L'ECLAIRAGE
La régénération osseuse est un phénomène complexe qui est principalement lié au développement de son réseau vasculaire. Stimuler l'angiogenèse peut être fait en apportant des facteurs de croissance comme l'A-PRF sur le site opératoire. Mais, si on se réfère à Mammoto, l'absence de pression sur la matrice extracellulaire va augmenter dramatiquement la néo-vascularisation. Nous pouvons employer une plaque en titane pour protéger la matrice des forces, mais cela reste insuffisant. Une gestion des tissus mous combinée à une technique de suture appropriée est aussi très importante pour la protection de la matrice extracellulaire. Tous ces paramètres seront discutés au travers de cas cliniques.
Bone regeneration is a complex phenomenon that is mainly linked to the development of the vascular network. Stimulating angiogenesis can be achieved by bringing growth factors like A-PRF. Also, if we refer to Mammoto, the absence of pressure on the extra-cellular matrix will dramatically augment the neo-vascularization. We can use a titanium mesh to protect the matrix, but it remains insufficient. A proper soft tissue handling combined with the right suturing technique is also highly important for the protection of the extra-cellular matrix. All these parameters will be discussed through clinical cases..
Placer des implants où nous pouvons trouver de l'os ne fait plus partie des standards. Néanmoins, il peut être très difficile de reconstruire de l'os dans certaines situations. Par exemple, au niveau de la partie postérieure de la mandibule, régénérer de l'os en vertical est une procédure complexe, tout comme la reconstruction complète d'un maxillaire atrophique. Les cliniciens ont utilisé différentes méthodes de reconstruction osseuse, comme les membranes non résorbables, mais avec des taux d'exposition se situant entre 10 à 30 % des cas, provoquant hélas des défauts de cicatrisation []. Des prélèvements osseux ont pu être réalisés au niveau de la hanche ou du pariétal, renforçant hélas l'invasivité de la chirurgie. Mais, encore une fois, les résultats étaient assez inconstants concernant le taux de résorption de l'os greffé [].
D'une manière générale, les chirurgiens ont essayé de régénérer de l'os sans y intégrer l'aspect biologique de la cicatrisation osseuse. Récemment, la communauté scientifique a investigué le phénomène de néo-vascularisation de la matrice extracellulaire (ECM), ce qui est une étape essentielle de la cicatrisation des greffes osseuses. Ce nouveau paradigme, le « Paradigme de Mammoto » [], sera présenté et nous passerons en revue les différents facteurs qui peuvent impacter la néo-vascularisation de la matrice extracellulaire.
La formation osseuse est un phénomène complexe qui inclut des facteurs mécaniques et chimiques afin d'aboutir à la minéralisation de la matrice extracellulaire. Néanmoins, le mécanisme principal pour aboutir à la régénération osseuse est la néo-vascularisation à l'intérieur de cette greffe, puisque le volume osseux régénéré dépend directement du volume des vaisseaux sanguins [].
Nous savons que la néo-angiogenèse est sous l'influence de facteurs de croissance et tout particulièrement le VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor). Cependant, la néo-angiogenèse est aussi sous le contrôle de signaux micro-environnementaux incluant les forces qui sont supportées par la matrice extracellulaire. En d'autres termes, l'élasticité de la matrice extracellulaire est aussi importante que le VEGF. Ce qui signifie que, en diminuant les contraintes sur la matrice, la néo-angiogenèse sera optimale []. Ce principe aura aussi des répercussions sur la vitesse de l'angiogenèse : elle n'en sera que plus accélérée. En allant plus loin dans la théorie, nous pouvons introduire le concept de diminution des pressions dans les greffes osseuses afin d'obtenir une élasticité optimale de la matrice extracellulaire.
Ainsi, l'utilisation d'une plaque en titane ou/et de vis d'ostéosynthèse est en concordance totale avec le paradigme de Mammoto. Mais ceci ne représente qu'un seul aspect de la procédure puisque la zone greffée doit être recouverte par les lambeaux, ce qui peut induire un stress à l'intérieur de la greffe, diminuant ainsi l'élasticité de la nouvelle matrice extracellulaire. La pression des lambeaux est ainsi capable d'induire une ischémie ayant pour conséquence immédiate la réduction de l'apport vasculaire. Nous passerons en revue la gestion des tissus mous et, notamment, les moyens pour diminuer la pression induite par les lambeaux.
Une autre possibilité d'améliorer la néo-vascularisation des greffes se situe au niveau de l'utilisation de facteurs de croissance tels que PDGF, TGF-β, IGF, VEGF. Ces facteurs se retrouvent dans la structure tridimensionnelle du A-PRF [] qui peut être mélangé à la greffe.
