Implant n° 4 du 01/11/2015

 

DOSSIER CLINIQUE

B. Pomès / T. Schouman  

INTRODUCTION

La restauration des pertes de substance acquises maxillo-mandibulaires constituent l'un des principaux motifs de consultation en prothèse maxillo-faciale. Ces pertes de substance font le plus souvent suite au traitement chirurgical d'une pathologie néoplasique bénigne ou maligne. Au niveau maxillaire, la confection d'une prothèse obturatrice permettra la compensation des défauts osseux et dentaires. Malgré certains avantages incontestables [

Résumé

La reconstruction chirurgicale et la restauration implanto-prothétique des pertes de substance acquises maxillo-mandibulaires constituent un véritable défi à relever pour l'équipe médicale. Le manque de prévisibilité de ces restaurations complexes et la durée de la prise en charge globale du patient figurent parmi les principales difficultés rencontrées. Dans le cas clinique présenté, un protocole de chirurgie guidée a été utilisé pour la reconstruction d'une perte de substance maxillaire par lambeau libre de fibula, associée à la mise en place immédiate d'implants. Une restauration implanto-prothétique fixe a ainsi pu être réalisée dans des conditions satisfaisantes.

INTRODUCTION

La restauration des pertes de substance acquises maxillo-mandibulaires constituent l'un des principaux motifs de consultation en prothèse maxillo-faciale. Ces pertes de substance font le plus souvent suite au traitement chirurgical d'une pathologie néoplasique bénigne ou maligne. Au niveau maxillaire, la confection d'une prothèse obturatrice permettra la compensation des défauts osseux et dentaires. Malgré certains avantages incontestables [] (coût limité, possibilité de surveillance clinique du site opéré), ce type de restauration n'offre pas une intégration physique et psychologique optimale et ses performances masticatoires restent limitées. L'évolution des techniques chirurgicales a permis d'envisager la reconstruction osseuse de ces défauts de manière fiable, en particulier à l'aide de lambeaux libres composites (composés de plusieurs natures de tissus : os, muscle, peau) micro-anastomosés. Néanmoins, ces reconstructions permettent rarement d'envisager ensuite une restauration occlusale acceptable pour le patient, compte tenu de la « topographie » défavorable du site édenté []. C'est pourquoi le recours à l'implantologie est envisagé pour parvenir à une restauration globale satisfaisante [].

Les « restaurations chirurgico-implanto-prothétiques » présentent plusieurs difficultés, parmi lesquelles :

– la durée de traitement longue liée à la multiplicité des interventions chirurgicales (exérèse, reconstruction, implantation, étapes prothétiques) ;

– l'écart entre le positionnement de la reconstruction osseuse réalisée dans un premier temps et la position théorique des implants envisagés secondairement [, ].

La planification assistée par ordinateur ainsi que les techniques de chirurgie guidée constituent une piste de réflexion prometteuse pour répondre à ces problématiques [, ]. L'un des protocoles de restauration chirurgico-implanto-prothétique sera détaillé à travers le cas clinique d'un patient pris en charge conjointement dans le service de chirurgie maxillo-faciale et le service d'odontologie de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris). La prise en charge de ce patient entre dans le cadre d'un partenariat avec la société Nobel Biocare®, qui l'a financée sur les plans implantaire et prothétique.

CAS CLINIQUE

Un homme de 34 ans a consulté dans le service de chirurgie maxillo-faciale pour une tumeur maligne du maxillaire (carcinome muco-épidermoïde maxillaire droit) (fig. 1).

Après un bilan complet et la réalisation de moulages dentaires, il a été décidé, en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), de proposer au patient l'exérèse chirurgicale de la lésion avec évidement cervical. Un an après, une reconstruction par lambeau micro-anastomosé composite de fibula a été proposée. Compte tenu du pronostic favorable du traitement et de la motivation du patient, la pose de 3 implants a également été envisagée lors de cette intervention. L'édentement libre postérieur unilatéral engendré par la perte des dents 14 à 17 ne justifiait pas la confection d'une prothèse provisoire implanto-portée ou amovible en raison de répercussions fonctionnelles et esthétiques limitées.

Acquisitions tridimensionnelles et traitement des fichiers

La tomodensitométrie (TDM) en coupes fines du massif facial ainsi que l'angio-scanner des membres inférieurs ont été confiés à la société OBL, afin de réaliser la simulation numérique de la reconstruction osseuse de la perte de substance maxillaire.

