REVUE DE LA LITTÉRATURE
Diplômé de la Faculté de chirurgie dentaire de Paris Descartes
CES de biologie buccale, de prothèse scellée et de parodontologie
Ancien assistant des hôpitaux
Ancien odontologiste assistant des Universités
Diplômé de l’université Paris Descartes en prothèse implantoportée
Praticien attaché des Hôpitaux
Hôpital Louis-Mourier
Service d’implantologie
178 rue des Renouillers
92700 Colombes
La stabilité primaire représente le niveau d’immobilité d’un implant après la pose. C’est un critère mécaniste dont dépendent la cicatrisation osseuse et l’ostéointégration qui sont des phénomènes biologiques. Dans le cadre de la mise en charge immédiate, cette stabilité primaire doit-elle avoir une valeur seuil et comment peut-on la mesurer ? Nous avons réalisé une recherche bibliographique auprès de différentes bases de données afin de rassembler des publications de revues de la littérature, des méta-analyses et des conférences de consensus. Il en ressort que, même si des progrès considérables ont été réalisés pour raccourcir les délais de cicatrisation et élargir les possibilités d’implantation, les concepts énoncés par Brånemark en 1970 sont toujours d’actualité. L’étude de la physiologie osseuse nous rappelle qu’il existe de très nombreuses zones d’ombre dans la compréhension du phénomène d’ostéointégration et de la biomécanique osseuse. L’apport des nanosciences éclaire d’un jour nouveau les processus cicatriciels et nous met en garde contre les nombreux effets du titane nanométrique sur les structures biologiques. Notre étude est basée sur les mesures de l’analyse de fréquence de résonance de la stabilité primaire à la pose puis au bout de 3 mois de 319 implants chez 144 patients. La médiane des valeurs ISQ mesurées à la pose est de 72,5 au maxillaire et de 75 à la mandibule. L’écart à la moyenne à la pose à la mandibule (9,2) est plus élevé qu’au maxillaire (8,6), mais ceci est peu significatif. Au bout de 3 mois, l’ensemble des mesures se rejoignent autour d’une valeur ISQ de 73 et un écart à la moyenne de 5,2 pour le maxillaire et la mandibule, ce qui correspondrait à la stabilité d’un implant ostéointégré et coïnciderait avec la valeur seuil de la stabilité primaire. Mais nous ne savons pas si elle permet une mise en charge immédiate pour un implant unitaire. Enfin, il semble, au regard de l’étude, qu’il n’existe pas de prédictibilité de la stabilité primaire quel que soit le biotype osseux pour une mise en charge immédiate.
The primary stability represents the immobility level of an implant after its insertion. It is a mecanistic criterion on what depends the bone healing and the osseointegration, that are biological phenomena. As part of immediate loading, this primary stability have to have a threshold value and how can it be measured? We realized a bibliographic research with differents informations bases to gather publications of litterature journals, meta analysis and consensus conferences. It shows up that, even if considerable progresses have been realized to shorten the healing period and expand the implant possibilities, concepts enunciated by Brånemark in 1970 are still valid. The study of bone physiology reminds us that many grey areas remains in the comprehension of the osseointegration phenomenon and in the bone biomecanic. The contribution of nanosciences unlight the cicatricial processes and put us in gard against the many effects of nanometrical titanium on biological structures. Our study is based on measurements of the resonance frequency analysis of the primary stability at implant placement then at 3 months 319 implants at 144 patients. The median values of ISQ at implant placement is measured at 72.5 maxilla and at 75 the mandible. The difference in the average laying in the mandible (9.2) is higher than in the maxilla (8.6) but this is insignificant. At 3 months all measures join around a ISQ value of 73 and a deviation from the average of 5.2 for the maxilla and mandible, which would correspond to the stability of an osseointegrated implant and coincide with the primary stability threshold value. But we do not know if it allows immediate loading for a single implant. Finally it seems, in the light of the study, that there is no predictability of primary stability whatever the bone biotype for immediate loading.
Obtenir et maintenir la stabilité des implants sont les conditions préalables au succès clinique et fonctionnel dans la durée d’une prothèse implanto-portée [1]. Ce principe a été définitivement reconnu et accepté lors de la conférence de Toronto organisée par Adell et Zarb en 1982 et qui élaborait les piliers fondateurs de l’implantologie moderne. Et c’est en 1998, également à Toronto, que Zarb et Albrektsson [2] ont défini, lors de la conférence de consensus, les critères de succès des thérapeutiques implantaires.
Diagnostiquer cette stabilité à différents stades de la cicatrisation osseuse pourrait ouvrir de nouvelles options thérapeutiques [3] car chaque site sélectionné offre des potentialités cicatricielles différentes selon le biotype tissulaire rencontré : os à tendance corticalisé ou trabéculé, os atrophique, os greffé (autogreffe, xénogreffe, allogreffe). D’autres facteurs peuvent interagir sur l’acquisition et le maintien de l’ostéointégration qui évoluent avec le temps : antécédent de parodontite, tabagisme, maladies systémiques, statut hormonal.
C’est lors de la conférence de consensus de l’Academy of Osseointegration, en 2006, que Cochran [4] a défini l’ostéointégration comme étant la stabilité de l’implant dans l’os, représenté par un équilibre dynamique entre l’os in situ et le nouvel os après remodelage, et du maintien de l’interface os/implant.
Cette définition pose plus d’interrogations qu’elle n’en résout. En effet, quelle est la nature de cet équilibre dynamique garant du maintien de l’ostéointégration ? Le maintien de l’interface os/implant dépend-il d’un équilibre des micro-dommages, d’un équilibre immunologique, et quelle serait l’influence du titane nanométrique sur les structures biologiques ?
La stabilité primaire représentant le niveau d’immobilité d’un implant immédiatement après sa pose permet-elle de prédire le phénomène d’ostéointégration et son maintien dans le temps ? Quels sont les critères qui la définissent, peut-on la mesurer et quantifier une ou des valeurs seuils ?
Pour étayer notre propos, nous chercherons à savoir, à travers une étude rassemblant près de 500 données mesurant la stabilité primaire des implants à l’aide de l’analyse de fréquence de résonance, si elle est prédictible quels que soient le site et la qualité osseuse, pour une mise en charge immédiate.
L’ostéointégration est un des phénomènes biologiques qui a été le plus étudié et le plus documenté. C’est en 1952 que Brånemark commença ses recherches. Les premiers résultats furent publiés en 1959. Depuis, des milliers de publications, de thèses et d’ouvrages ont été réalisés. Pour autant, le phénomène d’ostéointégration est-il entièrement élucidé et peut-il justifier l’apparition de nouveau protocole ?
