CHIRURGIE
Docteur en chirurgie dentaire DU Réhabilitation des maxillaires DU Occlusodontie et prothèse DU Odontologie légale et expertise Exercice privé 60, route d’Albi 31200 Toulouse
Dans une précédente publication, nous avons exposé et analysé les considérations biologiques qui ont guidé notre choix de système implantaire et de positionnement sous-cortical des implants. Cette seconde partie détaille les notions fondamentales qui ont conduit à l’élaboration du protocole opératoire qui est utilisé de façon systématique dans notre activité clinique. Ce protocole est présenté ici en trois phases. La phase chirurgicale introduit la séquence de forage du nouveau protocole Ultimate (Global D), et en propose une utilisation personnalisée afin de sécuriser un positionnement sous-cortical des implants, à 3 mm en sous-crestal.
Previously we published an analysis of the biological aspects that guided our choice of implant system and sub-cortical setting approach. This second part goes into the fundamental considerations that have led to the elaboration of the surgical protocol that is used systematically in our clinic. A detailed presentation of the three phases of that protocol follows. The surgical phase introduces the new drilling sequence Ultimate (Global D, Brignais, France), offering a unique customized variation that is designed to secure the sub-cortical setting of implants, in a 3 mm sub-crestal position.
Dans une première partie[1], nous avons argumenté et justifié notre choix de placer des implants dans une position sous-corticale. Nous proposons, dans cette seconde partie, de détailler le protocole chirurgical que nous utilisons en technique standard pour permettre de sécuriser leur positionnement.
Le raisonnement qui a encadré la mise en place de notre protocole opératoire a été guidé par la compréhension de plusieurs concepts :
– en premier lieu, l’uniformisation de la qualité de l’ancrage des implants au cours du processus d’ostéo-intégration, quelle que soit l’importance de leur ancrage primaire [2-4] (Fig. 1). Cela s’explique par le fait que l’ancrage primaire est un phénomène exclusivement mécanique (dépendant de facteurs variables tels que la densité osseuse, le design de l’implant, la forme de l’alvéole implantaire après forage, etc.), alors que l’ancrage secondaire est un phénomène essentiellement biologique lié à la capacité des cellules osseuses à recréer du tissu osseux au contact des spires de l’implant pendant l’ostéo-intégration. Ce phénomène est dépendant de la vitalité osseuse et donc de sa vascularisation [5] ;
– ensuite, l’observation de l’enchaînement de ces deux phases [6] (Fig. 2). La perte progressive de la stabilité primaire est liée à la morbidité de l’os péri-implantaire après le traumatisme du forage. Elle est concomitante à l’ostéo-intégration qui permet d’obtenir une stabilité secondaire grâce à la néoformation de tissu osseux au contact de l’implant. Cependant, l’ostéo-intégration ne compense pas la morbidité de l’os initial de façon linéaire. Il en résulte un point de stabilité minimale de l’implant autour de la 3e semaine postopératoire ;
– en outre, le métabolisme osseux donne à ce tissu la capacité de s’adapter aux contraintes auquel il est soumis, notamment en modulant l’orientation et la densité des trabéculations de l’os spongieux qui se comporte comme un matériau composite [5] ;
– sur le plan muqueux, la limitation du nombre d’interventions chirurgicales, comme celle du nombre d’étapes prothétiques nécessitant le dévissage d’éléments transgingivaux, conduit à une meilleure préservation de l’os crestal péri-implantaire [7] ;
– enfin, une position suffisamment sous-corticale des implants à connexion du type cône morse permet d’obtenir un platform switching ostéo-muqueux qui forme de fait un joint torique autour du col du pilier. La pérennité de ce joint, qui offre la meilleure protection possible face au risque de péri-implantite, est permise par la présence d’os spongieux qui nourrit l’os cortical, lui-même soutien de la gencive attachée [1, 8] (Fig. 3).
La synthèse de ces différents concepts permet de mettre en exergue plusieurs notions fondamentales pour la mise en place d’un protocole opératoire standardisé :
– moins l’ancrage primaire d’un implant est élevé, plus le temps de cicatrisation doit être long afin d’aboutir à une ostéo-intégration de qualité. Seule l’absence d’immobilité de l’implant au moment de la pose, ou une sollicitation trop importante et trop précoce, semble être à l’origine d’une non-ostéo-intégration ;
– plus un implant a un ancrage primaire élevé, plus le point de stabilité minimale autour de la 3e semaine postopératoire aura lui-même une valeur importante, rendant possible une mise en fonction plus rapide ;
– l’implant doit être placé en situation sous-corticale.
Cependant, la très grande variabilité de l’épaisseur de la corticale osseuse observée sur les clichés tomographiques entre différents patients, entre les arcades d’un même patient (corticale plus épaisse à la mandibule qu’au maxillaire) ou même au niveau d’un site unique (corticale plus fine en situation crestale que basale à la mandibule par exemple) rend difficile la standardisation de la position de l’implant dans le cadre d’un protocole reproductible. Toutefois, un enfouissement de 3 mm en sous-crestal semble permettre d’obtenir un rebond osseux cortico-spongieux dans une très grande majorité de situations [9-11].
