Implant n° 2 du 01/05/2017

 

IMPLANT

Implant est allé à la rencontre de Marcel Le Gall, praticien expérimenté, auteur de nombreuses publications et communications en rapport avec différents domaines de l'implantologie, concernant notamment l'occlusion ou les rapports entre l'architecture implantaire et l'environnement osseux.

Son expérience personnelle et ses opinions sur ces différents sujets sont exposés dans ce long entretien réalisé par Michel Metz, membre du comité scientifique de la revue.

Quel est votre cursus et depuis combien de temps exercez-vous ?

Marcel Le Gall : Après avoir obtenu mon diplôme de chirurgien-dentiste à Nantes en 1969, j'ai passé deux années et demie à Brest, au cabinet du Dr José Abjean. Je me suis installé à Lorient en 1972 en partageant mon activité entre l'occlusion, la parodontologie et la prothèse fixée, sur dents naturelles d'abord, puis sur implants à partir de 1987.

Parallèlement, j'ai occupé un poste d'attaché à la faculté de Rennes, puis à la nouvelle faculté dentaire de Brest. J'ai intégré le service de parodontologie puis celui d'occlusion en 1985, où j'ai passé le DU d'occlusion et où j'étais chargé de cours. Fin 1985, un laboratoire de physiologie de l'occlusion y a été créé et dirigé par le Pr José Abjean.

Avec mon ami Jean-François Lauret, nous en étions au début les deux seuls membres ! C'est alors que nous avons commencé à travailler sur le décryptage du modèle fonctionnel de mastication avec le tout nouveau Sirognatograph® dont disposait le laboratoire. Ces travaux ont permis la publication de nombreux articles sur une nouvelle approche fonctionnelle de l'occlusion des dents naturelles et des prothèses sur implants. Récemment, leur application a permis d'objectiver des gains de niveau d'os crestal péri-implantaire (2016).

Avec le recul, quel regard portez-vous sur l'implantologie ? Quelles sont vos certitudes ou doutes sur l'implantologie contemporaine dans les domaines chirurgicaux et prothétiques ?

M. Le Gall : Depuis l'introduction de l'implantologie ostéo-intégrée, de nombreuses modifications cliniques et/ou des techniques additionnelles ont progressivement permis d'étendre les indications initiales, qui étaient très restrictives. Plus de 30 ans après, il est intéressant d'analyser celles qui se sont révélées pertinentes et celles qui n'ont pu être retenues, et de porter un jugement sur les évolutions de l'implantologie contemporaine avec les doutes et les certitudes que donne le recul.

Six points me paraissent très importants.

Les matériaux implantables. Le titane pur de grade 1, dont la biocompatibilité a permis l'émergence du concept d'ostéo-intégration, présentait au départ des caractéristiques mécaniques médiocres. Les fractures d'implants observées incitaient à la prudence sur les volumes prothétiques et leurs relations occlusales. L'amélioration des caractéristiques physiques du titane (grades 2, 3, 4 et 5) a progressivement permis de lever ces restrictions.

Les techniques de greffe et de régénération osseuse. Les techniques et les procédures de chirurgie muco-gingivale mises au point en parodontologie ont trouvé un domaine d'application particulièrement favorable en implantologie.

La maîtrise des techniques de prélèvement (hanche, ramique, mentonnier, calvairien...) a permis le recours à des autogreffes osseuses, avec de bons résultats mais avec parfois des suites mal maîtrisées au niveau des sites donneurs (douleurs récurrentes, paresthésies, voire suites létales).

La naissance des techniques de régénération osseuse et tissulaire et le recours à des greffons externes ont limité les indications de ces prélèvements.

Initialement, nous avions l'habitude d'utiliser des greffons humains (DFDB, demineralized freezed-dried bone) provenant d'une banque osseuse américaine. Les résultats étaient très probants. Le développement du sida et de l'encéphalite spongiforme bovine (ESB) a imposé leur abandon et le recours à des matériaux synthétiques très divers avec des résultats inégaux. Récemment, des greffons allographiques provenant de patients vivants, sélectionnés sur tests biologiques, ont été réintroduits. Nous les utilisons avec beaucoup de satisfaction mais avec plus de réticence pour les xénogreffes.

