Implant n° 4 du 01/11/2016

 

MODE D'EMPLOI

C. Huard / G. Bonnet / M. Cubertafon / J.L. Veyrune  

Résumé

Une bonne stabilité primaire et l'absence de micromouvements durant la phase de cicatrisation sont deux facteurs essentiels au développement de l'ostéo-intégration. En ce qui concerne la mise en charge immédiate, la littérature scientifique internationale met l'accent sur l'importance de l'utilisation d'une armature rigide pour relier les implants de 48 à 72 heures après leur mise en place.

Cet article décrit la procédure appelée ALLINBAR® (ETK) qui permet de réduire le délai entre la mise en place des implants et la pose de la prothèse à 6 heures. Le modèle est préparé avec des répliques de piliers Tétra® et monté sur articulateur par le laboratoire de prothèses. Les piliers à ailettes sont disposés sur les répliques de pilier Tétra® de façon à construire l'armature. Les ailettes sont ensuite solidarisées entre elles par soudure laser. Les dents sont montées sur l'armature selon le montage directeur préalablement établi. L'armature ALLINBAR® permet d'obtenir une armature usinée rigide en titane sans faire appel à un centre d'usinage. Les avantages d'une telle procédure sont de réduire le temps où le patient est édenté à quelques heures et de permettre une excellente stabilité des implants, gage d'une bonne ostéo-intégration.

Summary

Immediate loading with ``all in bar'' technic

Good primary stability and no micromovements during the healing stage are two main factors required for a successful osseointegration. Therefore, the international literature on immediate loading emphasizes the importance of using a rigid framework on an interim acrylic prosthesis to bind the implants for 48 to 72 hours after implant placement. This report describes the procedure of the ETK ALLINBAR® system which can shorten this time to 6 hours. The cast is prepared with the abutment replica and mounted on an articulator by the dental laboratory. The abutments with winglets are arranged on Tetra abutments in order to create the frame. The frame is finished using laser welding to join the winglets together. Teeth are then mounted according to the validated diagnostic set-up, fixed on the frame with a self-polymerized resin, and set in the mouth. The ALLINBAR® frame containing abutments with winglets constitutes a rigid milled titanium frame which is obtained without using an outside milling center. The advantages of such a procedure are to reduce the toothless period of patients while providing the excellent implant stability required for good osseointegration.

Key words

immediate loading, rigid framework, milling titanium framework, primary stability, time saving, patient comfort/satisfaction

L'avènement des implants dentaires ostéo-intégrables peut être considéré comme l'apport majeur à la dentisterie de ces 30 dernières années. En effet, la mise en place fiable et durable de racines artificielles dans les maxillaires a bouleversé la thérapeutique de l'édentement partiel ou total. Ainsi, les patients édentés peuvent retrouver une fonction proche de celle des sujets normaux dentés, avec un confort et une esthétique comparables.

Les règles de l'ostéo-intégration sont bien connues. Les deux principaux facteurs prédictifs d'une ostéo-intégration réussie sont une bonne stabilité primaire et l'absence de micromouvements pendant la phase de cicatrisation []. En effet, la présence de micromouvements est susceptible de compromettre l'ostéo-intégration et d'aboutir à l'encapsulation de l'implant dans un tissu fibreux []. Historiquement, pour minimiser le risque d'encapsulation des implants, il était recommandé de laisser les implants libres de contraintes pendant toute la période d'ostéo-intégration (mise en nourrice), soit pendant 3 à 4 mois à la mandibule et 6 à 8 mois au maxillaire [].

Cette attente d'une cicatrisation osseuse complète pose le problème de la temporisation, les patients ne souhaitant légitimement pas rester édentés durant toute cette période. L'utilisation d'une prothèse totale amovible de transition peut être la cause de nombreux problèmes et, en particulier, induire une sollicitation anarchique des implants sous-jacents aboutissant à une perte de l'un ou de plusieurs d'entre eux. En 1990, une première étude longitudinale suggérait que les implants pouvaient être mis en charge immédiatement ou précocement au niveau mandibulaire []. Depuis, cette pratique s'est largement répandue aussi bien à la mandibule qu'au maxillaire avec des taux de succès comparables à ceux des mises en charge différées. L'ostéo-intégration des implants s'est également accélérée grâce à l'apport des états de surface sablés mordancés [].