Depuis son introduction en 2001, le PRF a été massivement utilisé en dentisterie dans différentes indications en parodontologie et en implantologie [-]. Le PRF relâche lentement des facteurs de croissance et il est capable de maintenir des protéines à l'intérieur de son réseau de fibrine. Le nouveau protocole du A-PRF consiste en une réduction de la force de centrifugation, permettant d'obtenir un nombre plus important de leucocytes au sein de la matrice du A-PRF. Le relargage de facteurs de croissance tels que PDGF, TGF-β1, VEGF, EGF, et IGF est significativement plus important dans l'A-PRF comparé au L-PRF []. L'utilisation du A-PRF est donc en parfaite concordance avec les aspects biologiques de la cicatrisation osseuse puisque l'A-PRF va relâcher des facteurs de croissance qui vont stimuler l'angiogenèse.
Une bonne néo-vascularisation de la matrice extracellulaire nécessite un mainteneur d'espace rigide.
À travers une situation clinique, nous avons comparé 3 approches pour la régénération d'un maxillaire :
• le secteur 1 a été greffé avec 2 blocs osseux allogéniques cortico-spongieux (Allodyn, OST) qui ont été ajustés et avec une ostéosynthèse directe sur le site receveur (fig. 1) ;
• le secteur 2 a été greffé avec une corticale d'os allogénique et une ostéosynthèse à distance afin de maintenir un espace pour la régénération osseuse.
À côté de cette plaque, nous avons utilisé une simple vis d'ostéosynthèse (Fast, TLB) qui remplit le rôle de piquet de tente (fig. 1).
Nous référant à la règle de Mammoto, une simple vis doit être capable de maintenir l'élasticité de la matrice extracellulaire en protégeant des pressions engendrées par les lambeaux, ce qui facilite la néo-angiogenèse. Tout le maxillaire a été recouvert d'os allogénique en particules et de membrane d'A-PRF afin d'apporter des facteurs de croissance tels que le VEGF pour promouvoir le développement des vaisseaux sanguins. Après 4 mois de cicatrisation, un cone beam de contrôle a été réalisé et nous pouvons apprécier la régénération osseuse autour des blocs cortico-spongieux mais également autour de la simple vis qui remplissait le rôle de piquet de tente (fig. 2). Six implants ont pu être placés (3,4 × 10, Axiom, Anthogyr). Lors de la réouverture du site, le cone beam a confirmé notre hypothèse puisqu'il y avait autant d'os dans la zone des blocs osseux que dans la zone autour de la vis en piquet de tente (fig. 3). D'un point de vue clinique, mettre en place une vis est simple et rapide par rapport à l'ajustage et à l'ostéosynthèse d'un bloc osseux qui requièrent plus d'expérience clinique.
L'ennemi le plus redoutable de la matrice extracellulaire en mandibule postérieure est la pression verticale. Une gestion appropriée de ces forces verticales va nous permettre d'obtenir une régénération osseuse optimale.
Pour protéger la matrice extracellulaire des forces verticales, il convient d'utiliser une plaque en titane (Fast System, Process for PRF) qui va être vissée à distance du site receveur afin de créer un espace où le greffon osseux sera protégé des pressions verticales (fig. 4). Cet espace est ensuite comblé avec de l'os allogénique mélangé avec du PRF et le tout est recouvert de membrane d'A-PRF afin de stimuler l'angiogenèse (fig. 5). Le cone beam à 4 mois postopératoire met en évidence une régénération osseuse tridimensionnelle (horizontale et verticale), simplement par une gestion appropriée des forces s'appliquant sur la matrice extracellulaire en bloquant les pressions verticales (fig. 6 à 8).
La non-exposition des greffons est une condition indispensable à la réussite des greffes osseuses. Ainsi, la gestion des lambeaux revêt une importance capitale.
Une mauvaise manipulation des tissus est capable de provoquer une ischémie et peut aussi provoquer un stress sur la matrice extracellulaire. Ce qui signifie que nous devons être capables de déplacer coronairement les lambeaux sans endommager le périoste et sans provoquer de tension sur la matrice extracellulaire.
L'approche classique consiste à couper le périoste [] mais cela présente 2 inconvénients : la diminution de l'apport vasculaire du périoste et la diminution de l'épaisseur des lambeaux. Nous introduisons une technique où le relâchement du périoste est réalisé avec un instrument non tranchant, nous permettant ainsi de déplacer les tissus coronairement sans avoir recours à une incision (fig. 9).
Un instrument non tranchant (Soft Brushing, Process) est appliqué contre le périoste (fig. 9) et un mouvement de brossage est appliqué, en partant de la partie apicale vers la partie coronaire du lambeau. Ce mouvement de brossage est répété sur toute la longueur du lambeau et jusqu'à ce que la laxité tissulaire soit suffisante pour recouvrir passivement nos greffons. Ainsi, ce mouvement de brossage du périoste avec un instrument non tranchant est une manière très atraumatique de déplacer les tissus puisque le périoste n'est pas incisé.
