REVUE DE LITTÉRATURE
La toxicité locale des implants titanes est mieux documentée en orthopédie qu'en implantologie dentaire. Les particules de titane, d'aluminium et de vanadium libérées après tribocorrosion sont bioréactives au contact de l'os. Une inflammation locale est observable avec la présence de cytokines. D'après la littérature orthopédique et toxicologique, les particules d'aluminium et de vanadium sont plus toxiques que celle de titane.
Il n'existe pas de différence significative, en odontologie, sur l'ostéo-intégration à court terme entre le Ti-Cp et le TA6V4 mais le comportement du TA6V4 semble moins physiologique que le Ti-Cp. Des études à plus long terme devraient être menées car les particules libérées pourraient participer au déséquilibre immunitaire lors d'une péri-implantite, entretenir et aggraver la pathologie.
Local toxicity of titanium implants is better documented in orthopedics than in dental implantology. Particles of titanium, aluminum and vanadium released after tribocorrosion, are bioreactive in contact with bone. Local inflammation can be observed when cytokines are present. According to orthopedic and toxicological literature, aluminum and vanadium particles are more toxic than titanium.
There is no significant difference, in odontology, on short-term osseointegration between Ti-Cp and TA6V4. But the behavior of TA6V4 seems less physiological than Ti-Cp. Longer-term studies should be conducted as the released particles may participate in immune imbalance during peri-implantitis, maintain and aggravate the pathology.
En orthopédie, la littérature montre que les ions aluminium et vanadium libérés peuvent agir comme des espèces bioréactives et potentialiser des réponses négatives des tissus avoisinants, notamment sur l'os, pouvant entraîner un descellement septique de la prothèse [].
Il semble alors pertinent de se demander si la libération d'ions constitutifs des implants TA6V4 et Ti-Cp, utilisés en odontologie, a une incidence biologique. Et, si oui, quels en sont les effets ostéolytiques ?
Afin d'orienter nos choix thérapeutiques, nous essaierons de savoir si les bactéries présentent les mêmes propriétés d'adhésion et de prolifération, que ce soit pour le TA6V4 ou pour le Ti-Cp.
Pour identifier les études éligibles, des recherches PUBMED via MEDLINE ont été effectuées et réalisées avec les mots clés suivants : « osseointegration titanium aluminium vanadium dental implant », « osseintegration surface dental implant titanium alloy », « peri impantitis dental implant alloy », « bacterial adhesion titanium implant », « titanium alloy particules release and dental implant », « titanium alloy ion relase and dental implant », « treatment of peri-implantitis ».
Les mots-clés ont été appliqués à la base de données dans différentes combinaisons sans limites de période ou type de travail mais triés par années. Le critère de sélection s'est fait sur la pertinence du résumé.
La libération des particules métalliques dans l'environnement peut provoquer une inflammation locale. Cette inflammation est provoquée par l'ingestion des débris par les macrophages locaux qui produisent des cytokines pro-inflammatoires TNFα, IL-1β, IL-6 et PGE2 [].
Les débris de plus petite taille sont plus bioréactifs en raison de leur plus grand nombre. En effet, la perte d'une particule de 100 μm de diamètre est équivalente en masse à la perte d'un million de particules de 1 μm. Ces particules (0,01 à 1 000 μm) sont généralement submicroniques (< 1 μm) mais dépendent du type, de la fréquence et de la puissance de la corrosion.
L'inflammation induite par les débris dépend toujours de l'individu et du type de débris. Les réactions systémiques associées sont des réactions d'hypersensibilité voire des infections avec relâchement septique pour les prothèses de hanche.
L'aluminium peut se lier aux groupes phosphates de l'hydroxyapatite de la matrice osseuse calcifiée. À haute concentration, l'aluminium provoque une ostéomalacie, c'est-à-dire un défaut primaire de minéralisation avec peu d'ostéoblastes.