L'évolution chirurgicale en implantologie me semble présenter deux facettes : tout d'abord, une simplification des procédures dans les cas favorables présentant un volume osseux suffisant et bien situé. L'évolution des formes des implants a permis de réduire l'étape de pose à un seul temps chirurgical avec réalisation d'une prothèse immédiate. Nos premiers résultats sur 233 cas de prothèse immédiate unitaire (dont 103 directement après extraction) ont été publiés en 2006 (Le Gall M.G., Le Gall N. 2006*), avec un taux de succès de 98,7 %. Ensuite et parallèlement, le recours à des chirurgies spécialisées (régénération osseuse guidée, greffes d'augmentation osseuse, élévation de sinus...) a permis d'augmenter considérablement le nombre d'indications implantaires.

Les progrès de l'imagerie 3D, de la chirurgie guidée et des matériaux de greffe assurent une meilleure maîtrise des protocoles et l'exploitation optimale des volumes osseux disponibles.

La forme générale du corps de l'implant, ou macrostructure. L'obtention de l'intégration osseuse préalablement à toute sollicitation mécanique a été enseignée initialement comme un dogme.

Les implants étaient de forme cylindrique, avec un système de spires à petits filets serrés, copié sur le filetage des vis à métaux. Le choix hasardeux pour ces premiers implants, d'un diamètre de 3,75 mm plutôt qu'un autre, suscitait des interrogations car il n'était fondé sur aucune donnée scientifique. Mais même dans ces conditions, après une période d'ostéo-intégration longue, ces implants ont connu des taux de succès élevés dans le temps, mais avec une perte osseuse initiale de quelques spires au niveau du col. Certains fabricants affirmaient alors que la forme de l'implant n'avait pas d'importance.

Cependant, les tentatives de prothèses immédiates unitaires, avec ces implants à petits filets ou cylindriques sans spires, ont connu des taux d'échecs élevés. Nous ne connaissions pas bien les conditions à remplir pour obtenir l'ostéo-intégration, la mise en nourrice paraissait alors indispensable. Parallèlement, on cherchait à savoir combien d'implants étaient nécessaires pour supporter une ou plusieurs dents. La comparaison entre la surface portante des implants et celle des racines naturelles à remplacer a apporté un début de solution, sans remettre en cause la phase d'ostéo-intégration.

C'est la comparaison avec les formes des vis utilisées par l'industrie en fonction de la densité et de la résistance des matériaux qui a permis de comprendre la cause des échecs de la prothèse immédiate. La lecture d'ouvrages sur le vissage (Aublin et al., 1992) m'a apporté des références scientifiques dans le choix des formes d'implants et a permis de sélectionner, parmi les nombreuses propositions des fabricants, celles qui respectaient le mieux le rapport entre la forme et les caractéristiques de l'implant et la qualité de l'os support.

Il est apparu que le principe même de la mise en charge immédiate n'était pas à mettre en cause dans les échecs de prothèse immédiate unitaire, car c'est la parfaite immobilité et la stabilité primaire qui permettent au processus d'ostéo-intégration de se réaliser.

Lorsque la forme et les dimensions de l'implant sont bien adaptées à la qualité de l'os support, la stabilité et l'immobilité primaire sont obtenues immédiatement et la prothèse unitaire avec mise en charge « douce » est possible.

La connexion prothétique. La tête hexagonale qui facilitait l'insertion et le vissage des premiers implants a également été copiée de l'industrie, mais sa hauteur limitée à 0,7 mm est insuffisante pour assurer une connexion rigide et étanche entre l'implant et son pilier prothétique, avec la présence d'un hiatus (microgap) dont la septicité et les exsudats infectieux faisaient perdre systématiquement 2 ou 3 spires de hauteur osseuse la première année.

J'ai posé mes premiers implants fin 1987. Il s'agissait d'implants vis de Denar (Steri-Oss®), en titane usiné, de 3,5, puis 3,8 mm de diamètre, avec des piliers massifs vissés sans indexation. Ces piliers se dévissaient à peu près tous, avec apparition de mucosites, de péri-implantites et de fractures.

L'état de surface du corps et du col de l'implant ou microstructure, le profil d'émergence. Il n'y avait pas de traitement de surface sur le corps des premiers implants. L'interface avec l'os se faisait directement sur la surface en titane présentant de petites rayures d'usinage (et non polie comme un miroir). L'adhérence de l'os à cette surface se faisait correctement (mais plus lentement), sans risque de péri-implantite car la rétention de plaque dentaire était réduite et l'hygiène aisée.

