Aujourd'hui encore, la prise en charge des séquelles alvéolaires de fentes labio-maxillo-palatines reste problématique. Tout d'abord parce que ces fentes constituent la plus grande source de malformations faciales (prévalence d'environ 1/800 naissances) et parce qu'il existe un grand nombre de formes cliniques dont l'expression va être modifiée depuis l'état néonatal jusqu'au stade de postadolescence. En fin de croissance, le recours à la classification ACS (alveolar cleft score) permet d'orienter l'équipe thérapeutique vers une approche diagnostique et pronostique. L'odontologiste devra porter l'indication des gestes chirurgicaux et prothétiques à conduire en vue d'une restauration orale de longue durée qui devra s'inscrire dans des principes de consolidation fonctionnelle autant que de finalisation esthétique. Quelle place tient aujourd'hui l'implantologie chirurgicale et prothétique au sein de ce vrai défi thérapeutique ?
The management of cleft lift, alveolar and palate sequelae remains problematic today. Firstly because the clefts are the largest source of facial deformities (1 cleft for 800 births), and because there are many clinical forms whose expression will be changed from the neonatal stage to post-adolescence stage. At the end of growth, the use of ACS (alveolar cleft score) classification guides the therapeutic team to a diagnosis and prognosis approach. As odontologists, we will then have to bring surgical and prosthetic indications, to drive a long-term oral rehabilitation, which will bring functional and consolidation principles, as well as aesthetic outcome. What place have today surgical and prosthetic implantology in this real therapeutic challenge?
Sur le plan embryologique, les fentes labio-maxillo-palatines (FLMP) constituent un exemple d'interaction de facteurs génétiques et environnementaux []. Elles résultent d'un défaut de fusion entre les bourgeons nasaux et maxillaires qui va désorganiser l'ensemble des structures d'appui et d'animation de la face et de la base du crâne. Il se créé une rupture d'équilibre qui consacre alors un cercle vicieux d'aggravation [].
Les progrès de l'échographie anténatale permettent d'en faire un diagnostic parfois très précoce []. Depuis 2005 en France, le Comité national d'éthique de l'échographie de dépistage prénatal recommande l'exploration systématique de la face lors de l'échographie du 2e trimestre de la grossesse []. Il est alors souvent possible d'objectiver un éventuel défaut de continuité de la lèvre supérieure permettant le dépistage de la plupart des fentes faciales (à l'exception des fentes palatines strictes).
En 2016, force est de constater qu'il persiste un très grand nombre de protocoles établis dans le traitement des FLMP [, ]. Que la nature de l'approche chirurgicale initiale soit précoce et néonatale, classique entre 3 semaines et 3 mois, ou tardive entre 3 et 6 mois, on constate un certain nombre de séquelles morphologiques, dont l'une des plus défavorables et problématiques reste encore aujourd'hui le déficit alvéolaire de fin de croissance [].
En effet au stade de jeune adulte, après plusieurs interventions chirurgicales correctrices et reconstructrices, assorties d'un suivi orthodontique et orthopédique long et continu, l'alignement dentaire intra-arcade et interarcade est souvent obtenu []. Après remise en coalescence des petits et grands fragments, en fonction de la dysharmonie dento-maxillaire et du type de classe squelettique et dentaire, soit l'espace espace réservé normalement à l'incisive latérale a été fermé par mésialisation de la canine et du reste du fragment postérieur du côté fendu, soit au contraire cet espace a été aménagé pour une stabilisation ou une reconstruction prothétique de l'incisive latérale (fig. 1).
Pour l'évaluation du secteur alvéolaire de bord de fente et celle de ces indications reconstructives, les études se sont longtemps uniquement fondées sur une appréciation de la hauteur d'os alvéolaire présent sur le site de la fente et avec une approche bidimensionnelle en radiologie standard [, ]. La référence en termes de diagnostic morphologique osseux est aujourd'hui l'imagerie numérique 3D par rayons X [], en acquisition par technologie cone beam essentiellement ou scanner à défaut (fig. 2 et 3).
