CHIRURGIE
Docteur en chirurgie dentaire DU Réhabilitation des maxillaires DU Occlusodontie et prothèse DU Odontologie légale et expertise – Toulouse Exercice privé 60, route d’Albi 31200 Toulouse
L’ostéo-intégration des implants en alliage de titane, quelles que soient leurs caractéristiques, est aujourd’hui un processus fiable et reproductible. L’objectif de l’implantologie moderne paraît désormais devoir être la pérennité des constructions implanto-portées, tant sur le plan fonctionnel qu’esthétique. Dans cette optique, le choix du système implantaire et celui de la technique de pose semblent être des paramètres importants à considérer dans le cadre d’une stratégie de prévention face au risque de péri-implantite. Nous présentons dans cette première partie les raisons qui nous ont conduit à choisir de placer les implants dans une position sous-crestale au-delà de l’os cortical, donc une position sous-corticale. Dans une seconde partie à paraître, nous détaillerons un protocole clinique simple et original permettant de sécuriser le positionnement sous-cortical des implants.
The osseointegration of titanium alloy implants, regardless of their characteristics, is a proven and reproducible process. The challenge of modern implantology lies with the durability of implant-supported prosthesis, with regard to both function and appearance. Selecting the correct implant system and adopting the appropriate surgical procedure are important aspects to consider in the context of a peri-implantitis risk prevention strategy. We will first go over the reasons why we have elected to set the implants at the sub-cortical level, that is in a sub-crestal position yet beneath the cortical bone. In a second part to be published, we will detail a simple and original clinical protocol that is designed to secure the sub-cortical setting of implants.
À bientôt 40 ans [1], l’implantologie a largement atteint l’âge de raison et semble être aujourd’hui arrivée à une forme de maturité. En effet, malgré la variabilité extrême des caractéristiques des nombreux systèmes implantaires disponibles, l’ostéo-intégration des implants est une réalité tangible, fiable et reproductible [2, 3].
Cependant, l’implantologie moderne, qui a déjà amorcé le virage numérique que nous promettent les nouvelles technologies, ne doit pas être considérée comme une discipline chirurgicale indépendante dont le seul objectif est d’obtenir l’ostéo-intégration des implants. Elle fait partie intégrante d’une démarche globale de restauration prothétique, dont le projet a été validé avec le patient [3], et elle doit prendre en compte de nouveaux impératifs.
Même si le praticien n’est tenu qu’à une obligation de moyens sur le plan médico-légal (arrêt de la Cour de cassation, rendu le 12 juillet 2012), la restauration prothétique se doit de répondre aux attentes du patient en ce qui concerne l’esthétique et la fonction, mais également en termes de pérennité [2, 3].
La défaillance d’une construction implanto-portée est généralement admise lorsque l’os péri-implantaire disparaît, provoquant alors une cratérisation pathologique autour du col de l’implant (Fig. 1). Ce phénomène est associé à un processus inflammatoire ostéo-muqueux, appelé péri-implantite [4], contre lequel de nombreux auteurs proposent des thérapeutiques plus ou moins efficaces [5]. Une autre approche semble cependant envisageable si ce risque est pris en compte dès la pose de l’implant et en adoptant une stratégie chirurgicale adaptée (choix du système et technique de pose) qui vise à éviter l’apparition de la lésion plutôt que d’espérer la traiter quand elle surviendra [6].
La pérennité recherchée intéresse bien entendu la qualité de l’ostéo-intégration dans le temps, mais aussi l’évolution de l’intégration esthétique de la prothèse [3].
Il ne paraît plus concevable de réaliser aujourd’hui le même type de prothèses implanto-portées que celles proposées dans le premier âge de l’implantologie, même si elles ont constitué une véritable révolution technique à cette époque, en permettant à des patients édentés de retrouver une arcade fixe. L’esthétique des prothèses supra-implantaires a été considérablement améliorée par l’évolution des systèmes implantaires et les progrès de la chirurgie pré-implantaire.
En effet, la qualité de cette intégration esthétique est obtenue non seulement par le talent du prothésiste, les matériaux employés et l’habileté du praticien en chirurgie implantaire comme pré-implantaire mais aussi par l’aspect des tissus mous et, particulièrement, l’interface entre prothèse et gencive [3, 7].
La fonction masticatoire ne peut être obtenue que par une prothèse portée par des implants parfaitement intégrés [8].
L’ostéo-intégration est un phénomène biologique et non mécanique [8]. La stabilité primaire d’un implant est uniquement fonction de facteurs mécaniques tels que la qualité de l’os, le design de l’implant et ses caractéristiques (diamètre et longueur) (Fig. 2).
L’ostéo-intégration est la conséquence de l’apparition d’un os néoformé au contact des spires de l’implant et de l’adhésion des hémi-desmosomes de cellules osseuses vivantes sur l’alliage de titane [9, 10]. La pérennité de l’ostéo-intégration dépend ainsi de la vitalité de l’os et non uniquement de la surface de contact développée par l’implant.
La durabilité de l’esthétique de la prothèse implanto-portée ne peut donc passer que par la stabilité de la gencive dans le temps [3, 7, 11], qui dépend essentiellement du type parodontal (particulièrement de l’épaisseur de la gencive et de la densité des fibres) [12] et de la capacité du patient à assurer une hygiène satisfaisante malgré d’éventuels facteurs aggravants [3, 13].
Or, la parodontologie nous a depuis longtemps appris que la position de la gencive est dépendante du niveau osseux sous-jacent [14] (Fig. 3).