Nous avons appris d'après les travaux de Ronda et al. [] qu'il est possible d'obtenir 2 à 3 cm de laxité du lambeau lingual par une technique qui consiste à insérer un instrument non tranchant au travers des fibres musculaires du mylo-hyoïdien et à appliquer une traction coronaire afin de détacher ces fibres. Cette technique révolutionnaire est très efficace mais requiert un geste chirurgical au niveau du plancher de la bouche qui n'est pas anodin. Toujours dans l'idée de simplifier et de fiabiliser nos protocoles chirurgicaux, nous introduisons une nouvelle approche pour la gestion des fibres musculaires du mylo-hyoïdien.
La technique du Soft Brushing lingual nécessite une incision crestale et un lambeau de pleine épaisseur jusqu'à la ligne oblique interne. Ensuite, toujours par un mouvement de brossage a-traumatique, les fibres musculaires sont délicatement détachées du lambeau lingual (fig. 10). Nous pouvons observer les fibres qui ont été détachées, libérant ainsi le lambeau lingual, ce qui nous donne un maximum d'élasticité au niveau lingual (fig. 11).
La technique de suture des lambeaux est essentielle afin de protéger la matrice extracellulaire des tensions. Les tissus doivent être complètement immobilisés par les sutures. Les mouvements des lèvres ou de la joue ne doivent avoir aucune influence sur le lambeau : ni mobilité, ni tension. Les sutures doivent donc créer une zone insensible aux mouvements des muscles autour de la zone greffée. Réaliser un matelassier horizontal très profond dans le vestibule va permettre de respecter cette condition. Le point est apicalisé d'au moins 1 à 1,5 cm dans le vestibule. Ainsi, les lambeaux sont immobilisés, permettant ainsi de prévenir une réouverture précoce en même temps que la matrice extracellulaire est protégée de toute pression néfaste (fig. 12).
La dépose des sutures doit également être en corrélation avec le retard certain pris par le périoste à se ré-attacher (au moins 3 à 5 semaines) []. La solution la plus simple est d'adopter un monofilament, réduisant la formation de plaque et résorbable en 3 à 5 semaines (Glycolon, Resorba).
Pour documenter l'impact clinique de ce concept de régénération osseuse biologiquement assisté, nous présentons 2 cas cliniques fréquemment rencontrés dans notre pratique quotidienne :
• une patiente de 72 ans qui souhaite passer à une prothèse fixe, mais son atrophie mandibulaire pose un réel défi ;
• un patient de 46 ans qui a déjà été traité par des implants mais dont la péri-implantite à laquelle il fait face nous oblige à remplacer son implant.
Mme M., 72 ans, nous a été adressée pour la réhabilitation de son secteur 4. Le cone beam a mis en évidence une atrophie verticale et horizontale. La patiente a été greffée selon notre concept avec une plaque en titane (fig. 13), l'espace a été comblé avec de l'allogreffe (cortico-spongieux) et le tout a été couvert par des membranes de PRF. À 5 mois postopératoire, le nouveau cone beam a révélé un gain de 9 mm en hauteur et 2 implants (3,7 × 10, TSV, Zimmer) ont pu être placés (fig. 14 à 16).
M. L., 46 ans, nous a été adressé pour le traitement de la péri-implantite en position 46. L'atteinte osseuse étant importante, la décision a été prise de déposer l'implant et de passer par une étape d'augmentation osseuse par plaque en titane, allogreffe et membrane d'A-PRF (fig. 17). Après 5 mois de cicatrisation, le cone beam a mis en évidence un gain vertical de 7 mm et 2 implants (3,4 × 10, Axiom, Anthogyr) ont pu être placés (fig. 18 à 20).
Le développement du réseau vasculaire est la clé de la régénération tissulaire. Le concept de Mammoto nous a ainsi permis d'ajuster nos protocoles, de les fiabiliser et de les simplifier. Bien évidemment, nous présentons un concept biologique global : c'est par un ensemble de facteurs que nous pouvons réussir à régénérer le tissu osseux. Tous ces facteurs travaillent dans un seul et unique but, l'installation et la maintenance de la vascularisation qui seront le garant d'une formation osseuse rapide et durable.
Jérôme Surmenian
Pratique privée
Nice, France
Joseph Choukroun
Clinique de la douleur
Nice, France
Joseph Choukroun est l'inventeur des techniques L-PRF®, A-PRF®, I-PRF®.
Jérôme Surmenian déclare n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.