Par ailleurs, en dehors du déficit osseux, beaucoup de facteurs associés interviennent dans l'interprétation du cas clinique, comme la présence de défauts éruptifs, d'agénésies, de malformations dento-radiculaires, d'un chaos occlusal intra-arcade et/ou interarcade, une absence de fusion des fragments maxillaires initiaux, la persistance d'une plicature gingivale plus ou moins invaginée, la présence de brides muqueuses vestibulaires, de récessions tissulaires marginales ou encore de déficits en gencive attachée kératinisée.
Le but de cet article est de présenter les moyens actuels de prise en charge thérapeutique et de restauration prothétique finale dans les cas de FLMP (et parfois, malheureusement, d'une absence de prise en charge adaptée), d'aider l'odontologiste à pouvoir construire son diagnostic et son plan de traitement au sein d'une concertation avec l'équipe pluridisciplinaire et de discuter, à partir d'une revue de la littérature médicale, du bien-fondé ou non d'une recherche souvent trop systématisée de restauration implanto-prothétique terminale.
Au sein des centres de compétence, le traitement global est bien codifié même si les protocoles thérapeutiques restent assez variables d'une équipe hospitalo-universitaire à l'autre [, -]. Aux stades néonatal et postnatal, tant sur le plan chirurgical qu'orthopédique, les traitements cherchent à modifier au plus tôt l'environnement de la fente afin de bénéficier d'une amélioration des fonctions et par conséquent de la croissance.
Au cours de la petite enfance, la fente labiale va faire l'objet d'une correction esthétique le plus souvent très satisfaisante [-] et efficace sur la sangle musculaire [, ]. Il en va tout autrement de la fente maxillaire qui va se révéler plus difficile à reconstruire systématiquement ad integrum.
La réparation primaire a pour objectif premier la correction du défaut congénital.
La réalisation d'une chirurgie primaire et plutôt précoce (au cours des 6 premiers mois) va viser la fermeture du palais antérieur [-]. Elle va également concourir au rétablissement d'une première ébauche de continuité osseuse maxillaire. Pour Talmant, il faut pour cela une chirurgie ambitieuse dans la reconstruction anatomique mais très exigeante dans la maîtrise et la réduction des cicatrices par le choix des techniques et de leur chronologie []. Au cours de cette chirurgie multifocale (labiale et maxillaire), la fermeture du palais osseux ne nécessite qu'un décollement sans mobilisation des fibro-muqueuses ni incisions latérales, afin de ne pas laisser de zones en cicatrisation dirigée, source de troubles de la croissance antérieure et transversale []. Une greffe à but osseux dite primaire peut être engagée en denture déciduale. Elle est alors opérée soit par l'apport d'une greffe périostée (d'origine maxillaire, crânienne ou tibiale), soit par un apport osseux initial protégé par un lambeau muco-périosté de glissement antérieur (qui aura l'avantage d'apporter une bonne quantité de gencive attachée kératinisée sur le site de la fente) ou par un lambeau buccal (vestibulaire) de rotation (qui procurera plus de souplesse dans le recouvrement sans tension, mais n'apportera pas la gencive attachée kératinisée souhaitable, et qui pourra faire apparaître durablement une bride labio-alvéolaire) [].
Entre 4 et 6 ans, la fente alvéolaire est gérée par expansion maxillaire antérieure (orthopédique et orthodontique) pour rétablir une bonne fonction canine.
Enfin, la fente alvéolaire est fermée par une technique de gingivo-périostoplastie le plus souvent accompagnée par une greffe osseuse iliaque. Il s'agit donc d'une greffe secondaire (car introduite en denture mixte), parfois appelée alvéoloplastie secondaire précoce []. Elle est fondée sur trois objectifs :
– stabiliser le prémaxillaire (surtout dans les FLMP bilatérales) ;
– stimuler la croissance par le pont osseux créé ;
– éviter une intervention ultérieure couplée à la chéiloplastie.
Pour Mercier [], la gingivo-périostoplastie est un geste indispensable quel que soit l'âge auquel elle est effectuée car, outre la pérennité des dents qui la côtoient, elle rétablit la clé de voûte de l'édifice alvéolo-maxillaire. Il est toutefois à noter que ce geste présente quelques difficultés de réalisation technique, avec un décollement parfois hasardeux des tissus mous palatins antérieurs et une relativement faible amplitude de mobilisation des lambeaux de fibro-muqueuse palatine [].
