Implant n° 2 du 01/05/2018

 

IMPLANT

Élève de Paul Tessier, mondialement reconnu comme le maître de la chirurgie reconstructive maxillo-faciale, Jean-François Tulasne tire sa révérence après quarante années passées au service de l'art chirurgical. Il nous livre sa vision de l'implantologie dans un style dépouillé et incisif...

Entretien réalisé par Michel Metz, membre du comité scientifique de la revue

Docteur Tulasne, quel est votre cursus et depuis combien de temps exercez-vous votre métier ?

Jean-François Tulasne : J'ai fait mes études de médecine à Tours, puis ai été successivement interne, chef de clinique et praticien hospitalier au CHU de Nantes de 1970 à 1979.

Enfin, j'ai exercé en privé à Paris à partir de 1980 en association avec Paul Tessier, dans une spécialité de stomatologie avec compétence en chirurgie maxillo-faciale et en chirurgie plastique et reconstructive.

Nous avons eu l'opportunité d'introduire le système Bränemark en France en 1984 avec Guy Huré après deux cours suivis à Göteborg en 1983.

J'ai posé mon premier implant ptérygoïdien en 1987...

J'ai eu la responsabilité de prendre en charge des « gueules cassées » pendant la guerre Iran-Irak à Bagdad, puis à Téhéran dans les années 80-90 avec des reconstructions maxillo-faciales et des réhabilitations par implants de Bränemark.

Quel regard portez-vous sur l'implantologie avec votre recul ? Quelles sont vos certitudes ou vos doutes sur l'implantologie contemporaine concernant les domaines chirurgicaux ou prothétiques ?

J.-F. Tulasne : Un regard très critique... non pas évidemment sur les travaux de Bränemark qui, grâce à sa découverte de l'ostéo-intégration, ont révolutionné la dentisterie et plus généralement l'ancrage des prothèses faciales, auditives et des membres chez les amputés, mais sur le bien-fondé de la tendance actuelle à toujours vouloir faire plus vite, plus beau, plus simple, au détriment possible de l'efficacité à long terme.

Plus vite... Le patient est bien sûr heureux d'avoir des dents fixes le jour-même ; c'est parfois possible, mais ce ne sera jamais une erreur de le faire patienter les quelques mois nécessaires à l'ostéo-intégration. C'est au praticien et non au patient d'en décider. L'échec peut se payer cher. Par ailleurs, si les surfaces rugueuses ont permis d'accélérer nos traitements, elles sont en partie responsables de la perte secondaire d'un nombre important d'implants par péri-implantite, complication inconnue avant les années 2000. Les surfaces hybrides (lisses au collet, puis rugueuses jusqu'à l'apex) devraient nous permettre de retrouver la confiance que nous avions autrefois dans nos traitements implantaires (bridges pratiquement « à vie », passé le cap de la première année). Enfin, le désir de trouver des ancrages immédiats dans des conditions anatomiques défavorables conduit certains praticiens à utiliser des piliers solidaires de plaques vissées au contact de l'os, systèmes certainement stables pendant un certain temps mais qui ne sont rien d'autre que des implants sous-périostés dont on connaît les effets catastrophiques sur l'os à plus ou moins long terme.

Plus beau... L'esthétique est importante, et même essentielle dans le secteur prémaxillaire, mais la priorité reste l'ancrage des implants à long terme, et la recherche de l'esthétique ne doit pas compromettre les possibilités d'hygiène qui, elles, sont primordiales. Pourquoi faire des dents littéralement « collées » à la gencive (et ne permettant pas le brossage des piliers) dans les secteurs non visibles naturellement ? Dans le cas du maxillaire totalement édenté, les impératifs d'esthétique, d'hygiène et de phonation sont parfaitement assurés par un bridge amovible dans les cas où un bridge vissé laisse persister des fuites et ne soutient pas suffisamment la lèvre supérieure. Je n'ai pas de compétence en prothèse mais il me semble logique de préférer les bridges vissés aux bridges scellés : contrôle annuel des piliers, démontage facile en cas de fracture.

