CHIRURGIE
La restauration des secteurs postérieurs maxillaires nécessite souvent une chirurgie d'augmentation osseuse verticale sous-sinusienne. Le recours à ces interventions augmente les suites opératoires, la durée et le coût du traitement. La greffe sous-sinusienne avec implantation simultanée pourrait améliorer le rapport coût/bénéfice pour le patient. Cependant, la prédictibilité du protocole avec implantation simultanée est-elle comparable à celle du protocole en deux temps dans les cas de résorption sévère nécessitant un abord latéral ? Les taux de succès et de survie implantaire décrits dans la littérature scientifique seront présentés ainsi que les indications et les particularités chirurgicales des protocoles en un temps.
Rehabilitaion of posterior edentulous jaws often requires vertical sinus bone augmentations. Those types of surgeries increase the morbidity, the duration and the cost of the treatment. Simultaneous implantation could improve the cost-effectiveness of those surgeries. However, is the predictability of 1-stage surgeries comparable to 2-stages surgeries? In the present paper, survival and success rates described in the scientific litterature are analyzed. Indications and surgical particularities according to 1-stage protocole are also presented.
La mise en place d'implants dentaires au niveau des secteurs postérieurs maxillaires est souvent compromise par une hauteur crestale postextractionnelle réduite, conséquence de deux phénomènes physiologiques : la résorption crestale postextractionnelle [] et la pneumatisation du sinus maxillaire [] due à une pression positive continuelle liée à la respiration nasale. Ces deux processus, peu prédictibles, mènent à un volume osseux réduit.
La technique d'augmentation osseuse sous-sinusienne initialement décrite par Hilt Tatum dans les années 1970 puis publiée par Boyne et James en 1980 [] a été largement modifiée et validée lors de la conférence de consensus sur les greffes sinusiennes en 1996 [] regroupant les données de 1 007 sinus et 3 554 implants suivis pendant 3 ans. Cette synthèse de la littérature montre un taux de succès cumulé élevé des implants (90 %), quel que soit le matériau de greffe utilisé.
Néanmoins, la demande des patients conduit à faire évoluer les thérapeutiques pour tendre vers une réduction du nombre de séances cliniques, de l'inconfort peropératoire et postopératoire ainsi que de la durée du traitement tout en restant un protocole au résultat prédictible.
L'implantation et la technique de greffe simultanées pourraient donc optimiser la restauration des patients en termes de durée de traitement et de suites opératoires.
À ce jour, deux principales méthodes d'élévation avec implantation simultanée sont décrites : la technique par voie latérale et celle par voie transcrestale.
Le but de cet article est de faire le point, de manière non exhaustive, sur les différentes approches chirurgicales d'augmentation sous-sinusiennes et leurs indications, puis de comparer les taux de survie et de succès des greffes et des implants entre la technique d'augmentation osseuse sous-sinusienne par voie latérale en un temps ou en deux temps dans les cas de résorption sévère des secteurs postérieurs maxillaires pour lesquels la prédictibilité de la voie transcrestale est réduite.
Le choix de la technique d'élévation sinusienne est principalement fondé sur la hauteur crestale résiduelle (HCR) sous-sinusienne, cette variable étant directement corrélée à la stabilité primaire implantaire. Bien qu'elle ne soit pas la seule qu'il faille prendre en compte, elle est le plus souvent utilisée en recherche clinique (fig. 1).
Zitzmann et Schärer [] ont proposé, en 1998, une hiérarchie de sélection du traitement fondée sur la corrélation entre la hauteur résiduelle de crête et le taux de survie implantaire. Ces auteurs recommandent l'élévation sinusienne par voie crestale pour une HCR supérieure à 6 mm et lorsqu'une élévation de 3 à 4 mm est attendue. Pour des hauteurs plus faibles (entre 4 et 6 mm), l'approche latérale avec implantation simultanée est indiquée. Finalement, dans les cas de résorption sévère avec une HCR inférieure à 4 mm, l'approche latérale avec implantation différée est recommandée.
