DOSSIER CLINIQUE
L'empreinte optique et la CFAO dentaire sont des techniques d'actualité éprouvées pour leur précision. Cet article se propose, au travers d'un cas clinique, d'en montrer l'apport afin d'obtenir un résultat esthétiquement satisfaisant en prothèse implantaire fixe. En effet, si les dispositifs prothétiques cosmétiques fabriqués par CFAO ne permettent pas de rivaliser avec un très bon céramiste, elle constitue, associée ou non à une technique de cut back, une aide précieuse pour l'atteinte du résultat escompté.
Digital impression and CAD/CAM technology are up-to-date technologies which have proven their precision. This article aims, through a clinical case, at showing the benefit of these technologies in obtaining a satisfying aesthetical result in implant-based prosthetic treatments. Indeed, if actual CAD/CAM technology cannot compete with the best ceramist, when associated (or not) with a cut-back technique, it is a precious help to reach the best awaited result.
En prothèse implantaire, la réussite esthétique d'une restauration antérieure est sous la dépendance de facteurs anatomiques, chirurgicaux et prothétiques qui doivent être maîtrisés afin d'obtenir un effet le plus naturel possible. Les conditions pour obtenir ce résultat optimal sont réunies quand la table alvéolaire externe préservée est associée à un biotype gingival épais. Dans ce contexte, le positionnement tridimensionnel correct de l'implant devient possible et on peut ainsi guider la cicatrisation des tissus mous afin d'obtenir un profil gingival qui assure la santé des tissus péri-implantaires et l'esthétique du patient. Au-delà de l'esthétique, la maîtrise de ces facteurs est donc une garantie concernant la bonne santé des tissus péri-implantaires. On peut évoquer, en complément des concepts de succès implantaires et prothétiques, une notion plus complète de succès biologique.
On constate alors que cette notion ne s'adresse plus uniquement au secteur antérieur mais concerne toute l'arcade dentaire. Cependant, les conditions de réussite esthétique décrites précédemment ne sont pas toujours ou souvent réunies. Il est dès lors impératif de procéder à une phase d'aménagement chirurgical pré-implantaire ou per-implantaire de façon à retrouver des conditions anatomiques qui se rapprochent des conditions optimales.
Une fois les implants mis en place, en fonction du type de prothèse envisagée (vissée ou scellée), la formation du profil d'émergence peut débuter à l'aide de la prothèse provisoire dont la forme et le volume évolueront dans le temps jusqu'à l'obtention du résultat souhaité. Intervient alors une étape délicate qui réside dans le transfert non seulement de la position de l'implant au laboratoire de prothèses mais surtout de la forme et du volume du profil d'émergence nouvellement créé. Ceux-ci devront être impérativement respectés par le prothésiste. Les techniques pour réussir ce transfert sont bien codifiées [], cependant les volumes définis ne sont pas toujours faciles à reproduire par le céramiste.
Au travers d'un cas clinique, cet article se propose d'illustrer les différentes étapes d'un traitement implanto-prothétique ayant pour but de remplacer les quatre incisives maxillaires. Au cours de celui-ci, tous les facteurs évoqués précédemment seront pris en compte dans le cadre d'une réalisation prothétique faisant appel à l'empreinte optique et à la conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO). Ainsi, la quasi-intégralité du traitement a été réalisée sans modèles physiques, excepté pour l'étude initiale du cas clinique et pour la stratification esthétique après réduction du volume prothétique (cut back) où des modèles ont été nécessaires.
Madame D, âgée de 42 ans, se présente à la consultation avec une demande esthétique et exprime son anxiété au sujet de la perte de ses quatre incisives maxillaires.
Lors de l'anamnèse médicale, la patiente déclare ne pas fumer et ne suivre aucun traitement du fait de l'absence de pathologie ou d'allergie connue.
L'examen exobuccal révèle que la proportion des étages de la face est respectée. Le profil est plat. Il est possible de noter une contraction de la houppe du menton, nécessaire à la fermeture labiale. La patiente présente un sourire gingival avec exposition complète de la gencive attachée maxillaire (classe 1 de Liébart []). Un diastème entre 11 et 21 et une vestibulo-version de 22 sont visibles lorsque la patiente sourit.
L'examen clinique endobuccal révèle la présence de récessions généralisées sur l'ensemble des deux arcades, la présence de tartre dans les régions incisive mandibulaire et molaire maxillaire. Les muqueuses sont lisses, d'aspect vernissé, avec présence de gencive attachée sur l'ensemble des dents. Au niveau occlusal, les rapports dento-dentaires au niveau canin et molaire correspondent à une classe I d'Angle, associée à une vestibulo-version des incisives maxillaires et mandibulaires entraînant une béance antérieure lors de l'occlusion d'intercuspidation maximale.