Planification assistée par ordinateur

Le chirurgien maxillo-facial dispose en 24 heures des fichiers permettant de planifier l'intervention. La planification chirurgicale numérique a été réalisée à l'aide du logiciel Surgicase 5.1 (Materialise, Louvain, Belgique) (fig. 2). Le projet implanto-prothétique a été discuté et validé lors de la planification avec le chirurgien maxillo-facial et le chirurgien-dentiste.

Paramètres prothétiques

Le projet de réhabilitation occlusale devait remplacer les dents 14 à 17. Aucun traitement par radiothérapie cervico-faciale n'étant indiqué pour ce patient, une réhabilitation de la 2e molaire pouvait être envisagée sans crainte d'une limitation de l'ouverture buccale irréversible contraignant l'accès et la maintenance. De même, une réhabilitation fixe était possible. L'intégration d'un projet prothétique virtuel dans la planification n'a pas été nécessaire en présence de la denture mandibulaire antagoniste.

Le choix s'est orienté vers un bridge transvissé de 4 éléments.

Paramètres implantaires

Compte tenu de la réhabilitation envisagée, face à une arcade dentaire naturelle complète, susceptible de soumettre la prothèse à des forces importantes, la pose de 4 implants pouvait sembler idéale. Cependant la mise en place de 3 implants a été décidée, en considérant que :

– la pose de 4 implants sur un seul fragment de fibula pouvait compromettre la vascularisation du lambeau ;

– l'implant idéalement placé en 14 se situerait à une extrémité du lambeau et à la jonction entre la fibula et l'os maxillaire.

Le choix des implants s'est fait en fonction des caractéristiques anatomiques de la fibula, ici 3 implants Nobelspeedy Groovy, Nobel Biocare® de 13 mm par 4 mm, regular platform à connectique hexagonale externe.

Les implants ont été positionnés à la place théorique des dents 15, 16 et de la moitié mésiale de 17, dans un axe quasi vertical, et orientés en direction de la ligne des cuspides vestibulaires des dents mandibulaires.

Le bridge prévoit d'être vissé sur 3 implants positionnés en 15, 16 et 17 avec une extension en 14.

Paramètres chirurgicaux

Au site maxillaire : les marges de la résection osseuse ont été délimitées et les traits d'ostéotomies ont été simulés, permettant la suppression virtuelle de la tumeur. Les dents 14, 15, 16 et 17 étaient emportées avec la pièce opératoire.

À la fibula : les traits d'ostéotomies ont été décidés afin d'obtenir virtuellement le segment osseux nécessaire à la reconstruction du secteur maxillaire postérieur. Un seul fragment était nécessaire dans la mesure où le site édenté était rectiligne. La reconstruction osseuse était ensuite simulée par positionnement du segment fibulaire sur le site maxillaire réséqué. La longueur du segment était définie par le chirurgien. Le positionnement du lambeau osseux, pour être optimisé en vue de la réhabilitation occlusale, devait tenir compte des repères anatomiques dentaires antagonistes. La fibula devrait idéalement être orientée parallèlement au plan d'occlusion, à une distance des dents antagonistes avoisinant 10 mm. Cette distance devait permettre de s'accommoder prothétiquement de légères imprécisions dans le positionnement des implants, et de ménager un espace de maintenance péri-implantaire accessible.

Dans ce cas clinique, les structures anatomiques résiduelles ont contraint de diminuer postérieurement cette distance, estimée à 6 mm au niveau de la 2e molaire, faible mais compatible avec une réhabilitation occlusale (fig. 3).

Conception et fabrication des dispositifs médicaux

La plaque d'ostéosynthèse

D'après le positionnement du lambeau au sein du massif facial et la position des implants, une plaque d'ostéosynthèse a été conçue par ordinateur, puis fabriquée par prototypage rapide en titane (fig. 4). La position des futures vis d'ostéosynthèse a été reportée sur le guide maxillaire et le guide de la fibula.

Les guides chirurgicaux

À partir de la simulation chirurgicale, les guides chirurgicaux ont été conçus sur ordinateur.

Il s'agissait d'un guide de résection pour le site maxillaire (fig. 5), guidant :

– les ostéotomies maxillaires ;

– les sites de pré-forages pour vis d'ostéosynthèse selon la plaque fabriquée sur mesure.

