DOSSIER CLINIQUE
L'emploi d'embases en titane, telles que les Variobase™, en secteur esthétique permet de réaliser des prothèses scellées ou vissées esthétiques. Ces embases réunissent les avantages mécaniques des piliers métalliques tout en bénéficiant des avantages esthétiques des piliers en zircone.
The use of Ti-bases, such as Variobase™, in the aesthetic zone allows the making of aesthetic cemented-retained or screw-retained prostheses. These Ti-bases combine the mechanical advantages of the metallic abutments while benefiting from the aesthetic and biological advantages of the zirconia abutments.
Dans de précédents articles, les embases en titane, ou ti-bases (Variobase™, Straumann®) ainsi que leur mise en œuvre dans le secteur postérieur avaient été présentées [1, 2]. Leur utilisation est également possible en secteur antérieur unitaire, avec un assemblage prothétique aussi bien par vissage que par scellement. Associées à des vitrocéramiques (e.max®, Ivoclar Vivadent) ou à d'autres matériaux cosmétiques mis en forme par conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO), les embases en titane permettent de réaliser des piliers ou des prothèses au profil d'émergence personnalisé, avec une connectique implantaire métallique.
Le but de cet article est de décrire différentes solutions pour traiter des édentements unitaires en utilisant ces embases en titane (Variobase™) dans le secteur antérieur. Il est également possible d'utiliser des embases spécifiques pour restaurations plurales (Variobase™ Bridges), mais ne seront abordées ici que les restaurations unitaires.
Dans le cadre des restaurations implanto-prothétiques, le choix en secteur antérieur est large. Parmi les nombreuses solutions disponibles, tant au niveau de l'infrastructure que de la suprastructure, des auteurs ont rapporté l'intérêt, sur le plan esthétique, d'utiliser le dioxyde de zirconium [3].
Si l'on souhaite réaliser une suprastructure esthétique en utilisant ce matériau, deux possibilités existent :
– en prothèse scellée, il existe des piliers implantaires en zircone, ce qui optimise à la fois la biocompatibilité et l'esthétique quand ils sont associés à des dents prothétiques entièrement en céramique.
Ces piliers peuvent être « standards » (commandés chez le fabricant), puis retouchés par soustraction au laboratoire de prothèse [3]. Ils peuvent également être conçus par CFAO pour les personnaliser, afin qu'ils soient adaptés à la situation gingivale spécifique de chaque situation clinique [4] ;
– en prothèse vissée, une prothèse tout céramique en zircone peut également être directement transvissée, permettant ainsi de s'affranchir de l'utilisation d'un agent d'assemblage, ciment ou colle [5]. La prothèse est monolithique, directement transvissée sur l'implant, sans infrastructure intermédiaire. Il faut alors que l'axe implantaire respecte le projet prothétique de manière à ne pas compromettre le résultat esthétique.
Le principal inconvénient de ces traitements réside dans la connectique implantaire en zircone, qui semble présenter une faible résistance mécanique dans les implants de diamètre réduit ou conduire à une instabilité de l'ajustage par usure différentielle entre la zircone du pilier et l'alliage de titane de la connexion implantaire [6, 7].
L'emploi de piliers en alliage métallique est possible pour éviter ces problèmes de connectique trop fragile, mais le résultat obtenu pourra être moins favorable en termes de perception esthétique.
Une des options possibles en remplacement des piliers en zircone ou en alliage métallique est l'emploi d'embases en titane dans le secteur antérieur.
Ce choix présente plusieurs avantages :
– d'un point de vue cosmétique, la perception visuelle sera meilleure qu'avec des piliers métalliques, que ceux-ci soient pleins, retouchés ou élaborés par CFAO. Cette amélioration esthétique n'est valable que pour la partie coronaire de la restauration.
En effet, au niveau des tissus péri-implantaires, aucune modification de teinte n'est perceptible dès lors que l'épaisseur de ces tissus est d'au moins 1,5 mm [8].
En revanche, sur des dents particulièrement translucides, la présence d'un pilier métallique volumineux pourra nuire à l'esthétique de la réalisation prothétique et, donc, à son intégration ;
– à la différence des piliers entièrement en zircone, la connectique de ces embases est réalisée dans le même alliage que l'implant sur lesquelles elles sont agrégées. Ainsi, cette zone ne sera pas un point de fragilité de l'assemblage prothétique mais doit en garantir la fiabilité sur le plan mécanique.