Divers traitements de surface ont progressivement été proposés, avec pour objectif d'améliorer et/ou d'accélérer l'intégration osseuse des implants. Il en a résulté des états de surface allant d'une rugosité très faible à des surfaces extrêmement rugueuses et très poreuses. Dans ces dernières situations, la décontamination est impossible en cas d'infection, avec un risque très élevé de perte de l'implant.

C'est pourquoi les états de surface poreux et très rugueux ont très vite été abandonnés. Il en est de même des diverses solutions de transvissage quand le hiatus de liaison contaminé est sous-gingival et situé au niveau osseux et joue vraisemblablement un rôle déterminant dans la recrudescence actuelle des péri-implantites. Alors que les solutions de scellement sur implants, fiables et peu onéreuses, font l'objet de tentatives de décrédibilisation, elles sont bien codifiées sur les dents naturelles et donnent pleinement satisfaction depuis plus d'un siècle. Les techniques implantaires de transvissage prothétique, les formes d'émergence compliquées de certains implants et leur état de surface rugueux seraient impossibles sur les dents naturelles car, sur ces dents, le descellement accidentel d'une couronne se traduit invariablement par l'apparition de gingivite périphérique et le développement rapide de caries sur la dent porteuse.

Pour nous, la véritable solution au risque infectieux et à la stabilité primaire a été le choix, en 2000, de l'implant Swiss-Plus® dont la connexion supra-osseuse avec un col évasé simplement usiné a permis de conjuguer solidité et quasi-cessation des péri-implantites (brevet partagé Straumann®/Swiss-Plus®), tout en bénéficiant d'une très bonne stabilité primaire grâce aux spires développées de sa version légèrement conique.

Le concept occlusal à retenir sur les prothèses implantaires. Le nombre important de fractures observées sur les premiers implants incitait à la prudence sur le volume des restaurations et le choix du schéma occlusal prothétique. Fallait-il qu'ils soient :

• en protection canine ou en mastication réelle ;

• avec des faces occlusales réduites ou aplaties, ou avec un volume normal ?

Nous n'avions pas la réponse définitive, mais une des premières publications de 1994 montrait déjà que le schéma en protection canine pouvait laisser des malocclusions pendant la mastication sur les faces occlusales postérieures (Le Gall et al., 1994*). Quelles pouvaient en être les conséquences sur l'os péri-implantaire ? La question était encore sans réponse car il était impossible de dire si la perte osseuse crestale était d'origine occlusale ou liée à la forme de l'implant, ou si elle était la conséquence de la contamination permanente de l'espace péri-implantaire par les germes et les toxines issus du hiatus avec le pilier ou la prothèse vissée.

L'évolution du niveau d'os crestal d'un groupe d'implants (Swiss-Plus®) dont les prothèses ont toutes été équilibrées en mastication a été comparée à celle d'un groupe d'implants de même concept (Straumann®) mais équilibrés en protection canine seule. Ces implants étaient conformes au cahier des charges précédent. Alors que les implants équilibrés en protection canine ont montré une perte moyenne de niveau d'os crestal de 0,285 mm en 2 ans, ceux équilibrés en fonction réelle ont montré un gain osseux moyen de 1,33 mm pendant un suivi moyen de 43,7 mois. Le gain osseux moyen est élevé et significatif. Ces chiffres indiquent clairement que le réglage occlusal minutieux pendant la mastication rend les faces occlusales non traumatiques, avec des forces bien réparties, modérées et maintenues dans la fourchette de stimulation osseuse.

L'équilibration en seule protection canine ne permet pas d'équilibrer la mastication. C'est une erreur fondamentale, car les équilibrations occlusales qui en résultent sont approximatives et incomplètes, avec des malocclusions résiduelles amplifiées par l'immobilité des implants.

Quels conseils donneriez-vous pour le choix des implants et de la connexion prothétique ?