Et d'un guide pour la fibula (fig. 6) guidant :

– le forage des sites implantaires ;

– les sites de forages pour vis d'ostéosynthèse selon la plaque fabriquée sur mesure ;

– les traits d'ostéotomies nécessaires au prélèvement et à la conformation du lambeau.

Le modèle stéréolithographique de la reconstruction

Un modèle du résultat final de la reconstruction maxillo-faciale était également obtenu par prototypage rapide en polyamide, sur lequel était matérialisé le prolongement des axes implantaires.

La conception et la fabrication des dispositifs médicaux ont été réalisées par la société OBL (Châtillon, France).

Déroulement de l'intervention

Après exposition du maxillaire, les guides ont été positionnés et transvissés pour pratiquer les ostéotomies nécessaires à l'exérèse de la tumeur. Les dents 14 à 17 ont été emportées dans l'exérèse. Les forages destinés aux futures vis d'ostéosynthèse ont été réalisés à l'aide des mêmes guides. Les vaisseaux cervicaux ont été disséqués pour préparer les anastomoses vasculaires.

La fibula a été exposée, et son pédicule repéré. Une palette de fascia centrée sur des vaisseaux perforants a été ménagée pour permettre la couverture ultérieure des implants en bouche. Le guide a ensuite été positionné et vissé sur la fibula, les sites implantaires ont été préparés conformément au guide et les 3 implants ont été mis en place suivant le guide. Les forages destinés aux futures vis d'ostéosynthèse ont été réalisés en premier, avant les ostéotomies, pour assurer une meilleure stabilité du guide. Les ostéotomies permettant la délimitation de la fibula ont été pratiquées selon les plans du guide. La plaque d'ostéosynthèse fabriquée sur mesure a été fixée au lambeau dans la position planifiée (fig. 7). L'ensemble a été positionné au site receveur. Après obtention de la concordance entre la plaque d'ostéosynthèse et les préforages déjà réalisés pour les vis d'ostéosynthèse, le lambeau osseux a été fixé. Après micro-anastomose des vaisseaux du cou et du lambeau, les deux sites chirurgicaux étaient refermés et les implants enfouis, recouverts par la palette de fascia.

La perfusion vasculaire du lambeau était contrôlée régulièrement dans les jours suivants.

Contrôle clinique et réalisation de la prothèse d'usage

5 mois après l'intervention initiale, la consolidation osseuse et l'ostéointégration des implants ont été validées. Après mise en fonction des implants (fig. 8), la réalisation du projet prothétique initial était envisageable : bridge céramo-céramique transvissé directement sur les implants. Elle s'est déroulée comme suit :

– Empreintes maxillaire et mandibulaire préliminaires, en vue de la réalisation d'un porte-empreinte individuel maxillaire fenestré et d'un dispositif de solidarisation des implants.

– Empreinte de positionnement des implants, avec une technique de transferts solidarisés au plâtre [] (fig. 9) et emportés dans une empreinte au polyéther (Impregum™, 3M ESPE) (l'adaptation des transferts est préalablement vérifiée cliniquement et radiologiquement).

– Vérification du positionnement des implants à l'aide d'une clef en plâtre (dont l'adaptation était vérifiée radiologiquement). Les vis étaient vissées à fond et dévissées successivement dans chaque ordre possible. Aucune fracture n'a été constatée au niveau du plâtre.

– Montage sur articulateur à l'aide d'une cire d'occlusion transvissée.

– Conception assistée par ordinateur de l'armature en zircone Nobel Procera® (fig. 10).

– Essayage et validation clinique de l'armature. L'émergence des vis dans le couloir prothétique était favorable (fig. 11) et le positionnement des implants au niveau de chaque dent était adéquat (fig. 12).

– Essayage et validation du biscuit.

– Pose du bridge après glaçage (fig. 13). Vérification de l'adaptation occlusale. Contrôle radiographique (fig. 14).

– Contrôle à 7 jours, puis 1 mois pour s'assurer de la stabilité des rapports occlusaux après reprise des fonctions dans le secteur réhabilité, et pour contrôler le couple de serrage des vis.

La persistance et la lente aggravation d'un bourgeonnement des tissus mous localisé en regard d'une partie de la plaque d'ostéosynthèse ont conduit à sa dépose, après réalisation du projet prothétique.