Dans ce contexte, il est important de s'entendre sur les termes employés pour désigner les différentes périodes de temporisation entre la phase chirurgicale et la phase prothétique. On rencontre ainsi trois possibilités [] :

– la mise en charge immédiate, qui consiste à mettre les implants en fonction dans la semaine de la pose des implants (au maximum 1 semaine après la pose des implants) ;

– la mise en charge précoce où la mise en fonction s'effectue après une période d'attente comprise entre 1 semaine et 2 mois ;

– la mise en charge retardée où la mise en fonction a lieu après une attente de plus de 2 mois après la chirurgie.

En ce qui concerne les mises en charge immédiates, la bibliographie internationale propose les recommandations suivantes :

– au maxillaire, un nombre minimal de 8 implants est requis contre 5 à la mandibule. Ces implants doivent être reliés entre eux par une armature le plus rigide possible. Cependant, le nombre d'implants peut augmenter en fonction de la qualité de l'os, des forces appliquées ou des éventuelles parafonctions ;

– les états de surface sablés mordancés sont recommandés ;

– une armature rigide doit relier les implants le plus rapidement possible après leur mise en place. Généralement, il s'agit de prothèses amovibles, en résine, modifiées pour être fixées sur les implants [].

Conscient de la nécessité de respecter les impératifs de l'ostéo-intégration tout en répondant aux attentes toujours plus exigeantes des patients, l'équipe de l'Unité fonctionnelle d'implantologie orale du CHU de Clermont-Ferrand propose, dans le cadre du traitement de l'édentement total, un protocole de mise en charge immédiate postextractionnelle associant une phase de chirurgie aidée à une phase prothétique faisant appel à une armature rigide en titane coulé. La prothèse est réalisée et posée dans un délai qui ne devra pas dépasser 72 heures après la pose des implants. Grâce au protocole mis en place par la société ETK, ce délai peut être ramené à 7 heures. Le système, dénommé ALLINBAR®, se compose d'une série de piliers à ailettes (fig. 1) constituant une armature rigide en titane usiné (fig. 2). L'assemblage des ailettes peut se faire au moyen de la résine assurant la fixation des dents prothétiques ou par soudure laser. Plus particulièrement indiqué dans les cas de prothèse complète implanto-portée d'usage avec mise en charge immédiate, ce système permet de réaliser l'ensemble de la séquence (pose des implants, réalisation de la prothèse) dans la même journée. De plus, il présente l'avantage de réduire le temps où le patient reste édenté tout en assurant, une excellente stabilité des implants, gage d'une bonne ostéo-intégration []. Fort de la réalisation de 7 cas utilisant le système ALLINBAR®, ce travail se propose de décrire le protocole de réalisation d'une prothèse totale implanto-portée à armature rigide en une journée.

Préparation de l'intervention

Planification prothétique

Comme dans tout traitement implanto-prothétique, le projet prothétique doit être construit sur articulateur à partir de modèles d'étude (fig. 3). Tous les paramètres de la future prothèse doivent être évalués. Dimension verticale et situation du plan d'occlusion seront définies et objectivées par un montage directeur accompagné ou non d'une cire de diagnostic. Il est en effet très important de définir le plus précisément possible l'espace prothétique. Les implants devront impérativement se trouver à l'intérieur de ce couloir sous peine de ne pouvoir réaliser le projet prothétique tel qu'il a été envisagé.

À cet effet, une gouttière est emboutie sur un duplicata du montage directeur afin de permettre au chirurgien, avec une certaine liberté pour le choix des sites implantaires, d'inscrire l'ensemble des implants dans l'espace prothétique préalablement défini (fig. 4). Sur le duplicata, un porte-empreinte individuel ouvert est réalisé en résine photopolymérisable afin de faciliter l'empreinte de positionnement des piliers implantaires Tétra® placés sur les implants Naturactis®.

Mise en place des implants

Les implants sont positionnés avec l'aide de la gouttière qui a été perforée en face des sites sélectionnés à partir de l'examen clinique de la radiographie panoramique ou du CBCT (cone beam computed tomography) (fig. 5). Idéalement, l'axe des implants devra être perpendiculaire au plan d'occlusion pour faciliter la construction de la barre. Cela est essentiel si l'on utilise des piliers Tétra® droits qui ne permettent aucun rattrapage d'axe. Cependant, la volonté d'anguler les implants pour éviter un obstacle anatomique ou un axe de vissage trop palatin ou lingual peut justifier l'utilisation de piliers Tétra® angulés. Si ces derniers sont choisis, il faut que ce soit préalablement à la pose des implants afin de disposer alors du matériel nécessaire, à défaut de posséder un stock important de piliers. Dans tous les cas, il faudra éviter un axe implantaire incliné dans le sens mésio-distal qui imposerait au prothésiste de retravailler les ailettes afin de les rendre parallèles au plan d'occlusion. Outre la perte de temps, la dimension de l'armature dans le sens vertical sera réduite.

