hyperextension prophylactique du greffon : plus le greffon est surdimensionné, plus la résorption sera importante ;
- en fonction de la région augmentée : la résorption à la mandibule est plus importante qu'au maxillaire ;
- une pression trop importante des tissus mous sur le greffon en rapport avec une libération insuffisante du lambeau lors de la fermeture.
Les causes les plus fréquentes d'échecs sont la résorption et l'exposition des greffons. Afin de les limiter, les incisions muco-périostées doivent être les plus petites possibles, surtout lors de reconstructions transversales et verticales (défaut tridimensionnel). Ainsi, il est recommandé pour ces reconstructions complexes d'avoir recours à la technique du tunnel[] : limitation de l'accès chirurgical à une incision de décharge sans aucune incision crestale (Fig. 37 à 47).
Afin d'augmenter le taux de succès implantaire à long terme, il est indispensable que le site présente une quantité osseuse suffisante en épaisseur et hauteur. La quantité osseuse intra-orale est largement suffisante pour reconstruire la plupart des défauts, même les plus volumineux.
Comme tout acte chirurgical, les reconstructions osseuses autogènes transversales et/ou verticales doivent respecter un protocole bien précis. Le patient doit également être acteur de son traitement, c'est-à-dire comprendre les enjeux et les précautions à suivre (limiter la consommation de tabac, port de prothèse amovible prohibé, bonne hygiène orale, etc.) afin d'éviter la survenue de complications post-opératoires, voire l'échec de la chirurgie.
Enfin, les greffes osseuses d'origine autogène présentent l'avantage de pouvoir intervenir pour poser les implants autour de 4 mois post-opératoire contre 6 à 9 mois pour l'utilisation de biomatériaux. Ces matériaux ont d'ailleurs un coût non négligeable par rapport à l'os autogène, qui est lui fourni par le patient.
Nicolas Davido
Spécialiste en chirurgie orale
Ancien AHU et interne en odontologie
Exercice libéral
Paris
les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.