Des cellules ostéoblastiques exposées à différentes concentrations d'aluminium montrent que les taux de marqueurs d'activité des ostéoblastes sont significativement plus faibles que dans le groupe témoin non exposé. Les ostéoblastes traités par l'aluminium ont montré des signes de stress oxydatif important associés à un taux d'apoptose élevé [].
L'adhérence et la prolifération cellulaires baissent fortement lorsque les cellules sont exposées au vanadium. À l'inverse, l'adhérence et la prolifération cellulaires augmentent lorsque les cellules sont au contact du titane [].
Certaines études animales mettent en évidence des différences qualitatives et quantitatives dans la croissance osseuse entre les implants de grade 4 et de grade 5 [ à ] (tableau 1).
Néanmoins, d'autres études in vivo ne montrent aucune différence significative entre le Ti-Cp et le TA6V4 en termes de cicatrisation osseuse [, ].
Il est difficile de conclure sur la supériorité du Ti-Cp ou du TA6V4 car les études ne sont pas comparables. Les auteurs trouvent des résultats différents mais les états de surface entre les implants, les périodes d'implantation et les espèces sont différentes. De plus, les études ne sont pas réalisées chez l'Homme. Les mesures n'ont pas été effectuées de manière comparable ou standardisée. Un faisceau de données nous indique néanmoins des réactions tissulaires plus physiologiques sur le Ti-Cp que sur le TA6V4. Cette différence pourrait être expliquée par les ions d'aluminium libérés et substitués à des ions calcium dans l'interface os-implant affectant ainsi le processus de minéralisation [].
De plus, chez l'homme, deux études cliniques ne retrouvent pas de différence statistiquement significative en termes de taux de succès, de niveau osseux péri-implantaire et de densité osseuse entre les implants en titane de grade 4 et de grade 5 [, ].
L'accumulation de la plaque et son évolution vers une sélection des bactéries plus virulentes pour la santé parodontale sont impliquées dans la pathogenèse des péri-implantites.
L'adhésion et la prolifération du biofilm dépend de plusieurs facteurs :
• les propriétés physiques, chimiques et topographiques de l'alliage, notamment sa surface lisse ou rugueuse et son hydrophilie (capacité à former des liaisons hydrogènes avec l'eau et les bactéries) ;
• les espèces bactériennes et la virulence des souches ;
• les interactions entre les souches (quorum sensing) ;
• l'hygiène orale ;
• la qualité et la fréquence des maintenances parodontales ;
• le contrôle des facteurs de risque ;
• les mécanismes de défenses de l'hôte.
Les bactéries ont tendance à adhérer aux régions de phases mixtes αβ du TA6V4 et aux limites de phases riches en vanadium. Cette adhésion est beaucoup moins élevée que sur du vanadium pur et reste dans le même ordre de grandeur que celle du titane pur [].
Les interactions bactériennes sont influencées par la composition moléculaire de l'oxyde de surface. Sans processus corrosif, le comportement est similaire entre le Ti-Cp et le TA6V4 [, ]. Mais la tribocorrosion du TA6V4 entraîne une mutation moléculaire de l'oxyde de surface avec la présence accrue de vanadium. L'adhérence bactérienne augmenterait donc proportionnellement avec l'intensité de la tribocorrosion, et de manière plus importante sur le TA6V4 à cause de la présence du vanadium. De plus, les bactéries entretiennent le processus tribocorrosif.
En dehors du fait qu'il y a un nombre limité d'études in vitro, il y a un déficit d'étude comparative in vivo à long terme sur l'infection et la colonisation bactérienne entre les matériaux Ti-Cp et TA6V4. De plus, d'autres facteurs affectent la fixation bactérienne sur l'alliage, comme l'hydrophobicité en surface, le potentiel zêta (potentiel électrostatique créé par l'accumulation de la surface), la surface, la mouillabilité ou la microstructure du substrat. Il convient de rester prudent sur l'interprétation d'une augmentation de l'adhésion bactérienne car cette élévation est multifactorielle.