Après réalisation d'un bilan par sondage parodontal, les valeurs moyennes de la perte d'attache de la patiente sont comprises entre 3 et 4 mm avec des mobilités évaluées entre 2 et 3 au niveau des incisives maxillaires (classification de Mühlemann de 1975).
Le bilan radiographique rétroalvéolaire confirme les relevés du sondage et permet de poser le diagnostic de parodontite chronique généralisée de sévérité modérée chez cette patiente. Les pertes d'attache et les mobilités sont particulièrement plus sévères dans le secteur incisif maxillaire du fait d'une pulsion linguale ayant entraîné une vestibulo-version avec apparition de diastème (fig. 1) dans ce secteur.
Les objectifs du traitement proposé ont d'abord été de stabiliser la parodontite puis, dans un second temps, de restaurer les secteurs antérieurs en malposition afin de retrouver fonction et esthétique.
Ainsi, dans une première étape, le traitement étiologique s'est orienté vers un assainissement parodontal par lithotritie. Au bout de 6 mois, une consultation a été effectuée dans le service hospitalo-universitaire d'orthopédie dento-faciale (ODF) du CHU Estaing de Clermont-Ferrand afin d'évaluer la possibilité de lingualer les secteurs incisifs maxillaire et mandibulaire. À l'issue de cette évaluation, une thérapeutique initiale orthodontique par multi-attaches a été décidée afin de pouvoir lingualer les incisives mandibulaires. Une fois le secteur antérieur mandibulaire repositionné, les incisives maxillaires seront remplacées par quatre implants mis en place selon un protocole d'avulsion, implantation et mise en esthétique immédiates. L'espace mésio-distal disponible entre les deux canines maxillaires permet le positionnement de quatre implants dans le respect des volumes osseux périphériques de chacun d'entre eux. Dans ce contexte de pulsion linguale, le recours à quatre implants solidarisés par une prothèse provisoire immédiate, associée à un ancrage osseux adéquat, autorise une mise en fonction immédiate.
Une implantation de type I, selon la classification de Buser [], associée à une régénération osseuse guidée et complétée par une apposition sous-périostée de fibrine riche en plaquettes (platelet rich fibrin, PRF) [] a été planifiée pour la patiente.
Les avulsions atraumatiques de 12, 11, 21 et 22 sont réalisées dans un premier temps à l'aide d'un périotome et d'un davier. Une incision intrasulculaire puis crestale de pleine épaisseur est ensuite effectuée de 13 à 23, suivie du décollement d'un lambeau muco-périosté. Un curetage minutieux des alvéoles déshabitées est ensuite réalisé à l'aide d'une curette et d'une pince gouge. Avant la pose des implants, une incision périostée vestibulaire est faite afin de pouvoir évaluer précisément le volume disponible pour la régénération osseuse guidée (ROG) et éviter toute pression sur le matériau de greffe. Une incision périostée en fin d'intervention aurait induit un saignement non maîtrisé lors de la fermeture du lambeau entraînant une pression interne du caillot sur le matériau de greffe, ce qui aurait pu avoir pour conséquence une résorption plus importante de ce dernier [] (fig. 2).
Quatre implants Naturactis® (ETK), de 4 mm de diamètre et 10 mm de longueur, ont été choisis pour cette intervention. Le corps cylindro-conique associé à des spires autotaraudantes leur confère une grande stabilité primaire. Leur connexion juxta-osseuse de type conique permet une gestion facilitée du profil d'émergence en limitant les risques d'infiltration grâce à une meilleure étanchéité implant-pilier par rapport à une connexion externe.
Les implants en position 11 et 21, déterminants pour l'esthétique, sont placés en premier, en fonction du projet prothétique. Ce dernier est matérialisé par la réalisation d'un montage diagnostique par cire ajoutée (céroplastie) permettant la conception d'un modèle de travail sur lequel sera secondairement conçu un guide chirurgical estampé en résine.
Puis les implants en situation de 12 et 22 sont mis en place.
Les quatre implants ont été insérés avec un torque de 30 Ncm.
Après leur mise en place, les implants 11 et 21 présentent un espace par rapport aux remparts alvéolaires mésiaux, distaux et vestibulaires associé à une déhiscence vestibulaire. En revanche, les implants sur 12 et 22 ne présentent aucun défaut osseux notable.
Quatre piliers Esthétibase conçus pour la CFAO (ETK) sont transvissés sur les implants avec un couple de serrage de 25 Ncm avant de réaliser les procédures d'aménagement tissulaire (fig. 3).