Le greffon osseux iliaque est prélevé sous forme d'un bloc cortico-spongieux et de copeaux spongieux internes après levée d'un capot cortical, rabattu en fin d'intervention. Les copeaux peuvent être broyés au moulin à os. Sur le site de la fente, la dissection est sous-périostée et poussée jusqu'à l'orifice pyriforme. Les bords osseux de la fente sont avivés, puis le bloc est impacté dans la fente. Une apposition complémentaire (vestibulaire le plus souvent et parfois vestibulaire et palatine) est réalisée à partir des copeaux. Enfin, les lambeaux muqueux sont repositionnés et suturés sans tension en recouvrement intégral de la greffe.
La période idéale pour la programmation d'une greffe osseuse secondaire se situerait vers l'âge de 8 ans [] ou avant l'éruption de la canine définitive [].
Il est préconisé une reprise rapide du traitement orthodontique, notamment sur les dents en bordure de la fente [].
Ces étapes de réparation secondaire sont normalement destinées à la correction ou à la réduction des séquelles.
L'agénésie ou la malformation de l'incisive latérale constitue une des séquelles qui va particulièrement intéresser et faire intervenir l'odontologiste pour la suite du traitement. Soixante-dix-neuf pour cent des patients porteurs de FLMP présentent une ou plusieurs agénésies dentaires. Et il est curieux de constater que le côté gauche est statistiquement plus atteint que le côté droit [].
Malgré les interventions consolidatrices primaires et secondaires, en fin de croissance lorsque l'espace de l'incisive latérale a été maintenu ou recréé, la résolution prothétique finale du traitement est souvent très perturbée, voire stoppée, par le fait qu'il persiste une fissure alvéolaire séquellaire plus ou moins profonde [].
Deux autres propositions thérapeutiques peuvent alors être indiquées :
– soit le recours à une nouvelle reconstruction osseuse locale (tertiaire, car en denture définitive) et préalable à une restauration implanto-portée. En effet l'absence relative d'os alvéolaire, sous forme d'une discontinuité crestale résiduelle, rend la plupart du temps la morphologie osseuse assez mal prédisposée à une implantation dentaire d'emblée ;
– soit l'évolution vers une prothèse conjointe plurale de type pont fixe (collé ou scellé), qui invite à une réparation morphologique superficielle du défaut anatomique résiduel par chirurgie plastique parodontale. Il est à noter que seule cette solution permet d'assurer une contention d'usage des dents souvent fragilisées en bordure de fente et d'éviter les récidives orthodontiques souvent décrites, et consécutives à la présence de tissus fibreux cicatriciels.
En raison de la complexité du défaut résiduel, on comprend que de nombreux paramètres cliniques et tissulaires entrent en jeu lors de l'évaluation des séquelles (fig. 3 et 4). La multiplicité de ces paramètres va complexifier le diagnostic morphologique, parfois désorienter les indications chirurgicales à retenir et donc rendre incertain le devenir prothétique.
Face aux difficultés ressenties par de nombreux praticiens odontologistes, et à partir de plusieurs études comparatives sur les restaurations chirurgico-prothétiques qui peuvent être conduites en fin de croissance [], nous avons proposé une nouvelle classification clinique : l'ACS (alveolar cleft score), fondée sur l'évaluation de 7 paramètres tissulaires, qui devra faire l'objet d'une procédure de validation par des études multicentriques. Le score final obtenu par addition des scores individuels oriente alors l'équipe thérapeutique vers une analyse pronostique et propose une orientation thérapeutique en termes de reconstruction chirurgico-prothétique recommandée, de type de prise en charge médico-dentaire et de maintenance prophylactique recommandée [].
Cette analyse permet la catégorisation de l'ensemble des structures anatomiques en rapport anatomique avec la fente séquellaire (fig. 5) :
– 1. l'espace prothétique (largeur) ;
– 2. l'incisive latérale (nature) ;
– 3. les dents adjacentes (état corono-radiculaire) ;
– 4. le parodonte bordant (résistance) ;
– 5. l'invagination épithéliale (profondeur) ;
– 6. le vestibule (régularité) ;
– 7. l'os alvéolaire (topographie en imagerie tridimensionnelle).