À la fin du XIXe siècle, Henri Poincaré écrivait : « On fait la science avec des faits, comme on fait une maison avec des pierres. Mais une accumulation de faits n’est pas plus une science qu’un tas de pierres n’est une maison. »
Lors de la conférence de consensus sur l’état actuel des sciences en implantologie, Iacono et Cochran [5] ont préconisé une approche fondée sur la preuve dans les revues systématiques de la littérature. Cette démarche découle, entre autres, de l’étude de Ioannidis [6] qui montre que le rapport entre publications vraies positives et fausses positives est de 1/20.
La médecine fondée sur la preuve (evidence-based medecine), née de la Collaboration Cochrane et de la Cochrane Library en 1993 sous l’égide d’Archie Cochrane (décédé en 1988) et d’Iain Chalmers, a été définie par Sackett en 1996 [7] : « La médecine fondée sur la preuve consiste à utiliser de manière rigoureuse, explicite et judicieuse les preuves actuelles les plus pertinentes lors de la prise de décision concernant les soins prodigués à chaque patient. ». Ainsi, les preuves considérées comme de plus haut niveau sont issues d’études cliniques systématiques, d’essais cliniques randomisés ou de méta-analyses.
L’odontologie profite de ces avancées en créant la dentisterie fondée sur la preuve (evidence-based dentistry) reposant sur le même triptyque : données de la science de haut niveau de preuve, expérience clinique du praticien et préférences du patient. Les niveaux de preuve vont du niveau 1 pour les preuves scientifiques établies au niveau 4 pour les faibles niveaux de preuve.
Concernant la mise en charge immédiate, nous avons procédé à une recherche bibliographique auprès de quatre bases de données à l’aide des mots clés dental implants, primary stability et/ou immediate loading, avec les résultats suivants pour une période allant de 2000 à 2012 :
– Embase : 95 résultats ;
– PubMed : 102 résultats ;
– Dentistery Oral Source : 79 résultats ;
– Collaboration Cochrane : 1 résultat de niveau 1 sur 7 024 publications.
Ainsi, de très nombreux articles ont été consacrés à la mise en charge immédiate au cours de ces 10 dernières années mais très peu d’études répondent aux exigences de la médecine fondée sur la preuve.
Mais en aucun cas ces preuves ne peuvent remplacer le jugement et l’expérience du praticien, ce qui explique que la médecine factuelle complète et remet en question la pratique médicale traditionnelle mais ne la remplace pas [8].
Peut-on conclure que les études qui ne répondent pas à ces critères n’ont pas d’intérêt, ne reflètent qu’une opinion ou sont même nocives pour une pratique clinique efficace et sans risque ?
Deux principales objections sont faites à la médecine fondée sur la preuve :
– dans de nombreux cas les preuves sont absentes mais une absence de preuve d’efficacité d’un traitement ne prouve pas forcément l’inefficacité de ce traitement pour un patient donné.
– il est difficile d’appliquer à un patient précis les conclusions d’une étude générale.
C’est pourquoi la méthodologie de la médecine fondée sur la preuve doit intégrer ces objections et inclure une dimension critique dans son projet : « Ce qui est blanc ou noir dans une revue scientifique peut rapidement devenir gris dans la pratique clinique. » C’est ce que Naylor [9] définit comme les grey zones.
Forts de cette constatation, nous pouvons utiliser les résultats de nouvelles techniques de recherche mis à notre disposition depuis une dizaine d’années. Ainsi, nous chercherons, à travers les études issues des nanosciences, quels sont les effets de l’oxyde de titane nanométrique sur les structures biologiques. Elles pourront contribuer à ouvrir une voie nouvelle en matière de compréhension non seulement du succès mais aussi des échecs du phénomène d’ostéointégration.
Les principes fondamentaux qui conditionnent l’ostéointégration ont été établis par Brånemark en 1970. Albrektsson [1, 10], Zarb [11] et le Nordic Symposium 2012 de Göteborg [12] montrent que ces principes sont toujours d’actualité :
– un os vivant. Son comportement varie selon son ontogenèse, sa physiologie et sa cinétique de cicatrisation ;
– la technique chirurgicale (principe de parcimonie) ;
– des sites implantés protégés ;
– un matériau biocompatible. Aujourd’hui, il s’agit du titane, de sa forme et de son état de surface (caractéristiques biochimiques et biophysiques).
– les conditions de mise en charge ;
– l’absence d’inflammation des tissus péri-implantaires.
L’édification de la structure osseuse varie selon son origine ontogénique et possède donc des propriétés cicatricielles et adaptatives différentes. L’os joue un rôle métabolique (équilibre phosphocalcique), biomécanique (adaptation aux charges), hématopoïétique (à l’origine des trois lignées sanguines).
D’un point de vue histologique, la matrice extracellulaire osseuse est composée d’une matrice organique et d’une partie minérale. La matrice organique est composée de fibres de collagène de type I, de protéines non collagéniques (ostéocalcine, ostéonectine, fibronectine, thrombospondine, vitronectine, ostéopontine et protéoglycanes), de protéines plasmatiques et de facteurs de croissance. La fraction minérale est composée d’hydroxyapatite. L’os est enfin composé de cellules ostéoclastiques (lignée hématopoïétique) et de la lignée ostéoblastique (ostéoblastes, ostéocytes et cellules bordantes).
L’unité structurale de base est l’ostéon. Il est cylindrique dans l’os compact et a un aspect en croissant dans l’os trabéculaire.
L’ontogenèse de la mandibule est le fidèle reflet de sa phylogénie. C’est un os d’origine enchondrale (cartilage de Meckel) qui est peu sensible aux modifications adaptatives sous l’influence de contraintes mécaniques. L’os cortical de la mandibule s’est développé et épaissi selon les insertions musculaires dans les zones de fortes sollicitations. Il va se créer des piliers haversiens sous la forme de poutres et de travées adaptatives [13], ce qui fait de l’os mandibulaire, d’un point de vue exclusivement mécaniste, un os idéal pour la mise en place d’implants en raison de la présence et de l’importance de son étui cortical pouvant assurer une excellente stabilité primaire a priori. En revanche, nous verrons que l’approche biologique des processus cicatriciels est beaucoup plus complexe et son non-respect est à l’origine d’échecs précoces (chirurgie) et tardifs (dépassement des possibilités de cicatrisation des micro-dommages, évolution du statut immunologique, rôle du titane nanométrique à l’interface os/implant).
