IMPLANT A LA RENCONTRE
Pour Implant, Dennis Tarnow, éminent parodontiste enseignant à la Columbia University (NY), a accepté de répondre à quelques questions. Une partie de l'entretien est rapportée ici et vous pouvez retrouver son intégralité dans la version numérique de la revue, en ligne sur notre site editionscdp.fr.
Dennis Tarnow : J'ai suivi des formations universitaires à la fois de parodontiste et de clinicien prothésiste. Aujourd'hui, dans ma pratique, j'interviens plus souvent en parodontologie qu'en matière de restauration prothétique.
J'ai un exercice privé au sein d'une structure située à New York, composée de cinq confrères spécialisés en traitements prothétiques, deux parodontistes et un orthodontiste. Nous traitons nos patients dans le même cabinet et nous collaborons avec neuf techniciens prothésistes.
J'enseigne également à la Columbia University où je suis responsable de l'enseignement de l'implantologie pour tous les étudiants. Je suis à la faculté deux jours par semaine pour enseigner et dans mon cabinet deux autres jours pour exercer.
Le vendredi, je donne généralement des cours ou des conférences.
Je fais de la recherche clinique, dans le cadre de mon cabinet, avec mes partenaires et, en fonction des thèmes, nous avons également des programmes de recherche au sein de l'université pour différentes sociétés.
Ces recherches sont consacrées à des thématiques prothétiques, parodontales, implantaires ou en rapport avec l'esthétique en général.
Ce sont les thèmes principaux de toute ma carrière professionnelle et ils sont tous interdépendants. D'abord, je me suis intéressé à la dent, puis les implants sont apparus et c'était donc la parfaite et la plus logique évolution pour poursuivre la thématique « paro-prothèse » qui a toujours été la mienne.
Je pratique une activité implantaire depuis 1982, après avoir assisté aux cours de formation à Toronto de G. Zarb et P.I. Brånemark. C'était un enseignement extraordinaire, initialement consacré uniquement au traitement de l'édentement complet puis, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, nous avons tous évolué vers le traitement des édentements partiels et unitaires. Cette période a vraiment été une époque de diffusion rapide de l'implantologie dans le monde entier. Cela a été une aventure magnifique pour nos patients et pour la dentisterie.
En fait, la première partie de ma carrière professionnelle s'est effectuée à la New York University, durant 35 années. J'y étais directeur du Département de parodontologie et d'implantologie (nous avions réuni ces deux départements). Maintenant, je suis à la Columbia University, toujours à New York, car j'ai dû quitter il y a 7 ans, avec d'autres collègues, la New York University en raison d'un profond désaccord avec le nouveau doyen qui venait de prendre ses fonctions.
À la Columbia University, je participe à des travaux de recherche transversale chez l'animal sur les cellules-souches avec les Dr Jeremy Mao et Daniel Oh.
Ces travaux sont conduits en complément des autres sur mes sujets de recherche habituels concernant la forme des implants et les relations avec différents aspects biologiques étudiés chez l'homme et chez l'animal, en fonction des programmes d'études universitaires et en partenariat avec différentes sociétés commerciales.
D. Tarnow : C'est une question intéressante parce que, du fait de l'enseignement de Brånemark, nous traitions seulement des patients édentés complets à la mandibule puis quelques patients édentés complets au maxillaire. Vous implantiez dans cette arcade édentée, recouvriez les implants par la gencive et laissiez s'écouler un délai de 3 à 6 mois. Puis nous avons commencé à comprendre qu'il n'était pas nécessaire d'enfouir les implants. Donc, si je pense à cette évolution dans le domaine de l'implantologie, je crois que Brånemark nous a fourni une méthode standardisée pour obtenir une intégration de l'implant sans interface fibreuse. C'est vraiment l'évolution initiale majeure de l'implantologie.
Par ailleurs, il faut dire également que beaucoup d'autres éléments qu'il nous a enseignés et qui, à ses yeux, étaient indispensables ne sont plus d'actualité. Il nous a montré ce qu'il faisait et qui marchait. Par exemple, il disait qu'il fallait recouvrir l'implant or, maintenant, nous savons que ce n'est pas nécessaire du moment qu'il n'y a pas d'espace autour de l'implant, ce qui empêche la progression du tissu conjonctif. C'est également une des raisons pour lesquelles les implants monolithiques (one-piece implant) fonctionnent sans enfouissement.
Un autre élément de réponse concernant ces évolutions est en rapport avec le fait que, à l'époque, nous n'avions qu'un seul diamètre d'implant, de 3,75 mm de type Brånemark, avec un diamètre de 4 mm en solution de rechange. Laissez-moi vous raconter une anecdote... En 1990, alors que je mettais sur pied le Département d'implantologie à la New York University, le doyen m'avait demandé d'intégrer Léonard Linkow dans le corps enseignant car il donnait déjà un cours renommé.