L'analyse ACS s'est inspirée de deux systèmes d'analyse multiparamétrique et de classification à but prothétique et esthétique qui sont aujourd'hui repris fréquemment par les cliniciens et par la littérature : le pink esthetic score (PES) de Fürhauser et al. [] et le white esthetic score (WES) de Belser et al. [].
L'analyse ACS attribue à chacun de ces 7 paramètres cliniques un score d'intégrité établi sur 3 valeurs, 0, 1 ou 2, selon la difficulté ou non à gérer ce paramètre tissulaire par la suite (0 : difficile à modifier, 1 : difficulté contournable, 2 : facilité à prendre en charge ou absence de rôle du paramètre) (tableau 1).
L'ensemble des observations cliniques liées aux 7 paramètres tissulaires et de leur score individuel est répertorié dans la première partie du tableau 1. La seconde partie détermine par simple addition le score total obtenu. Elle aide alors à l'évaluation pronostique et aux choix des stratégies chirurgico-prothétiques à conduire.
Le tableau 1 peut être utilisé comme une fiche clinique propre à chaque patient présentant des séquelles alvéolaires de FLMP. Cette fiche peut être insérée dans le dossier médical partagé. Elle permet une transmission aisée des données cliniques, tissulaires, diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques à tous les acteurs de l'équipe médicale multidisciplinaire.
Lucie a 22 ans (ACS = 10). Son traitement a consisté en la restauration d'une séquelle alvéolaire de FLMP par implantologie (fig. 6 à 25).
Damien a 19 ans (ACS = 9). Son traitement a consisté en la restauration d'une séquelle alvéolaire de FLMP par implantologie et réobservation au bout de 6 ans (fig. 26 à 37).
Jean a 20 ans (ACS = 4). Son traitement a consisté en la restauration d'une séquelle alvéolaire de FLMP par chirurgie plastique parodontale et prothèse traditionnelle dento-portée (fig. 38 à 46).
Catherine a 34 ans (ACS = 3). Son traitement a consisté en la restauration d'une séquelle alvéolaire de FLMP par chirurgie plastique parodontale et prothèse traditionnelle dento-portée (fig. 47 à 54).
Didier a été traité à 31 ans (ACS = 0) pour défaut de prise en charge précoce et prothèse implanto-stabilisée (fig. 55 à 66).
Les restaurations prothétiques (temporaires ou d'usage) doivent permettre une bonne projection de la lèvre et un soutient suffisant de la région naso-labiale pour, ainsi, participer à l'architecture du sourire (fig. 8 et 9). La décision concernant la nature de la reconstruction chirurgico-prothétique finale dépend donc non seulement du seul volume osseux résiduel sur la fente proprement dite mais bien évidemment aussi de la stabilité des organes dentaires périphériques contigus à la fente [].
Les dents en bordure de fente doivent faire l'objet d'une analyse précise et d'une évaluation exacte de leur parodonte. Après l'analyse des critères gingivaux (gencive attachée et kératinisée, inflammation, brides, etc.), des clichés endo-buccaux de type rétroalvéolaire demeurent aujourd'hui nécessaires (avec une technique de faisceaux parallélisés et d'angulateurs adaptés). C'est l'examen radiologique de référence pour mettre en évidence l'importance de la pellicule d'os le long des berges adjacentes à la fente.
Ces dents bordant la fente alvéolaire présentent le plus souvent des mobilités pathologiques dès la levée des dispositifs d'orthodontie [, ]. Elles sont soumises à un risque de récidive orthodontique en raison des tissus mous souvent bridés et cicatriciels (fig. 39). Tout nouvel abord chirurgical sur le site de la fente peut engendrer un accroissement temporaire de ces mobilités. Pour pallier cet effet, une contention transitoire, voire d'usage, doit être instaurée.