En conclusion, le protocole opératoire est organisé selon les préceptes suivants :
– malgré la tendance actuelle de l’accélération des protocoles implantaires par la suppression des étapes traditionnelles, nous choisissons quasi systématiquement une procédure en deux temps afin de protéger le site opératoire et favoriser la corticalisation du rebond osseux. Seules les situations favorables du secteur antérieur sont traitées en un seul temps chirurgical par avulsion-implantation-mise en esthétique immédiate, afin de préserver le volume et l’aspect des tissus mous et d’optimiser ainsi l’intégration esthétique de la prothèse supra-implantaire (Fig. 4 et 5) ;
– la séquence de forage doit permettre de récupérer le maximum d’os de forage qui est replacé sur le col de l’implant afin de servir de matrice à la formation rapide du rebond cortico-spongieux ;
– l’ancrage primaire doit être le plus important possible (sans que cela augmente la morbidité de l’os initial) afin de pouvoir réintervenir rapidement pour mettre en place le pilier prothétique. Il est placé de façon définitive dans un contexte de cicatrisation gingivale de première intention et ne sera plus dévissé. La pose précoce du pilier permet d’utiliser une couronne provisoire en sous-occlusion pour favoriser une stimulation douce de l’os spongieux péri-implantaire encore en cours de remaniement.
Même si l’examen clinique et l’étude de la radiographie panoramique permettent d’évaluer correctement le volume osseux disponible, un cone beam est réalisé en préopératoire de façon systématique afin de valider la faisabilité du projet. Cet examen permet de révéler un volume osseux inapproprié non décelable cliniquement, des particularités cliniques inhabituelles, et de donner une idée de la densité osseuse du site à implanter.
Le positionnement de l’implant est simulé informatiquement (SimPlant®) afin de déterminer avec précision l’axe idéal de l’implant dans les trois sens de l’espace par rapport aux obstacles anatomiques et au projet prothétique (dents adjacentes et antagonistes, occlusion), et ses caractéristiques (longueur et diamètre) sont déterminées selon le principe d’un positionnement sous-cortical (3 mm en sous-crestal) à distance des tables vestibulaire et linguale ou palatine (Fig. 6).
Un soin tout particulier est apporté à l’environnement parodontal. Après analyse du biotype et évaluation des habitudes du patient (brossage, tabagisme), un assainissement exhaustif est réalisé (détartrage, surfaçage) et les techniques d’hygiène simples (brosse à dents manuelle souple, brossettes fines) sont enseignées au fauteuil.
La couverture médicamenteuse de l’acte chirurgical consiste en une antibiothérapie de couverture légère commencée la veille de l’intervention, associée à la prise d’anti-inflammatoires et d’antalgiques en préopératoire et postopératoire.
Après anesthésie, incision et décollement d’un lambeau le moins étendu possible, un pointage cortical est réalisé à la fraise boule à 2 000 tr/min, sous irrigation, afin de déterminer précisément le point d’émergence du pilier dans le sens mésio-distal et dans le sens vestibulo-lingual. Le centrage rigoureux de ce point d’impact est déterminant pour la précision de l’émergence de la prothèse implanto-portée, quelle que soit sa nature. Il doit donc être validé selon plusieurs angles de vue pour éviter les erreurs liées au phénomène de parallaxe, et éventuellement corrigé. Aucune correction n’est possible par la suite en utilisant les forets implantaires conçus pour travailler verticalement et non latéralement. Enfin, comme le sommet de la crête alvéolaire présente plus fréquemment un profil convexe asymétrique qu’un plateau horizontal, le point d’impact cortical permet de stabiliser le bout travaillant du premier foret et d’éviter ainsi tout « dérapage » malencontreux.
Le foret pilote du protocole Ultimate est ensuite passé à 1 000 tr/min sous irrigation à la longueur de l’implant en utilisant la butée d’enfoncement correspondante. La mise en place d’un indicateur de parallélisme dans ce premier forage permet de valider l’axe de forage dans les trois sens de l’espace par rapport aux dents adjacentes et antagonistes. Les butées correspondent aux longueurs des implants disponibles et sont donc étagées tous les 1,5 mm. Le positionnement sous-cortical recherché étant de 3 mm en sous-crestal, le foret pilote est repassé à 1 000 tr/min sous irrigation avec une butée correspondant à la longueur de l’implant choisi plus 3 mm. Cette étape permet de corriger une erreur d’axe de forage, par exemple liée au phénomène de parallaxe. L’axe est à nouveau validé par un indicateur de parallélisme (Fig. 7).
Tous les forets suivants sont utilisés sans spray afin de récupérer le maximum d’os de forage possible. Les forets intermédiaires du protocole Ultimate sont utilisés à 100 tr/min sans irrigation à une longueur correspondant à longueur de l’implant plus 3 mm grâce à l’utilisation de la butée adaptée.