La stabilité de l’os dépend quant à elle de la qualité de sa vascularisation. Celle-ci est essentiellement présente au niveau de l’os spongieux, alors que l’os cortical est faiblement vascularisé [15, 16] (Fig. 4).
En effet, il est fréquent de constater l’extrême finesse de la corticale vestibulaire péri-radiculaire au maxillaire antérieur et, pourtant, sa survie dans le temps. À l’inverse, on sait qu’un implant placé au maxillaire antérieur doit être positionné à distance de la table vestibulaire [17], sous peine de voir apparaître à terme une fenestration vestibulaire.
La principale différence entre les tissus péri-dentaires et péri-implantaires réside dans l’absence de ligament desmodontal autour de l’implant, puisque l’ostéo-intégration consiste en une adhésion directe des cellules osseuses sur l’alliage de titane. On peut donc logiquement déduire que c’est la vascularisation desmodontale qui permet la survie d’une lame corticale vestibulaire extrêmement fine, alors que seule la vascularisation spongieuse permet de nourrir la corticale vestibulaire dans le cas d’un implant [3, 18] (Fig. 5 à 6).
Le concept de platform switching, associant la pose d’un implant sous-muqueux à l’utilisation d’un pilier de diamètre inférieur au niveau de l’émergence implantaire, a permis, entre autres, de concrétiser la notion de « joint torique » muqueux, entraînant de fait un épaississement des tissus mous péri-implantaires et limitant ainsi le risque de pénétration bactérienne qui peut conduire à une péri-implantite et, à terme, à la perte de l’implant [3, 7, 14].
Cependant, le rôle de barrière que joue la gencive péri-implantaire ainsi épaissie ne peut pas être considéré comme le seul paramètre de la survie de l’os dans la lutte contre le phénomène de cratérisation [19-23].
De nombreux auteurs décrivent un rebond ostéo-muqueux sur le col d’un implant rugueux, y compris au niveau de sa plateforme occlusale, en utilisant le principe du platform switching [24-27] (Fig. 7). Et si on considère la vascularisation osseuse, on comprend que pour rendre pérenne l’os péri-implantaire, lui-même soutien et donc garant de la stabilité gingivale dans le temps, la position de l’implant doit être suffisamment sous-crestale pour que le rebond osseux supra-implantaire obtenu après cicatrisation soit constitué d’os spongieux recouvert d’un os cortical qu’il nourrit. Le positionnement sous-cortical de l’implant permet d’obtenir un joint torique ostéo-muqueux suffisamment épais pour que toutes les structures histologiques puissent survivre dans le temps. Il est important de souligner aussi que le positionnement enfoui de l’implant ne modifie pas la profondeur de l’espace biologique et ne crée pas de pseudo-poche parodontale [28, 29].
Enfin, il apparaît sur un plan biomécanique que le positionnement sous-crestal de l’implant permet de réduire les contraintes mécaniques exercées sur l’os péri-implantaire [30, 31].
Cette position implique une diminution de la longueur des implants choisis, sans qu’il soit nécessaire de chercher à la compenser par une augmentation de diamètre qui aurait pour but d’optimiser la surface de contact entre l’os et l’implant [32]. Cela tendrait à réduire la nécessaire épaisseur d’os spongieux périphérique permettant une bonne vascularisation des tables corticales externe et interne. Bien au contraire, l’implant est délibérément posé à distance des corticales.
Cette absence d’appui cortical implique que l’implant choisi doit avoir un filetage agressif, afin de permettre une excellente stabilité primaire dans tous les types d’os en dépit d’un diamètre et d’une longueur limités [31, 33, 34].
Tout manque de volume osseux ne permettant pas d’obtenir un positionnement idéal de l’implant dans les trois dimensions de l’espace malgré ses dimensions réduites doit être compensé par une greffe osseuse préalable ou concomitante.
L’implant n’est dès lors plus considéré comme une racine artificielle mais comme un moyen d’ancrage noyé dans un matériau vivant et inhomogène (Fig. 8).
En outre, la « soudure à froid » obtenue par une connexion du type cône morse de bonne qualité (angulation du cône et précision de l’usinage) permet de ne plus considérer la seule longueur de l’implant comme celle de la racine artificielle. C’est le complexe « implant + pilier » qui ne forme plus qu’une seule entité grâce à la connexion conique, dont il faut apprécier la longueur dans le rapport couronne clinique/racine clinique [14].
La connexion conique permet d’obtenir non seulement l’étanchéité de la jonction implant-pilier mais aussi une immobilité complète du pilier en fonction, évitant ainsi les micromouvements à l’origine du relargage bactérien responsable de micro-inflammations gingivales et, donc, de récessions [14, 35-37].
Cette réflexion, débutée il y a une dizaine d’années, a orienté notre choix sur le système In-Kone® Universal (Global D, Brignais, France). Il s’agit d’un implant intégralement sablé-mordancé, y compris au niveau du col, pour permettre un positionnement sous-crestal et dont le filetage très agressif favorise une bonne stabilité primaire sans appui cortical. L’implant est disponible dans des longueurs et des diamètres réduits. La connectique est de type cône morse et le design concave des piliers, associé à un positionnement sous-cortical de l’implant, permet un platform switching ostéo-muqueux.
En systématisant la mise en application du concept décrit, aucun phénomène de péri-implantite n’a été observé à ce jour dans notre pratique sur presque 1 000 implants posés selon ces principes.
Dans un prochain article, nous présenterons un protocole chirurgical simple et original permettant de sécuriser la pose de l’implant In-Kone® Universal dans un positionnement très enfoui.
LIENS D’INTÉRÊT : l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant cet article.