On ne peut donc pas conclure à la supériorité d'un alliage sur un autre quant à la résistance à la fixation bactérienne. Les niveaux de preuve des études sont faibles, les études ne sont pas comparables et il existe trop de facteurs de confusion.
Cependant, lors d'un processus de corrosion, le réarrangement moléculaire de la couche d'oxyde du TA6V4 participerait à une augmentation de l'adhésion bactérienne par rapport au Ti-Cp tant avec S. Aureus, S. Epidermidis qu'avec P. Gingivalis [, ]. Cette augmentation serait liée à la présence de vanadium en surface. Les activités antibactériennes attribuées aux oxydes de vanadium peuvent tout aussi bien limiter l'adhésion bactérienne. D'autres études sont nécessaires pour étayer ces hypothèses.
En 1994, Alberktsson et Isidor définissent les maladies péri-implantaires en deux entités. D'abord la mucosite, qui est une réaction inflammatoire réversible des tissus mous péri-implantaires ; puis la péri-implantite, qui est définie comme un processus inflammatoire affectant les tissus autour des implants ostéo-intégrés et en fonction, avec pour conséquence la perte du support osseux (fig. 1).
Lindhe et Meyle en 2008 réactualisent la définition des pathologies péri-implantaires : « Les maladies péri-implantaires sont des infections. La mucosite péri-implantaire décrit une lésion inflammatoire au sein de la muqueuse, alors que la péri-implantite atteint en plus le support osseux ».
La prévalence de la péri-implantite fait débat. Zitzmann et Berglundh [] ont réalisé une revue systématique de la littérature pour étudier la prévalence de la maladie péri-implantaire et ont constaté qu'elle est variable selon les définitions et les études. Après ajustement des données et des définitions, ils ont trouvé que la mucosite touche 80 % des patients et 50 % des implants. La péri-implantite touche 28 à 56 % des patients et 12 à 43 % des implants.
Mombelli et al. [] trouvent dans une autre revue de littérature que la péri-implantite touche 20 % des patients et 10 % des implants.
Selon Renvert et al. [], la plupart des auteurs surestiment ou sous-estiment la prévalence des péri-implantites, qui concerne 16 % des patients et 6 % des implants.
Ces écarts s'expliquent par l'utilisation de différents seuils de perte osseuse, de même pour les paramètres inflammatoires (saignement, profondeur de poche).
L'étiologie de l'inflammation est la réponse à l'infection bactérienne péri-implantaire. Selon Renvert et al. [], la plupart des complications biologiques qui apparaissent autours des implants ostéo-intégrés sont associées à une colonisation bactérienne chez un sujet à risque.
Ce sont en effet des maladies multifactorielles avec des facteurs de risque tels que le tabac et le diabète, et aussi des indicateurs de risque comme :
• la forme, le type d'implant et le type de connexion ;
• les contraintes biomécaniques au niveau de la connexion implant/pilier ;
• les contraintes occlusales ;
• la hauteur du microgap et sa position ;
• les prédispositions génétique ;
• la hauteur du tissu kératinisé ;
• l'excès de ciment de scellement des prothèses scellées implanto-portées ;
• la surface de l'implant ;
• le stress ;
• les pathologies systémiques entraînant une baisse de l'immunité ou les pathologies auto-immunes ;
• la qualité de l'hygiène oral et les fréquences des maintenances parodontales.
Les caractéristiques d'une surface implantaire dépendent du relief (irrégularité de surface), de la rugosité et de la composition chimique de cette dernière. La majorité des implants actuellement sur le marché présente des surfaces avec un indice de rugosité (Ra) modéré (Ra entre 1,0 et 2,0 μm) avec une meilleure réponse osseuse que les implants à surface usinée ou fortement rugueuse [].
