De nombreuses publications récentes semblent suggérer qu'un nombre important d'implants présentent ou risquent de présenter des pathologies infectieuses localisées au niveau des tissus péri-implantaires. À l'instar de l'organe dentaire, l'accumulation de biofilm sur les surfaces implantaires pourrait déclencher une inflammation gingivale, responsable secondairement d'une destruction de l'os péri-implantaire, qualifiée de péri-implantite. Cette revue exhaustive de la littérature scientifique récente a pour objectif d'évaluer les relations entre péri-implantite et parodontite, notamment dans la constitution de leurs flores bactériennes.
Many recent publications suggest that a significant number of implants present or are at risk of developing localized infectious pathologies in the peri-implant tissues. As with the teeth, the accumulation of biofilm at the implant surfaces could trigger gingival inflammation leading to destruction of peri-implant bone, referred as a peri-implantitis. This systematic literature review aims to evaluate the relationship between peri-implantitis and periodontitis, especially in the formation of their bacterial flora, through the recent scientific literature.
La péri-implantite est une pathologie infectieuse aux symptômes multiples. Trois critères semblent émerger pour définir cette pathologie, comme cela a été proposé lors de l'European Periodontal Workshop de 2008 [] :
– une perte osseuse péri-implantaire, après remodelage initial lié à l'insertion implantaire ;
– des symptômes cliniques (saignement profus ou suppuration au sondage, douleur ou inconfort ressentis par le patient) ;
– une notion de progressivité (aggravation de la perte osseuse par observation de clichés radiographiques standardisés).
D'après Maruyama et al. [], la parodontite serait caractérisée par une flore associant de nombreux germes pathogènes, notamment des bactéries, des complexes rouge et orange dénommées « parodontopathogènes ».
Depuis une décennie, la flore bactérienne retrouvée dans la péri-implantite a souvent été comparée et jugée similaire à celle retrouvée dans les parodontites. Longtemps considérée comme « miroir » de la maladie parodontale, comme certaines études parues récemment le suggèrent [], la péri-implantite pourrait correspondre à une pathologie plus complexe. En effet, des tests diagnostiques utilisant la méthode métagénomique ont permis de mettre en évidence de nouveaux agents pathogènes présents au niveau des sites où elle est présente. Dès lors, la question de la spécificité de la flore bactérienne associée à chaque pathologie se pose.
L'objectif de cette revue systématique de la littérature récente est d'évaluer les relations entre parodontites et péri-implantites, et ce notamment dans le cadre de leurs flores bactériennes respectives.
Les données et résultats exposés dans cet article s'appuient sur l'analyse de publications scientifiques récentes. La stratégie de recherche de ces articles a été menée par informatique à l'aide de la base de données de la National Library of Medicine (Medline, PubMed) ainsi que par recherche manuelle. Le champ de recherche a concerné uniquement des articles de revues indexés, rédigés exclusivement en anglais, entre les années 2007 et 2017 (fig. 1).
L'équation de recherche a été : « Comparaison des flores bactériennes concernant les parodontites et la péri-implantite ». Les mots-clés, ou associations de mots-clés, utilisés ont été : ((periodontitis) OR (periodontal disease))AND ((microflora) OR (microbiota) OR (microbiome)) AND ((peri-implantitis) OR (implant disease) OR (peri-implant disease) OR (peri-implant pathology)).
Les publications qui ont été retenues dans cette revue de la littérature correspondaient à des études randomisées contrôlées (RCT, randomized controlled trial) ou comparatives ou à des revues narratives ou systématiques et à des méta-analyses.
Les publications non retenues concernaient des rapports de cas ou des études où la définition et les caractéristiques cliniques retenues de la péri-implantite ne répondaient pas aux critères de l'European Periodontal Workshop de 2008 [] (perte osseuse + symptomatologie clinique + notion temporelle/rapidité de l'évolution).
Les filtres utilisés ont été les suivants : « articles publiés dans les 10 dernières années », « articles concernant les humains », « écrits en anglais ».
La majorité des 20 publications retenues correspondait à des études cas/témoins ou transversales de faible niveau de preuves (grade C) selon le protocole de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, aujourd'hui Haute Autorité de santé (tableau 1).