Par ailleurs, ces embases en titane sont fabriquées et distribuées par la même société que les implants, l'utilisation de pièces originales étant un gage de qualité quant à l'ajustage des pièces prévenant ainsi les risques de dévissage [9] ;
– sur le plan de la biocompatibilité, il est possible d'associer aux embases en titane des matériaux cosmétiques collés tels que le disilicate de lithium ou la zircone ;
– de plus, comme les deux cas cliniques présentés ci-après le montreront, les embases en titane permettent un assemblage soit par vissage soit par scellement, dès lors que la mise en place de l'implant respecte le projet prothétique [10] ;
– enfin, quelle que soit la solution retenue concernant le choix de l'assemblage lors de l'utilisation de ces embases en titane, le profil d'émergence de la prothèse temporaire pourra être dupliqué en utilisant un transfert d'empreinte personnalisé [11].
Dans le cadre de la recherche d'un résultat esthétique pérenne, l'aménagement des tissus mous péri-implantaires a été décrit comme primordial [12].
La technique la plus couramment décrite [13] afin de favoriser le modelage et la maturation tissulaires consiste à mettre en place des prothèses provisoires en compression sur les tissus mous afin d'induire la création du contour gingival désiré.
La partie transgingivale de la prothèse temporaire doit être conçue avec une forme concave [14], ce qui serait un gage de stabilité de la situation des tissus mous. La durée de maturation complète des tissus mous est variable selon le résultat espéré et la situation initiale, avant qu'une empreinte à l'aide d'un transfert personnalisé permette la duplication de la situation gingivale.
Au laboratoire, les prothèses avec profil d'émergence personnalisé peuvent être assemblées selon différentes techniques :
– usinage de pilier personnalisé en titane ou en zircone [4] par CFAO, puis réalisation d'une suprastructure prothétique céramo-métallique ou tout céramique (solution à deux étages pour prothèse scellée) ;
– usinage d'armature (métallique ou en zircone [12]) par CFAO, puis stratification de céramique cosmétique (solution à un étage pour prothèse transvissée) ;
– insert en céramique pressée qui est collé sur une embase en titane, transformant celle-ci en pilier hybride, puis réalisation d'une prothèse tout céramique (solution à deux étages pour prothèse scellée) [15] ;
– insert en céramique pressée qui est collé sur une embase, transformant celle-ci en couronne monolithique (solution à un étage, prothèse transvissée) [15].
Les deux dernières possibilités utilisant des inserts cosmétiques collés sur des embases en titane seront illustrées grâce aux deux cas cliniques présentés plus bas.
Dans ce premier cas clinique, les différentes étapes de traitement concernant le remplacement d'une incisive médiale par une couronne céramo-céramique agrégée sur un pilier hybride en disilicate de lithium/embase en titane sont rapportées.
Un patient consulte à la suite d'une agression ayant entraîné une fracture radiculaire imposant l'extraction de son incisive médiale maxillaire droite (11). Les dents collatérales sont elles aussi atteintes, mais des soins restaurateurs suffisent pour les reconstruire (fig. 1 et 2).
La temporisation pour l'incisive médiale est réalisée grâce à une prothèse amovible (fig. 3). Ensuite, le patient est adressé pour effectuer une régénération osseuse guidée et la mise en place d'un implant (Bone Level Tapered RC, Straumann®) (fig. 4). Une stratégie d'extraction-implantation immédiate avec mise en charge immédiate semble ici bien trop risquée au regard du défaut osseux important et de l'hygiène perfectible du patient.
Au terme de l'ostéo-intégration, une empreinte de situation implantaire à l'aide d'un transfert emporté enregistre la position de l'implant et l'environnement gingival péri-implantaire. Elle est conduite avec un matériau élastomère polyvinylsiloxane monophase (Maxi Heavy Body, Zhermack) placé dans un porte-empreinte standard enduit d'adhésif (Universal Tray Adhesive, Zhermack) (fig. 5 à 8).