L’ontogenèse du maxillaire est différente de celle de la mandibule car c’est un os de membrane qui reçoit peu de sollicitations musculaires. Il y a donc peu ou pas d’os cortical. Le maxillaire est composé en grande majorité d’os trabéculaire richement vascularisé. C’est un os à croissance adaptative et la cicatrisation, lors d’une chirurgie implantaire ou lors des processus de réparation des micro-dommages, répond à cette propriété. Chaque perturbation dépassant l’enveloppe de tolérance, difficilement quantifiable, des potentialités cicatricielles aboutira à une perturbation de la cicatrisation osseuse [14]. C’est la raison pour laquelle, dans ce type d’os, une stabilité primaire la plus élevée possible sera recherchée afin d’empêcher toute perturbation pendant la durée de la cicatrisation osseuse. Lors de la mise en charge, l’orientation des forces occlusales selon le grand axe de l’implant trouve ici sa justification afin d’éviter les moments de flexion générateurs de perte osseuse par dépassement des capacités d’adaptation et par absence d’os cortical qui agit comme une contention. En effet, l’os est plus résistant en compression qu’en traction.
Grâce à l’hétérogénéité de leur structure et selon leur biotype (de I à IV selon la classification de Lekholm et Zarb [15]), l’os compact et l’os trabéculaire possèdent deux propriétés biomécaniques fondamentales desquelles dépend le succès ou l’échec des thérapeutiques implantaires. Les réponses aux sollicitations mécaniques (adaptation par remaniement structurel) seront différentes, engendrant des réponses biologiques adaptées selon le biotype osseux. Toutefois, il n’existe pas de consensus sur la définition de la qualité osseuse [10].
L’os a un comportement [16] :
– anisotrope. En raison de son hétérogénéité, son comportement sera différent en réponse à des contraintes mécaniques orientées ;
– viscoélastique. Ses propriétés varient avec la vitesse d’application de la charge. Il résiste mieux aux efforts rapides qu’aux efforts lents. Les propriétés biomécaniques dépendent donc du facteur temps (Fig. 1 à 4) [17, 18].
– La stabilité primaire est un phénomène macroscopique. Qu’en est-il d’un point de vue microscopique ?
Les processus cicatriciels osseux, lors des solutions de continuité osseuses traumatiques ou non ou lors d’ostéotomies, sont les mêmes que celles réalisées lors de la préparation chirurgicale (forage) du site receveur d’un implant. Pour permettre une cicatrisation optimale, la technique chirurgicale doit être la plus simple possible. C’est le principe de parcimonie (lex parcimoniae) dit « du rasoir d’Occam » élaboré par Guillaume d’Occam au XIVe siècle : « Les hypothèses suffisantes les plus simples sont les plus vraisemblables. » La technique chirurgicale doit être atraumatique et d’un très haut degré d’asepsie. La température de forage ne doit pas dépasser 47 °C sous peine de mortification de l’os et de sa séquestration. Dans un os de type I ou II, le diamètre du forage sera très proche de celui de l’implant et, parfois, le taraudage sera nécessaire pour éviter cette montée en température qui sera très rapide. Il est déconseillé alors d’utiliser des implants coniques ou tronconiques en raison du risque d’échauffement et d’apoptose à l’apex. En revanche, dans un os de type III ou IV, le forage sera sous-dimensionné pour obtenir une stabilité primaire élevée mais les couples de serrage conseillés ne sont pas forcément adaptés tant les sites sont hétérogènes et comportent donc des risques. Le contrôle de l’irrigation est primordial pour limiter cette température, bien que cela soit empirique par absence d’appareil de mesure. L’utilisation des guides chirurgicaux stéréolithographiques pose le problème de l’efficacité de cette irrigation. Enfin, l’expérience du chirurgien est primordiale. Esposito [19] montre que les chirurgiens expérimentés ont 50 % d’échecs en moins que les débutants. La cicatrisation osseuse s’effectue en trois phases
Après avoir réalisé la chirurgie des tissus mous, ou non (flapless), la séquence de forage et la mise en place de l’implant, que se passe-t-il immédiatement après la pose de ce dernier ?
Il y a d’abord une phase inflammatoire qui dure de 1 à 3 jours, similaire à une ostéotomie qui est une réponse normale à la chirurgie : elle correspond à l’élimination du tissu osseux dévitalisé dû à l’acte chirurgical jusqu’à 1 mm de la surface implantaire [20]. C’est la raison pour laquelle des distances de 3 mm entre les implants et de 2 mm entre la dent et l’implant sont conseillées afin que ce phénomène ne perturbe pas la cicatrisation par contiguïté [21]. Par suite de la rupture des vaisseaux sanguins, un hématome se forme, mélangé à des résidus osseux. Une nécrose de proximité apparaît et une cascade inflammatoire s’installe, apportant des cellules macrophagiques et ostéoclastiques en bordure du site chirurgical. Une angiogenèse liée à une prolifération cellulaire très importante restaure la vascularisation, entraînant des facteurs de croissance et de différenciation (cytokines et hormones) agissant sur la prolifération et la différenciation des cellules précurseurs et des ostéoblastes [22 à 24].
Ensuite, se produit une phase de modelage osseux [25 à 27]. Le contact primaire os/implant doit être le plus fin possible pour éviter la migration potentielle du tissu conjonctif dans la partie cervicale afin de déclencher l’ostéointégration. C’est pendant les 14 premiers jours que l’activité ostéoblastique est la plus intense. La stabilité primaire de l’implant prend toute son importance car, pendant les deux semaines suivant la mise en place de celui-ci, elle diminue. Les processus cicatriciels et de remaniement osseux réduisent le contact os/implant, pour ensuite augmenter grâce aux phénomènes biologiques et non plus grâce à l’action mécanique par vissage ou par impactage. Dans une étude pilote chez l’homme, Degidi et al. [28] montrent que le contact os/implant 4 semaines après la pose est de 49 à 61 % de la surface implantaire selon le design de l’implant. Le site doit saigner au moment de la chirurgie, surtout au niveau des sites fortement corticalisés (types I et II de la classification de Lekholm et Zarb) car ils sont peu vascularisés, afin de permettre l’apport des différents éléments nécessaires à la cicatrisation (cellules, protéines, enzymes, etc.). À partir du caillot apparaissent des fibrilles. La fibronectine assure l’adhésion de ces fibrilles non orientées, favorisant la migration cellulaire (fibroblastes, cellules souches, préostéoblastes) vers l’implant. C’est un tissu (cal) très cellulaire à croissance très rapide, de 30 µm à 1 mm par jour, ce qui permet la distraction osseuse [29]. Mais, en cas de mouvements trop importants (4 000 µm) lors de la mise charge immédiate ou précoce, le réseau fibrillaire entre l’os et l’implant se rompt et la migration cellulaire s’oriente vers un tissu fibreux plutôt qu’osseux [30, 31]. Il se crée une ostéogenèse à distance ou le nouvel os se forme à la surface de l’os préexistant. Cet os fournit les cellules ostéogéniques qui déposent une nouvelle matrice. Celle-ci progresse vers l’implant, provoquant une ostéogenèse de contact qui doit aboutir à la formation de l’os au contact de l’implant. C’est la fibrine sur laquelle migrent les cellules ostéogéniques qui adhèrent à la surface implantaire. Les recherches sur les états de surface implantaire (propriétés physico-chimiques) favorisant cette adhésion, la maintenant et accélérant la cyto-différenciation cellulaire sont en pleine expansion.
