DOSSIER CLINIQUE
Thierry Madar* Audrey Schmitt**
*Post graduate in periodontology NYU
Ancien attaché de consultation en parodontologie Paris VII
46, rue des écoles
75005 Paris
**CES de parodontologie Paris VII
46, rue des écoles
75005 Paris
La résorption osseuse des crêtes alvéolaires constitue souvent un problème majeur dans les possibilités de succès d’une restauration orale implantaire. Cela est encore plus vrai au niveau maxillaire postérieur où la présence d’un sinus pneumatisé représente un obstacle fréquent à la pose d’implants.
La création d’un support osseux devient essentielle et a pour objectif de faciliter la mise en place d’implants dans des conditions permettant leur ostéo-intégration. Il existe actuellement plusieurs méthodes employées à cet effet au niveau maxillaire postérieur : élévation de sinus par voie crestale (avec ou sans greffe de tissu osseux) et pose d’implant simultanée ou différée, comblement sinusien par voie latérale avec greffe osseuse et pose d’implant simultanée ou différée [1].
Initialement décrite par Boyne et James en 1980 [2], la technique d’élévation du sinus maxillaire par voie latérale permet de contourner la difficulté anatomique que constitue ce sinus. Depuis, différents matériaux de greffe osseuse ont été décrits dans la littérature scientifique. S’il peut être effectué sans aucune mise en place de matériau après soulèvement de la membrane de Schneider, le comblement sinusien à l’aide d’os autogène a longtemps constitué un gold standard, cet os pouvant provenir d’un site donneur intra-oral (tubérosité maxillaire, os zygomatique, symphyse mandibulaire, branche montante et corps mandibulaire) ou extra-oral (os iliaque, os pariétal) [3, 4]. Mais la nécessité de multiplier les sites chirurgicaux, voire d’effectuer une anesthésie générale dans le cas d’un prélèvement extra-oral, conduit aujourd’hui de nombreux praticiens à lui préférer d’autres matériaux tels que les allogreffes, l’hydroxyapatite ou encore des greffes composites associant allogreffes, xénogreffes et matériaux alloplastiques [5, 6, 7]. L’utilisation d’hydroxyapatite bovine tend à s’imposer de plus en plus comme une solution de choix face à l’os autogène. Del Fabbro et al. [7] constatent en effet, à travers leur revue systématique de la littérature scientifique, qu’un meilleur taux de survie implantaire est obtenu avec les substituts osseux. De plus, ils observent, tout comme Wallace et Froum [8], un taux de survie implantaire identique que la mise en place des implants soit simultanée ou différée.
Le but de cet article est de proposer une solution simplifiée et rapide de restauration orale implantaire a priori longue, complexe et onéreuse, tout en assurant des conditions de cicatrisation optimale et en rétablissant la fonction, et ce malgré une hauteur osseuse résiduelle de 1 mm. Le temps de traitement global pour ce type de cas est en effet, habituellement, de 12 à 18 mois du fait des multiples interventions chirurgicales et des longues périodes de cicatrisation nécessaires. Nous proposons de réduire significativement cette durée.
De plus, la cavité kystique résiduelle, présente ici au niveau du secteur maxillaire antérieur, constitue un obstacle important. Elle s’étend en effet de canine à canine et rend impossible toute intervention de greffe dans ce secteur.
La présence d’un édentement ancien et d’une cavité kystique antérieure subsistante, la hauteur osseuse résiduelle de 1 mm en postérieur ainsi que le désir d’une solution prothétique fixe de la part du patient, nous oblige à proposer une autre solution thérapeutique. Nous proposons donc de réaliser un comblement de sinus par voie latérale, à l’aide d’hydroxyapatite bovine (Bio-Oss®, Geistlich, Wolhusen, Suisse), associé à une pose d’implants simultanée, réduisant ainsi le temps de traitement global à 6 mois et contournant les différents problèmes anatomiques.
M. C., âgé de 68 ans et porteur d’une prothèse maxillaire complète, nous est adressé pour envisager la restauration du maxillaire supérieur par une prothèse implanto-portée, à l’identique de celle déjà présente à la mandibule.
Le questionnaire médical nous apprend que ce patient est porteur d’un défibrillateur interne ainsi que de stents, pour lesquels il est sous Sintrom®. Nous demanderons l’accord de son cardiologue avant de commencer le traitement.
Après réalisation d’un cone beam, on constate que le volume osseux présent est insuffisant pour la pose d’implants et que, au niveau postérieur, il reste à certains endroits moins de 1 mm d’os crestal (Fig. 1 à 3). Mais surtout, on note la présence d’une lésion de type kystique dans la région antérieure du côté palatin.
La décision est prise d’adresser notre patient à un chirurgien maxillo-facial afin d’envisager l’exérèse de cette lésion. Après son ablation par le Dr Defrennes, l’analyse anatomopathologique en précise la nature kystique.
Nous revoyons notre patient en visite de contrôle 6 mois plus tard avec un nouveau cone beam et la décision est prise de procéder à des élévations de sinus droit et gauche en utilisant du Bio-Oss® et à la pose simultanée d’implants, en évitant de greffer la zone antérieure.
Après désinfection de la cavité buccale et anesthésie locale du secteur supérieur droit, une incision crestale et une incision de décharge au niveau mésial de 24 sont effectuées.