empreintes et occlusion

Les empreintes de positionnement des piliers sont réalisées grâce à des transferts englobés dans un matériau élastomère de type polyéther (fig. 6 et 7). L'Impregum™ qui est utilisé ici présente des qualités de rigidité et de précision une fois réticulé qui en font un matériau de choix en implantologie. De plus, en présentation Pentamix®, il est d'utilisation pratique et facilement compatible avec les règles d'hygiène du bloc opératoire (fig. 8).

L'enregistrement de l'occlusion va dépendre des conditions cliniques. Chaque fois que cela sera possible, c'est l'occlusion d'intercuspidie maximum qui servira de référence. Dans le cas contraire, c'est l'occlusion de relation centrée définie au moment de l'étude prothétique du cas qui sera transférée.

laboratoire

Le laboratoire prépare le modèle avec les répliques des piliers et monte les modèles sur articulateur. Sur le modèle, les piliers à ailettes sont agencés de façon à constituer l'armature (fig. 9). En raison de leur architecture, ils sont souples dans le sens horizontal, ce qui permet de les façonner facilement à la forme de l'arcade. Dans le sens vertical, la hauteur de l'ailette donne une grande rigidité. Les ailettes sont rectifiées en hauteur quand cela est nécessaire par rapport à l'espace prothétique disponible. L'armature est ensuite terminée par la liaison des ailettes entre elles grâce à une soudure laser qui ne demande que quelques minutes (fig. 2). On obtient ainsi en peu de temps une armature rigide en titane usiné sans avoir besoin de passer par une structure d'usinage extérieure au laboratoire de prothèses. L'armature présente tous les avantages d'une pièce usinée au niveau de l'ajustage sur les piliers et de la qualité du métal par rapport à une technique de coulée (fig. 10 et 11). Cette réalisation est à la portée de tous les laboratoires de prothèses qui possèdent une soudeuse laser. Pour les autres, la liaison des ailettes par la résine est une possibilité acceptable bien que ce ne soit pas notre choix.

Avant le montage des dents, le métal de l'armature est masqué par une couche d'opaque qui facilite également l'accroche de la résine.

Les dents sont ensuite montées sur l'armature en fonction du montage directeur qui a été validé. Après élimination de la cire, les dents sont fixées sur l'armature, dans notre cas au moyen d'une résine chémopolymérisable. La prothèse est ensuite terminée avant livraison (fig. 12 à 14). Une radiographie panoramique de contrôle permet d'objectiver la qualité de l'adaptation de l'armature sur les piliers implantaires (fig. 15).

Discussion

Passivité de l'armature

Utilisé en mise en charge immédiate sur des prothèses complètes, ce système permet de s'assurer de la passivité de l'armature. Au moment du vissage de la prothèse sur les piliers Tétra®, les implants gardent la possibilité de se déplacer très légèrement et de se repositionner en fonction de l'armature rigide. De la même manière, si les implants sont ostéo-intégrés, la mise en place des piliers à ailettes directement en bouche et leur solidarisation par une résine composite chémopolymérisable permet d'obtenir une excellente passivité de l'armature. Cette dernière option est cependant difficile à réaliser et très chronophage.

Stabilité primaire des implants

Lorsque l'on utilise une armature rigide dans les mises en charge immédiates, on peut considérer que tous les implants ont une bonne stabilité primaire quelle que soit la valeur en newtons du torque nécessaire à leur mise en place. Cette armature rigide assure ainsi une excellente stabilité primaire à l'ensemble des implants. La littérature scientifique proposait jusqu'à présent de réaliser la liaison entre les implants, lors d'une mise en charge immédiate, par une armature en résine. Celle-ci, tout en assurant une certaine rigidité, conserve un coefficient d'élasticité bien supérieur à celui d'une armature métallique. C'est cette constatation qui nous a conduits à choisir des armatures coulées en titane avec comme inconvénient une pose différée de 48 à 72 heures. Pour raccourcir ce délai, Degidi et al. proposent d'utiliser la soudure intra-orale récemment disponible pour solidariser les implants entre eux au moyen d'une barre en titane façonnée à la forme de l'arcade []. Dans cet esprit, l'armature conçue à partir des piliers à ailettes remplit parfaitement les objectifs incombant à une armature rigide quant à la stabilité des implants pendant la phase de cicatrisation osseuse. Par ailleurs, la soudure du titane n'est possible que sous argon. En ce sens, on ne peut pas qualifier de soudure la technique prônée par Degidi.