Lors d’une mise en charge immédiate ou précoce, il est peu probable qu’un implant se déplace de 4 mm et qu’il rompe le réseau fibrillaire. Mais des contraintes occlusales intenses (secteur molaire ou prémolaire) dont l’intensité, la direction, la fréquence et la durée ne sont pas contrôlées aboutissent à un changement du phénotype des lignées cellulaires qui doivent se différencier, en particulier les fibroblastes, en diminuant l’expression de l’ostéocalcine et de l’ostéonectine par les ostéoblastes [31], et perturbent l’ostéogenèse. L’intensité de ces forces nocives n’est pas connue. La recherche d’une stabilité primaire mécanique « à outrance » par la mise au point de nouveaux designs, en particulier des formes coniques ou tronconiques, peut conduire à une apoptose cellulaire retardant, voire empêchant l’ostéointégration.
Cette phase dure 6 semaines.
Le treillis fibrillaire, dans lequel se forme de l’os lamellaire, s’oriente. C’est la formation osseuse de novo et la création d’une ligne cémentaire composée d’ostéopontine et de sialoprotéines (reverse line). La partie collagénique sera séparée du substrat par une couche minéralisée non collagénique d’environ 500 nm d’épaisseur. La nucléisation des cristaux de phosphate de calcium intervient et le collagène se minéralise peu à peu. Il est à noter que le titane ne génère pas d’épitaxie. Cette structure composite croît lentement (0,6 µm/j) et est plus apte à supporter les charges que d’autres.
Cette phase se termine à la 18e semaine.
Le tissu ostéoïde se minéralise et le couple apposition osseuse-résorption osseuse s’établit. Le remodelage osseux peut commencer et sera régulé par deux processus : une régulation hormonale (maintien de la calcémie) et une régulation mécanique (adaptation face à des charges et réparation des micro-dommages). Au niveau cellulaire, ce sont les ostéoblastes stimulés qui régulent le nombre d’ostéoblastes actifs car ils sont indispensables à la différenciation des monocytes en préostéoclastes.
Le remodelage se fait aussi bien à l’interface implantaire que dans l’os à distance : c’est la maturation (de 18 à 54 semaines), qui est accentuée par le phénomène d’accélération local, ou RAP (regional acceleratory phenomenon) en réponse à la chirurgie décrit par Frost et qui intéresse l’os distant de 5 à 25 mm de l’interface os/implant. Cela implique que la chirurgie puisse influencer à distance d’autres structures (parodonte, os péri-implantaire).
Le remodelage doit permettre la conservation des propriétés mécaniques osseuses, la capacité d’adaptation aux contraintes, la réparation des micro-dommages et la régulation de l’équilibre phosphocalcique. Il s’effectue en quatre phases : activation, résorption, inversion et ostéo-formation. Ces phases se font au sein d’unités morphologiques appelées BMU (basal multicellular unit). L’ensemble des taux de résorption et de formation est couplé et synchronisé, permettant la conservation de masse, mais il n’est pas uniforme.
Chaque année, un homme adulte renouvelle 25 % de son os trabéculaire et 4 % de son os cortical. La cinétique de la cicatrisation osseuse est donc différente selon que l’os est trabéculaire ou cortical. Sennerby [3] montre qu’avec le temps, l’os trabéculaire évolue vers une structure osseuse à rigidité accrue à tendance corticale. Sa riche vascularisation permet une cicatrisation rapide et sa composition permet une adaptation rapide aux charges (viscoélasticité et anisotropie marquée). Mais un implant en place dans un os de type III ou IV aura une stabilité plus faible a priori. Ce type d’os sera inadapté aux charges répétées pendant au moins 6 semaines postopératoires. Afin de raccourcir le temps de cicatrisation dans ce type d’os, les industriels ont imaginé de nouveaux types d’implants : implants coniques ou tronconiques, larges spires, états de surface modifiés avec des résultats et des effets secondaires difficilement prévisibles à court et long termes. En revanche, l’os cortical peu vascularisé a peu de changement. La cicatrisation ainsi que le remodelage sont plus lents. Avec le temps, il remplit les espaces entre les spires des implants et son architecture histologique a peu évolué. Il assure une stabilité primaire d’ordre mécanique qui protège la cicatrisation osseuse de l’os trabéculaire sous-jacent dans de bonnes conditions. Mais la stabilité primaire assurée par l’os cortical n’est pas un marqueur de l’ostéointégration et l’innocuité ainsi que la prévisibilité d’une mise en charge immédiate seraient un leurre. En effet, l’os cortical cicatrise quatre fois moins vite que l’os trabéculaire. Les micro-dommages de fatigue qui apparaîtront lors des fonctions de mise en charge (fonctions occlusales fonctionnelles ou parafonctionnelles) seront réparés avec une cinétique différente selon que l’os sera cortical ou trabéculaire (Fig. 5).
La phase complète d’équilibre sera atteinte 18 mois après la chirurgie [32]. Toutefois, le temps nécessaire à une ostéointégration complète (si elle existe) n’est pas connu.
Un des principes de l’ostéointégration rappelé en 2008 par Zarb et al. [11] et confirmé par Adell en 2012 [12] est de mettre en place un implant dans un os vivant. Les substituts osseux, à ce jour, (xénogreffe, matériau alloplastique) sont tous ostéo-conducteurs et non ostéo-inducteurs. Une étude pilote histomorphométrique sur l’être humain a évalué et comparé la formation d’os vital dans les comblements sinusiens utilisant un matériau alloplastique et une xénogreffe à 6 et 8 mois postopératoires [34]. Elle montre une formation d’os spongieux vivant en moyenne de 28,25 % sans différence significative entre les deux types de matériaux à 8 mois postopératoires. Toutes les études montrent que plus le temps de maturation est long, plus la quantité d’os vivant néoformé augmente sans toutefois dépasser les 33 % [35, 36]. Ainsi, dans le cas d’implant placé dans près de 100 % de substitut osseux, peut-on encore parler d’ostéointégration ? Existe-t-il une stabilité primaire ? Quel pourrait être le comportement à long terme, dans ces conditions, d’un implant en charge et de son substitut ? En revanche, si l’épaisseur de l’os résiduel du plancher sinusien est supérieure à 4 mm dans le cas d’une technique de Summers, on peut obtenir une stabilité primaire équivalente à celle d’un implant mis en place dans 100 % d’os [37]. Dans le cas d’une extraction-implantation immédiate, nous avons les mêmes résultats si l’apex de l’implant va au-delà de celui de la dent extraite de plus de 3 mm.
