Implant n° 3 du 01/09/2015

 

DOSSIER CLINIQUE

P. Tavitian*   O. Hüe**  

Le traitement implantaire de l’édentement complet a trouvé depuis longtemps une véritable raison d’exister dans des situations cliniques très souvent invalidantes tant sur le plan fonctionnel qu’esthétique. Les résultats cliniques obtenus par le Pr Brånemark et ses collaborateurs ainsi que par d’autres équipes, ont montré des taux de succès élevés reproductibles qui ont favorisé l’extension de cette pratique clinique. Ces progrès ont permis de changer la vie des patients et en particulier les protocoles de mise en charge immédiate.

TYPES DE MISES EN CHARGE

PROTOCOLE PARTICULIER DE L’EXTRACTION-IMPLANTATION IMMÉDIATE

Dans ce protocole, la finalité est d’extraire les dents restantes de manière atraumatique et de préparer les alvéoles à la réception de racines prothétiques artificielles. Les soins apportés à l’extraction sont déterminants. Celle-ci devra être réalisée sans provoquer de perte osseuse, sans fractures des tables osseuses ou des dents. Il est capital de vérifier l’intégrité des parois alvéolaires et d’apprécier le volume de l’alvéole restante afin de s’assurer de l’absence de fenestration vestibulaire. Il a été démonté que l’implantation immédiate n’empêchait pas la résorption postextractionnelle [1]. Le positionnement de l’implant a une importance capitale quant à la préservation du mur vestibulaire et il est, en général, préférable de déplacer l’axe de l’implant en palatin et de combler le hiatus vestibulaire lorsque c’est nécessaire (Fig. 1 et 2).

Chen et al. [2] ont aussi conclu que l’utilisation d’un biomatériau non résorbable limiterait la résorption horizontale mais pas la résorption verticale, phénomène qui serait dû à la faible épaisseur de cette paroi. Il est évident que dans le cadre de cet édentement, et en fonction du maxillaire concerné, toutes les contraintes chirurgicales seront différentes. En effet au maxillaire, très souvent dans la région antérieure, la présence des concavités osseuses vestibulaires impose une angulation de l’axe de l’implant par rapport à la dent prothétique (Fig. 3). Il convient de ne pas oublier, à ce stade, que cette problématique peut aussi surgir lorsque le patient est déjà édenté. Cela n’est pas particulièrement gênant, contrairement à l’édenté partiel ou unitaire, car cet axe peut être rattrapé par l’utilisation de piliers prothétiques le plus souvent angulés à 17° ou bien par des artifices de techniques de laboratoire.

CONDITIONS CLINIQUES INDISPENSABLES À LA MISE EN CHARGE IMMÉDIATE OU DIFFÉRÉE DES IMPLANTS

Chaque fois que les conditions cliniques sont remplies, la mise en charge immédiate sera pratiquée [3-6]. Concernant cette mise en charge immédiate, l’intervalle qui s’écoule entre la chirurgie et la mise en place de la prothèse, le plus souvent transitoire mais qui peut être aussi dans certains cas définitive, fait l’objet de nombreuses discussions. Certains auteurs considèrent que la prothèse doit être livrée dans la même séance de soins [7], le même jour [8], dans les 48 heures [9], dans les 78 heures [10] ou même pendant la première semaine [11]. Dans toutes ces situations cliniques, l’expression « temporisation immédiate » par le port d’une prothèse fixe supra-implantaire issue de la transformation de la prothèse amovible existante sera employée. Cette prothèse devra être renforcée efficacement afin de ne pas se fracturer durant la période de cicatrisation osseuse, qui est une phase très sensible du traitement [12]. Pour parfaitement répondre à cette situation clinique, la stabilité primaire de tous les implants doit être supérieure à 30 Ncm et il faut réduire les contraintes exercées à l’interface os/implant [13].

La longueur des implants doit être au minimum de 11,5 mm. Cette longueur requise peut augmenter, d’une part, en fonction de l’arcade et de la répartition des implants au sein de l’arcade (atteignant alors au moins 13 mm) et, d’autre part, en fonction de l’utilisation de conditionneurs tissulaires.

La phase finale consiste en la réfection partielle de la base prothétique. Toutes ces phases chirurgicales doivent aboutir, quels que soient les protocoles, à la maturation optimale des tissus péri-implantaires. C’est à partir de cette condition que les empreintes terminales pourront être réalisées [12].

CONSTRUCTION PROTHÉTIQUE ET POSITIONNEMENT IMPLANTAIRE

Une étude de Gallucci et al. [14] montre que le nombre et la répartition des implants le long du maxillaire semblent influencer le taux de survie prothétique. La mise en place de 6 implants n’est pas directement corrélée au succès thérapeutique mais permettrait une meilleure gestion clinique en cas de complication. Par contre, en dessous de 6 implants, le moindre échec compromet l’ensemble du traitement [15]. De même, si les implants sont placés uniquement dans la région antérieure, c’est-à-dire jusqu’à la première prémolaire, le taux de survie est significativement plus faible qu’ailleurs [15].

