PROTHÈSE
Le but de cet article est d'évaluer la précision du positionnement tridimensionnel d'un implant, en fonction du type d'édentement, entre sa position planifiée sur ordinateur et sa position réelle après sa pose avec un guide stéréolithographique.
The aim of this study was, according to the type of edentulouness, to evaluate the accuracy of the tridimensional position of an implant between his planned position and his real clinical position after surgery with a stereolithographic surgical guide.
Grâce aux évolutions concomitantes de l'architecture implantaire, des revêtements de surface ou du type de connexion, les taux de survie implantaires actuels de la majorité des systèmes implantaires se situent autour de 94 % après 10 années de fonction [].
Cependant, en termes de taux de succès, il existe des différences importantes en rapport notamment avec les conditions cliniques particulières qui peuvent engendrer un résultat ne répondant pas à l'ensemble des critères de qualité propres au succès thérapeutique []. En effet, un environnement osseux et/ou gingival inapproprié et une position inadéquate de l'implant peuvent entraîner une récession gingivale, une disparition des papilles ou encore compliquer la réalisation prothétique et aboutir à une prothèse disgracieuse.
Pour tenter de pallier ces aléas et pour optimiser l'insertion implantaire en fonction également d'impératifs prothétiques, la chirurgie guidée a montré son intérêt. Les évolutions rapides des algorithmes informatiques et de l'imagerie médicale permettent de réaliser des guides chirurgicaux ayant pour but de limiter le caractère aléatoire de la pose d'implants à main levée, en s'approchant des conditions optimales de gestion du volume osseux en fonction du projet prothétique [].
Pour certains auteurs, la limite d'utilisation de ces guides chirurgicaux résiderait dans une trop faible précision dans la transposition clinique de la planification virtuelle réalisée [, ].
Après avoir présenté les étapes du protocole clinique permettant de réaliser un guide chirurgical réalisé par CFAO (conception et fabrication assistées par ordinateur), cet article se propose de comparer la précision de différents guides chirurgicaux indiqués en fonction de l'importance de l'édentement traité.
Il est possible de distinguer trois catégories de guides chirurgicaux réalisés par un procédé additif utilisant la CFAO. Dans cette publication, il ne sera fait référence qu'aux guides réalisés par stéréolithographie, même si le protocole clinique de conception s'avère strictement identique quel que soit le moyen technique mis en œuvre pour la fabrication.
Ainsi, il est possible de distinguer :
– les guides à appui dentaire ;
– les guides à appui muqueux ;
– les guides à appui osseux.
Pour chacun de ces trois types de guides, il est possible de choisir entre un guide pilote, permettant de ne réaliser que le premier forage, ou un guide complet, autorisant non seulement la mise en œuvre précise de la séquence complète de forage mais également la pose de l'implant. Dans ce dernier cas, une trousse ancillaire spécifique est nécessaire ; le guide est alors équipé de canons guidant les différents forages dans les trois dimensions de l'espace, jusqu'à l'insertion de l'implant.
Quel que soit le type de guide retenu, sa conception répond à une logique et au respect d'un protocole précis.
Le traitement implanto-prothétique est dirigé par l'objectif prothétique. Ainsi, l'analyse préprothétique aboutit à la conception d'un montage directeur ou d'une céroplastie prospective (wax-up), point clé de la réussite d'un traitement implantaire.
De l'édentement unitaire à l'édentement complet, le projet prothétique doit respecter les principes fondamentaux tant esthétiques que fonctionnels. Le puzzle physiologique (biologique, fonctionnel, biomécanique et esthétique) impose une gestion rigoureuse des étapes thérapeutiques dans lesquelles la conception du guide doit s'intégrer avec pertinence.
Dans un but didactique, les différentes phases du traitement précédant la réalisation d'un guide stéréolithographique seront présentées pour chaque type d'édentement en distinguant les édentements partiels, encastrés ou non, de l'édentement complet.