Si les dents adjacentes présentent un environnement parodontal réduit, notamment sur le plan alvéolaire, leur intégration dans la reconstruction prothétique d'usage doit impérativement être évaluée par l'odontologiste qui se chargera de la réhabilitation prothétique (voir le troisième cas clinique). Une dysmorphose radiculaire trop prononcée peut parfois contraindre à ne pas conserver une dent bordant la fente alvéolaire, dent pourtant préservée jusqu'alors par le traitement orthodontique (instabilité biomécanique à long terme, impossibilité d'entreprendre le traitement endodontique avec succès, absence de possibilité d'intégration occlusale stabilisante, impossibilité d'entreprendre une greffe osseuse tertiaire...).
La prise en compte du compartiment gingival sera un préalable à toute reprise de chirurgie osseuse tertiaire. Ce compartiment est souvent le siège d'une inflammation chronique en rapport avec un contrôle de plaque bactérienne inadéquat qui fait le lit d'une alvéolyse pathologique prématurée [] (voir quatrième cas clinique). De nombreuses raisons ont été évoquées pour expliquer cette différence en termes d'inflammation entre les autres secteurs de la cavité buccale et le site de la fente séquellaire (inconfort labial, musculature perturbée, sensibilité muqueuse, dispositifs orthodontiques, aspect psychologique, etc.).
La promesse d'une restauration finale esthétique et fonctionnelle aide grandement à mettre en place une motivation adaptée en matière de contrôle de plaque bactérienne, qu'il est nécessaire d'instaurer en préopératoire (voir troisième cas clinique). Certaines chirurgies mineures peuvent également contribuer à faciliter le brossage par le patient et donc à le rendre plus performant (gingivo-périoplasties simples, vestibuloplasties, sections de brides, etc.).
Par ailleurs, la plicature gingivale épithélialisée résiduelle, plus ou moins profonde et invaginée, rend la dissection délicate au chirurgien (voir premier cas clinique, fig. 11). Les nouveaux instruments de microchirurgie plastique parodontale et le recours aux loupes binoculaires sont aujourd'hui quasi indispensables pour le respect de l'intégrité tissulaire. Ils optimisent et facilitent les manipulations des lambeaux muqueux à repositionner sans tension sur les remodelages tissulaires sous-jacents.
Nous avons élaboré une une autre solution opératoire avec la description et la réalisation de nouvelles règles de chirurgie plastique parodontale [, -, ], qui conduisent à une importante augmentation tissulaire sur le site de la fente et à une consolidation parodontale des secteurs dentés en bordure de fente avec une technique de greffons conjonctifs épais.
Pour ce qui est du compartiment osseux, la problématique réside dans la nécessité ou non d'une correction (voir troisième cas clinique, fig. 39 à 41). En effet, seule une finalité par restauration implanto-prothétique nécessite le besoin d'un nouvel apport osseux complémentaire. Or l'environnement de la fente séquellaire constitue vraisemblablement le plus mauvais contexte anatomique initial pour une future implantation.
Pour des situations anatomiques d'abord chirurgical délicat ou à risque (anatomie complexe en l'occurrence), une aide au diagnostic et ainsi qu'à la logistique implantaire peut être obtenue par la modélisation tridimensionnelle des structures osseuses et par reconstruction stéréo-photo-lithographique [-].
La nature et la forme de l'os de prélèvement (broyat d'os iliaque, tibial, costal, pariétal, symphysaire ou ramique suivant les chirurgiens) va engendrer une résorption plus ou moins importante à moyen terme. Afin de minimiser cette résorption, Härtel et al. [] proposent de rendre « fonctionnel » le contexte alvéolaire greffé en réalisant des implantations précoces, différées de seulement 6 à 8 semaines. Le taux de succès à court terme est évidemment plus faible que dans des secteurs maxillaires équivalents non concernés par des séquelles de FMLP : quelques implants sont perdus après réalisation des étapes prothétiques et aucun résultat à moyen ou long terme n'est pour l'instant accessible dans la littérature scientifique en rapport avec cette technique d'implantations précoces.
Quelques auteurs [, ] exposent des cas où la pose d'implants a été possible d'emblée en fin de croissance dans les FLMP. Ils admettent néanmoins que cette approche est rarement optimale dans ces résultats, même si l'ostéo-intégration est obtenue et prolongée à moyen terme, avec un taux de succès satisfaisant.
