DOSSIER CLINIQUE
Chirurgien-dentiste
Master européen d’implantologie orale et greffes osseuses
(Francfort)
Ce cas clinique présente le traitement d’une patiente dont la mobilité des cinq dents restantes l’amène à se projeter comme édentée totale maxillaire. Sa résorption osseuse est si importante que des greffes sont nécessaires pour un traitement fixe implantaire. Sa perte gingivale, si elle n’est pas compensée, entraînera un défaut esthétique majeur.
La combinaison de plusieurs techniques, comme l’extraction avec implantation immédiate en chirurgie guidée et une régénération osseuse simultanée, peut permettre d’éviter plusieurs interventions. Une mise en charge par un bridge provisoire implanto-porté est réalisée dans la journée et procure un confort immédiat. Une fausse gencive rectifie le volume gingival manquant.
Un suivi sera nécessaire et devra dire si cette thérapeutique non conventionnelle peut être considérée comme une restauration durable pour ce type de situation.
L’étude de radiographies et de scanners est une routine pour les cliniciens pratiquant la chirurgie implantaire. Quelle aide supplémentaire une planification sur ordinateur, utilisée depuis longtemps en chirurgie cranio-faciale peut-elle nous apporter [1] ?
Lors de la chirurgie, l’insertion des implants dans un axe droit et parallèles les uns aux autres s’acquiert par l’expérience. Les émergences, elles, sont dictées par la future prothèse. Quels atouts la chirurgie guidée peut-elle amener ?
Lors de l’implantation d’un maxillaire complet, la temporisation classique consiste à utiliser une prothèse amovible. Quels risques la mise en charge immédiate fait-elle prendre et quels bénéfices apporte-elle ?
Au travers d’un cas clinique étape par étape, une discussion est proposée concernant les apports de l’utilisation d’un logiciel de planification, d’un système de chirurgie guidée et d’une temporisation immédiate par un bridge fixe implanto-porté.
Une patiente de 70 ans se présente en consultation implantaire. Au maxillaire, un « appareil mobile » la gêne pour mastiquer, sourire et parler (Fig. 1). Les 5 dents restantes présentent une très forte mobilité (Fig. 2). Un orthopantomogramme confirme des pertes osseuses importantes autour des dents et une forte résorption des secteurs postérieurs aux dépens des sinus maxillaires (Fig. 3). La patiente ne présente pas un sourire gingival mais ses dents sont volumineuses. Ses antécédents médicaux sont lourds : carcinome du sein, traité par chirurgie, chimiothérapie et radiothérapie.
Une correspondance avec le département d’oncologie permet de vérifier l’absence de traitement par bisphosphonates par voie intraveineuse. Ce traitement n’a par ailleurs pas été administré per os. Enfin, la patiente ne fume pas.
Son passé médical l’ayant moralement affaiblie, la patiente avait précédemment refusé le plan de traitement suivant : extractions des dents restantes, prothèse complète provisoire, élévation de sinus droit et gauche, régénération osseuse guidée ou greffe osseuse d’apposition dans le secteur latéral et antérieur, pose de 8 implants, bridge implanto-porté après 6 mois de cicatrisation.
Nous sommes donc consultés pour évaluer la possibilité d’un autre plan de traitement. Un DentaScan est prescrit de façon à pouvoir analyser la situation.
Les fichiers DICOM du DentaScan sont traités par le logiciel Simplant, permettant d’obtenir une reproduction virtuelle du maxillaire. Il fournit sur un écran d’ordinateur une vue en 3D et plusieurs plans de coupe : panoramique, axial et vestibulo-palatin.
La visualisation 3D de la configuration osseuse avec les pertes et les résorptions est obtenue. Elle représente la situation clinique qui aurait été découverte une fois le lambeau soulevé en chirurgie (Fig. 4 et 5). Les dents restantes sont extraites virtuellement et la faible quantité d’os résiduel est alors mesurée (Fig. 6). On peut choisir le type et l’emplacement d’un implant, travailler sur son axe, sa dimension et son diamètre.
Avec une simulation des futures dents (Fig. 7), il est possible de définir leur volume, leur émergence ainsi que la distance entre le collet de la dent et l’os. Ainsi, le meilleur compromis entre l’état osseux, l’émergence des futures dents et l’axe des implants est recherché (Fig. 8).
Les implants restent au service de la prothèse. L’objectif est d’éviter une implantation stable mécaniquement mais hasardeuse dans l’emplacement tridimensionnel qui ferait espérer un exploit « architectural » du technicien de laboratoire.
Malgré une maladie parodontale avancée, l’objectif est d’obtenir une bonne répartition des implants, un bon placement en fonction des dents permanentes, suffisamment d’ancrage et de stabilité primaire [4-5].