Léonard Linkow était connu pour ses implants lames, il avait déjà une longue expérience clinique dans l'implantologie avec plusieurs milliers d'implants posés. Je l'ai rencontré et je lui ai demandé ce qu'il pensait de Brånemark. Il m'a répondu : « Oh, laissez-moi tranquille avec cela ! » Je savais qu'il utilisait des implants vis de type Brånemark depuis 7 ou 8 années déjà et je lui ai demandé ce qu'il voulait dire. Il m'a répondu que nous étions des débutants, que nous commencions à peine notre apprentissage, que nous étions seulement au tout début de la compréhension du domaine de l'implantologie... Il a dit : « Cet implant de 3,75 ou 4 mm de diamètre avec différentes longueurs, vous pensez que cela va être suffisant ? Non, cela ne sera jamais suffisant... Vous commencez juste à comprendre l'implantologie et à traiter des patients, mais cela ne sera jamais suffisant pour traiter l'ensemble des patients. » Je lui ai demandé ce qu'il voulait dire. Il a répondu que nous n'avions qu'une vis, qu'un seul modèle de vis. Il utilisait, pour sa part, des vis et des lames de formes et de dimensions différentes, il en avait plus de 50 modèles. À ma question sur une telle diversité, il a répondu qu'il n'avait aucune expérience de la régénération osseuse guidée : « Quand un patient venait dans mon cabinet, je devais prendre en compte son capital osseux, et cela quel qu'il soit, et trouver une solution. Je n'avais pas de solution pour construire de l'os. »
C'est maintenant ce que nous pouvons faire. C'est toujours un peu compliqué mais je sais que c'est possible alors que ce n'était pas le cas dans les années 1970-1975. Linkow n'avait pas notre connaissance actuelle et, donc, il devait adapter son implant au volume osseux du patient !
Notre conversation se tenait en 1990 et Linkow a affirmé que tous les patients ne pouvaient être traités avec un seul type de vis, même de longueurs différentes, et que cela allait nécessairement évoluer, que nous étions au début de l'aventure... Nous sommes en 2017 et sa prophétie s'est réalisée. Aujourd'hui nous utilisons des implants étroits, des implants de diamètres standard, des implants de larges diamètres. Linkow avait raison, il vient de décéder mais il avait compris, à l'époque, que nous utiliserions différents diamètres, différentes longueurs d'implants, plus courts ou plus larges, avec la possibilité de construire de l'os et donc de pratiquer l'implantologie d'une manière tout à fait différente de la sienne.
D. Tarnow : Une autre évolution après tout ce qui vient d'être évoqué concerne probablement l'état de surface implantaire, je pense...
Au-delà du titane comme matériau, son état de surface est essentiel pour le délai à respecter avant une mise en charge. Brånemark parlait de 3 à 6 mois car la surface de ses implants était lisse du fait de l'usinage, elle était en fait trop lisse. Leurs spires présentaient partout des stries d'usinage qui permettaient l'intégration osseuse mais pas de manière très efficace car il faut se rappeler que l'ostéo-intégration est un phénomène mécanique, c'est un blocage mécanique. Beaucoup ne comprennent pas cela, ils pensent que l'os se développe intimement au contact de la surface en titane. En microscopie optique, il semble que l'os soit lié à l'os mais en fait, en microscopie électronique, on voit bien qu'il existe une discontinuité, un petit espace, entre l'os et la surface constituée d'oxyde de titane. C'est à travers cet espace que se produisent des déplacements ioniques entre l'os et l'oxyde de titane. Par quel processus exact, nous l'ignorons, mais c'est une réalité. En fait, il existe un espace mais insuffisant pour du tissu fibreux, donc il n'y a pas de mobilité possible pour l'implant.
Mais la manière dont l'implant s'ancre dans l'os est mécanique, c'est pourquoi les surfaces rugueuses permettent une intégration et une utilisation beaucoup plus rapides que les surfaces usinées lisses de Brånemark. Avec les implants actuels, à surface dite texturée ou à rugosité contrôlée, l'intégration osseuse est accélérée et vous pouvez les mettre en fonction plus rapidement car il existe une surface développée plus importante pour réaliser ce blocage mécanique. Dans ce cadre, il s'agit d'un blocage non par liaison chimique mais vraiment par liaison mécanique. C'est typiquement l'état de surface poli du col implantaire qui a conduit aux difficultés rencontrées avec l'implant Tissue Level de Straumann, avant la mise au point du Bone Level, lorsqu'il était utilisé enfoui dans le secteur antérieur. Cette partie polie ne s'intégrait jamais au tissu osseux, l'os ne se développait qu'au contact de la surface rugueuse et s'arrêtait à la limite de la surface polie, alors qu'il s'agissait du même type de titane commercialement pur.
Les implants Brånemark, à l'époque, avaient une rugosité d'une valeur RA (roughness average) de 0,6. Il faut au minimum 0,5 de RA pour que l'os se développe à la surface du titane. La surface SLA® (Sandblasted, Large-grit, Acid-etched, surface traitée par sablage à gros grains et attaque à l'acide) présente un RA d'environ 1,5, probablement comme la plupart des implants actuels. La surface pulvérisée au plasma de titane (TPS, Titanium Plasma Spray) qui est plus rugueuse, présente un RA de 2,5, ce qui est une bonne caractéristique pour l'intégration osseuse. Malheureusement, avec le développement des péri-implantites, nous nous sommes aperçus que ces surfaces très rugueuses entraînaient plus facilement des pathologies des tissus péri-implantaires que les implants Brånemark à surface usinée lisse.