Les connaissances scientifiques plus récentes ont fait évoluer ces recommandations.
En 1994, Summers a décrit une technique d'élévation sous-sinusienne par voie transcrestale [] pour une hauteur crestale résiduelle supérieure ou égale à 6 mm. Selon lui, la prédictibilité de cette technique semble moins importante pour des hauteurs plus faibles. Cette hauteur limite a été réévaluée à 5 mm en 1999 par Rosen et al. [] qui ont montré un taux de succès implantaire de 96 % pour une hauteur résiduelle supérieure ou égale à 5 mm et qui décroît fortement (85,7 %) pour des hauteurs sous-crestales inférieures ou égales à 4 mm.
Il est actuellement admis que cette technique est indiquée pour des hauteurs résiduelles de crête de 5 à 8 mm, avec un plancher sinusien relativement plat. L'utilisation d'implants à surface modérément rugueuse avec une morphologie légèrement conique ou un col de diamètre supérieur au corps permettrait d'obtenir une stabilité primaire suffisante [] (fig. 2 à 5).
En 2002, grâce à un contrôle endoscopique intra-sinusien, Nkenke et al. [] ont montré un risque accru de rupture de la membrane de Schneider à partir d'une élévation sous-sinusienne de 3,0 þ 0,8 mm en moyenne.
L'inconvénient majeur de cette technique est le risque potentiel de perforation incertain de la membrane ainsi que son contrôle difficile. La présence de septa et d'apex antraux augmenterait le risque de perforation [].
Dans les cas de résorption sévère des secteurs postérieurs maxillaires, une hauteur crestale résiduelle très faible ne permet pas d'obtenir de façon prédictible, par voie crestale, une stabilité primaire satisfaisante pour l'ostéo-intégration. Par ailleurs, le risque de perforation de la membrane sinusienne augmente.
L'efficacité et la prédictibilité de la technique de greffe sous-sinusienne par voie latérale ont été largement prouvées dans la littérature médicale, comme l'attestent les résultats de la conférence de consensus sur les greffes sinusiens en 1996 et, plus récemment, ceux de la conférence de consensus de l'European Association for Osseointegration (EAO) en 2015.
Les taux de survie et de succès des implants mis en place dans les sinus greffés sont très proches de ceux placés dans l'os natif.
Del Fabbro et al. [] montrent un taux de survie implantaire global de 95,98 % pendant une période de 12 à 75 mois.
Récemment, la revue systématique de Thoma et al. [], sur laquelle la conférence de consensus de l'EAO a fondé ses recommandations, montre un taux de survie implantaire de 99,5 % au bout de 18 mois.
Bien qu'il puisse se produire des complications chirurgicales, dont la plus fréquente est la perforation de la membrane de Schneider, les taux de survie implantaires sont proches de ceux des implantations dans l'os natif.
À ce jour, il est recommandé d'utiliser un matériau de greffe xénogénique seul [], l'apport d'os autogène n'ayant pas prouvé une supériorité en termes de taux de survie, de néoformation osseuse ou de contact os-implant. Ces résultats confirment ceux de Del Fabbro et al. [] pour lesquels le taux de survie implantaire est de 95,98 % lors d'une greffe de matériau xénogénique seul par rapport à l'os autogène seul ou au mélange os autogène/biomatériau dont les taux de survie sont respectivement de 87,70 et de 94,88 %.
Le taux d'échec de greffe est significativement réduit par l'apposition d'une membrane de collagène en vestibulaire [].
Pour conclure, la consommation de tabac est en rapport avec un taux de survie implantaire plus faible, et ce de façon dose dépendante. De plus, Anduze-Acher et al. [] ont montré, dans une étude rétrospective, une réduction significative du volume de la greffe chez le fumeur. Néanmoins, l'impact de l'arrêt du tabac ou de la durée du sevrage tabagique sur les taux de survie implantaires n'est pas clairement identifié [] (fig. 6 à 11).