Une empreinte primaire de qualité, coulée en plâtre dur, est nécessaire (fig. 1 et 2). En effet, une déformation de l'empreinte ou un mauvais enregistrement des tissus durs ainsi que des tissus mous peut être source d'imprécisions et altérer la qualité du futur guide. En cas de port d'une prothèse amovible, un duplicata prothétique peut être réalisé. Cependant, la conception d'un projet réalisé en cire par addition (céroplastie prospective ou wax-up) sur le modèle initial s'avère de plus grande précision.
Ce projet en cire doit répondre aux principes fondamentaux d'une prothèse esthétique et fonctionnelle.
Le modèle issu de l'empreinte, sans wax-up, est scanné au laboratoire (fig. 3) à l'aide d'un scanner optique de table ; puis le même modèle, équipé avec le montage validé en cire, est également scanné (fig. 4). Les fichiers .stl obtenus sont ensuite transmis au praticien qui organise la planification implantaire.
Un scanner ou un CBCT (cone beam computed tomography) est ensuite prescrit au patient, permettant d'obtenir des fichiers DICoM (digital imaging and commnication in medecine) qui seront ensuite chargés dans le logiciel d'imagerie.
À l'aide du module de superposition et des fichiers .stl, l'image virtuelle du montage en cire est repositionnée sur l'image 3D issue des données DICoM (fig. 5 et 6).
Les dents présentes sur l'arcade maxillaire, de part et d'autre de la zone édentée, contribuent au recalage des acquisitions et à leur superposition pour obtenir une reconstruction globale finale tridimensionnelle.
Pour un édentement complet, la démarche est légèrement différente du fait de l'absence de dents comme références communes entre les différentes acquisitions.
L'empreinte primaire doit être suivie d'une empreinte secondaire afin d'obtenir un enregistrement optimal des tissus mous.
L'analyse esthétique et fonctionnelle, réalisée à l'aide d'un montage directeur avec des dents prothétiques du commerce (fig. 7 et 8), va orienter la proposition thérapeutique. Lorsque la perte de substance est importante, la nécessité d'une fausse gencive pour restaurer un soutien labial harmonieux indique, par exemple, une restauration prothétique transvissée du type pilotis. Dans les autres situations, un bridge conventionnel scellé ou transvissé pourra être envisagé.
Un duplicata du montage directeur en résine servira de guide radiologique (fig. 9 et 10). Ce dernier sera équipé de repères radio-opaques, par exemple sous forme de 6 billes de 2 mm de diamètre collées sur l'extrados du guide, situées dans des plans différents dans les régions vestibulaire et palatine.
Une clé de positionnement en élastomère siliconé est réalisée en occlusion, permettant au patient de parfaitement caler son guide en bouche lors de l'examen radiologique.
À ce stade, un examen complémentaire du type CBCT ou scanner est prescrit, guide en place. Il est également demandé une imagerie du même type, concernant le guide seul placé sur une platine mais orienté lors de l'acquisition dans une situation similaire à la position clinique.
Les fichiers DICoM obtenus sont ensuite enregistrés dans le logiciel d'imagerie et, grâce au module de « double scan » du logiciel, la superposition des données est effectuée (fig. 11 et 12).
Dans les deux situations présentées ici, une fois les fichiers superposés, le praticien peut effectuer la planification implantaire (fig. 13 à 19). Ainsi, le positionnement virtuel des implants sera organisé afin de favoriser une mise en place optimale en respectant les critères tridimensionnels de positionnement nécessaires à l'obtention d'un résultat satisfaisant tant sur le plan esthétique que fonctionnel.
Une fois la planification des implants effectuée, il est possible de choisir un type de guide en fonction du protocole opératoire retenu et du type d'édentement traité (fig. 20).
Selon le type d'édentement, le choix sera effectué entre un guide à appui dentaire et un guide à appui muqueux ou osseux.
Une précaution complémentaire doit être envisagée, avant la réalisation du guide, en rapport avec l'ouverture buccale du patient. Une ouverture limitée doit conduire soit à rediscuter l'indication de ce type de protocole dans les secteurs postérieurs, soit à prévoir un guide autorisant une insertion latérale des forets et ainsi réduire la hauteur nécessaire pour l'engagement des instruments dans le canon de forage.