Du fait de l'hétérogénéité des méthodes diagnostiques utilisées pour déterminer la présence d'une péri-implantite, les articles étudiant la flore bactérienne ont pu être classés en trois catégories selon ces tests diagnostiques (tableau 2) :
– technique d'observation bactérienne via culture et microscope à contraste de phase, 1 article : Tabanella et al. [] ;
– techniques moléculaires fondées sur l'hybridation ADN – amplification en chaîne par polymérase ou polymerase chain reaction (PCR), test du « damier » ou checkerboard –, 14 articles : Quirynen et al. [], Renvert et al. [], Shibli et al. [], Máximo et al. [], Casado et al. [], Jankovic et al. [], Mombelli et al. [], Al-Radha et al. [], Cortelli et al. [], Persson et al. [], Canullo et al. [], Verdugo et al. [], Canullo et al. [], Zhuang et al. [] ;
– techniques métagénomiques basées sur le séquençage ADN, 5 articles : Dabdoub et al. [], da Silva et al. [], Maruyama et al. [], Kumar et al. [], Rakic et al. [].
Les techniques citées ci-dessus seront détaillées plus amplement dans la partie discussion de cette revue.
Parmi les articles retenus, seule l'équipe de Tabanella et al. a utilisé la méthode de culture bactérienne []. Dans l'environnement péri-implantaire sain, les auteurs ont retrouvé principalement des cocci à Gram positif et des bacilles non mobiles ainsi qu'un nombre limité de bactéries anaérobies à Gram négatif semblables à ceux d'une flore parodontale « saine ». La transition vers la flore « pathologique » était associée à une augmentation de bactéries anaérobies à Gram négatif (notamment Aggregatibacter actinomycetemcomitans), de bacilles motiles et de spirochètes, pathogènes également retrouvés dans les sites « actifs » des parodontites agressives.
Quatorze auteurs ont usé de méthodes diagnostiques moléculaires lors de leur diagnostic bactérien : Quirynen et al. [], Renvert et al. [], Shibli et al. [], Máximo et al. [], Casado et al. [], Jankovic et al. [], Mombelli et al. [], Al-Radha et al. [], Cortelli et al. [], Persson et al. [], Canullo et al. [], Verdugo et al. [], Canullo et al. 2016 [], Zhuang et al. []. Ils retrouvent tous une flore très similaire entre parodontite et péri-implantite.
Une association de bactéries anaérobies est observée au sein de l'environnement péri-implantaire pathologique [, ], tout comme des bactéries du complexe orange (Prevotella intermedia, Peptostreptococcus micros, Fusobacterium nucleatum) et du complexe rouge (Porphyromonas gingivalis, Tannerella forsythia, Treponema denticola) [, , ]. Seuls quelques pathogènes semblent différencier les deux flores, comme le cytomégalovirus pour Jankovic et al. [] ou Staphylococcus aureus pour Mombelli et al. [].
Des bactéries « agressives » pouvaient par ailleurs être retrouvées à l'entrée de la poche péri-implantaire tels que Fusobacterium ou encore Porphyromonas micra [, ] (fig. 2). Cependant, les sites présentant une péri-implantite, associés à une profondeur de poche plus importante que les sites « sains », étaient caractérisés par une plus grande quantité non seulement de ces bactéries agressives mais également de bactéries du complexe rouge [, , ].
Enfin, dans une étude comparative de 2006, Quirynen et al. [] ont retrouvé ces bactéries parodontopathogènes seulement 2 semaines après mise en fonction prothétique au niveau de l'environnement péri-implantaire. À ce stade, le type de bactérie parodontopathogène retrouvée était semblable, indépendamment de la profondeur de poche.
Cinq auteurs ont employé la technique métagénomique pour le diagnostic bactérien (tableau 1) : Dabdoub et al. [], da Silva et al. [], Maruyama et al. [], Kumar et al. [], Rakic et al. [].
Dans leur étude cas/témoin de 2014, Maruyama et al. ont cherché à analyser la flore bactérienne de 20 patients []. La moitié de cet échantillon présentait une parodontite, l'autre une péri-implantite. Les auteurs ont retrouvé là encore des bactéries du complexe rouge, mais ces dernières ne constituaient pas la majorité du microbiote observé. D'autres associations de pathogènes, pratiquement absentes des flores parodontales, étaient retrouvées comme Prevotella nigrescens et Prevotella oris.
