La mise en place immédiate d'un implant en site infecté a longtemps été considérée comme une contre-indication. Qu'en est-il aujourd'hui? À travers l'analyse de la littérature scientifique récente, cet article se propose d'évaluer la validité d'une telle stratégie chirurgicale et, le cas échéant, de définir un protocole fiable et reproductible.
The immediate placement of an implant in an infected site has been considered as a contraindication for a long time. Is this still the case today? The goal of this publication is to evaluate the validity of such surgical strategy and try to define a reliable and reproducible protocol, on the basis of the recent scientific litterature.
La perte d'une dent entraîne de nombreuses perturbations tant fonctionnelles et esthétiques que psychologiques. L'implantologie est une réponse sûre et prédictible pour contribuer au traitement des édentements. La stratégie thérapeutique conventionnelle décrite originellement par Brånemark nécessitait de laisser cicatriser l'alvéole postextractionnelle pendant 3 à 6 mois avant la pose de la restauration, puis d'attendre l'ostéo-intégration entre 4 et 8 mois avant d'installer la prothèse []. De nombreux auteurs ont proposé de placer l'implant immédiatement dans l'alvéole d'extraction pour bénéficier d'un volume osseux favorable avant la résorption osseuse alvéolaire et ont rapporté des taux de survie implantaire similaires à ceux obtenus lors d'une implantation conventionnelle.
Cependant, si l'infection présente au niveau des dents destinées à être extraites a été longtemps considérée comme une contre-indication à la mise en place immédiate d'un implant, car pouvant nuire à l'ostéo-intégration [], la littérature scientifique récente semble montrer que l'extraction-implantation immédiate dans des sites infectés pourrait néanmoins être une thérapeutique fiable.
Le but de cet article est d'évaluer la fiabilité d'une telle thérapeutique et, le cas échéant, d'établir les procédures cliniques adaptées pour la mettre en œuvre.
Novaes et al. [], en 1998, ont été les premiers à proposer un article scientifique décrivant l'insertion immédiate d'un implant dans un site infecté.
Dès 1999, sur un échantillon de 109 implants, Rosenquist et Grenthe [] montrent un taux de survie implantaire de 93,6% lorsqu'ils implantent immédiatement dans des sites infectés. Cependant, ils notent que pour les sites présentant une infection parodontale, le taux de succès est plus limité, d'environ 92%, contrairement aux sites où l'extraction a été réalisée pour d'autres raisons et qui bénéficient d'un taux de 95,8%.
Novaes et al. [], en 2003, dans une étude animale, montrent qu'une lésion parodontale n'est pas une contre-indication à l'extraction-implantation immédiate si toutes les précautions préopératoires et postopératoires sont respectées, notamment la prise d'antibiotiques ainsi qu'un débridement et un nettoyage méticuleux de l'alvéole avant l'implantation.
En 2007, Lindeboom et al. [] montrent qu'une infection chronique péri-apicale ne contre-indique pas l'extraction-implantation immédiate.
Dans les études de Crespi et al. de 2010 [], le niveau de l'os marginal des implants placés dans une alvéole présentant une infection d'origine parodontale est similaire à celui des implants placés dans des alvéoles saines. Au bout de 48 mois, les auteurs constatent même une augmentation du niveau de l'os péri-implantaire au niveau de ces sites. Ils expliquent ce taux de succès par la disparition des agents pathogènes responsables de l'infection. Les bactéries anaérobies présentes sur le site et la variation vers le développement d'un environnement aérobie après l'extraction ainsi que le curetage de l'alvéole entraîneraient l'éradication de la flore bactérienne anaérobie à l'origine de l'infection.
Cependant, Nelson et Thomas [] ont montré, après l'extraction de dents présentant une pathologie apicale, la persistance de bactéries dans l'os remodelé qui auraient le potentiel d'être réactivées durant la chirurgie implantaire.
De manière similaire, Ayangco et Sheridan [] avaient évoqué la possibilité de voir se développer une péri-implantite rétrograde dont l'origine serait la persistance bactérienne consécutive à l'échec du traitement endodontique ayant indiqué une extraction, et ce malgré un curetage alvéolaire minutieux.
Fugazzotto [], en 2012, montre dans une étude rétrospective que des implants placés dans des sites avec une pathologie péri-apicale chronique ou aiguë présentent le même taux de succès que ceux placés dans des sites d'extraction sains.