Les connaissances dans ce domaine sont récentes et demeurent limitées. Toutefois, il existe un large consensus de toutes les études relatives à l’adaptation de l’os face à son usage mécanique [38 à 41].
La sollicitation mécanique est le déterminant fonctionnel de la masse osseuse le plus important avec la conversion du génotype vers le phénotype des cellules impliquées [42]. Les niveaux de déformation osseuse non pathologiques varient entre 400 et 2 000 µm selon le type d’os (variation de 1 à 5 !). Mais l’os s’adapte à son usage mécanique normal de telle sorte que les déformations maximales générées par les contraintes mécaniques restent constamment inférieures au seuil de micro-dommages. Toutefois, des micro-dommages de fatigue peuvent se produire et leur nombre augmente en fonction de la charge. Les réparations sont altérées s’il y a trop de micro-dommages, si les réparations sont entravées ou incomplètes ou s’il y a une combinaison des deux. Avec l’âge se produit une diminution de la déformation maximale avant rupture (5 % tous les 10 ans pour le fémur [43]).
Ainsi, une sollicitation mécanique fonctionnelle croissante est associée à une augmentation de la masse osseuse alors qu’une sollicitation fonctionnelle décroissante est associée à une perte osseuse : c’est le stress-shielding. De même, l’absence de charge oriente le remaniement vers une perte osseuse [44]. Le renouvellement des charges provoque un recrutement d’ostéoblastes selon la théorie des quantas. Certaines études ont voulu montrer qu’un implant pourrait préserver le capital osseux chez le sujet jeune et limiter une résorption avancée chez le sujet âgé [45]. Mais il semble qu’il ne joue aucun rôle et que s’il doit y avoir une résorption osseuse, elle aura toujours lieu.
Il existe une fenêtre de contraintes admissibles. Le protocole des charges efficaces serait des forces élevées, des taux de déformation osseuse élevés sans dépasser 2 000 µm et des forces créant des répartitions de déformations variées (direction, vitesse application des forces par unité de temps, fréquence d’application). Pour Szmukler-Moncler et al. [46], l’ostéointégration peut intervenir quand des micro-mouvements se situent entre 50 et 150 µm. Il semble que cela puisse être possible pour des implants connectés en liaison rigide. Mais qu’en est-il pour des implants unitaires ? Pour Östman [47], une stabilité primaire existe pour un couple de serrage final de 35 Ncm. Mais cela n’est pas corrélé avec la mesure de l’ISQ (implant stability quotient). La valeur du couple de serrage qui pourrait être un indicateur de cette stabilité [47] n’est pas en corrélation avec l’analyse de fréquence de résonance qui peut donner des valeurs contraires. En effet, on peut avoir un couple de serrage élevé et un ISQ faible, en particulier à la mandibule où coexistent os cortical et os trabéculaire : c’est l’effet « brique creuse » et ce seront les moments flexions qui seront les plus nocifs.
En clinique, nous n’avons pas de technique qui permette de savoir si les forces appliquées à l’implant sont efficaces ou non ni de mesurer l’amplitude des micro-mouvements. Le patient lui-même ne peut apprécier l’importance d’une charge sur un implant ou groupe d’implants. Les afférences sont protopathiques et il ne peut connaître ni l’intensité ni la direction des forces appliquées. Ce seront d’autres structures qui le renseigneront (articulation temporo-mandibulaire, muscles, dents antagonistes ou contiguës).
Lors de la mastication, les forces masticatrices sont toujours inférieures à la force maximale volontaire (36 % de celle-ci) et dépendent directement du sujet et du type de dent utilisé. La fréquence des contacts dento-dentaires est variable selon la place du cycle dans la séquence masticatrice et selon les sujets. Lorsque l’aliment est écrasé en fin de cycle, 75 % des sujets sont en intercuspidie maximale (ICM) qui dure de 100 à 200 ms et 25 % sont en position plus antérieure. Il n’y a plus d’activité des muscles élévateurs 100 ms avant l’ICM. Lors de tests passifs [48], la sensibilité dentaire est de 20 mm alors que celle d’un implant est 64 µm [49]. La charge détectée par une dent est de 2 g alors que celle d’un implant est de 100 g [50]. Enfin, le réflexe monosynaptique trigéminal maintient un espace d’inocclusion entre les deux arcades en période d’inactivité.
Lors de la mastication, au niveau d’un implant, il n’existe pas d’adaptation à la dureté d’un aliment. En l’absence de ligament desmodontal, il n’existe pas de rétrocontrôle positif sur l’activité des muscles élévateurs permettant cette adaptation [51]. Il existe tout au plus une ostéo-perception mais qui est faible (afférences protopathiques). Ainsi, les forces appliquées directement sur un implant peuvent être très importantes sans induire d’inhibition des muscles masticateurs. Les interférences occlusales créant une surcharge sont ressenties ou non par le patient selon le type de la prothèse (implanto-portée unitaire ou plurale, connectée ou supra-implantaire) et son antagoniste (dentaire ou prothétique supportée ou non par des implants). Souvent, des facettes d’abrasion anormales, des descellements, des fractures de prothèse ou des dévissages sont les témoins d’un déséquilibre. Mais peut-on corréler de manière prédictive une perte osseuse péri-implantaire avec une surcharge occlusale ?
Chang et al. [52] ont réalisé, en 2013, une méta-analyse recherchant l’impact que peut avoir une surcharge occlusale excessive sur des implants ostéointégrés pendant une période s’étalant de 1991 à 2011. Il en résulte que l’ensemble des données et des connaissances a un faible niveau de preuve. Les études chez l’animal donnent des résultats contradictoires. Au vu de l’ensemble des études retenues, il n’est pas possible de savoir si une surcharge occlusale peut causer la perte d’os marginal péri-implantaire ou si une telle surcharge, en dépassant les limites biologiques, provoque une désostéointégration totale. Mais cette limite est également inconnue. Une activité de remodelage intense se retrouve au niveau de l’os péri-implantaire. La limite de capacité de réparation des micro-dommages est également inconnue.