D'après les travaux de Kumar et de da Silva (études de grade C), les flores des parodontites et de la péri-implantite seraient très différentes, des associations de pathogènes étant caractéristique de chaque infection [, ]. Dans l'étude transversale de Dabdoub et al. en 2013, la flore parodontale pathologique était associée à une plus grande diversité de pathogènes. Les bactéries du type staphylocoque et tréponème étaient, quant à eux, plus spécifiques de la péri-implantite [].
La récente méta-analyse de Rakic et al. (grade A) avait pour objectif d'étudier la composition de la flore péri-implantaire pathologique []. De cette revue de la littérature, il est possible de noter que dans les publications où des techniques métagénomiques étaient employées, des pathogènes encore non répertoriés au sein de la flore péri-implantaire ont pu être isolés, ces derniers consistant surtout en des bactéries du type bâtonnet à Gram positif non saccharolytique. Rakic et al. ont souligné le rôle important que jouerait le virus d'Epstein-Barr dans la virulence de l'infection au sein des tissus péri-implantaires pathologiques, les parodontopathogènes connus (P. gingivalis et A. actinomycetemcomitans) étant quant à eux présents en faible quantité. Ces auteurs ont également rapporté une certaine similarité des flores bactériennes au niveau de l'environnement péri-implantaire sain et pathologique. Cependant, les bactéries pathogènes étaient plus diverses et présentes en plus grand nombre au niveau des sites des mucosites et, surtout, des péri-implantites. Inversement, dans une étude de faible niveau de preuve, Da Silva et al. ont étudié une flore de péri-implantite et rapporté des différences notables en termes de diversité bactérienne par rapport aux sites sains [].
La culture bactérienne associée à une analyse au microscope à contraste de phase est la technique la plus ancienne dans la détection bactérienne. L'analyse par un opérateur d'un échantillon fourni permet de recueillir des informations sur l'ensemble des bactéries qui y sont visibles. Cette recherche « classique » permet de diagnostiquer la présence des bactéries dont le nombre est important dans le microbiote observé, notamment les bactéries parodontopathogènes colonisant très rapidement les tissus péri-implantaires [, ].
Les techniques moléculaires, mises au point il y a environ 20 ans, ont permis une optimisation de la détection et des protocoles de culture bactérienne. Elles reposent sur le concept d'hybridation d'ADN bactérien à l'aide de « récepteurs » présélectionnés. Il s'agit en réalité de sondes utilisant le matériel génétique de bactéries répertoriées, principalement des bactéries parodontopathogènes, pour capter par la suite ces mêmes bactéries prélevées dans l'environnement oral. L'hybridation ADN ne permet donc pas de diagnostiquer des bactéries « inconnues », mais seulement d'identifier des bactéries spécifiques qui font l'objet de la recherche entreprise. Ainsi, il est logique de retrouver, dans le microbiote des péri-implantites, des germes semblables à ceux des parodontites [].
La technique métagénomique ciblée consiste à séquencer un unique gène présent dans plusieurs pathogènes. Ce gène doit être commun à plusieurs espèces tout en présentant des régions suffisamment variables afin de discriminer une espèce. Le gène de l'ARN 16S est le plus communément utilisé dans la cartographie du microbiote oral, car il est présent uniquement chez les bactéries. Cette technique permet ainsi de cartographier des communautés bactériennes de manière encore plus rapide et complète qu'avant, en évitant la nécessité des cultures bactériennes, tout en permettant la détection de nouveaux pathogènes partageant une même séquence d'ADN. De ce fait, cette technique est la plus fréquemment rapportée dans la littérature scientifique récente [, , , ].
La littérature scientifique analysée montre une absence de standardisation concernant la définition de la péri-implantite, rendant très difficiles les comparaisons entre les études sélectionnées. En effet, de nombreux prélèvements ont été effectués dans des sites ou d'autres auteurs n'auraient pas considéré l'environnement péri-implantaire comme « pathologique », biaisant ainsi la relation entre flore bactérienne et symptômes cliniques. En outre, de nombreux auteurs rapportent les limites du saignement au sondage et du sondage lui-même, comme moyen de diagnostic de la péri-implantite [, ].
