PROTHÈSE
24 patients édentés uni ou bimaxillaires ont été traités par une prothèse en résine, transvissée dans 4 implants au niveau de chaque maxillaire édenté (protocole All-on-four). Les prothèses ont été mises en fonction au maximum 8 heures après chirurgie. Les prothèses transvissées, d'usage ont réalisées 2 à 4 mois plus tard. Une évaluation clinique et radiologique a été effectuée sur une durée moyenne de 5 années. Les résultats de cette étude prospective concernant la fiabilité du traitement All-on-four montrent un taux de survie implantaire de 100 % à 5 ans. Dans environ 15 % des cas, il a été constaté une fracture de la prothèse d'usage en résine acrylique.
24 edentulous patients, upper or/and lower, haven been treated with a fixed immediate prosthesis for each maxillae, screwed in 4 implants (All-on-four protocol). The loading has been made up to 8 hours after surgery. Final prosthesis have been made 2 to 4 months later and a radiographic and clinical evaluation have been performed durant a mean period of 5 years. Results of this prospective study showed a 5 years implant survival rate of 100%. 15% of acrylic resine fracture was observed during the study.
Chez les patients désireux de restaurations prothétiques complètes implanto-portées, au maxillaire et à la mandibule, le besoin d'une greffe est de nature à compromettre leur décision de traitement prothétique (craintes, coût...). Les chirurgies pré-implantaires complexifient le traitement prothético-chirurgical en augmentant la morbidité des protocoles et en rallongeant la durée du traitement. Des greffes d'apposition osseuses peuvent en effet être indiquées par la résorption crestale postextractionnelle ainsi que la pneumatique du sinus maxillaire. Le but de ces interventions osseuses est de permettre l'insertion d'un nombre suffisant d'implants répartis sur l'ensemble de la crête édentée. Le nombre optimal d'implants pour une restauration complète fait toujours débat.
La remise en cause de l'intérêt d'insérer autant d'implants que possible dans l'os disponible chez les patients édentés complets a débuté avec Brånemark dès les années 1970, puis a été reprise par Maló dans le cadre du concept de traitement all-on-four au début des années 2000 [].
La revue systématique de la littérature scientifique de Patzelt et al. [], portant sur 4 804 implants mis en place selon le concept all-on-four, rapporte un taux de survie implantaire de 99,0 ± 1,0 % au bout de 36 mois et un taux de survie prothétique de 99,9 ± 0,3 % pour la même période de 3 années. Tallarico et al. [] comparent les résultats cliniques et radiographiques au bout de 5 ans de 40 patients restaurés par 4 ou 6 implants mis en charge immédiatement selon les concepts all-on-four ou all-on-six. Leurs résultats ne présentent aucune différence significative et les auteurs concluent que chaque approche peut représenter une solution prédictible de restauration complète de l'édenté total à moyen terme.
Dans une étude rétrospective, Lopes et al. [] évaluent le taux de survie au bout de 7 ans des implants ainsi que des prothèses réalisées chez 111 patients complètement édentés, traités selon le concept all-on-four. Le taux de survie cumulé des implants et le taux de survie prothétique rapportés sont respectivement de 94,5 et 97,8 % au bout de 7 ans. Les auteurs concluent que, malgré les limites de l'étude, cette solution thérapeutique de restauration de l'édenté total présenterait de hauts taux de survie à long terme.
Ces quelques publications montrent que l'option thérapeutique représentée par le all-on-four permet de réduire le nombre de séances cliniques et l'inconfort postopératoire des patients par le faible nombre d'implants nécessaires tout en donnant de bons résultats en termes de taux de survie implantaire et prothétique.
Dans le cadre du traitement de l'édentement complet et dans la perspective des modalités thérapeutiques présentées par Maló [], le but de cet article est de présenter les résultats d'une étude prospective réalisée sur 24 patients traités dans le cadre d'un exercice privé (par le Dr Frédéric Delorme, cabinet dentaire Becker-Racine, Villeurbanne) entre 2006 et 2009.
Vingt-quatre patients (9 hommes et 15 femmes) ont été inclus successivement dans l'étude. L'âge moyen était de 58 ± 7 ans (extrêmes : 43 et 71 ans).