Même si les pseudarthroses sont décrites dans les complications de réduction de fractures des os longs, pouvons-nous appliquer ce phénomène à l’os péri-implantaire afin d’expliquer les échecs précoces de l’ostéointégration ? Il n’existe pas d’études liant avec certitudes ces deux événements. Nous avons vu que la préparation chirurgicale de l’os pour accueillir un implant peut s’assimiler à une fracture. Or, la réduction des fractures n’est pas un phénomène constant. En l’absence de facteurs de risque, une pseudarthrose apparaît dans 10 % des cas (ce qui correspond au taux moyen d’échecs de l’ostéointégration), atteint 30 % des cas en présence de facteurs de risque (tabac, maladie systémique) et 50 % dans en cas d’erreurs techniques. L’utilisation des autogreffes n’a donné que peu de résultats. L’utilisation des BMP (bone morphogenetic protein) (groupe des TGF-Β) pourrait apporter une amélioration. Les BMP augmentent la différenciation des cellules souches mésenchymateuses en ostéoblastes. Elles ont besoin d’un support (biomatériau) et d’une matrice extracellulaire (collagène). Mais les résultats sont très inconstants car trop d’inconnues demeurent quant à leur action [53]. Les cas de ré-ostéointégration d’implants sont rarissimes et inexpliqués (Fig. 6 et 7).
Quelle peut-être l’action de l’oxyde de titane lors de son ostéointégration sur les structures osseuses ? Il n’a pas de fonctions biologiques propres mais l’os va réagir à sa présence tout d’abord immunologiquement. Va-t-il l’accepter définitivement ou provisoirement ?
En 2009, Wennerberg et Albrektsson [54] ont publié une revue systématique de la littérature concernant les effets de la topographie de surface du titane sur l’intégration osseuse. Sur 1 184 publications sélectionnées, seules 100 ont été retenues. Il a été très difficile de comparer les études sélectionnées en raison de la qualité variable des évaluations des surfaces. Il en résulte qu’il est clair que la topographie de surface influe sur la réponse osseuse à l’échelle micrométrique et peu d’études ont montré une réponse osseuse au niveau nanométrique sans décrire de quel type de réponse il s’agissait.
Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus von Hohenheim, dit Paracelse, l’un des pères de la toxicologie au XVIe siècle, affirmait : « Toutes les choses sont poisons, et rien n’est poison ; seule la dose détermine ce qui n’est pas poison. » L’oxyde de titane sous sa forme micrométrique n’a pas d’effet sur les structures biologiques et est considéré comme inerte et peut être stocké par l’organisme. Mais qu’en est-il sous la forme de nanoparticules ? En 2006, le Centre international de recherche sur le cancer, dépendant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a classé l’oxyde de titane nanoparticulaire (TiO2) inhalé dans la catégorie 2B : cancérigène possible pour l’homme [55]. Cette classification très controversée a fait l’effet d’une bombe dans les milieux industriels car l’oxyde de titane est utilisé dans de très nombreux domaines (alimentation : colorant E171, cosmétique, plastiques, médicaments, dispositifs médicaux implantables, etc.). Il a une puissante action photocatalytique et est utilisé dans les bétons ou les revêtements routiers autonettoyants. Devant le peu de recherches concernant les nanoparticules et leurs effets sur l’homme, en particulier le TiO2, le Nanoforum du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), en 2007, a émis de nombreuses réserves sur leur utilisation. À cette époque, l’AFSSAPS (aujourd’hui l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ANSM) disait craindre des effets délétères sur l’homme comme des maladies auto-immunes. En févier 2008, la Commission des Communautés européennes [56] édita alors une recommandation concernant un « code de bonne conduite pour une recherche responsable en nanosciences et nanotechnologies ». Devant l’enjeu, de nombreux pays ont lancé des programmes de recherche afin d’évaluer la toxicité des nanoparticules de TiO2.
En 2010, le Scientific Committee on Emerging and Newly Identified Health Risk [57] a donné une proposition de définition des nano-objets : une taille allant de 1 à 100 nm, une dimension comprise entre 1 et 100 nm pour au moins 0,15 % des composants du matériau et une surface spécifique de 60 m2/cm3. Une particule non nanométrique a des propriétés qui découlent du matériau qui la constitue. C’est l’effet de volume. Mais lorsqu’elle atteint une taille nanométrique, le rapport surface/volume augmente. Les effets de surface sont donc beaucoup plus importants que les effets de volume. L’augmentation importante de la proportion d’atomes en surface provoque une augmentation de l’activité surfacique et confère donc de nouvelles propriétés aux nanoparticules [58]. La structure électronique des derniers niveaux d’énergie (3d24s2) permet la formation d’ion Ti4+ conférant au titane une très forte réactivité qui dépend de sa forme cristalline [59]. La forme la plus produite est l’anatase pour sa méthode de synthèse plus aisée [60]. La taille des nanoparticules est proche de celle des constituants cellulaires et les rend capable d’interagir avec eux. Enfin, les nanoparticules sont des objets physiques non dissous. Il a donc été supposé qu’elles étaient capables de passer les barrières biologiques et de favoriser les réactions catalytiques entre les atomes de surface et les molécules biologiques (ADN, protéines) [61]. Le champ d’action des molécules biologiques étant de 10 nm, elles peuvent être distribuées dans tout l’organisme [62, 63]. C’est l’action des nanoparticules sur le poumon qui a été la plus étudiée. Mais de très nombreux paramètres peuvent influencer les techniques de recherche. Ainsi, s’il est admis que les nanoparticules de titane transloquent dans l’organisme [64], il n’en va pas de la même manière pour tous les organismes vivants. Des injections de 5 mg/kg de TiO2 ont été faites chez les rats sans effet sur leur santé mais ces nanoparticules ont été retrouvées dans le foie, la rate et les reins [65]. Il a été montré que les translocations étaient plus importantes chez les primates que chez les rongeurs, ce qui suggère une translocation chez l’homme. Dans les poumons, l’étape de phagocytose peut être un phénomène très long et la demi-vie d’une particule solide dans la région alvéolaire est de 70 jours chez le rat et de plus de 700 jours chez l’homme [66]. Cela dépend beaucoup de la capacité des macrophages à détecter les particules et, en particulier, les nanoparticules qu’ils ne reconnaissent pas. Enfin, des sécrétions de différents facteurs pro-inflammatoires (IL8, IL1-Β, TNF-Α…) peuvent apparaître en présence de TiO2.