Lorsque l'implantation n'est pas envisageable d'emblée, les greffes osseuses sont décrites avec de multiples protocoles. Statistiquement, les résultats sur l'évaluation des reconstructions prothétiques implanto-portées sont bons, bien que moindres par rapport aux implantations en sites non greffés []. Parfois, et sous certaines conditions, l'implantation et la greffe osseuse peuvent être simultanées []. La stabilité primaire de l'implant est alors une des conditions du succès thérapeutique.
Notre expérience clinique sur une durée de plus de 20 années concernant le suivi de FLMP nous a conduit plusieurs fois à observer une fonte osseuse lente et progressive pour les cas qui ont été gérés avec greffe ou reconstruction osseuse tertiaire puis implantation (voir cas deuxième clinique, fig. 34 et 37). Nous ne retrouvons que plus rarement cette observation chez des patients non porteurs de FMLP. Le défaut osseux séquellaire après les reconstructions primaires et secondaires en serait probablement la cause. En effet, un apport osseux n'a un bon pronostic cicatriciel et un bon maintien volumique au cours du temps que s'il peut s'enrichir sur le plan cellulaire au profit de la qualité et de la quantité de ses tissus de soutien. Une bonne restauration cellulaire des espaces osseux créés ou régénérés serait vraisemblablement nécessaire au remodelage positif et fonctionnel à long terme des tissus péri-implantaires.
Enfin, la restauration prothétique intervenant en secteur antérieur dit esthétique, il est aujourd'hui proposé [, ] d'associer systématiquement reconstruction osseuse et apposition vestibulaire simultanée de tissu conjonctif.
La stabilité à long terme de l'ostéo-intégration est trop souvent caractérisée comme seul facteur de succès implanto-prothétique, dans les cas de FLMP en particulier. Ainsi, Borgnat et al. [], en 2015, rapportent des critères très élevés de succès au sein de leur étude rétrospective de 15 ans (97,4 % de taux de succès implantaire), tout en se fondant uniquement sur les critères établis par Buser [] :
– absence de signes cliniques subjectifs persistants (douleur, sensation de corps étranger, dysesthésie) ;
– absence de péri-implantite chronique associée à une suppuration ;
– absence de mobilité implantaire ;
– absence de zone radio-claire.
Or, nous savons tous qu'il est tout à fait possible d'obtenir une ostéo-intégration implantaire très stable pour des implants posés dans des conditions anatomiques inadéquates telles qu'aucune restauration prothétique esthétique n'est possible.
De même, Lalo et al. [] ont effectué une étude rétrospective pendant 10 ans qui semble pouvoir apporter des résultats assez positifs en termes de taux de survie des implants dans les fentes. Là encore, la finalité esthétique ne fait l'objet d'aucune appréciation qualitative dans ces travaux et elle est souvent décevante au regard de la lourdeur de la charge thérapeutique. Les auteurs mentionnent en effet 25 % de patients greffés non implantés. Parmi les patients implantés, 75 % présentent une restauration prothétique implanto-portée avec une fausse gencive, ce qui traduit bien les difficultés non négligeables pour atteindre une reconstruction anatomique péri-implantaire intégrale et, donc, une bonne intégration esthétique finale.
Les facteurs décisionnels non tissulaires doivent également être pris en compte pour la pose des indications de reconstruction terminale, notamment :
– l'état médical général du patient ;
– le niveau de relationnel psychologique ;
– le degré de motivation au traitement ;
– les facteurs de risque associé tels que la dépendance ou la prise en charge d'attitudes nocives (par exemple tabagisme, bruxisme) ;
– le contexte socio-économique.