Une régénération osseuse guidée est mise en œuvre au niveau des quatre implants. Des granules cortico-spongieuses allogéniques (Allodyn CS fine®, OST-Développement) d'un diamètre compris entre 0,25 et 0,80 μm sont utilisées. Le recours à l'os allogénique doit permettre d'obtenir une plus grande quantité d'os natif sur les surfaces implantaires exposées de 11 et 21 du fait de la meilleure substitution des matériaux allogéniques par rapport aux autres familles de substituts osseux disponibles sur le marché []. L'intégration plus rapide de ces matériaux, 4 mois en moyenne, a aussi été un facteur déterminant pour cette indication.
Après avoir comblé les défauts alvéolaires sur 11 et 21, les corticales vestibulaires de l'ensemble des implants ont également été recouvertes de granules allogéniques afin de compenser les phénomènes de résorption.
Les granules cortico-spongieuses allogéniques sont ensuite recouvertes par une membrane de collagène bovin (Dynamatrix®, Keystone Dental SAS) qui présente un temps de résorption de 3 mois, compatible avec la cinétique cicatricielle du biomatériau sous-jacent (fig. 4 et 5).
En début d'intervention, 4 tubes de 9 cm3 de sang du patient ont été prélevés et centrifugés à 2 500 tr/min pendant 12 minutes afin d'obtenir 4 membranes de PRF selon la technique décrite par Choukroun []. Avant la suture, elles sont disposées sur la membrane de collagène dans le but d'accélérer la fermeture muqueuse au cours de la première semaine de cicatrisation. Le site est enfin suturé, sans tension, par points simples au niveau des papilles avec un fil Vicryl® 4.0 résorbable (fig. 6 à 8).
Dès la fin de la phase chirurgicale, la cicatrisation gingivale commence. Cette phase de maturation des tissus mous est particulièrement importante pour la réussite esthétique du traitement. Elle doit permettre de façonner un profil d'émergence en harmonie avec le reste de l'arcade. En ce sens, une temporisation par prothèse amovible ne répond pas aux objectifs fixés. Il a donc été fait le choix d'une temporisation par mise en esthétique immédiate d'une prothèse supra-implantaire fixée.
Pour cela, les piliers du type Esthétibase associés aux capuchons de cicatrisation et de transfert optique (ou corps de scannage) Iphysio® (Lyra) ont été utilisés. La plupart des fabricants d'implants proposent des piliers qui permettent le collage d'une pièce prothétique. Ils sont constitués d'une partie cervicale assurant la connexion avec l'implant et d'une partie plus coronaire sous la forme d'un tube qui permet le collage de la pièce prothétique tout en assurant l'accès à la vis de transfixation. Les piliers sont mis en place en fin de chirurgie et équipés immédiatement avec les capuchons enchâssés en friction. Lors de la mise en place des implants, il faut veiller à positionner ceux-ci de telle sorte qu'un des côtés de l'hexagone situé dans la connexion conique soit positionné parallèlement à la corticale vestibulaire. En effet, il y a, sur le pilier Esthétibase, un ergot dont le rôle est de s'opposer à la rotation de la suprastructure que l'on viendra coller dessus. Il permet également l'orientation du capuchon afin d'exploiter au mieux l'anatomie de ce dernier (fig. 9 à 12).
Ces capuchons avaient initialement un double rôle : participer à la formation du profil d'émergence et servir de transfert d'implant lors d'une empreinte optique. À ces deux principaux rôles, il est possible d'en ajouter un troisième, celui de support d'une couronne provisoire conçue pour rétablir l'esthétique et contribuer à l'élaboration du profil d'émergence. En effet, ces capuchons viennent s'enclencher en friction sur les piliers, ce qui leur assure une excellente stabilité et une rétention tout aussi bonne permettant la mise en place d'une couronne provisoire sans utilisation de ciment de scellement. Cette couronne provisoire est facilement démontable sans qu'il soit nécessaire de dévisser le pilier pendant toute la phase de cicatrisation. En effet, il a été suggéré que le fait de démonter les piliers lors du traitement prothétique pouvait entraîner une perte de l'étanchéité de l'attache épithéliale à l'origine d'une inflammation et d'ulcérations de la gencive marginale [].
Après 2 mois de cicatrisation, des couronnes provisoires individuelles (Vita Enamic®, Vita) ont été fabriquées par CFAO après réalisation d'une empreinte optique de situation (caméra Trios 2®, 3Shape) et modélisation à partir du logiciel 3Shape® puis usinées sur une usineuse Lyra. Ces couronnes provisoires ont ensuite été assemblées sur les capuchons de protection au moyen d'une résine PMMA (polyméthacrylate de méthyle) (fig. 13).