• pour l'état de surface du corps et du col d'émergence de l'implant et de sa forme :

- proscrire les états de surface trop rugueux et poreux, près du col osseux de l'implant. Le juste équilibre de la microstructure doit permettre un bon accrochage osseux tout en maîtrisant le risque de colonisation bactérienne,

- privilégier un état de surface usiné, mais non poli miroir, sur le col de l'implant ou des pièces transgingivales supra-osseuses, à l'exclusion de surfaces poreuses,

- choisir une émergence de forme simple dont l'hygiène est facile à assurer par le patient et permettant des résultats esthétiques optimaux (gare aux effets de mode d'artifices prothétiques de forme complexes dont l'efficacité est contestable) ;

• pour le manque de stabilité et d'étanchéité de la liaison entre le pilier et l'implant :

- privilégier une liaison interne, solide et étanche, par cône morse ou apparenté, donc sans hiatus au niveau osseux ou à celui de l'espace biologique.

Ce dernier est en effet responsable de contamination bactérienne, à l'abri de tout moyen d'hygiène, et sujet à la biocorrosion,

- privilégier une liaison éloignée de l'os, par la présence d'un col d'émergence transgingival, ou supprimée, par l'utilisation d'un implant monobloc ;

• pour le manque d'étanchéité de la liaison entre la prothèse et l'implant :

- éviter les prothèses transvissées, avec une vis disgracieuse rendant la face occlusale non fonctionnelle et dont la limite prothétique est sous-gingivale et non étanche. La biocorrosion est présente dans le hiatus et les exfiltrations de toxines contaminent en permanence la muqueuse périphérique, avec un risque augmenté de mucosite, de péri-implantite et de perte osseuse,

- préférer le scellement permanent de la prothèse, sans vis occlusale, qui permet le réglage optimal de l'occlusion, avec une élimination méticuleuse des excès de ciment sous-gingivaux. Si le col d'émergence est bien dessiné, sans surplombs prothétiques ni surfaces microtexturées, le ciment s'élimine facilement et le démontage, aux fins de nettoyage, n'a plus d'indication. De ce fait, l'obligation d'une maintenance rapprochée est supprimée et l'hygiène est facilitée.

Quel est le sujet d'actualité en matière d'implantologie qui vous paraît le plus pertinent pour les praticiens ? Et celui qui va le devenir ?

M. Le Gall : Je conseille aux praticiens de se former à l'occlusion fonctionnelle, car la prise en compte de la déglutition et de la mastication dans le réglage dynamique des faces occlusales apparaît comme une avancée déterminante en implantologie. L'enseignement clinique de l'occlusion fonctionnelle est en cours de diffusion rapide.

Une approche et des vidéos cliniques sont accessibles en ligne. La deuxième promotion du diplôme universitaire d'occlusion fonctionnelle sortira en juin 2017 de la faculté de Strasbourg. Elle est sous la responsabilité du Dr Roger Joerger. Je suis moi-même tous les mois à Strasbourg...

Si c'était à refaire, pensez-vous à un cas clinique que vous auriez traité différemment avec vos connaissances actuelles ?

M. Le Gall : Ce que je regrette le plus est d'avoir utilisé des implants à surfaces très rugueuses et poreuses et d'avoir dû assumer les pertes d'implants que ces surfaces ont occasionné. Mais pouvait-il en être autrement ? Car c'est la prise en compte de ces erreurs qui nous a permis d'en comprendre la cause et d'avancer.

Comment voyez-vous l'implantologie de demain ?

M. Le Gall : Je vois l'implantologie conserver ses acquis et évoluer vers diverses techniques d'aide à la pose et aux réalisations prothétiques. L'imagerie dynamique 3D les a rendues possibles et, en l'associant d'emblée aux techniques de CFAO, elle permettra de continuer l'évolution vers la simplification. Il est déjà possible :

• d'établir le projet prothétique et d'anticiper si nécessaire le volume osseux à rétablir ;

• de réaliser le guide chirurgical ou d'utiliser des dispositifs d'aide à la pose directe des implants, dans la position et l'orientation prothétique optimales, avec facilité et précision ;

• de réaliser la restauration presque jusqu'à l'équilibration fonctionnelle optimale. Les objectifs implantaires et prothétiques déjà définis comme un rêve dans deux articles de 1992 (Saadoun et Le Gall) et 1996 (Le Gall) sont atteints aisément dans la réalité quotidienne !

Retrouvez les références bibliographiques sur notre site : https://goo.gl/ys0O1J

Propos recueillis par Michel Metz
  • 1. www.mastication-ppp.net