Le défaut de prise en charge dento-prothétique des patients porteurs de FLMP est, aujourd'hui encore, trop souvent observé. L'ensemble des facteurs évoqués ci-dessus fait apparaître une problématique diagnostique complexe qui, fréquemment, laisse le praticien odontologiste indécis, voire démuni, car livré à sa seule interprétation de la situation et certainement inquiété par le fait de devoir prendre d'éventuelles mauvaises décisions thérapeutiques. On retrouve encore des patients bien gérés pour leurs soins dentaires habituels, sauf sur le secteur inhérent à la fente alvéolaire (voir cinquième cas clinique). Or, la situation parodontale sur les bords de la fente s'aggrave inexorablement sans prise en charge. La perte d'attache gagne progressivement les dents bordantes puis à distance du défaut séquellaire. Giovanni et al. [] observent, à partir d'une étude menée pendant 14 ans, que sans prise en charge parodontale, la perte d'attache est en moyenne de 1,72 mm par an dans le secteur bordant la fente, alors qu'elle n'est que de 0,72 mm par an dans les autres secteurs de la cavité buccale. Cela conduit à un édentement de plus en plus important et, dans un trop grand nombre de cas, va jusqu'à l'édentement total de l'arcade maxillaire.
Dès la petite enfance, il est important que le chirurgien-dentiste traitant se sente impliqué dans la démarche thérapeutique globale du patient porteur de FMLP. Il y a sa place et il se doit de jouer son rôle au sein de l'équipe pluridisciplinaire (le plus souvent hospitalière), de telle sorte qu'il n'apparaisse aucune abstention thérapeutique par méconnaissance de la problématique des FMLP. C'est sous cette condition qu'à la fin de la croissance de ses patients, il se sentira capable de poser les indications prothétiques les plus adaptées à chaque cas clinique.
Le recours à une classification multiparamétrique de type ACS, spécifiquement mise au point pour les patients porteurs de séquelles alvéolaires de FLMP, permet une approche diagnostique, pronostique et thérapeutique optimisée. Il peut grandement améliorer la prise en charge odontologique. C'est pourquoi nous plaidons en faveur d'une approche multifactorielle, ne s'attachant pas à la seule observation quantitative de l'os alvéolaire sur le site de la fente, comme c'est encore trop souvent le cas dans bon nombre d'études.
Les secteurs bordant la fente doivent focaliser tous les regards à but diagnostique, car ce sont eux qui peuvent déterminer la nature du plan de traitement prothétique à conduire à la fin de la croissance du patient. Ils conditionnent également l'éventuel besoin tardif d'une contention à demeure et de longue durée pour la stabilisation des dents en bordure de fente.
Notre expérience nous conduit aujourd'hui à penser que la chirurgie plastique parodontale apporte des solutions satisfaisantes pour la reconstruction morphologique crestale sur le siège de la fente. De plus, elle optimise le contexte anatomique des dents en bordure de berge et s'inscrit au sein d'un large éventail de solutions prothétiques pouvant garantir une contention d'usage et optimiser les conditions prophylactiques. Ce gain de pronostic esthétique et fonctionnel est le garant de résultats fiables et stables à long terme.
À l'issue du très long parcours thérapeutique des patients porteurs de FLMP, la volonté d'aboutir à une restauration implanto-prothétique ne doit constituer ni le « Graal » du chirurgien, ni le seul recours à envisager par toute l'équipe pluridisciplinaire.
Au Pr Michel Stricker, ancien chef du Service de chirurgie maxillo-faciale et plastique de la face du CHU de Nancy, pour l'intérêt qu'il a su nous inculquer sur le sujet du traitement des FLMP.
Au Dr Christophe Billiotte, attaché au Service et qui prend souvent en charge les restaurations prothétiques des cas difficiles de FLMP que nous traitons.
Au Dr Olivier Weissenbach, spécialiste qualifié en ODF et attaché au Service, pour son implication et sa contribution aux plans de traitements de nos cas de FLMP.
Christian Molé
Chirurgien-dentiste, docteur d'université en odontologie
Ancien AHU
Spécialiste qualifié en chirurgie orale
Attaché au Service de chirurgie maxillo-faciale et chirurgie plastique (CHU de Nancy)
Exercice privé
57, avenue Foch
54000 Nancy
drchristianmole@free.fr
Etienne Simon
PU-PH (Professeur des Universités-Praticien hospitalier)
Chef du service de chirurgie maxillo-faciale et chirurgie plastique - CHU de Nancy
l'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.