À partir de cette empreinte, une prothèse transvissée temporaire est élaborée selon la technique compressive : la partie transgingivale de cette prothèse est conçue en excès afin que l'insertion provoque un refoulement des tissus gingivaux (fig. 9) favorisant la création d'une ébauche de papille interincisive.
Après 2 mois de maturation des tissus péri-implantaires (fig. 10), le résultat gingival espéré est obtenu, la réalisation de la prothèse d'usage peut débuter.
Afin de potentialiser le résultat esthétique et pour enregistrer le profil d'émergence de la prothèse temporaire, il convient de personnaliser le transfert d'empreinte avec de la résine acrylique (fig. 11 et 12).
Le relevé de couleur des dents adjacentes, un schéma topographique ainsi qu'une macrophotographie sont transmis au laboratoire.
Cette empreinte avec transfert personnalisé est réalisée en double mélange à l'aide de deux élastomères polyvinylsiloxanes de viscosités différentes (Hydrorise putty et light, Zhermack) (fig. 13 et 14).
Au laboratoire, après avoir traité l'empreinte et confectionné le modèle de travail, la réalisation du pilier sur mesure combinant une embase en titane Variobase™ et un matériau cosmétique (disilicate de lithium, e.max®, Ivoclar Vivadent) commence.
Traditionnellement, un pilier est sculpté en cire, dans le volume transgingival déterminé par l'empreinte conduite avec le transfert personnalisé et reproduit au sein de la fausse gencive (Gingifast, Zhermack) du modèle de travail.
Ensuite, la pièce en cire est pressée avec un lingotin d'e.max® HO2 (high opacity teinte 2). Après dérochage et sablage, l'insert cosmétique obtenu est collé sur la Variobase™ avec la colle spécifique (Multilink® Hybrid Abutment, Ivoclar Vivadent).
Sur le pilier hybride obtenu (insert cosmétique collé sur l'embase en titane) [15, 16], une suprastructure prothétique d'usage tout céramique est réalisée par technique pressée, puis stratifiée (E-céram®, Ivoclar Vivadent) [17] (fig. 15).
Après transvissage du pilier hybride au torque recommandé (35 N.cm), la suprastructure prothétique en céramique est scellée en bouche à l'aide de ciment temporaire (TempBond®, Kerr) en prêtant attention à l'élimination des excès de matériau d'assemblage.
À l'insertion du pilier hybride et de la prothèse d'usage, l'esthétique est retrouvée avec une harmonie des tissus mous sans avoir eu recours à des chirurgies muco-gingivales supplémentaires (fig. 16).
Le résultat final est satisfaisant et sa pérennité doit être assurée par une hygiène proximale adaptée (fig. 17).
Une visite de contrôle au bout de 1 mois atteste la bonne intégration esthétique et fonctionnelle de la prothèse scellée réalisée sur un pilier hybride ainsi que de la coopération du patient quant aux techniques d'hygiène.
Ce second cas clinique (fig. 18 à 38), illustre les différentes étapes du traitement implanto-prothétique d'agénésie d'incisives latérales chez une patiente à l'aide de prothèses transvissées monolithiques réalisées sur embases en titane.
Une jeune patiente consulte pour l'agénésie de ses deux incisives maxillaires latérales (12 et 22) (fig. 18 et 19). Un traitement orthodontique est nécessaire afin de déplacer distalement les canines maxillaires et d'aménager un espace pour deux reconstructions par prothèses supra-implantaires (fig. 20).
En raison des agénésies, le volume osseux pour un placement optimal des implants dans le couloir prothétique est insuffisant. Deux greffes d'apposition d'os autogène ramique ont été effectuées pour épaissir les espaces édentés et placer les implants au centre du couloir prothétique.
Au terme du traitement orthodontique bimaxillaire et après la cicatrisation de la chirurgie pré-implantaire, deux implants sont mis en place sur les sites de 12 et 22 (Bone Level Tapered RC, Straumann®) (fig. 21).
Une fois l'arc orthodontique maxillaire déposé, le traitement implantaire maxillaire commence par une empreinte de situation implantaire à l'aide de transferts emportés (fig. 22 et 23). Elle est conduite avec un matériau élastomère polyvinylsiloxane monophase (Maxi Heavy Body, Zhermack). Les zéniths gingivaux au niveau des tissus mous péri-implantaires n'étant pas alignés, la technique des provisoires compressives a été utilisée. La compression gingivale lors de l'insertion des prothèses transitoires transvissées entraîne un blanchissement passager des tissus mous autour des prothèses temporaires (fig. 24 à 26). Cela permet de modifier la situation gingivo-cervicale et changer légèrement le bombé vestibulaire des tissus péri-implantaires.
