REVUE DE LITTÉRATURE
P. Khayat / P. Bousquet / J.-P. Albouy / P. Margossian / J.-P. Rocca / F. Chiche / J. Atia
Le succès de l'union à la fois structurelle et fonctionnelle d'un implant avec l'os environnant dépend des propriétés chimiques, physiques et mécaniques ainsi que de l'état de surface de l'implant. Il est admis que les surfaces rugueuses procurent une ostéo-intégration plus rapide que les surfaces lisses. Cependant, une revue récente de la littérature conclut qu'à ce jour, on ne connaît toujours pas la combinaison des différentes modifications de l'état de surface qui permet d'obtenir les meilleurs résultats. Un groupe de 7 dentistes français spécialisés en implantologie, le GERRP (groupe expert de réflexion et de recommandations sur la péri-implantite), a décidé d'identifier, de sélectionner, de passer en revue et de classer les articles scientifiques concernant l'influence de l'état de surface implantaire sur les résultats cliniques puis d'établir des recommandations ou des directives fondées sur la preuve (EBD, evidence based dentistry) pour les surfaces implantaires et pour la péri-implantite. Cet article détaille la méthodologie suivie par ce groupe et basée sur le protocole AGREE (appraisal of guidelines for research and evaluation) approuvé par DG SANCO (direction générale de la santé et des consommateurs) et sur la théorie ancrée (grounded theory).
It is widely recognized that the success of the structural and functional union of the implant with living bone depends on the chemical, physical, mechanical, and topographic characteristics of the implant surface. Rough implant surfaces are believed to deliver better osseointegration compared with smooth surfaces; however, a recent literature review concluded that it is still not clear which combination of different surface modifications provide a more predictable outcome. Therefore a group of 7 French dentists specialized in implantology (the GERRP) decided to identify, select, overview, and rank relevant articles regarding the impact of implant surface on clinical outcomes in order - if relevant - to elicit EBD recommendations or guidelines on implant surface and peri- implantitis. The present paper details the methodology based on the DG-SANCO endorsed AGREE protocol and the grounded theory followed by the GERRP as well as the professional guidelines issued down the process.
Le succès de l'union fonctionnelle et structurelle entre un implant et l'os dépend des propriétés chimiques, physiques et mécaniques ainsi que de l'état de surface de l'implant []. Le titane est reconnu comme étant le matériau de choix en raison de sa biocompatibilité, de sa résistance élevée à la corrosion, de son faible poids et de la possibilité de modifier sa surface []. Les modifications de surface du titane peuvent se faire par revêtement d'un projetat de plasma de titane, par abrasion, par sablage, par mordançage, par anodisation, par travail à froid, par frittage, par pulvérisation magnétron, par électropolissage et par préparation au laser []. Les techniques le plus souvent utilisées sont le sablage de particules, le mordançage à l'acide ou une association des deux []. Ces modifications des propriétés physiques ou chimiques de la surface améliorent la biocompatibilité, accélèrent l'ostéo-intégration et permettent de raccourcir la durée du traitement [, ].
Les surfaces implantaires rugueuses procurent une ostéo-intégration plus rapide que les surfaces lisses. Cependant, une revue récente de la littérature scientifique conclut qu'à ce jour, on ne connaît toujours pas la combinaison des différentes modifications de l'état de surface qui permet d'obtenir les meilleurs résultats []. De plus, des études histologiques indiquent que l'ostéo-intégration suit un mode de cicatrisation similaire avec des surfaces implantaires différentes [].
Les propriétés de surface sont également considérées comme déterminantes dans le succès à long terme des implants dentaires []. Cependant, il faut noter que bien que les taux de survie des implants puissent atteindre près de 90 % après 10 ans de mise en fonction [], le taux des péri-implantites atteint 18,8 % des sujets (jusqu'à 36,3 % chez les fumeurs) et 9,6 % des implants [].
Ainsi, l'amélioration des surfaces présente un revers potentiel difficile à apprécier : son influence sur la péri-implantite [-]. Le problème actuel est celui de l'explosion de l'information []. Par exemple, en mai 2015, il y avait plus de 12 000 articles publiés et référencés par Medline concernant les implants dentaires, près de 2 000 concernant l'état de surface implantaire et plus de 1 000 articles publiés sur la péri-implantite. De plus, il n'existe aucun consensus sur le diagnostic de la péri-implantite. Selon les auteurs, les critères cliniques (saignement au sondage, suppuration, profondeur de poche au sondage...), radiologiques (quantité de perte osseuse) et bactériologiques varient considérablement. Cela donne lieu à une variation importante en termes de prévalence (de 11 à plus de 50 %) [, ].
Un des moyens pour contourner ce problème consiste à se tourner vers la médecine fondée sur la preuve (evidence-based medicine) []. En dentisterie, cette méthode (EBD, evidence-based dentistry) a pour but d'associer les besoins du patient, la meilleure preuve scientifique disponible et l'expertise clinique du dentiste [].