L'utilisation d'une résine composite pour réaliser les prothèses provisoires de deuxième génération facilite les modifications de forme par adjonction de matériau composite qui adhère à ce support et permet une excellente finition des ajouts. Au cours de cette phase de temporisation, les prothèses provisoires vont jouer leur rôle classique dans l'approche esthétique de la forme et de la taille des dents et aideront à l'intégration des futures prothèses d'usage qui en seront la copie fidèle. Après 6 mois de temporisation, la stabilisation complète du parodonte est obtenue (fig. 14). À ce stade, l'empreinte optique finale peut être réalisée. Les couronnes provisoires sont déposées des piliers, quatre nouveaux capuchons de protection sont mis en place et l'empreinte optique est réalisée. Une empreinte optique des prothèses provisoires en place complète les enregistrements. Elle permettra de copier la morphologie des restaurations transitoires qui ont été validées aux niveaux esthétique et fonctionnel par le praticien et le patient.
Les fichiers enregistrés sont adressés, via Internet, au laboratoire de production (Lyra) avec les références des piliers et des capuchons utilisés. Dans la situation clinique décrite ici, ont été utilisés, pour les quatre piliers, des capuchons de la plus petite taille (type A parmi trois tailles possibles) avec une hauteur transgingivale de 1 mm.
À l'aide de ces informations, le logiciel de modélisation peut positionner la réplique de l'implant dans le modèle virtuel.
Dès le début du traitement, la décision de réaliser des couronnes scellées sur piliers personnalisés a été prise. Les piliers et les couronnes sont modélisés grâce au logiciel 3Shape®, à partir d'une bibliothèque morphologique, puis adaptés à la situation clinique. Le contour des piliers personnalisés est usiné, dans un premier temps en zircone, et vient compléter par collage les piliers Esthétibase. Ensuite, les couronnes sont usinées en céramique renforcée au disilicate de lithium et seront scellées
Au retour du laboratoire, les piliers et les couronnes sont essayés. Des modifications de forme, au niveau des bombés vestibulaires et des lignes de transitions, sont détectées, nécessitant les corrections nécessaires au laboratoire (fig. 15).
En remplacement d'un simple maquillage de surface des éléments prothétiques et afin d'obtenir un résultat esthétique optimal, il a été décidé de réaliser une réduction homothétique du volume cosmétique (ou cut back) des suprastructures réalisées. Pour cela, un modèle de travail en résine a été imprimé grâce au fichier.stl réalisé lors de l'empreinte optique.
Au laboratoire, la première étape a consisté à harmoniser les différents volumes par meulages sélectifs puis un léger ajout de cire a été effectué de façon à corriger les bombés. Ensuite, des clés en silicone ont été réalisées afin de conserver les volumes souhaités qui seront reconstitués en céramique d'apport (fig. 16 et 17).
Après les cuissons de cristallisation, une stratification simple de trois poudres est mise en place.
La modification des bombés vestibulaires est réalisée à l'aide d'une masse dentinaire, puis deux masses incisales sont stratifiées pour la reconstitution d'un bord libre plus naturel (fig. 18 et 19). Un glaçage termine le processus de stratification cosmétique (fig. 20).
Les techniques actuelles de CFAO et d'usinage, en attendant l'impression 3D de poudres de céramique, ne sont pas encore du niveau cosmétique que pourra atteindre un bon céramiste. Néanmoins, la CFAO permet d'affranchir le prothésiste des contraintes techniques liées à l'ajustage cervical des éléments prothétiques sur leur infrastructure. Les couronnes sont usinées dans des blocs de céramique produite industriellement et renforcée au disilicate de lithium, bénéficiant ainsi de qualités mécaniques et optiques nécessaires pour approcher les objectifs fonctionnels et esthétiques définis lors du plan de traitement implanto-prothétique. La CFAO permet également d'obtenir une morphologie standardisée des éléments prothétiques réalisés, ce qui se traduit par un résultat convenable sur le plan esthétique, qui peut cependant être amélioré. Ainsi, il est aisé de personnaliser ces restaurations prothétiques par des retouches sur la forme, soit par meulage soit par adjonction de matériau cosmétique, garantissant l'obtention d'un résultat compatible avec les attentes du patient traité (fig. 21).
Julien Duroux
Praticien hospitalier
8, rue Ernest-Renan
63000 Clermont-Ferrand
Maxime Collangette
Praticien hospitalier
7, rue de l'Arsenal
63400 Chamalières
Cyril Travers
Prothésiste
2 rue de Braga
63100 Clermont-Ferrand
Jean-Luc Veyrune
Professeur des Universités, praticien hospitalier
2 rue de Braga
63100 Clermont-Ferrand
LIENS D'INTÉRÊTS : les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.