Coulée Versus usinage

L'utilisation des piliers à ailettes permet d'éviter les inconvénients liés à la coulée du titane qui est une opération délicate demandant au laboratoire de prothèses une grande expertise. Elle permet également d'obtenir une armature usinée d'usage en se dispensant de l'envoi vers un centre d'usinage, opération qui demande du temps et augmente les coûts. En fin de compte, les qualités mécaniques de l'armature ainsi obtenue se rapprochent de celles d'une armature usinée pour un coût très compétitif. En ce sens, les armatures à ailettes soudées ont un avantage sur les prothèses obtenues après soudure intra-orale. Une combinaison des deux techniques serait à explorer : mise en place et façonnage des ailettes en bouche avec chevauchement puis soudure intra-orale. Cependant, l'expérience du travail direct en bouche nous incite à continuer de passer par une empreinte et par le transfert au laboratoire des données cliniques, ce qui se traduit au final par un gain de temps.

Résistance du cosmétique à la fracture

Les piliers à ailettes disposent de perforations au niveau de leurs extensions d'un diamètre suffisant pour permettre à la résine de bien englober le métal. Cet aspect de l'architecture des piliers à ailettes avec ses nombreuses perforations de gros diamètre et son faible volume vestibulo-palatin devrait renforcer la résistance du cosmétique à la fracture. De plus, cette résistance sera augmentée si les puits de vissage sont palatins ou linguaux, ménageant ainsi plus de place pour la résine entre la barre et les dents prothétiques. Les fractures de résine, fréquentes dans ce type de réalisation, pourraient se voir ainsi réduites. Cependant, cette hypothèse reste à démontrer par le suivi de ces prothèses.

Intérêt pour le patient

Grâce à ce système, le patient bénéficie de la mise en place de sa prothèse dans la même journée que la pose des implants. De plus, s'il s'agit d'une mise en charge immédiate postextractionnelle, le patient ne reste édenté que quelques heures. Dans les deux cas, il bénéficie très rapidement du confort d'une prothèse fixée sans passer par une prothèse de transition. L'absence de prothèse de transition est également favorable à l'ostéo-intégration des implants en évitant leur sollicitation anarchique.

Intérêt pour le laboratoire

L'utilisation des piliers à ailettes permet la réalisation rapide et simple d'une prothèse complète implanto-portée à armature rigide par tous les laboratoires de prothèses. L'utilisation d'une soudeuse laser sous atmosphère d'argon est à notre sens souhaitable. Cependant, la liaison des ailettes entre elles par de la résine base permet d'obtenir des résultats satisfaisants.

En revanche, les piliers à ailettes ne sont utilisables que sur les piliers des implants ETK, ce qui limite leur usage. Une évolution vers une gamme plus étendue de piliers et d'implants serait de nature à favoriser le développement de cette procédure.

Conclusion

Ce protocole présente l'avantage de réduire le temps où le patient reste édenté, tout en assurant une excellente stabilité des implants, gage d'une bonne ostéo-intégration. De plus, les armatures ainsi réalisées peuvent l'être à un coût très compétitif, facilitant ainsi l'accès aux traitements implanto-prothétiques pour le plus grand nombre.

En revanche, il demande une attention accrue de la part du chirurgien qui devra impérativement placer les implants à l'intérieur du volume prothétique et de préférence perpendiculaires au plan d'occlusion pour assurer le succès esthétique et fonctionnel de la restauration.

BIBLIOGRAPHIE

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Cédric Huard
Docteur en chirurgie dentaire
Praticien hospitalier
CHU de Clermont-Ferrand
Service d'odontologie,
63000 Clermont-Ferrand

Guillaume Bonnet
Docteur en chirurgie dentaire
Assistant hospitalo-universitaire
Clermont University, University of Auvergne
CROC EA4847
BP 1044
63000 Clermont-Ferrand
CHU de Clermont-Ferrand
Service d'odontologie,
63000 Clermont-Ferrand

Maxime Cubertafon
Docteur en chirurgie dentaire

Jean-Luc Veyrune
Docteur en chirurgie dentaire
Professeur des Universités, praticien hospitalier
Clermont University, University of Auvergne
CROC EA4847
BP 1044
63000 Clermont-Ferrand
CHU de Clermont-Ferrand
Service d'odontologie,
63000 Clermont-Ferrand

les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.