Après maturation, les contours gingivaux sont plus harmonieux et les collets des dents temporaires sont alignés avec ceux des dents naturelles (fig. 27).
La réalisation des prothèses d'usage peut débuter.
Les prothèses temporaires étant trop claires, il a été procédé à un second relevé de couleur. La présence de la gaine en titane utilisée pour réaliser des prothèses provisoires supra-implantaires de taille réduite complique souvent la reproduction de la teinte transmise au laboratoire.
L'empreinte avec transferts personnalisés est réalisée avec une technique en double mélange à l'aide de deux matériaux en polyvinylsiloxane de viscosités différentes (Hydrorise putty et light, Zhermack) et d'un porte-empreinte enduit d'adhésif (Universal Tray Adhesive, Zhermack) (fig. 28 à 32).
Pour cette patiente, les axes implantaires et donc l'émergence des vis étant favorables, il a été choisi de réaliser des prothèses monolithiques transvissées.
Le laboratoire a confectionné des reconstructions prothétiques en disilicate de lithium pressé (lingotin medium opacité teinte 2 : MO 2, Ivoclar Vivadent). Une réduction de volume, ou cut back, permettant la stratification secondaire d'une céramique d'émaillage (E-céram®, Ivoclar Vivadent) a été réalisée pour pouvoir personnaliser la restauration.
Enfin, les prothèses en céramique sont assemblées au laboratoire sur les Variobase™ à l'aide de la colle recommandée (Multilink® Hybrid Abutment, blanche, Ivoclar Vivadent) (fig. 33).
L'insertion des prothèses se fait sans pression sur les tissus péri-implantaires, les profils d'émergence étant strictement identiques à ceux des prothèses temporaires (fig. 34 à 38).
L'assemblage se fait par transvissage, au couple recommandé (35 N.cm). Le puits de vissage est obturé par de la résine composite après avoir protégé la tête de la vis à l'aide de Téflon, afin de faciliter un éventuel démontage volontaire, ce qui représente un avantage majeur des restaurations transvissées.
La patiente n'a pas souhaité que les leucomes des dents naturelles soient reproduits sur les prothèses implantaires, un traitement par érosion/infiltration sera entrepris secondairement pour les effacer [18].
Les deux cas présentés dans cet article illustrent les possibilités d'association entre des embases en titane Variobase™ avec un matériau à visée cosmétique tel que le disilicate de lithium pressé. Il est également possible d'utiliser d'autres matériaux et d'autres techniques pour réaliser les inserts cosmétiques secondairement collés sur ces embases en titane.
Dans l'ensemble de l'accastillage prothétique à la disposition du praticien pour traiter un édentement par une prothèse supra-implantaire, ces embases standardisées en titane permettent de réaliser des prothèses unitaires mais également plurales, vissées ou scellées, sans avoir nécessairement recours à la CFAO. Cette solution à moindre coût permet néanmoins de réaliser un profil d'émergence personnalisé spécifique de la situation clinique traitée. L'emploi d'embase en titane en secteur antérieur permet de réunir les avantages mécaniques des infrastructures métalliques et ceux des piliers réalisés en céramique, en rapport avec la biocompatibilité et les qualités esthétiques indéniables de ces matériaux [19].
Les auteurs remercient le Dr Matthieu Conan qui a effectué l'intégralité des étapes chirurgicales et implantaires ainsi que le Dr Mylène Gohel qui a réalisé le traitement orthodontique du second cas clinique.
Jérémie Perrin
Docteur en chirurgie dentaire, ancien assistant hospitalo-universitaire, praticien attaché (sous-section Prothèses)
Pôle d'odontologie et de chirurgie buccale
CHU de Rennes
2, place Pasteur
35033 Rennes cedex 9
Nicolas Laferté
Prothésiste dentaire
LDL, laboratoire dentaire Laferté
11, rue Houvenagle
22000 Saint-Brieuc
LIENS D'INTÉRÊTS : les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.