Dans une étude utilisant les éléments finis, Sagat et al. [16] se sont intéressés aux différences de contraintes mécaniques autour d’implants supportant une prothèse fixée maxillaire, en fonction de la forme de l’arcade. Les modèles numériques utilisés sont des prothèses de 12 dents avec des extensions distales. Les résultats de cette étude montrent que les contraintes mécaniques sont les plus importantes dans les régions postérieures et au niveau des extensions. Concernant le nombre d’implants, les données recueillies semblent montrer que l’augmentation du nombre d’implants ne diminue pas forcément les contraintes mécaniques en fonction de la forme de l’arcade. Par exemple, pour une arcade en U longue et étroite, le choix de 6 implants impose des contraintes osseuses moins importantes que pour un nombre plus élevé. En revanche, pour des arcades courtes et elliptiques, l’utilisation de 8 implants semble préférable.

Bevilacqua et al. [17] comparent, par la méthode des éléments finis, les contraintes transmises à l’os maxillaire par des implants droits associés à un cantilever et inclinés avec des cantilevers inversement proportionnels à l’inclinaison. L’inclinaison des implants varie de 0 à 45° et la longueur des extensions distales de 13 à 0 mm. Les résultats de cette étude montrent que l’inclinaison des implants distaux provoque une diminution des contraintes mécaniques autour de l’implant. Dans de l’os ainsi modélisé, Bevilacqua montre que, par rapport à un implant droit, une inclinaison de 15° diminue les contraintes de 12,9 %, une inclinaison de 30° les réduit de 47,5 % et une de 45° de 73,5 %. Les valeurs recueillies entre os compact et os spongieux sont sensiblement équivalentes (Fig. 4).

Au maxillaire, la résorption osseuse peut rendre impossible la pose d’implants sans chirurgie d’élévation du plancher sinusien. Une alternative à ces greffes est l’inclinaison des implants car elle permet de mieux exploiter le volume osseux restant là où, normalement, la hauteur d’os disponible interdit la pose d’implant (Fig. 5 à 19), comme l’illustrent les cas de bridge maxillaire avec implants angulés du type P. Malo.

L’inclinaison des implants peut être justifiée pour les raisons suivantes : le support mandibulaire peut être déplacé en direction postérieure, des implants plus longs peuvent être utilisés, l’implant suit une structure osseuse plus dense, le positionnement des implants est dicté par les exigences prothétiques, les implants distaux inclinés et solidarisés donnent de bien meilleurs résultats sur le plan biomécanique que des implants droits et des extensions distales [3, 4, 15, 18-20].

Quand on veut recréer une arcade complète à la mandibule, allant jusqu’aux deuxièmes molaires, on se trouve confronté à un problème structurel. En effet, l’anatomie et la physiologie de la mandibule font que, lors des mouvements d’abaissement et d’élévation, une flexion se produit d’origine multifactorielle [21]. Pour cette raison, dans les grands édentements, il est préférable d’utiliser deux implants distaux non connectés à l’armature servant d’appui secondaire ou bien de fragmenter les différents secteurs.

En conclusion, au maxillaire, une prothèse fixe implanto-portée est préférable à une prothèse amovible complète ou à une prothèse amovible complète supra-implantaire (PACSI) pour restaurer l’édentement d’un patient exigeant une prothèse stable et confortable, lorsque les conditions cliniques sont appropriées. Si un problème de soutien de lèvre est présent ou lorsqu’un décalage des bases osseuses est trop important et que la possibilité d’hygiène est rendue difficile, alors les autres types de prothèses peuvent être indiqués.

À la mandibule, la PACSI est considérée comme le traitement thérapeutique minimum [22], mais il faudrait privilégier la réalisation d’une prothèse fixe.

SOLUTIONS PROTHÉTIQUES

Dans les protocoles prothétiques classiques décrits par Lekhom et Zarb (1985), il était d’usage de réaliser l’empreinte, de préférence au plâtre, d’enregistrer les rapports intermaxillaires grâce à une cale d’occlusion rigide vissée directement sur les piliers prothétiques, de valider l’aspect esthétique et les qualités fonctionnelles du montage, de réaliser une armature coulée exclusivement en alliage précieux et, enfin, de finir la prothèse [23] (Fig. 20 à 24). Depuis 2002, ces protocoles n’ont pas fondamentalement évolué, si ce n’est au stade de la validation de l’empreinte et de la réalisation de l’armature face aux exigences mécaniques et esthétiques [24, 25]. En effet, il est actuellement habituel de valider l’empreinte par la mise en œuvre d’une clé en plâtre de 1 cm2 de section, coulée sur les transferts d’empreinte vissés eux-mêmes sur les piliers prothétiques du modèle de travail. Cette validation consiste en sa mise en place en situation clinique et en l’absence de fracture lors du serrage sur les piliers prothétiques (Fig. 25).