En 2012, dans une étude in vitro réalisée sur 6 arcades mandibulaires, Soares et al. [] montrent l'absence de différence significative entre la position spatiale des implants sur la planification virtuelle et la localisation des implants sur les modèles implantés à l'aide d'un guide stéréolithographique.
L'étude in vivo de D'Haese et al. [], sur 77 implants posés sur 13 patients à l'aide de guides stéréolithographiques, montre qu'il n'existe pas de différence significative de déviation du centre de l'implant, évaluée au niveau coronaire, entre la position de l'implant planifié et celle de l'implant posé. Cependant, ces auteurs mettent en évidence une différence de la position du centre apical, différence de situation qui augmente avec la longueur de l'implant.
En 2013, Arisan et al. [] montrent qu'il existe une différence significative de positionnement tridimensionnel de l'implant entre une chirurgie à main levée et une chirurgie guidée.
En 2013, Cassetta [] compare la position de 227 implants posés dans le cadre d'une chirurgie guidée. Le premier groupe de patients bénéficie de la pose de 116 implants à l'aide de guides successifs (groupe A), le deuxième groupe reçoit 57 implants à l'aide d'un guide unique fixé avec au moins 3 clavettes (groupe B1) et, dans le troisième groupe, 54 implants sont posés à l'aide d'un guide unique sans vis de fixation (groupe B2). Les résultats ne révèlent pas de différence significative de positionnement entre ces trois groupes. Ils montrent cependant une plus grande précision des guides à appui dentaire et osseux, sauf dans le cas de guides successifs où le guide à appui muqueux serait plus précis.
Arisan et al. ont montré à deux reprises, en 2010 [] et en 2013 [], la supériorité en termes de précision du positionnement tridimensionnel des implants posés avec des guides à appui muqueux par rapport à ceux posés avec des guides à appui osseux.
Pour un édentement encastré, un guide à appui dentaire représente la solution de choix (fig. 21 et 22).
D'après Ozan et al. en 2009 [], un guide à appui dentaire serait plus précis qu'un guide à appui muqueux. De plus, cette précision augmenterait avec le nombre de dents, permettant la stabilisation du guide, à condition que ces piliers dentaires soient non mobiles.
L'étude réalisée en 2015 par Geng et al. [] compare la précision entre les guides à appui dentaire et ceux à appui muqueux. Sur un total de 111 implants, 52 sont posés à l'aide d'un guide à appui dentaire et 59 insérés à l'aide d'un guide à appui muqueux. En se fondant sur la position du col de l'implant, celle de son apex ainsi que sur l'angulation implantaire, ils trouvent une différence significative en faveur des guides à appui dentaire.
Pour les édentements de grande étendue, en particulier les édentements complets, le choix du type de guide se pose. Deux situations cliniques différentes sont à apprécier.
Dans la première, le site de l'édentement complet est cicatrisé : les deux types de guides à appui muqueux (fig. 23 à 25) ou osseux sont envisageables.
Les guides à appui muqueux doivent être fixés à l'aide de vis d'ostéosynthèse (fig. 25) pour éviter toute mobilité lors de la réalisation des forages.
Ce type de guide permet de réaliser une chirurgie sans lambeau entraînant ainsi une diminution de la durée de l'intervention, de l'œdème et de la douleur postopératoire []. Dans la situation où les implants sont posés au travers du guide, il n'y a pas de possibilité de vérification du site de forage ni du niveau d'enfouissement des implants. De plus, il faut également porter une grande attention à l'irrigation pour éviter l'échauffement osseux.
Une grande précision dans la réalisation du guide et dans le choix du matériel ancillaire est donc indispensable. Ainsi, une longueur du canon de forage trop courte se traduira par une imprécision lors de la préparation du site à implanter.
Les guides à appui osseux nécessitent également d'être fixés à l'aide de vis d'ostéosynthèse car la simple rétention sur le volume osseux est souvent insuffisante pour obtenir une immobilisation parfaite dans une situation précise. Cette technique impose la réalisation d'un lambeau assez large afin d'éviter toute interférence avec les tissus environnants qui pourraient modifier la position du guide. En effet, l'appui osseux doit être d'au moins 30 mm dans le sens mésio-distal afin d'assurer une bonne stabilité [].