Seul le foret terminal, choisi en fonction de la densité osseuse dans le protocole Ultimate, est passé à 100 tr/min sans irrigation avec une butée correspondant à la longueur de l’implant. Ce sous-forage apical permet de placer l’implant en position juxta-crestale sans exercer de contrainte excessive sur l’os. En revanche, l’apex de l’implant s’ancre très fortement dans les trois derniers millimètres du forage lorsque celui-ci est amené en position sous-corticale, ce qui permet d’atteindre un ancrage primaire très élevé.
L’association entre le choix du diamètre du foret terminal dans le protocole Ultimate et la possibilité d’utiliser ce foret sur tout ou partie de la profondeur de l’alvéole implantaire permet au clinicien de s’adapter et d’obtenir un ancrage primaire optimal sans contraintes excessives pouvant causer une morbidité osseuse, quelle que soit la qualité du site (Fig. 8).
L’implant est mis en place au contre-angle, en augmentant progressivement le couple du moteur, à partir d’une valeur de 10 N/cm. Au fur et à mesure de la progression de l’implant et de son accroche dans les parois de l’alvéole implantaire, le moteur se bloque et le couple est augmenté par paliers de 5 N/cm. Ce protocole permet d’évaluer précisément la qualité de l’ancrage primaire puisque celui-ci est supérieur à la dernière valeur à laquelle le moteur s’est arrêté avant que l’implant atteigne l’enfouissement souhaité. Le respect du protocole décrit ici permet généralement de mesurer des valeurs de 30 N/cm en juxta-crestal et de l’ordre de 80 N/cm quand l’implant arrive à 3 mm sous la crête. Ces valeurs sont rencontrées indépendamment de la localisation des forages (maxillaire ou mandibulaire, antérieur ou postérieur) et de la qualité de l’os, qu’il soit greffé ou non.
Ni l’absence d’irrigation des forets utilisés à vitesse réduite (100 tr/min), ni l’ancrage primaire recherché très élevé n’entraînent de nécrose osseuse [12, 13]. L’os de forage est récupéré directement dans les spires des forets et sur la crête osseuse. Il n’est passé par aucun système d’aspiration et n’est pas contaminé par la salive. La quantité peut être très importante, jusqu’à 0,5 cm3 pour un seul forage (Fig. 9).
Une vis de couverture longue (de 2 mm de hauteur) est mise en place et le puits créé est comblé grâce à l’os de forage. Ce dernier peut aussi être utilisé pour recréer une convexité vestibulaire, selon le principe de la régénération osseuse guidée.
Les lambeaux sont suturés sans tension.
Un ancrage primaire important (de 50 à 80 N/cm) permet une réintervention rapide au bout de 6 semaines postopératoires. Cette durée de cicatrisation est suffisante pour obtenir une stabilité secondaire de qualité, ainsi que la cicatrisation du rebond cortico-spongieux. La vis de couverture est déposée (parfois avec difficulté en raison de la densité de l’os néoformé) et une empreinte à ciel ouvert est réalisée immédiatement (Fig. 10). Le pilier est choisi et adressé au laboratoire de prothèse avec l’empreinte.
Quatre jours plus tard, le pilier est mis en place définitivement pour profiter d’une cicatrisation gingivale de première intention, mais vissé manuellement pour ne pas perturber l’ostéo-intégration encore non aboutie. La chape usinée de la prothèse est essayée et validée, et une couronne provisoire en sous-occlusion préparée par le laboratoire est scellée (Fig. 11). La stimulation de la couronne provisoire par la langue, la joue et le bol alimentaire occlusalement non contraint va permettre une stimulation douce de l’os spongieux péri-implantaire encore en cours de remaniement, dans le but d’optimiser l’orientation et la densité des trabéculations par rapport aux contraintes occlusales auxquelles l’implant sera soumis avec la prothèse définitive. Cette phase, appelée bone training, dure 6 semaines.
Après cette temporisation, la prothèse provisoire est déposée, le pilier est vissé au couple recommandé à l’aide d’une clé dynamométrique sans être déposé, puis une empreinte de la chape en place est réalisée pour permettre au laboratoire de prothèses de préparer la prothèse d’usage qui sera scellée une semaine plus tard.
La bonne compréhension des paramètres biologiques de l’ostéo-intégration nous a conduit à mettre en place le protocole opératoire décrit dans cet article. Son application stricte et systématique, quelle que soit la nature de la prothèse (Fig. 12), depuis une dizaine d’années dans notre activité clinique a permis de n’observer aucune péri-implantite lors des consultations de contrôle sur plus de 1 000 implants posés. L’intégration esthétique des prothèses dans la gencive est aussi particulièrement stable. La pérennité fonctionnelle et esthétique des reconstructions prothétiques implanto-portées doit être l’objectif de l’implantologie moderne. Seules la satisfaction des patients et la qualité du travail réalisé peuvent protéger notre profession des agressions multiples dont elle fait l’objet.
LIENS D’INTÉRÊT : l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant cet article.