Un lambeau de pleine épaisseur est réalisé et une fenêtre latérale au niveau du sinus est pratiquée à l’aide d’un bistouri piézoélectrique [2]. La fenêtre est déposée, elle sera repositionnée en fin d’intervention.
La membrane de Schneider est alors décollée, d’abord à l’aide du bistouri piézoélectrique et de l’insert OT7 puis avec un décolleur de chez Hu-Friedy.
Les forages des 3 implants sont réalisés et des implants cylindriques sont posés avec leur vis de couverture (Fig. 4). Il est à noter que les sites de forage ont été légèrement sous-préparés afin d’augmenter la stabilité primaire des implants [3].
Une éponge métrogène de Septodont est ensuite placée sous les implants et contre la membrane de Schneider et le matériau de comblement est déposé à l’aide d’une petite seringue type insuline. La fenêtre osseuse est repositionnée et une autre éponge est placée dessus (Fig. 5).
Enfin, le lambeau est suturé avec une suture continue, à l’aide d’un fil 4/0 résorbable.
Le même protocole est appliqué du côté gauche (Fig. 6).
La prothèse complète est rebasée à l’aide d’une résine retard type fitt® de Kerr et portée immédiatement après l’intervention.
Le patient est, quant à lui, mis sous Augmentin® (2 g pendant 8 jours), Solupred® pendant 3 jours, antalgiques et chlorhexidine à 0,12 % pendant 15 jours.
Un contrôle est réalisé au bout de 10 jours.
Quatre mois plus tard, une réentrée est effectuée afin de remplacer les vis de couverture par des piliers de cicatrisation et, 1 mois plus tard, les empreintes pour la future prothèse seront réalisées par le dentiste du patient (Fig. 7).
La prothèse est réalisée 1 mois plus tard par le Dr Karine Meridjen (Fig. 8 à 10).
Dans le cas d’un maxillaire sévèrement atrophié, la greffe autogène, notamment pariétale ici en raison du volume d’os nécessaire, est la technique de choix. Mais l’impossibilité de greffer dans le secteur antérieur (exérèse d’un kyste) ne laisse dans le cas présent que l’option d’une élévation de sinus bilatérale.
L’utilisation de Bio-Oss® dans cette procédure a montré des taux de succès équivalents à l’os autogène [5, 6]. Il ressort en effet que le taux de survie implantaire est de 95,98 % avec une greffe uniquement composée de substituts osseux, tandis qu’avec une greffe contenant 100 % d’os autogène, il n’est que de 87,70 % [7]. Par ailleurs, l’emploi de ce substitut osseux présente également des avantages par rapport au prélèvement endobuccal, et ce en termes de morbidité du site donneur. Pour ce qui est de la mise en place ou non d’une membrane pour protéger la fenêtre latérale, il n’existe actuellement aucun consensus [1].
Par ailleurs, la technique de greffe osseuse et pose des implants en un seul temps chirurgical a montré des taux de succès implantaire équivalents à la technique en deux temps, respectivement de 92,17 % et 92,93 % pour des hauteurs d’os résiduel de 3 à 5 mm [4, 7]. La pose simultanée des implants constitue par ailleurs un gain de temps non négligeable. De plus, elle permet le maintien d’un espace sous la membrane de Schneider. Le Bio-Oss®, utilisé ici, présente en outre l’avantage de sa faible résorbabilité, contrairement à l’os autogène, ce qui participe au maintien de l’espace sous-sinusien ainsi créé [3].
Ici, en dépit d’une hauteur résiduelle de 1 mm, la stabilité des implants a pu être obtenue. Cela a été possible grâce au design des implants, ici cylindriques, et à la sous-préparation des sites implantaires [3]. Sivollela et al. mais aussi Del Fabbro et al. rapportent en effet la possibilité d’une mise en place simultanée des implants, et ce même avec une hauteur résiduelle de 1 mm, du moment qu’une stabilité primaire implantaire est obtenue [1, 7, 9].
Enfin, l’utilisation des implants à surface rugueuse a, là encore, permis de réduire le temps d’ostéo-intégration [7, 8]. Ce type d’implant présente un taux de survie de 95,98 % contre 85,64 % pour les implants à surface lisse selon l’étude réalisée par Del Fabbro et al. [7].
Ce type d’approche permet un traitement plus rapide, moins coûteux sur le plan financier et humain, et plus confortable pour le patient avec le port immédiat d’une prothèse amovible provisoire qu’une autre technique. L’option thérapeutique proposée permet également de contourner le dilemme causé par la cavité kystique antérieure résiduelle qui condamne toute possibilité de greffe dans ce secteur.
L’utilisation de Bio-Oss® sans mise en place de membrane au niveau de la fenêtre latérale, associée à la pose simultanée d’implants présentant une surface rugueuse, et ce dans une situation d’atrophie sévère du maxillaire, a permis de résoudre ce cas tout en proposant une solution thérapeutique autorisant la réalisation d’une prothèse fixe. Cela ouvre donc la possibilité d’envisager un traitement implantaire pour une plus large catégorie de patients édentés.
Le taux de survie des implants mérite cependant d’être réévalué dans le temps, notamment en raison de l’absence de support antérieur.