Le paradigme sur la péri-implantite change. Il n'y a aucune preuve dans la littérature qu'une maladie péri-implantaire spécifique existe en tant qu'entité unique avec une étiologie et une pathogénie spécifique [].
La perte osseuse marginale autour des implants est dans la grande majorité des cas associée aux réactions immuno-ostéolytiques. Les facteurs de complication comprennent les troubles génétiques, le tabagisme, les restes de matériaux de ciment, les particules implantaires libérées dans le sillon péri-implantaire, la contamination bactérienne des composants de l'implant et des problèmes techniques tels que des vis mobiles, des composants mobiles ou des matériaux fracturés.
Ces réactions se combinent pour aboutir à des réponses cellulaires. Le résultat final étant un changement dans l'équilibre délicat entre les ostéoblastes et les ostéoclastes, il s'en suit une résorption osseuse. Cependant, la grande majorité des implants contrôlés et en maintenance affichent une tolérance immunitaire, entraînant des taux de succès très élevés sur le long terme.
In vivo, les particules libérées issues de la tribocorrosion provoquent des réactions immunitaires autour des implants avec la présence de macrophages. Les particules de titane semblent plus biocompatibles que celles d'aluminium et de vanadium même si des réactions immunitaires sont aussi observées en présence d'implant en Ti-Cp de grade 4 []. Plus le phénomène tribocorrosif est important, plus la libération d'ions augmente, plus les réactions immunitaires sont nombreuses. Ces ions libérés pourraient participer, entretenir et aggraver le déséquilibre.
Les effets à distance des particules d'aluminium et de vanadium libérées par le TA6V4 ne sont pas encore très bien compris et sont peu documentés. Même si les libérations d'ions semblent faibles et inférieures aux taux quotidiennement ingérés par un individu, il faudrait également des études d'association in vivo entre les porteurs de prothèses en TA6V4 et des pathologies osseuses, neurologiques, hématologiques ou cancéreuses. Les résultats in vitro et certaines études in vivo chez l'animal montrent que l'aluminium et le vanadium sont neurotoxiques [, ], génotoxiques [, ] et embryotoxiques [, ].
La toxicité locale des ions libérés dans l'environnement osseux autour de la prothèse en TA6V4 est néanmoins avérée et largement documentée en orthopédie [, , , ].
Il n'est pas possible de conclure s'il existe une différence de stabilité primaire, d'ostéo-intégration et d'adhésion bactérienne entre le TA6V4 et le Ti-Cp. Néanmoins, des réactions osseuses plus physiologiques semblent être observées en présence de Ti-Cp avec un os plus mature lors des premières semaines par rapport au TA6V4. L'adhésion bactérienne à court terme semble être plus importante sur le TA6V4 que sur le Ti-Cp et cette différence s'expliquerait par la structure biphasée du TA6V4 et la présence de vanadium. Enfin, les ions vanadium et aluminium engendrent des réactions cellulaires plus intenses par rapport aux seuls ions titane.
Le principe de précaution vise les risques dont ni l'ampleur ni la probabilité d'occurrence ne peuvent être documentés avec certitude, compte tenu des connaissances du moment. Le Ti-Cp grade 4 reste un matériau fiable, offrant un recul clinique plus important. S'il a été démontré que les performances mécaniques du TA6V4 sont supérieures au Ti-Cp, il n'y a aucune preuve scientifique qui supporte le remplacement du Ti-Cp in vivo.
Michael Fontugne
Diplômé de l'Université Paris Descartes, Groupe Hospitalier Charles-Foix/Pitié-Salpétrière
Philippe Tramba
Maître de Conférences Université Paris Descartes, Groupe Hospitalier Charles-Foix/Pitié-Salpétrière
Radhia Benbelaïd
Maître de Conférences Université Paris Descartes, Groupe Hospitalier Charles-Foix/Pitié-Salpétrière
les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.
Le Dr Paul Mattout pour les photos de corrosion de surface de titane utilisées en en-tête de ces trois derniers articles.