L'esthétique de la réhabilitation globale est satisfaisante et l'harmonie du visage a été préservée.

Suivi et maintenance

L'enseignement des techniques de maintenance au domicile a été réalisé, avec l'utilisation complémentaire de brossettes inter-dentaires et d'un jet hydropulseur dentaire.

Un suivi implanto-prothétique semestriel a été proposé au patient (mais non respecté, suivi annuel).

2 ans après la pose de la prothèse (fig. 15), nous avons pu constater :

– aucun dévissage ni fracture de vis ;

– aucune fracture de céramique ;

– occlusion stable ;

– absence de bourgeonnement ;

– absence de plaque sur la prothèse ;

– péri-implantite autour des 3 implants (fig. 16). Un curetage et réaménagement des tissus mous péri-implantaires par greffe de peau mince est envisagé afin de stabiliser la situation.

Le patient s'est déclaré satisfait de la réhabilitation globale d'un point de vue esthétique et fonctionnel, se sentant « presque comme avant ». Il a pu conserver son activité professionnelle et a repris la pratique semi-professionnelle du théâtre, qui faisait partie de ses objectifs personnels de traitement. Le retentissement de la prise en charge globale sur la qualité de vie semble donc minime et acceptable à 2 ans.

DISCUSSION ET CONCLUSION

Ce protocole de prise en charge des pertes de substances acquises maxillo-mandibulaires se base sur un concept de réhabilitation globale « chirurgico-implanto-prothétique », dans lequel le projet prothétique est intégré initialement dans la planification du plan de traitement. La réhabilitation prothétique n'est plus considérée comme un traitement optionnel mais bien comme une finalité dans un plan de traitement pluridisciplinaire complexe engageant la qualité de vie du patient. L'originalité du protocole réside dans la combinaison de plaques d'ostéosynthèse personnalisées associée à des guides de forage pour les vis. C'est la plaque d'ostéosynthèse combinée au préforage des trous de ses vis de fixation (l'ensemble étant obtenu numériquement) qui assure le positionnement du lambeau osseux sur le site receveur conformément à la planification chirurgicale. La précision de la reconstruction osseuse dépendait donc de la précision de positionnement de ces guides en per-opératoire sur les sites receveur et donneur.

Cela permet d'envisager un positionnement satisfaisant de la reconstruction osseuse et la mise en place d'implants prothétiquement exploitables. Le gain de temps engendré par le regroupement des temps chirurgicaux est un argument pertinent pour la réhabilitation de certains patients dont les pathologies affectent le taux de survie à moyen terme. Par ailleurs, chez les patients pour lesquels un traitement complémentaire par radiothérapie est indiqué, la possibilité de mettre en place des implants lors de la chirurgie d'exérèse (et donc avant les traitements ionisants), élargit les possibilités de réhabilitation occlusales.

Cependant, ces réhabilitations présentent des limites : en dépit des solutions de planification assistée par ordinateur, la pérennité à long terme peu prévisible de ces solutions thérapeutiques demeure une véritable question. On observe en effet une instabilité des tissus mous péri-implantaires issus du lambeau de reconstruction, semblant favoriser le survenue de péri-implantites chez certains patients, en dépit de l'absence de palette cutanée dont l'épaisseur complique encore la gestion de l'environnement implantaire []. Enfin, le surcoût reste pour ces patients au contexte pathologique spécifique un obstacle majeur ; celui-ci étant lié à une quasi absence de prise en charge financière de la réhabilitation implanto-prothétique.

Les protocoles de réhabilitation globale intégrant la planification assistée par ordinateur s'inscrivent dans une démarche d'amélioration des traitements et de la qualité de vie des patients, et sont à ces titres très prometteurs [].

REMERCIEMENTS

Laboratoire dentaire Jean-François Barret (Paris),

société Nobel Biocare France (Bagnolet),

société OBL® (Châtillon)

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Benjamin Pomès
Chirurgien-dentiste, assistant hospitalier universitaire (AHU)
Hôpital Pitié-Salpêtrière (Paris), Université Paris Diderot – Paris 7.

Thomas Schouman
Chirurgien maxillo-facial, praticien hospitalier (PH)
Hôpital Pitié-Salpêtrière (Paris).

les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêts concernant cet article.

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