Le même auteur, dans le cadre d'une étude rétrospective [], compare des implants placés dans des sites infectés à ceux placés dans des sites sains chez le même patient. Il observe que les deux traitements donnent des résultats comparables sans différence statistiquement significative en termes de taux de survie implantaire.
Dans l'étude prospective de 5 ans de Jung et al. publiée en 2013 [], l'essentiel de la perte osseuse marginale survient au cours des 12 premiers mois. Cette phase initiale de perte osseuse est suivie par une phase de stabilité dans laquelle le niveau de l'os marginal ne change quasiment pas.
Durant la période d'observation de 5 années, la hauteur des papilles interproximales se maintient ou parfois même augmente après la pose de la restauration prothétique. Aucune récession des tissus gingivaux n'est constatée.
Jofre et al. [], en 2012, détaillent un protocole, présenté sous la forme d'un diagramme didactique, pour la prise en charge de ces patients (fig. 1).
Plus récemment, plusieurs revues systématiques rapportent un taux de survie implantaire élevé, comparable à celui d'une implantation dans un site non infecté, étayant l'hypothèse que des implants peuvent être placés consécutivement à l'extraction de dents présentant une lésion endodontique ou parodontale, que la lésion soit aiguë ou chronique, sans conséquences négatives sur la survie de ces implants [-].
Néanmoins, dans une méta-analyse portant sur 1 586 implants, Zhao et al. [], en 2016, modèrent ces conclusions en montrant que la mise en place d'implants dans des sites infectés pourrait augmenter le risque d'échec sans impacter le niveau de l'os marginal. Ces auteurs notent cependant que les périodes de suivi des études ne sont pas assez longues pour dégager une conclusion définitive sur le sujet.
Tous les auteurs s'accordent sur le fait que la décision de la mise en œuvre de la technique d'extraction-implantation immédiate est conditionnée par la possibilité d'obtenir une stabilité primaire suffisante (fig. 2 à 10).
L'extraction doit être conduite de manière atraumatique afin de préserver l'os environnant [, ]. L'utilisation d'instruments chirurgicaux adaptés, par exemple le syndesmotome de Bernard, les périotomes ou des inserts destinés aux extractions lors de la piézochirurgie [], permet de rendre cette intervention la moins traumatisante possible pour le tissu osseux.
Toutes les études montrent qu'un débridement minutieux est un élément indispensable du traitement. Le tissu de granulation doit être méticuleusement éliminé à l'aide de fines curettes [-].
Après le débridement mécanique, l'alvéole d'extraction doit être décontaminée. Pour cela, la chlorhexidine à 0,12% en irrigation est fréquemment utilisée et fait office de référence []. D'autres moyens de décontamination ont été décrits, comme celui proposé par Montoya et al. [] où l'alvéole d'extraction est nettoyée avec du peroxyde d'hydrogène à 90%, puis irradiée avec un laser erbium-chromium: yttrium-scandium-gallium-garnet (Er, Cr: YSGG) et irriguée finalement à l'aide d'une solution saline stérile. Le laser avec une longueur d'onde de 2 780 nm est préconisé pour sa capacité à éliminer le tissu infecté avec un minimum d'effets indésirables sur les tissus environnants. Son pouvoir décontaminant permettrait une réduction de 98% des bactéries pathogènes. Kusek [] rapporte que ce laser permettrait une décontamination du site trois fois plus rapide que les méthodes traditionnelles.
Dans une étude sur 168 implants, Blus et al. [] utilisent comme moyen de décontamination des ultrasons, durant 30 s à 72 W, pour leur effet de cavitation. Ces auteurs attribuent un effet bactéricide à ce phénomène de cavitation ultrasonore en milieu liquide, diminuant la charge bactérienne dans les sites infectés. Ils rapportent des taux de survie implantaire de 100% et 94,4% pour des sites présentant respectivement une infection chronique et aiguë ainsi que de 98,8% pour le groupe contrôle concernant des sites non infectés.
En ce qui concerne l'utilisation d'antibiotiques en irrigation dans l'alvéole, il est difficile de statuer sur leur réelle efficacité car ils sont à chaque fois utilisés en association avec une antibiothérapie systémique [].
Le critère principal pour une implantation immédiate dans une alvéole présentant une lésion péri-apicale est l'obtention d'une stabilité primaire de l'implant après le débridement et non l'importance de la lésion elle-même [].