Plus simple... Nous sommes évidemment pour la simplification mais, là encore, pas au détriment de l'efficacité. Les biomatériaux (allogreffes, xénogreffes et autres) facilitent grandement la reconstruction osseuse mais leurs indications doivent être posées avec discernement. Si leur utilisation dans les greffes de sinus ou en interposition (inlay graft) donne régulièrement de bons résultats, la plus grande prudence s'impose pour les greffes d'apposition alvéolaire, en particulier verticales. Le souci légitime de simplification ne doit pas faire rejeter l'autogreffe qui offre les meilleures garanties de succès définitif.

Quel est le sujet d'actualité scientifique ou clinique en matière d'implantologie qui vous paraît le plus pertinent pour les praticiens et ceux qui vont le devenir ?

J.-F. Tulasne : La priorité est de lutter contre la péri-implantite en réfléchissant aux raisons pour lesquelles cette complication était pratiquement inconnue il y a 20 ans, alors que les implants ostéo-intégrés étaient utilisés depuis 1965. Par ailleurs, il est bien sûr nécessaire de chercher à progresser en améliorant nos matériaux et nos protocoles, mais à la condition d'être certains de ne pas nuire à nos patients. L'innovation n'est pas forcément synonyme de progrès et les expériences désastreuses (pour les patients) des implants à surface très rugueuse ou, pire, recouverts d'hydroxyapatite montrent que seule l'épreuve du temps permet de valider un matériau, une technique, un protocole. Les recherches devraient s'inspirer de la méthode du Professeur Bränemark qui n'a fait connaître ses travaux qu'après des expérimentations animales et quinze années d'application chez l'homme. Nous en savons quelque chose puisqu'il a refusé de nous recevoir à Göteborg en 1977 : « nous n'avons que dix ans de recul ». Il est clair que la concurrence entre les sociétés d'implants ne pousse pas à suivre ce schéma...

Si c'était à refaire, pensez-vous à un cas clinique que vous auriez traité différemment avec vos connaissances actuelles ?

J.-F. Tulasne : J'aurais eu recours à des implants zygomatiques (introduits par Bränemark en 1980) plutôt qu'à des greffes osseuses pour certains cas complets. Les guides préparés par informatique simplifient beaucoup cette technique qui permet des mises en charge immédiates avec quatre implants.

En matière de prothèse, le bridge transvissé décrit initialement par l'école suédoise n'est pas la solution adaptée à toutes les situations, en particulier dans certains cas difficiles d'édentement maxillaire complet. Nous avons souvent expliqué à nos patients qu'il serait peut-être plus simple et plus efficace pour la phonation, l'esthétique et l'hygiène d'opter pour un bridge amovible. Nous avons pu observer qu'un bridge vissé peut poser de réels problèmes, en particulier sur le plan de la rigidité dans un contexte de bruxisme avec les complications mécaniques que nous connaissons.

Comment voyez-vous l'implantologie de demain ?

J.-F. Tulasne : Je l'ignore, mais les recherches sur les facteurs de croissance et les dérivés plaquettaires semblent donner des résultats intéressants. Et comme dans tous les domaines, il est vraisemblable que le numérique, déjà très présent, prendra de plus en plus la place des praticiens, qui auront tout de même intérêt à maîtriser les protocoles classiques.

Quand votre activité professionnelle vous laisse du temps libre, comment en profitez-vous ?

J.-F. Tulasne : Concerts, expositions, yachting, golf et voyages, de préférence en Italie...

Un dernier point que vous souhaitez ajouter ?

J.-F. Tulasne : Si Philippe Khayat, Massimo Simion de Milan et Joan Pi Urgell de Barcelone, trois grands noms de l'implantologie, ont choisi, comme nous-mêmes depuis plusieurs années avec Yves Samama, d'utiliser des implants à surface hybride, il doit y avoir une raison...