Les études portant sur la définition, l'étiologie, la prévention et le traitement de la péri-implantite s'intéressent plus à l'influence de l'état de surface sur la technique thérapeutique que sur la probabilité de développer une péri-implantite []. Même les études transversales les plus récentes sur la prévalence et les indicateurs de risque des maladies péri-implantaires négligent le rôle potentiel des états de surface implantaires [].
En 2011, une revue de littérature conclut que les caractéristiques de surface ne favorisent pas l'apparition d'une péri-implantite [].
Face à de tels résultats, un groupe de 7 chirurgiens-dentistes français spécialisés en implantologie, le Groupe expert de réflexion et de recommandations sur la péri-implantite (GERRP), a décidé d'identifier, de sélectionner, de passer en revue et de classer les articles concernant l'influence de l'état de surface implantaire sur les résultats cliniques puis d'établir des recommandations ou des directives fondées sur la preuve pour les surfaces implantaires et pour la péri-implantite (Fig. 1 à 3).
Le groupe comprenait 7 participants [, ]. Il s'est réuni pour la première fois le 27 novembre 2014, puis trois fois jusqu'en mai 2015.
Le GERRP est attaché à l'approche définie par l'evidence-based dentistry des Anglo-Saxons que l'on peut traduire par « dentisterie fondée la preuve » [, ]. Cependant, cette approche ne peut être strictement appliquée compte tenu des contraintes liées à la disponibilité et à la qualité intrinsèque des données disponibles. Dès lors, le GERRP s'est doté d'une méthodologie propre fondée sur la grounded theory des Anglo-Saxons [, ], ou « théorie ancrée » en français, qui permet de partir d'observations cliniques pour parvenir à des règles générales, et sur la grille AGREE (appraisal of guidelines research and evaluation) [] qui vise à évaluer la qualité des recommandations issues d'un groupe expert ; toutes deux permettent de s'assurer de la cohérence et de la pertinence des travaux issus du GERRP. Pour garantir la maîtrise de cette méthodologie, le GERRP a fait appel à un tiers, la société StratAdviser Ltd. spécialisée dans ce domaine.
La sélection des articles a été réalisée selon les critères d'inclusion et d'exclusion établis par le GERRP :
– critères d'inclusion :
• études chez l'homme ou animales,
• prospectives ou rétrospectives,
• publiées en anglais (tous les pays),
• au moins deux types de surfaces évalués ;
– critères d'exclusion :
• moins de 20 patients,
• moins de 3 ans de suivi,
• étude portant exclusivement sur des implants en céramique,
• étude portant sur le traitement de la péri-implantite.
Les publications concernant les études cliniques sont pondérées selon une échelle de 7 critères (6 pour les études animales) (tableau I).
Ainsi, la pondération moyenne d'une étude donnée peut varier de 1,0 jusqu'à 3,0. En fonction de leur pondération, les études sont classées dans une des catégories présentées dans le tableau II.
Cette graduation est obtenue en associant le classement de l'étude et le type d'accord, ou de désaccord, établi par les membres du GERRP concernant la conclusion ou la directive. Cela aboutit à une matrice de graduation présentée dans le tableau III.
Comparées aux surfaces usinées, les surfaces rugueuses favorisent-elles plus fréquemment l'apparition d'une péri-implantite ?
La formule de recherche suivante a été utilisée : (dental implants) AND (periimplantitis OR peri-implantitis OR peri implantitis OR periimplant OR peri-implant OR peri implant OR periimplant diseases) AND (surface characteristics OR surface properties OR surface roughness OR material characteristics OR titanium surface OR implant types OR implant surfaces OR surface topography OR surface analysis) AND english [Language].
Elle a permis d'obtenir 1 021 références au 21 octobre 2014. Une analyse attentive des résumés réalisée par un sous-groupe du GERRP, l'utilisation des critères d'inclusion/exclusion précités puis des discussions en sessions plénières ont permis de réduire la liste à 29 études.
Le GERRP a finalement collecté 21 études chez l'homme qui incluaient un total de 3 558 patients et 8 393 implants suivis durant une période allant jusqu'à 20 ans. Chaque étude a été notée selon la méthodologie du GERRP (tableau IV).
Les études ont ensuite été regroupées selon leur classement.
Il n'y a aucune étude disponible classée comme « référence ».
Cinq études sont classées « pertinentes » (tableau V).
Celle de Roos-Jansåker et al. de 2006 [] a été exclue car elle ne porte que sur des surfaces usinées (Brånemark®) et, de ce fait, manque de toute donnée comparative avec des surfaces rugueuses.
Les études « pertinentes » chez l'homme sont apparues plutôt décevantes parce que le nombre de patients était faible, l'analyse statistique était insuffisante, sinon inexistante, et les groupes de comparaison incluaient souvent des surfaces obsolètes.