Le sondage péri-implantaire peut en effet être considéré comme physiologique jusqu'à 8 mm, biaisant d'autant les résultats des différentes études publiées. Par ailleurs, il s'avère souvent complexe de déterminer l'étiologie précise d'une perte osseuse marginale péri-implantaire détectée, son ampleur pouvant être attribuée à tort à un processus pathologique. Ainsi, un remodelage péri-implantaire physiologique peut également faire l'objet d'un diagnostic erroné. Il est à noter que les méthodes de prélèvement semblent constituer un biais dans l'étude de toute flore bactérienne, dans le sens où l'utilisation d'une curette ou d'une pointe de papier pour prélever un échantillon « perturbe » l'organisation tridimensionnelle du biofilm [, ].
Néanmoins, à l'issue de cette revue exhaustive de la littérature scientifique concernant la composition des flores bactériennes étudiées et en fonction des éléments apportés par chacun des auteurs cités, plusieurs points essentiels peuvent être soulignés.
Il existerait une colonisation de l'environnement péri-implantaire récent par les bactéries présentes au niveau des dents adjacentes en 2 semaines environ []. Des bactéries parodontopathogènes sont ainsi retrouvées dès la cicatrisation des tissus péri-implantaires après mise en fonction prothétique [, ]. La quantité de ces bactéries augmenterait avec l'accroissement de la profondeur de poche lorsque survient une pathologie [, ].
Durant la dernière décennie, les résultats des travaux obtenus avec les techniques de diagnostic par hybridation ADN ont conduit à considérer les flores péri-implantaires et parodontales pathologiques comme très similaires, voir « communes ». Les nouveaux outils de séquençage ADN ont récemment permis de revenir sur ce constat. En effet, de nouveaux germes pathogènes ont été mis en évidence au niveau de l'environnement péri-implantaire pathologique. En complément d'un nombre accru de bactéries commensales parodontopathogènes, ces sites présentent également d'autres associations de bactéries et micro-organismes opportunistes, comme le virus d'Epstein-Barr [, ].
Une hypothèse émise par l'équipe de Rakic et al. [] serait que ces derniers types de germes pourraient potentiellement engendrer un effet de « bascule » au contact de la flore initialement présente qui deviendrait dès lors agressive, entraînant l'environnement péri-implantaire « stable » vers un état pathologique sous certaines conditions.
Pour ces auteurs, ces conditions peuvent être définies par tout facteur de risque entraînant une accumulation de micro-organismes au sein du biofilm recouvrant la surface implantaire. Ainsi, malgré une transition vers l'état pathologique qui semble similaire au mécanisme des parodontites, à savoir une infection « mixte » due à une association de pathogènes, l'environnement péri-implantaire « pathologique » ne peut être limité à une simple copie de celui retrouvé dans les parodontites []. La découverte de nouveaux pathogènes ainsi que l'importante diversité des symptômes cliniques pouvant être associés aux péri-implantites pourraient laisser à penser qu'il existe non pas une mais des péri-implantites, avec chacune leur microbiote précis.
Enfin, le faible nombre d'études de haut niveau de preuve ne permet pas, à ce jour, d'identifier clairement des pathogènes qui seraient uniquement spécifiques aux sites atteints de péri-implantite.
La cartographie précise de la flore péri-implantaire est complexe. L'analyse de la littérature scientifique récente montre que la flore péri-implantaire pathologique est, certes, proche de celle retrouvée dans la parodontite mais que de nouveaux pathogènes sont détectés grâce à l'évolution des techniques de diagnostic. Malgré un mécanisme similaire d'évolution et peut-être de déclenchement, ces deux infections semblent ainsi être caractérisées par des flores qui apparaissent assez différentes.
Néanmoins, du fait du faible nombre d'études scientifiques de haut niveau de preuve et de l'absence de consensus précis quant au diagnostic clinique de la péri-implantite, il semble prématuré de soutenir avec validité la thèse d'une spécificité de flore bactérienne associée à une pathologie de l'environnement péri-implantaire.
Pierre Weidmann
Ancien interne en odontologie, AHU
DUCICP
Université Paris 7
Hôpital Rothschild (AP-HP)
Jacques Attias
DUCICP (Université Paris 7)
DUCPPI (Université Paris 11)
Université Paris 7
Hôpital Rothschild (AP-HP)
Responsable formation PACT Implant
les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.