Les critères d'inclusion étaient les suivants :
– un maxillaire ou une mandibule partiellement ou complètement édentée ;
– dans le cas d'un édentement partiel ou subtotal, dents restantes condamnées à court ou moyen terme ;
– un volume osseux minimum compatible avec la mise en place d'implants ;
– une demande de restauration fixée.
Par ailleurs, les patients ont été inclus après avoir accepté les conditions du traitement qui leur avaient été précisées et expliquées et après avoir signé le devis ainsi que la fiche d'information écrite.
Les critères d'exclusion étaient les contre-indications habituelles des chirurgies implantaires (cardiopathies à haut risque d'endocardite infectieuse, traitement par bisphosphonates par voie intraveineuse, volume osseux disponible trop faible).
Tous les patients ont bénéficié de la mise en place de 4 implants (Tekka Progress®) par maxillaire édenté. Dans certains cas, les patients ont été restaurés de façon bimaxillaire, portant le nombre d'arcades traitées à 29 et, donc, le nombre d'implants à 116 (16 arcades maxillaires et 13 arcades mandibulaires). Le recul moyen est de 5 ± 1 an, il s'étend de 3 ans à 6 ans et demi.
Dans le cadre de l'interrogatoire et de l'examen pré-implantaire, il a été réalisé une évaluation du sourire du patient en utilisant la classification de Liébart et al. [] (tableau 1, fig. 1 à 4).
Concernant les classes 1, 2 et 3, si une fausse gencive devait être apportée par la prothèse, alors une résection osseuse a été nécessaire afin de masquer la transition entre la gencive naturelle et la fausse gencive apicalement à la ligne du sourire. La hauteur d'os à réséquer correspondait à la quantité d'os entre la lèvre supérieure et la base de la gencive à laquelle avaient été rajoutés 2 mm de sécurité.
Dans des cas très favorables, sur le plan osseux, associés généralement à une ligne du sourire haute (classes 1 et 2), une prothèse sans fausse gencive a été réalisée. Cette dernière a dû se faire sur une crête horizontale et régulière, avec les profils d'émergence des piliers implantaires situés en regard des dents de la prothèse plurale réalisée (fig. 5).
Les différents rendez-vous préopératoires suivants ont consisté en la réalisation des modèles d'étude, l'enregistrement de la relation intermaxillaire, la validation du projet prothétique puis la réalisation du guide chirurgical, simple gouttière en résine dupliquant ce projet prothétique.
Les patients ont reçu une prémédication et la prescription suivante :
– amoxicilline 1 g, 1 gélule matin, midi et soir pendant 6 jours, à commencer le matin même de l'intervention ;
– prednisolone 20 mg, 1 mg/kg le matin pendant 4 jours, à commencer le matin même de l'intervention ;
– paracétamol 500 mg, 1 ou 2 gélules en cas de besoin, maximum 6 par 24 heures ;
– hexétidine, 1 bouchon doseur pour dilution, 2 à 4 fois par jour ;
– diazépam 10 mg, 1 comprimé le soir, la veille de l'intervention, et 1 comprimé 1 heure avant l'intervention.
Le protocole chirurgical a débuté par une incision crestale de longueur mésio-distale équivalente à celle du futur bridge implanto-porté, avec deux incisions de décharge distale.
Un lambeau vestibulaire a été récliné jusqu'à la partie inférieure du processus zygomatique de l'os maxillaire ; à la mandibule, il a été récliné jusqu'à ce que l'on puisse mettre en évidence le foramen mentonnier. Le lambeau palatin/lingual a lui aussi été récliné sur quelques millimètres.
Le repérage de la paroi antérieure du sinus a été effectué au moyen d'une perforation vestibulaire avec un foret pilote et du sondage endo-sinusien de la paroi à la sonde parodontale. La résection osseuse a été étendue à toute la longueur mésio-distale de l'édentement à compenser, afin d'enlever toute irrégularité de surface, de supprimer les tissus de granulation résiduels, de gérer la transition entre vraie et fausse gencive et d'augmenter la largeur de la table osseuse.
Les séquences de forage ont été réalisées selon les recommandations du système implantaire. La stabilité implantaire étant un critère clé du succès de l'intervention, un sous-forage léger a pu être réalisé afin d'augmenter le couple d'insertion des implants. Le couple minimum de vissage retenu lors de l'insertion, condition de mise en charge immédiate, a été de 50 N.cm. L'axe d'insertion des implants a été contrôlé tout au long de l'intervention grâce au guide chirurgical issu du projet prothétique (fig. 6).