Un implant de large diamètre permet de diminuer la taille de l'espace autour de l'implant placé dans des alvéoles d'extraction de dimensions variables [].
Dans leur article, Jofre et al. [] préconisent d'utiliser un implant conique avec une surface traitée car cela permettrait d'augmenter la stabilité primaire en réduisant la distance entre la paroi de l'alvéole et l'implant, tout en augmentant la surface de contact avec l'os. Si le couple d'insertion excède 35 Ncm, une restauration provisoire peut être envisagée, en prenant soin d'éviter tout contact occlusal. Cette temporisation immédiate contribue au résultat esthétique final et à la satisfaction du patient.
Pour Meltzer [], il est nécessaire de combler systématiquement l'espace résiduel autour de l'implant avec un matériau de type xénogreffe. Si l'espace excède 2 mm ou s'il y a un enjeu esthétique, alors une membrane collagénique est utilisée comme barrière pour une régénération osseuse.
Selon la méta-analyse réalisée par Clementini et al. [], il peut être conclu que la mise en place immédiate d'un implant sans matériau de comblement ne prévient pas le remodelage alvéolaire après l'extraction de la dent. Cependant, les données scientifiques actuellement disponibles ne permettent pas de définir clairement le fait qu'une association avec une technique de régénération serait utile pour prévenir cette résorption alvéolaire.
Selon Marconcini et al. [], une dent infectée est associée à une flore bactérienne présente dans l'alvéole. En réaction à cette présence microbienne, un tissu de granulation se développe dans le cadre de la réponse inflammatoire, constituant par ailleurs une barrière physique avec l'os environnant.
Ainsi, l'extraction de la dent infectée, l'élimination du tissu de granulation et une antibio-prophylaxie appropriée doivent réduire la réponse inflammatoire et le processus de résorption osseuse.
Le contrôle de l'inflammation dans le site implantaire par une antibio-prophylaxie établirait une nouvelle balance homéostatique entre la résorption osseuse et la néoformation osseuse, réduisant d'autant le risque d'échec implantaire.
Dans l'étude rétrospective de Bell et al. [] portant sur 922 implants, tous les patients bénéficient d'un traitement antibiotique par voie intraveineuse. Mais il est impossible de savoir si les antibiotiques ont un effet sur la survie implantaire car tous les patients en ont reçu. La seule variable qui a significativement affecté le résultat est la présence d'une pathologie péri-apicale au niveau des dents adjacentes à l'implant.
Une revue systématique récente [] suggère que le bénéfice des antibiotiques en administration systémique n'est pas fondé scientifiquement car aucune étude ne compare l'implantation immédiate dans un site infecté avec et sans antibiotiques en administration systémique.
Dans leur article, Jofre et al. [] utilisent la chlorhexidine en bains de bouche 24 heures après la chirurgie. Cette molécule est considérée comme étant la référence en termes d'agent antiseptique en raison de son spectre antimicrobien et de sa capacité à réduire la formation de plaque. La chlorhexidine favorise la bonne santé de la cavité buccale durant la phase postopératoire en prévenant la croissance microbienne et, donc, elle favorise la diminution du risque de complications postchirurgicales.
L'extraction-implantation immédiate dans un site infecté est une méthode qui présente des taux de survie et de succès similaires à ceux de l'extraction-implantation immédiate dans un site non infecté.
Le consensus établissant que la stabilité primaire de l'implant, le débridement rigoureux et la décontamination sont des prérequis pour cette procédure semble s'imposer.
En revanche, si la décontamination du site alvéolaire apparaît indispensable, il ne se dégage pas de technique de décontamination dont l'efficacité serait supérieure à une autre.
En outre, la pertinence de l'antibiothérapie prophylactique n'est pas scientifiquement prouvée du fait de l'absence de groupe témoin sans antibiothérapie dans l'ensemble des études publiées.
Si la littérature scientifique présente d'excellents résultats pour l'extraction-implantation immédiate dans des sites infectés par des lésions parodontales ou apicales, il est nécessaire de disposer d'études à long terme de haut niveau de preuve pour valider définitivement une procédure précise de décontamination du site opératoire alvéolaire postextractionnel.
Maxime Bouvart
Attaché d'enseignement au DUCICP, université Paris 7
9, rue Saint-Symphorien
51100 Reims
Jacques Attias
Attaché d'enseignement au DUCICP, université Paris 7
15, parvis de la Défense
92092 Paris-La Défense
les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.