Les données extraites des études notées comme étant « pertinentes » permettent, néanmoins, d'énoncer les conclusions suivantes :
– la surface usinée bénéficie du suivi documenté le plus long (accord des membres du GERRP sur la pertinence de la conclusion) ;
– elle tend à favoriser un taux de péri-implantites plus faible que les surfaces rugueuses obsolètes (accord des membres du GERRP sur la pertinence de la conclusion) ;
– les patients à risque parodontal ont un risque plus élevé de péri-implantite (accord des membres du GERRP sur la pertinence de la conclusion) ;
– la surface usinée favorise un taux de péri-implantites plus faible chez les patients à risque parodontal (accord des membres du GERRP sur la pertinence de la conclusion) ;
– elle favorise un taux de péri-implantites plus faible quel que soit l'état parodontal des patients (accord des membres du GERRP sur l'indécision quant à la conclusion).
Onze études sont classées comme étant « indicatives » (tableau VI).
L'étude d'Araújo Nobre [] a été exclue parce que, bien qu'étant notée comme indicative , elle explore trop de facteurs de risque (12) dont le rôle respectif n'est pas clarifié par l'auteur.
Les données extraites des études chez l'homme qui sont classées comme étant « indicatives » permettent d'énoncer les conclusions suivantes :
– les surfaces usinées tendent à favoriser un taux global de péri-implantites moins élevé que les surfaces rugueuses obsolètes (accord des membres du GERRP sur la pertinence de la conclusion) ;
– elles tendent à favoriser un taux global de péri-implantites moins élevé que les surfaces modérément rugueuses (accord des membres du GERRP sur l'indécision concernant la conclusion) ;
– elles tendent à favoriser une survenue de péri-implantites moins précoce que les surfaces modérément rugueuses (accord des membres du GERRP sur la pertinence de la conclusion) ;
– elles tendent à favoriser un taux de survie moins élevé, ce qui contraste avec un taux de péri-implantites moins élevé (accord des membres du GERRP sur la pertinence de la conclusion) ;
– l'instauration d'un programme de maintenance strict tend à réduire le risque de péri-implantite (accord des membres du GERRP sur la pertinence de la conclusion).
Les études notées « insuffisantes », notamment celles d'Åstrand (2008) [] et de Dierens (2012) [], ont finalement été exclues de l'analyse globale après l'obtention d'un consensus parce qu'elles ne comparent pas un type de surface avec un autre. L'étude de Nicu (2012) [], également notée comme insuffisante , a été exclue car c'est une étude pilote non concluante.
Le GERRP a finalement sélectionné 8 études qui incluaient un total de 45 chiens et 246 implants, suivis pendant une période allant jusqu'à 1 an, parce que les lésions parodontales chez les chiens sont plus proches de celles des humains que celles des autres animaux de laboratoire (tableau VII) [].
Il n'existe aucune étude disponible classée comme « référence ».
Deux études peuvent être classées comme « pertinentes » (tableau VIII).
En raison de leur homogénéité et d'une bonne notation, les données extraites des études animales classées comme « pertinentes » permettent d'établir les conclusions suivantes :
– les surfaces modérément rugueuses peuvent être associées à une progression plus sévère de la péri-implantite que les surfaces usinées (accord des membres du GERRP sur la pertinence de la conclusion) ;
– les surfaces anodisées peuvent être associées à une progression plus sévère de la péri-implantite que les surfaces usinées (accord des membres du GERRP sur la pertinence de la conclusion).
Trois études peuvent être classées comme « indicatives » (tableau IX).
Les études animales classées « indicatives » se sont avérées plutôt décevantes en raison de résultats non concluants. Néanmoins, une réévaluation systématique des résultats et des conclusions des auteurs par les membres du GERRP a permis d'énoncer les points suivants :
– les surfaces modérément rugueuses peuvent être associées à une progression plus importante de péri-implantite que les surfaces usinées (accord des membres du GERRP sur l'indécision concernant la conclusion) ;
– le programme de maintenance peut atténuer l'influence de la surface sur la progression de la péri-implantite (accord des membres du GERRP sur la pertinence de la conclusion).
Les études classées « insuffisantes » ont finalement été exclues de l'analyse globale en raison de leur faible notation et parce qu'elles ne comportaient pas de phase de progression spontanée de la péri-implantite.
Le GERRP a établi cinq directives et recommandations (Tableau X).
Le GERRP souhaite remercier le Dr Jonathan Atia pour son implication personnelle dans la recherche bibliographique fondée sur sa thèse sur la péri-implantite et sa participation à la présente revue de littérature.
Philippe Khayat
Chirurgien-dentiste, MSD>
Jean-Pierre Albouy
Chirurgien-dentiste, PhD
Philippe Bousquet
Chirurgien-dentiste, MCU-PH
Frédéric Chiche
Chirurgien-dentiste,
Patrice Margossian
Chirurgien-dentiste, MCU-PH
Jean-Paul Rocca
Chirurgien-dentiste, PU-PH
Jonathan Atia
Chirurgien-dentiste
les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.