Le choix des piliers implantaires a été effectué en fonction de l'angulation des implants et du projet prothétique, grâce au guide chirurgical (piliers angulés à 15o, 30o ou piliers droits). Les piliers ont été vissés à 35 Ncm à l'aide d'une clé dynamométrique.
L'empreinte des piliers a été ensuite réalisée selon la technique emportée à l'aide de transferts pick-up (DTCPLICAOFV de chez Tekka®) solidarisés (grâce à du fil de soie, qui sert de support à la résine Duralay®) et d'un matériau élastomère du type polyvinylsiloxane de haute viscosité (Aquasil Soft Putty Regular Set, Dentsply) (fig. 7).
La relation maxillo-mandibulaire a été enregistrée de deux manières différentes, soit en utilisant la prothèse amovible préexistante, soit en utilisant un guide préfigurant la prothèse transitoire (dans les deux cas, une perforation en regard des implants antérieurs a été réalisée afin de solidariser le guide à des gaines en plastique transvissées dans les piliers implantaires) (fig. 8).
La prothèse de transition, en résine, a été réalisée en arcade courte (10 dents, de prémolaires à prémolaires). Seul le bloc incisivo-canin est en occlusion, les prémolaires ont été montées en sous-occlusion. Les prothèses ont été insérées (transvissées) en bouche entre 6 et 8 heures après l'intervention chirurgicale, ce protocole de mise en charge étant qualifié d'immédiat. Un régime alimentaire spécifique a été préconisé durant la phase d'ostéo-intégration afin de limiter la sollicitation des implants durant la fonction (fig. 9 à 13).
À la fin de ce délai d'ostéo-intégration, variant de 2 à 4 mois respectivement à la mandibule et au maxillaire, les prothèses d'usage ont été réalisées à l'aide d'une infrastructure en alliage non précieux (cobalt-chrome) mis en forme par technique coulée sur laquelle ont été montées des dents prothétiques en résine (Haerus Kulzer, référence Mondial ou Premium) pour les prothèses maxillaires et mandibulaires. La fausse gencive a été réalisée en résine méthacrylique pressée sur l'armature.
Les prothèses d'usage ont été transvissées dans les piliers vissés lors de la chirurgie, à l'aide de vis neuves (Tekka) en alliage de titane, manuellement et torquées avec un couple de 15 N.cm. Une obturation provisoire a été placée dans les puits d'accès aux vis prothétiques. Elles comportaient 12 dents car on s'est autorisé une extension correspondant à la taille d'une molaire. Les dents étaient cette fois-ci en occlusion, des modifications esthétiques ont pu être apportées selon les observations du patient.
Les rendez-vous de maintenance et de recueil des données nécessaires à l'évaluation du traitement ont été effectués selon la chronologie suivante ;
– T0 (date de la pose des implants) ;
– Tint (environ 1 an après la pose) ;
– Tmax (date à laquelle le patient a été revu pour la dernière fois).
Les radiographies rétroalvéolaires ayant servi de support à cette étude ont toutes été réalisées par le même opérateur, avec la même source de rayons X et le même capteur. Cela afin de compenser l'absence de standardisation trop complexe à mettre en œuvre dans un exercice privé. Les contrôles cliniques associés (inflammation, contrôle de plaque, sondage) n'ont pas fait l'objet de mesures.
La survie implantaire a été définie par la présence de l'implant sous une prothèse fonctionnelle au moment de l'évaluation indépendamment d'autres critères cliniques (perte osseuse par exemple). La survie prothétique a, quant à elle, été définie par la présence fonctionnelle au moment de l'évaluation indépendamment d'autres critères cliniques.
L'évaluation radiographique de la quantité d'os proximal a été notée par trois praticiens expérimentés selon le protocole présenté dans le tableau 2. Cette catégorisation a permis de compenser la non-standardisation des clichés. Le recours à trois observateurs a permis de limiter le biais d'observation.
Sur les 24 patients inclus, dont tous présentaient un score ASA 1, il n'y avait qu'un fumeur. Tous les patients inclus initialement dans l'étude ont été examinés à T0, Tint et Tmax (sauf une patiente décédée avant la mesure à Tmax).
Vingt-neuf prothèses en résine ont été réalisées et étaient toutes fonctionnelles le jour de l'évaluation finale.