En 1983, Woodman et al. [67], dans une étude chez des babouins porteurs d’une prothèse de hanche en titane commercialement pur (TiCP), retrouve du titane dans le tissu pulmonaire. Pour la première fois en 1990, Osborn [68] a pu mesurer le gradient de concentration de titane dans un os sain humain péri-implantaire (déposé pour métalophobie). Il constate une augmentation croissante d’oxyde de titane de la matrice osseuse (100 µm de l’interface et 100 ppm de titane) jusqu’aux canaux haversiens (1 600 ppm de titane). À partir de l’étude d’Osborn, il a été suggéré à cette époque que le titane n’était pas inerte comme décrit microscopiquement. Il pourrait créer des lésions subtoxiques sur des leucocytes et des lymphocytes, réduirait la production de phosphatase alcaline de près de la moitié des ostéoblastes et aurait un effet négatif sur la croissance osseuse. Enfin, il pourrait se lier aux cristaux d’hydroapatite et empêcher la cristallisation. Esposito et al. [69], en 1998, montre que des implants déposés lors d’échecs précoces et tardifs ne présentent pas un état de surface normal tant en composition qu’en épaisseur de TiO2, et cela expliquerait les échecs. Mais d’autres études ne trouvent pas de changements significatifs de cette surface. Albrektsson [10], en 2000, évoque le stress oxydatif des implants dentaires en particulier ceux en alliage TiA6V qui perturbe l’ostéointégration sans pour autant préciser son mode d’action. La rugosité de surface pourrait altérer la réceptivité des pré-ostéoblastes à la vitamine D3 via les prostagladines E2. Concernant les quatre types de grades du TiCP, il n’y a pas de différences concernant le relargage ionique car l’oxygène est présent sous la forme d’oxyde de titane instable d’un point de vue thermodynamique puisque les mesures donnent une formule du type TiOx où x < 1. En 2010, Berglund [70] a montré que le syndrome des ongles jaunes (ou syndrome de Samman et White), caractérisé par des déficiences respiratoires et un lymphœdème, était dû à une exposition à l’oxyde de titane (implants dentaires ou autres dispositifs médicaux). En 2012 Couderc J.L et al. [71] ont décrit chez l’homme une pneumonie non infectieuse liée au titane d’implants dentaires ostéointégrés. Les signes cliniques furent très importants (fièvre, ulcération des amygdales, infiltration pulmonaire bilatérale, sévère perte de poids). Les implants furent déposés et les signes cliniques disparurent. Des biopsies des amygdales et du tissus pulmonaire furent réalisées implants en place puis implants déposés. Les résultats montrèrent un haut niveau du nombre de particules de titane lorsque les implants sont en place (17p/g pour les amygdales et 40,9. 107 p/g pour les poumons) et beaucoup plus bas lorsque les implants sont déposés (0 à 7p/g pour les amygdales et 9.107 p/g pour les poumons. Les analyses histologique par M.E.T. et E.D.S. ont confirmé la présence de particules de titane intracellulaires. Aucune hypothèse n’a été proposée.
Enfin, en raison de leur réactivité de surface, les nanoparticules de TiO2 sont suspectées d’être capables d’induire des espèces réactives à l’oxygène (ERO) [72, 73], de provoquer un stress oxydant pour la cellule qui serait à l’origine d’une génotoxicité [74, 75]. La présence d’impuretés provoque l’apparition d’ERO intracellulaires formant des agrégats très instables. Il semble que le temps d’exposition joue un rôle déterminant dans l’apparition d’ERO et un implant dentaire, comme d’autres types de dispositifs médicaux implantables, est un réservoir permanent de nanoparticules.
Depuis les années 2005, il existe un foisonnement d’études dans ce domaine avec des résultats contradictoires, les protocoles et les substrats étant très différents, mais elles permettent des mises en garde. Il existe un sérieux doute sur l’innocuité du titane et, en particulier, sur le maintien de l’ostéointégration qui, dès le début de la mise en place d’un implant, peut être perturbée. L’exceptionnelle réactivité du titane sur les structures biologiques fait penser que l’ostéointégration ne peut que se produire. Mais il semble que ce terme soit optimiste. Toutefois, il est des patients et même des sites au sein d’un même maxillaire où l’ostéointégration n’intervient pas. Il existe un équilibre dynamique et immunologique qui peut être rompu à tout moment pour des raisons extrêmement variées et regroupées sous le terme de péri-implantite (Fig. 8 à 15). Ce terme ne devrait correspondre qu’à des pathologies précises qui restent à définir. Car comment expliquer que le taux de récidives à 1 an après traitement des péri-implantites avoisine 100 % (niveau 1 de preuve) [76] ? Enfin, et c’est ce qui motive plusieurs axes de recherches, les nanoparticules de TiO2, en passant les barrières biologiques, pourraient réactiver ou activer des maladies quiescentes.
La stabilité primaire est-elle le seul déterminant pour faire une mise en charge immédiate ou précoce sans risque ? Esposito, dans une étude publiée en 2009 [77] et classée par la Cochrane Library de niveau 1 de preuve, montre qu’il est possible de mettre en charge immédiatement ou peu de temps après leur placement des implants chez des patients sélectionnés avant que la stabilité primaire diminue du fait des processus cicatriciels. Il semble que la mise en charge immédiate échoue moins souvent que la mise en charge classique et il vaudrait mieux mettre en charge immédiatement plutôt que d’attendre 1 ou 2 mois. Enfin l’expérience clinique du praticien est un élément fondamental. Mais qu’en est-il réellement, compte tenu des réserves qui sont faites à la médecine fondée sur la preuve ? Malgré les très nombreux articles traitant de la mise en charge immédiate, aucun consensus n’a été établi.
Les moyens d’évaluation de la stabilité primaire sont les suivants :
– la valeur du couple final de mise en place ;
– l’analyse de la densité osseuse à la lecture du scanner ou du cone beam (unités Hounsfield) ;
– la valeur du Périotest ;
– l’analyse de la fréquence de résonance.
Dans notre étude, nous avons utilisé l’analyse de fréquence de résonance pour évaluer la stabilité primaire. C’est en 1994 que Meredith [78] a décrit la technique de l’analyse de fréquence de résonance. Elle mesure les forces de flexion qui nuisent à la stabilité de l’implant et donc à son ostéointégration. Cette mesure est réalisée par l’Osstell™ Mentor. Un transducteur magnétique (Smartpeg™) est directement vissé sur l’implant. Une fréquence allant de 5 à 15 kHz le fait vibrer. La modification de cette fréquence en retour est analysée par l’Osstell™. Cette fréquence de résonance reflète la rigidité de l’interface os/implant. Le rapport entre l’onde émise et l’onde réfléchie s’appelle l’ISQ (implant stability quotient) évalué de 0 à 100. De très nombreuses études ont montré des valeurs d’ISQ de 65 au maxillaire et de 70 à 75 à la mandibule [79 à 81]. Cette valeur varie avec le temps : elle diminue à la mandibule et augmente au maxillaire. Mais on ne connaît pas la valeur de l’ISQ définissant l’ostéointégration ni celle d’une stabilité primaire suffisante pour une mise en charge immédiate ou précoce. Enfin, cette technique très sensible ne permet pas de prévoir le succès à moyen et long termes de la cicatrisation propre à chaque site.