Le second point important d’évolution est celui de la réalisation de l’armature, tant dans sa conception virtuelle ou non que dans son mode de fabrication, qui favorise la biocompatibilité et la précision d’adaptation. Le couplage titane (implant)-titane (armature) présente des différences de potentiel inférieures à celles du couple titane (implant)-alliage précieux (armature), voire non précieux (chrome-cobalt), donc moins de risque de relargage d’ions métalliques [21-27].

La visibilité de la crête et l’amplitude du sourire sont les facteurs déterminants du choix thérapeutique de ce type de traitement [28]. Ainsi, le projet thérapeutique prothétique doit être déterminé dès le départ, lors de l’analyse du cas clinique. Il va fixer les rapports entre les différents composants prothétiques, le support anatomique et le comportement labial.

C’est ce volume qu’il faudra déterminer et à l’intérieur duquel toutes les structures prothétiques devront trouver leur place. Trois propositions prothétiques sont envisageables en fonction du degré de résorption et du jeu labial. Si la résorption alvéolaire est faible et quelle que soit l’amplitude du jeu labial, il faudra de toute manière placer les implants au niveau de l’émergence des dents prothétiques et réaliser une structure prothétique identique à celle des reconstructions de type dento-portées [29] (Fig. 26 et 27).

Enfin, lorsque la résorption est forte, la jonction entre la prothèse et la crête sera toujours invisible. Mais l’importance du degré de cette résorption va augmenter le volume de la suprastructure et, plus particulièrement, celui de l’armature et de la résine.

Il est aussi important d’analyser la hauteur ou, plus exactement, le volume prothétique disponible dans lequel l’ensemble des composants doit s’intégrer. C’est d’ailleurs cet espace qui est enregistré lors du scannage avec lequel les logiciels nous permettent actuellement de conceptualiser les armatures virtuelles.

Le point commun à toutes les armatures des prothèses supra-implantaires est qu’elles doivent permettre un accès à l’hygiène, en particulier entre l’intrados prothétique et la muqueuse ainsi qu’au niveau du col des implants (Fig. 28 à 30).

De même, les extrados de l’armature doivent fournir des appuis à la langue afin que l’articulation des voyelles et des consonnes soit parfaite. Dans certains cas, la forme de l’extrados devra être modifiée afin d’assurer une parfaite articulation de sons (Fig. 31).

Les armatures, le plus souvent usinées en titane ou zircone, sont obtenues à partir de deux types de fabrications. Elles peuvent être soit sculptées en résine puis scannées, soit réalisées directement par des logiciels (Fig. 32 à 35).

Dans la première situation, comme principe de base, elles sont élaborées dans l’espace libre entre le moulage de travail et les différentes clés en silicone ou plâtre au sein duquel les dents prothétiques sont englobées. Ces maquettes sont préparées en résine à forte stabilité dimensionnelle dont la caractéristique est de présenter un minimum de rétraction et de déformation. Elles sont ensuite scannées et usinées dans des blocs de titane pur (grade 2 ou 4).

Le scannage (conoscopie holographique, NobelProcera® 2G) comprend celui du modèle de travail et celui de l’armature avec un NobelProcera® Position Locator (élément de localisation spatial de l’implant), ainsi que celui de l’intrados et de l’extrados de l’armature sans NobelProcera® Position Locator (Fig. 36). Les NobelProcera® Position Locator sont des dispositifs qui sont vissés sur les analogues d’implants afin que la position de l’ensemble soit parfaitement enregistrée lors du scannage. Ensuite, l’état de surface est parfait au laboratoire par grattage et polissage mécanique (Fig. 37).

En revanche, les armatures virtuelles sont construites directement à partir du scannage du moulage de travail avec et sans les NobelProcera® Position Locators et de celui du modèle muni du montage prospectif ou directeur de la future prothèse d’usage (Fig. 38).

Ce mode de fabrication permet d’obtenir des armatures en alliage de titane de grade 5 (Ti 6Al-4V) dont l’avantage est d’être hautement polissable et non oxydable. Il s’agit toujours d’une technique d’usinage mais facilitée car la rigidité du matériau est réduite. C’est d’ailleurs pour cette raison que la production Procera® impose des cotes minimales afin d’assurer la rigidité. Cependant, notre expérience clinique nous fait privilégier les armatures préalablement sculptées au laboratoire lorsque l’espace prothétique est réduit et/ou lorsque la réalisation du festonnage prothétique est rendue difficile. Quel que soit le mode de fabrication, ces armatures, une fois validées en situation clinique et radiologiquement, sont traitées, c’est-à-dire qu’elles sont tout d’abord sablées avec des particules de 200 µm de diamètre puis oxydées et enduites d’un opaque ou tout simplement silanées (Fig. 39).

La finition de la prothèse consiste en la préparation des dents prothétiques, la polymérisation et le polissage de la résine qui sont thermo-polymérisées selon les indications du fabricant. Les dents et la fausse gencive seront secondairement maquillées si nécessaire.

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REMERCIEMENTS

pour leur précieuse collaboration à M. Antoine Pinaud (Nobel-Biocare), et aux laboratoires Gilles Philippe, Daniel Abitbol, Jean-François Gambardella.

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