Contrairement aux guides à appui muqueux, ce type de guide permet de réaliser des plasties osseuses, qu'elles soient soustractives ou additives. Une régénération osseuse guidée peut ainsi être envisagée. Dans le cas d'extraction-implantation immédiate par exemple, un curetage ainsi qu'un comblement de l'espace entre l'implant et la paroi osseuse peuvent être réalisés si nécessaire.
Dans la seconde situation, l'édentement de grande étendue est associé à la persistance de quelques dents qui seront extraites le jour de l'intervention.
L'imprécision liée au volume osseux résiduel après les avulsions dentaires impose la réalisation d'un guide à appui osseux (fig. 26 à 33), qui sera ou non fixé à l'aide de vis d'ostéosynthèse ou de clavettes.
Dans certaines situations cliniques, une plastie osseuse peut être planifiée. Si l'on veut conserver la précision du guide stéréolithographique, il est fortement conseillé de prendre en compte la densité osseuse. L'ostéoplastie virtuelle d'un os de type I mandibulaire, en zone symphysaire, est difficile à reproduire cliniquement avec précision malgré un guide d'écrêtage parfaitement ajusté. Si le guide de forage est réalisé sur la planification virtuelle de la plastie osseuse, son adaptation risque d'être compromise par une ostéoplastie délicate à réaliser cliniquement.
Dans le cas d'un édentement encastré de faible étendu avec des dents adjacentes ne présentant pas de mobilité, un guide à appui dentaire apparaît être la solution de choix.
Dans les situations cliniques d'édentement complet, il s'avère plus pertinent de retenir un guide à appui muqueux avec des vis de fixation. Ce choix est également favorisé par la diminution des suites postopératoires.
Toujours dans le cadre d'une intervention en situation d'édentement complet, lorsque des modifications de volume osseux sont nécessaires, il faudra plutôt s'orienter vers un guide à appui osseux.
Les imperfections de positionnement des implants posés dans le cadre d'une chirurgie guidée sont liées aux nombreuses imprécisions préalables mais cumulées lors de la planification. Les étapes d'élaboration du projet prothétique, de l'empreinte primaire à la réalisation du montage directeur, ainsi que la duplication de ce montage sont des sources d'imprécision significatives précédant la réalisation d'un guide de positionnement stéréolithographique. De même, une stabilité imparfaite ou une erreur de situation du guide d'imagerie conduit à des acquisitions erronées ou difficilement exploitables lors des opérations de fusion des différents fichiers. C'est pourquoi il est indispensable d'adopter des protocoles stricts afin d'atteindre une précision optimale.
La prédictibilité de la position des implants ouvre également d'autres perspectives. Il est en effet possible, dans les cas d'implantation-temporisation immédiate implanto-portée, de confectionner des piliers définitifs personnalisés avant la chirurgie afin d'obtenir un profil d'émergence optimal et d'éviter ainsi les multiples phases de visage/dévissage nécessaires lors de la réalisation de la prothèse d'usage []. Cependant, si le positionnement des piliers s'avère excellent, l'aléa le plus important concerne la prédictibilité du niveau gingival final, particulièrement dans les zones antérieures esthétiques [].
Au-delà de la gestion des facteurs d'imprécision, il est essentiel de rappeler que la chirurgie guidée nécessite une connaissance clinique des différentes techniques chirurgicales et prothétiques ainsi qu'un apprentissage inhérent aux spécificités de ces protocoles de planification virtuelle.
Pierre Journel
Titulaire du DUCICP Paris 7,
Titulaire du CES de parodontologie Paris 5,
Exercice privé
25 rue Racine
76600 Le Havre
Guillaume Drouhet
Attaché du DUCICP Paris 7
Attaché d'enseignement du diplôme universitaire de reconstruction pré-implantaire Paris 7
Cofondateur de la formation PACT Implant
Exercice privé
4 rue Chomel
75007 Paris
les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.