ÉDITORIAL
Rédacteur en chef
À l'heure où j'écris ces lignes, l'Europe vit deux moments d'une rare intensité. Un tournoi de football et un référendum au Royaume-Uni. Dans les deux cas, nous sommes abreuvés d'opinions, de commentaires, d'avis éclairés d'une foule d'intervenants qui détiennent la connaissance à défaut de la vérité.
À ce titre, ayons une pensée émue pour nos personnalités politiques ou médiatiques qui vont devoir mobiliser tout leur savoir pour prendre position en peu de temps sur...
À l'heure où j'écris ces lignes, l'Europe vit deux moments d'une rare intensité. Un tournoi de football et un référendum au Royaume-Uni. Dans les deux cas, nous sommes abreuvés d'opinions, de commentaires, d'avis éclairés d'une foule d'intervenants qui détiennent la connaissance à défaut de la vérité.
À ce titre, ayons une pensée émue pour nos personnalités politiques ou médiatiques qui vont devoir mobiliser tout leur savoir pour prendre position en peu de temps sur le 4-4-2 contre l'Islande ou l'impact du Brexit sur l'économie de la Dordogne. Qui plus est, elles devront défendre les qualités de grimpeur de Cavendish, la limpidité du contenu de son bidon et les avantages du 46 × 18 en pignon fixe.
Pour ma part, je l'avoue avec honte, je n'ai ni connaissances ni compétences dans le ballon rond ou la pédale et j'entends souvent avec beaucoup de circonspection le bruyant concert de ceux qui savent et répondent de manière définitive à de nombreuses questions qui ne m'ont jamais paru à ce point essentielles.
Durant un des nombreux exercices de zénitude imposés par les difficultés de la circulation automobile liées aux grèves diverses et variées, la crue presque centennale et les délires écolo-urbanistiques de certains responsables de notre capitale, je m'interrogeais sur ce miracle de la célébrité qui conférait à l'heureux élu la connaissance encyclopédique légitimant la possibilité d'une prise de position définitive sur n'importe quel sujet.
Dans notre domaine professionnel de connaissances et de compétences, ce type de vanité n'est heureusement pas possible. L'evidence based a remplacé l'eminence based dentistry, la lecture critique et l'analyse de la littérature scientifique font partie du cursus de l'étudiant ainsi que du quotidien de l'enseignant et du clinicien. Il n'est plus question d'opinions, même d'experts, mais en première intention de faits et de niveaux de preuve scientifique.
Même si je suis tout à fait convaincu des bénéfices réels de la méthode scientifique et de l'exégèse fondée sur PubMed, qu'il me soit pardonné de regretter un peu la faconde et le jugement parfois par trop tendancieux de certains de nos maîtres qui rendaient souvent plus humaine la transmission de connaissances cliniques ou scientifiques parfois arides. Actuellement, formés avec les mêmes outils et méthodes, chacun peut théoriquement prétendre à la même connaissance scientifiquement avérée afin de conforter sa pratique et prendre la parole pour l'exposer.
Néanmoins, par pure malice, je vous livre quelques éléments de réflexion issus de la littérature scientifique.
Le premier concerne la complexité du contrôle des biais statistiques se traduisant par une tendance à conclure de manière erronée dans de nombreuses études scientifiques publiées, y compris dans des revues internationales de haute renommée (en moyenne 14 þ 1 % d'erreurs de résultat). Une deuxième information intéressante est issue d'un article traitant de la longévité de la « vérité scientifique ». À l'issue d'une période étudiée de 55 années, 60 % des conclusions des publications sélectionnées pouvaient être considérées comme toujours scientifiquement pertinentes. Enfin, dans une étude américaine concernant la littérature accessible pour la formation continue des médecins généralistes, il a été montré que le volume mensuel total des publications pertinentes nécessiterait une lecture de plus de 600 heures, soit environ 26 journées...
Au vu de ces quelques résultats, il ne paraît donc pas inconcevable de ne pas avoir toute la connaissance sur un sujet, y compris sur celui ou ceux sur lesquels nous pensons avoir quelques lumières.
Ainsi, sans entrer dans un débat épistémologique, peut-être est-il possible de s'accorder sur le fait que pour réellement « savoir », c'est-à-dire approcher une parcelle de vérité scientifique fragile et fugace, la ténacité et l'humilité sont de meilleurs atouts que la rapidité avec laquelle il est facile d'affirmer une opinion.
Au moment où vous lirez ces lignes, la France ne sera pas championne d'Europe de football, les Britanniques auront un nouveau premier ministre, les vacances seront finies et nos préoccupations seront tournées vers d'autres événements moins sportifs. Alors, bon courage à tous et bonne lecture !
1. Ioannidis JP. Why most published research findings are false. PLoS Med 2005;2:e124.
2. Jager LR, Leek JT. An estimate of the science-wise false discovery rate and application to the top medical literature. Biostatistics 2014;15:1-12.
3. Poynard T, Munteanu M, Ratziu V, Benhamou Y, Di Martino V, Taieb J et al. Truth survival in clinical research: an evidence-based requiem? Ann Intern Med 2002 18;136:888-895.
4. Alper BS, Hand JA, Elliott SG, Kinkade S, Hauan MJ, Onion DK et al. How much effort is needed to keep up with the literature relevant for primary care? J Med Libr Assoc 2004;92:429-437.