Nous avons mesuré la stabilité primaire à la pose et à la mise en fonction au bout de 3 mois de 319 implants posés chez 144 patients (98 femmes âgées de 29 à 82 ans et 46 hommes âgés de 31 à 73 ans), sélectionnés car ils étaient sans pathologies générales et ne fumaient pas. Cette étude a été réalisée en milieu hospitalier (hôpital Louis-Mourrier, groupe HUPNVS). Tous les implants ont été posés par le même chirurgien avec les mêmes plateaux techniques. C’est le système Brånemark (Nobel Biocare™) qui a été utilisé. Tous les implants étaient des TiUnite Mk III. Cent trente implants ont été posés au maxillaire et 189 à la mandibule. Aucun site implanté n’a été comblé ou augmenté par un substitut osseux quel qu’il soit. La longueur des implants allait de 7 à 11,5 mm pour un diamètre de 3,75 à 4 mm. Le couple de serrage utilisé était de 45 Ncm pour tous les implants. La technique chirurgicale en deux temps a été choisie et était adaptée au type d’os (de I à IV). Il y a eu 3 échecs mais les sites ont été réimplantés après cicatrisation osseuse avec succès. Les mesures ont été réalisées avec le même appareil, l’Osstell Mentor™ étalonné à ISQ = 71 et régulièrement contrôlé. Certains Osstell™ sont étalonnés avec des valeurs inférieures. Les valeurs mesurées sont elles aussi inférieures. L’essentiel est que l’étalonnage soit constant. Les Smartpeg™ (type 1) ont été changés après une dizaine d’utilisations. Leur serrage sur l’implant a été effectué à la main (le fabricant conseil un serrage de 4 Ncm, ce qui équivaut à un serrage manuel « ferme »). Il n’a pas été possible de définir avec précision le type d’os de la classification de Zarb tant les sites étaient hétérogènes. En revanche, aucun implant n’a été mis en place dans un site de type I pur ou IV pur. Les résultats sont exposés dans le Tableau I.
Il n’y a pas de corrélation entre les valeurs ISQ et le couple de serrage final. Pour un même couple de serrage, les valeurs ISQ varient de 38 à 85 pour le maxillaire et la mandibule.
Il n’y a pas de corrélation entre les valeurs ISQ et la longueur et le diamètre de l’implant.
Les valeurs ISQ de stabilité primaire à la mandibule sont plus élevées qu’au maxillaire.
La dispersion des valeurs ISQ de stabilité primaire est plus importante à la mandibule qu’au maxillaire.
Les valeurs ISQ à 3 mois à la mandibule rejoignent celle du maxillaire (elles baissent) et les écarts à la moyenne sont les mêmes. Les valeurs de l’ISQ varient de 59 à 87 pour la mandibule et de 54 à 84 pour le maxillaire (Fig. 16 et 17).
Au regard de ces résultats, nous constatons que les valeurs ISQ à la pose et au bout de 3 mois sont sensiblement équivalentes au maxillaire et à la mandibule avec toutefois un écart à la moyenne un peu plus élevé à la pose à la mandibule. Mais cela est peu significatif. En revanche, nous obtenons ces valeurs quel que soit le biotype osseux. Cela pourrait signifier que la stabilité primaire ne dépend pas du biotype osseux et souligne la complexité de sa structure et de ses propriétés. La valeur de l’ISQ décrivant l’ostéointégration est de 75 au maxillaire et de 79 à la mandibule en rapport avec l’étalonnage de l’Osstell™ utilisé. La stabilité primaire moyenne au maxillaire et à la mandibule est de 73, ce qui est peu éloigné de celle qui correspond à l’ostéointégration et coïnciderait à une valeur seuil. Mais nous ne savons pas si elle permet une mise en charge immédiate pour un implant unitaire. Des implants connectés garantiraient cette stabilité. Dans notre étude, 49 % des valeurs ISQ à la pose au maxillaire sont inférieures à 73 contre 45 % à la mandibule, ce qui représente presque la moitié des implants quel que soit le type d’os. Il semble donc qu’il n’existe pas de prévisibilité de la stabilité primaire quel que soit le biotype osseux pour une mise en charge immédiate. Le succès d’une telle mise en charge est donc difficilement contrôlable et semble aléatoire.
Dans cette revue de la litterature et à partir de la définition de l’ostéointégration établie par Cochran, nous avons constaté de très nombreuses zones d’ombre dans la compréhension des phénomènes biologiques qui interviennent lors de la cicatrisation de l’os autour d’un implant, de l’établissement et du maintien de l’ostéointégration. Concernant la stabilité primaire pour une mise en charge immédiate, nous pouvons avoir deux types d’approches : une approche mécaniste (nouvelles formes d’implants, protocoles chirurgicaux simplifiés) et une approche biologique (état de surface et facteurs de croissance). Notre étude, qui utilise l’analyse de fréquence de résonance, semble montrer que le biotype osseux n’est pas corrélé avec la stabilité primaire. Il semble très difficile de connaître la structure osseuse précise du site à implanter et de prévoir si un implant sera suffisamment stable pour une mise en charge immédiate. Concernant la cicatrisation osseuse et le maintien de l’ostéointégration, l’apport récent des nanosciences éclaire d’un jour nouveau les interactions du titane avec les milieux biologiques proches ou à distance. Les nanoparticules d’oxyde de titane sont réactives, s’accumulent dans les cellules, produisent des espèces réactives à l’oxygène et ont des effets génotoxiques. Si les résultats des premières études sont contradictoires, ils ont le mérite d’ouvrir de nouveaux débats tant les enjeux sont importants. L’étude de Ioannidis nous rappelle que nos travaux ne sont pas protégés des nombreux biais qui les menacent : effets placebo et nocebo, effet pygmalion et effet Hawthorne. La Collaboration Cochrane nous le rappelle. Peut-être devons nous aussi remettre en cause la logique inductive et rejeter les sophismes des arguments d’autorité. Étant donné le grand nombre d’incertitudes, est-il raisonnable d’entreprendre une mise en charge immédiate pour un résultat à long terme (le délai de 5 ans utilisé pour qualifier les succès implantaires est calqué sur celui des rémissions des cancers après traitement !) ? « La science sans conscience n’est que ruine de l’âme » (Rabelais). !
Docteur Christel Simon-Barboux, Ancien A.H.U., Attachée des Hôpitaux, Hôpital Louis Mourier, qui réalisa toutes les chirurgies implantaires.
l’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données de cet article.