Dans l'intérêt des patients, la greffe sinusienne et l'implantation simultanée limitent le nombre d'interventions et les désagréments liés aux suites opératoires, réduisent la durée du traitement ainsi que le coût du traitement pour le patient et son praticien.
Ces avantages ne doivent pas être obtenus au détriment de la prédictibilité de la thérapeutique utilisée et donc ne doivent pas réduire les taux de succès élevés.
La technique d'abord latéral et d'implantation en un temps a été recommandée par Zitzmann et Schärer lorsque la hauteur crestale résiduelle était de 4 à 6 mm. À l'heure actuelle, son indication, en fonction la hauteur crestale résiduelle est rapportée pour des hauteurs variant de 1 à 6 mm.
Il n'existe pas de preuve scientifique quant aux limites de l'indication de l'implantation simultanée.
Différents auteurs ont étudié les taux de survie et de succès implantaire en fonction des hauteurs résiduelles de crêtes. Les résultats sont exposés dans le tableau I.
Les taux de survie implantaires, lors du protocole en un temps, varient de 90 à 98 % et sont identiques aux taux de survie des implants placés après cicatrisation des greffes par abord latéral, dans les protocoles en deux temps (91,8 %) []. Cette synthèse, non exhaustive, montre des taux de succès de l'implantation simultanée comparables à ceux des implants différés lors de greffes sinusiennes par abord latéral, et ce même pour des hauteurs crestales résiduelles extrêmement faibles variant de 1 à 3 mm.
Il semble qu'une fois la stabilité primaire obtenue, cette variable n'ait pas d'influence significative sur le taux de survie implantaire à moyen terme.
Dans la revue systématique de Chao et al. [], les auteurs rapportent une tendance significative indiquant que le taux de survie implantaire augmente avec la hauteur crestale résiduelle. Cette tendance se stabilise pour des hauteurs résiduelles > 5 mm.
Une fois l'indication posée, la procédure chirurgicale est identique à celle d'une chirurgie de greffe sinusienne en deux temps, jusqu'à l'élévation de la membrane de Schneider (fig. 12 à 24).
La prémédication est également identique, à savoir :
– amoxicilline (500 mg)/acide clavulanique (62,5 mg) 1 h avant l'intervention puis pendant 7 jours ;
– prednisolone, 1 mg/kg/j pendant 4 jours ;
– furoate de mométasone, 2 pulvérisations de spray dans chaque narine pendant les trois jours précédant l'intervention.
Tout d'abord, une incision crestale supérieure à la longueur mésio-distale des futures dents à remplacer puis une incision de décharge mésiale oblique sont réalisées. Une incision de décharge distale peut être envisagée en fonction de la situation clinique, en seconde intention. Ensuite, un lambeau vestibulaire muco-périosté est récliné jusqu'à la partie inférieure du processus zygomatique de l'os maxillaire. La hauteur crestale résiduelle est reportée sur le site opératoire puis la corticotomie crestale du volet d'accès au sinus est réalisée à 2 mm au-dessus du plancher sinusien. La corticotomie est étendue en mésial de manière à longer la paroi antéro-latérale du sinus puis prolongée apicalement en fonction du gain de hauteur recherché. Enfin, les corticotomies apicale et crestale sont réunies en distal, en fonction de la longueur mésio-distale de l'édentement à compenser.
Ces fraisages osseux peuvent être réalisés à la fraise diamantée ou à l'aide d'un piézotome (fig. 18).
Le volet est ensuite retiré ou laissé en place, Puis la membrane est réclinée méticuleusement à l'aide de curettes sinusiennes. Une fois la membrane élevée, celle-ci est protégée et maintenue réclinée à l'aide d'une curette sinusienne, permettant de sécuriser le forage. Enfin, la séquence de forage est réalisée selon les recommandations du système implantaire.
La stabilité primaire étant une des clés du succès de l'intervention, il est prouvé que le sous-forage augmente le couple d'insertion des implants []. Un sous-forage de 1,4 à 1,5 mm par rapport au diamètre final de l'implant est recommandé []. Par ailleurs, la hauteur crestale résiduelle ne constitue pas le seul facteur régissant la stabilité primaire de l'implant.