Les résultats concernant le niveau d'os proximal ainsi que la survie sont présentés sous forme descriptive dans les tableaux 3 et 4 et la figure 14.
Le tableau 5 rapporte les taux de survie implantaire.
Les résultats rapportés dans le cadre de l'étude présentée ici montrent que le niveau osseux ne varie que très peu entre la mise en place des implants et la dernière consultation et qu'après une cratérisation initiale intervenant durant la première année, l'ostéolyse est faible. Le col lisse des implants Tekka® Progress étant de 0,8 mm, il est possible d'estimer que la perte osseuse au bout de la première année est quantitativement similaire, puisque la note 4,2 correspond à l'exposition unilatérale du col lisse. Dans le seul cas où la résorption a été très marquée, le patient n'avait pas acquis les principes élémentaires d'hygiène et, en outre était un gros fumeur. Pour autant, la perte osseuse n'a pas engendré de perte d'ostéo-intégration et la prothèse est toujours fonctionnelle en bouche, sans aucune mobilité implantaire, le patient en étant entièrement satisfait.
Les résultats présentés ici montrent que les différents sous-groupes étudiés au sein de la population des patients traités évoluent de manière homogène. En effet, les observations concernant le niveau osseux interproximal, qu'elles soient faites selon le type d'arcade restaurée, selon le sexe ou selon l'inclinaison des implants, tendent vers la note 4, la moyenne finale étant de 4,2. La note 4 correspond à une perte osseuse unilatérale autour du col lisse de l'implant (sur une étude proximale, puisque radiographique). Cela peut être expliqué en partie par la transmission des forces liées à l'hexagone interne. Il est à noter qu'il n'y a pas de différences importantes entre maxillaire et mandibule.
Il apparaît qu'il n'existe pas de différences importantes entre les implants mandibulaires et maxillaires, entre les hommes et les femmes et entre les implants droits et inclinés. Le taux de survie implantaire est de 100 %, avec un recul d'au moins 3 ans pour les 24 patients.
Depuis 2006, date des premiers traitements, et 2014, date des derniers contrôles, environ 200 patients ont été traités dans les mêmes conditions selon ce même protocole avec plusieurs systèmes implantaires (Anthogyr, Zimmer). La principale complication à moyen et long termes a été la fracture d'éléments prothétiques en résine, rejoignant ainsi l'étude d'Agliardi et al. [] faisant état de 15 % de fractures. C'est pourquoi la résine a été totalement abandonnée pour les prothèses d'usage au maxillaire au profit du bridge céramo-métallique. Le succès des prothèses d'usage en céramique résiderait, outre la différence de qualité du matériau (par rapport aux prothèses en résine acrylique), dans la temporisation que permet la prothèse transitoire et, donc, la validation du schéma occluso-fonctionnel pour la prothèse en céramique.
Les résultats présentés ici montrent que la restauration complète par une prothèse transvissée en résine sur 4 implants est une possibilité thérapeutique fiable. Cette série de cas révèle un taux de succès implantaire de 100 %, 85 % de réussite prothétique avec les prothèses d'usage au-delà de 5 ans, et ce jusqu'à 6 ans et demi de suivi postopératoire. Les taux de succès rapportés dans cette étude sont conformes à ceux présentés dans la littérature scientifique. Ils sont similaires également aux taux de survie signalés pour des protocoles utilisant 6 ou 8 implants. De plus, ce concept de traitement par prothèse immédiate transvissée permet souvent de s'affranchir de techniques de greffe osseuse dans les régions postérieures et, donc, de diminuer le nombre d'étapes précédant la restauration implanto-prothétique du patient.
Des études randomisées présentant un recul plus important sont cependant nécessaires pour confirmer ces résultats, notamment concernant les complications biologiques ou mécaniques pouvant apparaître sur ce type de restauration prothétique.
Frédéric Delorme
Ancien assistant hospitalo-universitaire en parodontologie
CES de parodontologie, AEU d'implantologie
Pratique privée, Villeurbanne
Antoine Chaudenson
Attaché des hôpitaux (Hospices civils de Lyon)
Maîtrise de recherche biomédicale
Pratique privée, Villeurbanne
Romain Ducassé
Assistant hospitalo-universitaire en odontologie restauratrice
CES d'odontologie restauratrice, DU d'odontologie esthétique
Pratique privée, Toulouse
les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.