Implant n° 2 du 01/05/2016

 

IMPLANT

Docteur MIHAELA CARAMAN  

Exercice privé Paris 16e
et Hôpital américain de Paris
Docteur en chirurgie dentaire Paris 7
D.U. Clinique d'Implantologie
Chirurgicale et Prothétique Paris 7
Maîtrise en Sciences Biologiques et Médicales Paris 7
D.U. de Parodontologie Clinique Paris 7
D.U. Clinique de Chirurgie osseuse pré-implantaire Paris 7

Comment venir en aide à ceux qui en ont besoin à travers le monde et transmettre ses connaissances dans les meilleures conditions ? Avec quelle organisation ? Et surtout, pour quelles motivations ? Pour Implant, le docteur Mihaela Caraman, exerçant à Paris en activité libérale, partage son expérience au sein de l'organisation Dentistes Sans Frontières pour laquelle elle s'est portée volontaire et a effectué des missions humanitaires en Uruguay. Rencontre.

En tant que praticien ayant un exercice ciblé en chirurgie et implantologie, comment vous est venue l'idée de participer à une mission humanitaire à l'autre bout du monde ?

Mihaela Caraman : Par pur hasard ! Avec mon mari (le docteur Richard Losfeld, N.D.L.R.), nous souhaitions visiter l'Uruguay et nous sommes tombés sur le rapport d'une action humanitaire réalisée en Uruguay par des dentistes, sous l'égide de Dentistes Sans Frontières, une organisation basée au Canada. Nous avons donc contacté l'organisation Terre Sans Frontières et nous avons rencontré le responsable à Paris en 2014. Le contact avec lui fut facile et le hasard a voulu qu'il soit lui-même uruguayen habitant au Canada. Il nous a expliqué que financièrement et matériellement, ce type d'action était souvent difficile à organiser. Pourtant, durant notre préparation en France, il y a eu une telle énergie autour de nous, tant d'aides, de sollicitations que, au final, nous avions près de 60 kg de matériel à emporter ! Nous avons fait un premier constat : dès qu'il s'agit d'une action humanitaire, comme par magie, toutes les portes s'ouvrent.

Nous avons effectué un premier voyage de contact en 2015 pour voir les installations, les lieux où nous allions travailler et, surtout, ce dont nous avions besoin. Cette première visite s'est avérée très favorable, en totale concertation avec le gouvernorat local de Rocha (sud-est de l'Uruguay, N.D.L.R.). Notre première action humanitaire a eu lieu au sein d'une école, située en zone défavorisée. Nous avions un camion équipé, sorte de cabinet dentaire, financé par l'ambassade du Japon (voir photo). Sur place, nous avons fait des actions de dépistage, des soins, des interventions ou encore de l'enseignement à l'hygiène bucco-dentaire.

 

Mais quel a été le facteur déclenchant, le déclic menant à votre engagement ?

M.C. : Nous cherchions une action humanitaire. Pourquoi ? Je ne sais pas. C'est une bonne question. Pourquoi nous sommes-nous engagés ? Parfois la vie nous mène, il suffit de dire oui. L'action humanitaire, c'est se laisser embarquer dans le bon sens des choses. Et une fois qu'on a mis le doigt dedans, on ne souhaite qu'avancer, que progresser dans cette démarche. Il n'y a pas eu de facteur déclenchant, c'est une conjonction de facteurs, de bienveillances, de rencontres, de hasards.

 

Votre démarche ne s'inscrit-elle pas dans cet état d'esprit anglo-saxon qui consiste à « rendre à la communauté », à restituer les avantages dont nous avons bénéficié ?

M.C. : Aider des personnes qui en ont vraiment besoin, si on en a l'occasion et qu'on peut le faire, ça me paraît normal. Il s'agit bien sûr d'un effort. Nous étions exténués car nous avons dû organiser notre engagement en plus de nos activités, de nos permanences, et prévoir nos actions humanitaires pendant nos vacances et durant 1 semaine. Mais lorsque les choses se font naturellement, pour le bien commun, tout devient facile. Il ne s'agit pas réellement de « rendre à la communauté » mais, plutôt, de participer, de se rendre disponible. Je trouve dommage de ne pas pouvoir aider ceux qui en ont besoin, surtout si on est en capacité de le faire.

 

Quel bilan, professionnel et humain, retirez-vous de ces expériences ?

M.C. : Humainement, nous avons reçu plus que ce que nous avons donné. La première action était une école, la deuxième un orphelinat. Ce type d'aventure est d'une richesse indescriptible. L'accueil sur place était extraordinaire. Les enseignants, les élèves, les enfants nous ont progressivement accordé leur confiance. Nous avons reçu des dessins, des mots qui nous ont beaucoup touchés. C'est très difficile pour moi de restituer ces sentiments. Dès qu'on essaye de verbaliser l'émotion ressentie et la richesse d'un tel échange, on perd une partie de sa valeur. C'est indicible. Il faut le vivre pour le comprendre.

Professionnellement, la difficulté est de parvenir à s'adapter, aux conditions et au matériel proposé notamment. Également, du point de vue de l'enseignement, on apprend aux enfants qu'on peut soigner sans douleur, car au début ils sont terrorisés. Le fait de voir qu'une anesthésie peut se passer sans douleur rassure immédiatement. Ensuite, il ne faut pas croire qu'on va soigner tout le monde en 2 semaines. Il faut créer du lien avec le personnel sur place, œuvrer dans la continuité et l'apprentissage. On ouvre une voie, on sensibilise pour que les soins et l'hygiène quotidienne perdurent.

L'Uruguay est un pays plus équipé que certaines régions d'Afrique par exemple. Il y a des structures, des hôpitaux. Le matériel était stérilisé sur place. La population est renseignée et équipée. Les habitants ont un accès théorique aux soins et à l'enseignement. La réalité baisse avec le niveau social. Nous avons dispensé des messages de sensibilisation aux dangers de l'alimentation pour l'hygiène bucco-dentaire (boissons gazeuses sucrées, aliments sucrés, etc.) La directrice de l'école a souhaité conserver nos instructions et messages de prévention. Les enseignants de l'école comme de l'orphelinat ont souhaité que le lien perdure.

 

Ce type d'engagement vous semble-t-il fréquent dans la profession ?

MC : D'autres collègues chirurgiens-dentistes français sont engagés comme nous, à d'autres stades. Et nous avons besoin les uns des autres. Mon mari était en congrès en 2015 au Collège international des dentistes et il y a eu une session sur l'action humanitaire. Nombre de chirurgiens-dentistes ont témoigné de leur engagement humanitaire. Et on apprend beaucoup de choses, sur les modalités pratiques notamment, telles que les assurances par exemple. Les assurances de responsabilité civile françaises ne prennent pas en compte ce type de voyage.

 

Avez-vous observé des aspects négatifs à ce type d'aventure ?

M.C. : On peut toujours regarder le côté matériel de ce type d'engagement. Il n'y a pas de soutien financier. Nous ne sommes évidemment pas rémunérés. Nous avons acheté nous-mêmes nos billets d'avion. En revanche, nous avons été hébergés par le gouvernement de Rocha qui nous a également assuré les repas.

Le seul aspect négatif réel, c'est la fatigue. Pendant un an et demi nous n'avons pas eu le temps de nous reposer. Mais instantanément, je me dis qu'on a tant reçu en échange qu'on ne peut pas trouver d'aspects négatifs à ces missions. Malgré l'épuisement d'une année sans temps mort, si c'était à refaire, je recommencerais sans hésiter tant l'expérience est enrichissante.

Propos recueillis par Olivier Fromentin et Mehdi Farhat