La densité de cette crête résiduelle peut influencer également cette stabilité primaire. Une étude récente sur cadavres [, ] montre que la densité osseuse est un facteur majeur de la stabilité implantaire par rapport à la hauteur crestale résiduelle ou au diamètre implantaire. Le protocole de forage doit être adapté. Il peut être envisagé, en complément du sous-forage dans les cas d'os peu dense et faiblement corticalisé, d'élargir le site de forage par condensation à l'aide d'un ostéotome. Par ailleurs, le choix de la macro-architecture des implants peut également jouer un rôle dans la stabilité primaire. Il a été prouvé que les implants cylindro-coniques permettaient d'obtenir cette stabilité, notamment lors de greffes simultanées [-].
La partie médiale du sinus est ensuite comblée avec le matériau de greffe. Les implants sont insérés tout en contrôlant le torque d'insertion.
Un torque de 35 N/cm permettrait de favoriser l'ostéo-intégration [].
La portion latérale du sinus est finalement comblée puis une membrane de collagène résorbable est apposée en vestibulaire. Le lambeau est finalement suturé par des points continus ou discontinus (fig. 19 et 20).
Hormis les complications spécifiques des greffes sinusiennes par abord latéral comme les perforations de la membrane ou l'hémorragie de l'artère antrale, l'implantation immédiate expose le patient aux risques classiques liés à l'implantation.
L'une des complications ayant le moins de conséquences est l'absence de stabilité primaire. L'implant est alors déposé puis une nouvelle implantation est réalisée après cicatrisation de la greffe.
Il en est de même pour le défaut d'ostéo-intégration.
La migration intrasinusale de l'implant est également une complication décrite dans la littérature scientifique [-] même après ostéo-intégration (fig. 25 et 26).
La prévalence de ces complications n'est pas connue et l'implantation simultanée n'a jamais été, à notre connaissance, corrélée à ce type de complication. Néanmoins, pour réduire ce risque lors de protocoles en un temps, il est nécessaire d'obtenir une stabilité primaire importante, de limiter le risque infectieux en laissant les implants enfouis pendant l'ostéo-intégration, de favoriser ces protocoles en présence d'une membrane non inflammatoire et, enfin, de ne pas repousser l'indication de l'implantation simultanée dans des cas de résorption extrêmement sévère (HCR inférieure à 1 ou 2 mm).
L'implantation immédiate lors d'une chirurgie d'élévation sinusienne par voie latérale peut être une solution envisageable dans les cas de résorption sévère maxillaire pour lesquels la technique par voie transcrestale apparaît le moins prédictible. Néanmoins, les limites de son indication ne sont pas encore clairement définies. Différentes publications scientifiques montrent des taux de survie implantaires similaires à ceux des techniques d'implantation en 2 temps, c'est-à-dire après cicatrisation complète de la greffe. Cependant, ce protocole apparaît comme praticien dépendant car les modalités du protocole chirurgical, notamment la séquence de forage, doivent être adaptées à chaque situation opératoire et nécessitent donc une expérience clinique suffisante (fig. 27 à fig. 32).
Frédéric Chamieh
Docteur en chirurgie dentaire
CES parodontologie
CES prothèse fixée
Master de clinique buccale spécialisée, motion parodontologie
DU de parodontologie clinique
Diplôme universitaire approfondi en parodontologie et implantologie
Pratique exclusive
100, avenue de Villiers
75017 Paris
frederic.chamieh@gmail.com
Guillaume Anduze
Docteur en chirurgie dentaire
CES parodontologie
Ancien interne des hôpitaux de Paris
Master de clinique buccale spécialisée, motion parodontologie
DU de parodontologie clinique
Diplôme universitaire approfondi en parodontologie et implantologie
Pratique exclusive
10, rue de la Montagne
92400 Courbevoie
g.anduze@gmail.com
les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.