D. Tarnow : Le problème avec les implants en zircone, c'est la résistance mécanique. Ces implants sont trop fragiles, ils ont trop tendance à se fracturer sous les contraintes. À mon sens, ils doivent être réservés aux seuls cas avérés d'allergie au titane mais c'est vraiment très exceptionnel je pense... Une telle allergie existe mais, vous savez, j'ai probablement mis en place plusieurs dizaines de milliers d'implants et je n'ai constaté qu'un cas véritable...
Concernant le PEEK (polyétherétherkétone), je n'ai pas d'expérience avec ce matériau. Il n'est pas approuvé aux États-Unis actuellement. J'ai vu les prototypes mais nous sommes réservés sur sa résistance mécanique, comme avec la zircone, et sur sa pérennité à long terme. Les industriels ont fait progresser le produit qui existe déjà pour des composants provisoires mais, de ce que je connais et à mon niveau, je n'ai pas vu de données scientifiques pertinentes et je pense que le produit en est toujours au stade expérimental.
D. Tarnow : Beaucoup de sociétés ont arrêté de proposer des piliers entièrement en zircone du fait des difficultés rencontrées lors du transvissage avec les risques associés de fracture, raison pour laquelle elles proposent actuellement des inserts en titane usinés sur lesquels on installe par collage ou vissage une partie cosmétique en zircone.
En fait, l'utilisation de piliers en zircone doit être réservée au secteur antérieur dans des situations particulières de gencive fine ou d'implants incorrectement placés dans une situation trop vestibulaire.
Il faut au minimum 2 mm d'épaisseur de tissu gingival dans la zone esthétique antérieure. En dehors de ces indications, et particulièrement pour les zones postérieures où vous devez privilégier la résistance mécanique de votre restauration prothétique, je ne vois aucun intérêt à utiliser ce type de pilier en remplacement des piliers métalliques.
D. Tarnow : C'est un fait fondé sur les travaux publiés de Tom Wilson. Il a montré que, dans 80 % des cas de péri-implantites qu'il avait étudiés, il existait des excès de ciment dans les tissus péri-implantaires. C'est certainement plus de la moitié des cas de péri-implantite que je traite où je retrouve du ciment de scellement... Pour moi, c'est essentiellement un problème de contours du pilier prothétique.
Les praticiens n'utilisent pas assez de piliers personnalisés par CFAO, ils utilisent des piliers standards du catalogue propre à chaque société d'implants. Au lieu d'avoir un pilier festonné au niveau cervical pour recevoir une couronne, ils utilisent un pilier standard de 1 mm de hauteur transgingivale par exemple, dont le contour est circulaire, non festonné. La limite cervicale du pilier est donc beaucoup trop profondément enfouie sur une grande partie de sa périphérie. Il est indispensable de situer cette limite sur le pilier en fonction de la situation de la crête osseuse et, surtout, du niveau gingival, et ce particulièrement dans la zone esthétique antérieure.
D. Tarnow : Beaucoup utilisent une colle du type Panavia mais, pour notre part, nous utilisons un ciment temporaire excepté pour les restaurations en zircone et les restaurations unitaires.
Pour toutes les restaurations plurales à partir de deux éléments, nous utilisons systématiquement un ciment temporaire du type TempBond®. Le problème de la carie dentaire n'existe pas en prothèse supra-implantaire et le pire qui risque de se produire est un descellement ; nous intervenons alors en rescellant.
D. Tarnow : Comme vous avez pu le constater, je n'arrête jamais vraiment de travailler ou d'enseigner. Quand je m'arrête, j'aime jouer au golf. Je ne suis pas très bon, je suis un joueur d'un niveau moyen, mais j'aime bien faire une douzaine de parcours dans l'année.
J'aime bien voyager également, visiter des endroits que je ne connais pas. J'ai maintenant des étudiants dans plus de 30 pays du monde entier. Généralement, lorsque je me rends quelque part, mes anciens étudiants me font visiter l'endroit et je rencontre leur famille chez eux. Ils sont généralement enseignants dans une université, ils vieillissent également et deviennent professeurs à leur tour. Et c'est vraiment merveilleux de les voir évoluer, devenir adultes, avoir des enfants... Et comme vous le savez, en tant qu'enseignant, il n'y a rien de meilleur que de voir l'évolution de nos étudiants qui deviennent, espérons-le, parfois meilleurs que nous-même. C'est toujours le but d'un enseignant, voir ses étudiants progresser, devenir meilleurs et finalement apprendre d'eux comme ils ont appris de nous-même.
Remerciements à Philippe Khayat et Michel Metz pour avoir rendu possible cette rencontre pour Implant.
Propos recueillis par Olivier Fromentin et Jacques Attias, traduits par Olivier Fromentin