En une séance de chirurgie, les actes suivants seront réalisés :
– extractions [6] ;
– placement des implants distaux contre la paroi sinusienne antérieure pour utiliser au maximum le peu d’os restant ;
– répartition de 4 autres implants ;
– régénération osseuse guidée pour combler les défauts osseux péri-implantaires [7].
Le jour même, la temporisation sera effectuée par un bridge provisoire fixe vissé sur 6 implants.
Après vérification du projet en 3D sous divers angles de vue, la planification est validée et un guide chirurgical à appui osseux est commandé (Fig. 9). Il sera fabriqué très précisément pour être fixé de façon stable et reproduire le projet d’implantation au plus juste [8, 9].
Au final, après ostéo-intégration, un bridge permanent avec fausse gencive en résine sera réalisé.
Une empreinte et un enregistrement de l’occlusion permettent la mise en articulateur des modèles.
Le laboratoire de prothèse élimine les dents restantes pour simuler les futures extractions et réalise un montage esthétique. Il confectionne un porte-empreinte ajouré spécialement conçu pour permettre de prendre l’empreinte de la situation implantaire en fin de chirurgie tout en retrouvant la relation intermaxillaire [7].
D’un commun accord avec le prothésiste et la patiente, la réalisation d’un bridge provisoire transvissé avec des dents antérieures plus courtes est décidée. L’objectif est de favoriser des contacts légers et répartis avec les dents antagonistes tout en évitant au maximum des forces en propulsion ou en latéralité, avec une contrepartie en termes d’esthétique. Cela sera bien entendu corrigé pour le bridge permanent. Ce sera la condition de réussite de la mise en charge immédiate dans une telle situation.
Après anesthésie, les dents restantes sont extraites. Puis un lambeau de pleine épaisseur est réalisé en vestibulaire et en palatin. Un curetage minutieux est pratiqué à la curette et à la fraise boule de gros diamètre.
La configuration osseuse mise en évidence est à l’image de la reconstruction 3D du logiciel de planification. Il n’y a donc aucune surprise.
Tout tissu fibreux est éliminé de la surface osseuse. De ce fait, le guide chirurgical peut prendre parfaitement sa place sur l’os. L’objectif est d’obtenir une stabilité maximale nécessaire aux séquences de forage. Trois puits vestibulaires sont prévus afin de transfixer le guide grâce à des vis d’ostéosynthèse (Fig. 10).
La trousse de chirurgie guidée permet d’effectuer tous les forages à travers le guide. Des cuillères permettent d’adapter le foret correspondant au tube.
Les complications dues à la chirurgie guidée étant essentiellement liées au travail sans lambeau, le cas présent n’y est pas soumis [10, 11]. Si une perforation osseuse survenait par une déviation de 1 mm par exemple, elle serait détectée car le lambeau est levé et l’axe pourrait être modifié ou une régénération osseuse guidée effectuée. De plus, l’intégrité osseuse est ainsi vérifiée après chaque forage avec une jauge de profondeur longue.
Des implants Straumann(r) Bone Level de 4,1 mm de diamètre sont positionnés. Leur surface SLActive(r) est rugueuse et chimiquement modifiée pour être hydrophile. Ce choix est dicté par de multiples raisons dans ce cas : extraction-implantation immédiate, mise en charge immédiate et os de faible densité. En effet, l’intérêt principal est de réduire considérablement la période critique où l’ostéo-intégration doit prendre le relais de la stabilité purement mécanique, ou stabilité primaire [12-16].
Malgré l’état osseux et la présence de spires apparentes sur une grande hauteur, les 6 implants sont bloqués avec un couple supérieur à 50 N/cm (Fig. 11 et 12). La corticale vestibulaire au regard des implants 12 et 22 est soufflée et présente un bombé mais sans fissure. L’aspect est similaire à un passage d’ostéotomes pour une condensation latérale. Cela résulte du maintien des forets dans les fûts de forage empêchant les vibrations et les déplacements latéraux.
Une fois le guide retiré, l’os de forage récupéré est mélangé à un substitut osseux synthétique. Le Straumann(r) Bone Ceramic est un phosphate tricalcique poreux à 90 %. Il a l’avantage d’être entièrement remplacé dans le temps par de l’os et sans persistance des granules [17]. Cet os composite vient combler les manques osseux et renforcer les corticales vestibulaires fines (Fig. 13 et 14). Une membrane résorbable d’origine bovine vient recouvrir le mélange et permettre une régénération osseuse guidée.
Trois piliers droits Multi-Base (Straumann) [7] de 4 mm de hauteur et 3 autres de 2 mm sont positionnés.
Une fois les transferts d’empreinte vissés, des sutures hermétiques sont réalisées avec du fil résorbable Vicryl rapide 4.0. Le porte-empreinte ajouré est stabilisé puis un matériau à empreinte en polyéther (Impregnum, 3M ESPE) est injecté par l’abord occlusal.
Une fois l’empreinte retirée, des capuchons de protection couvriront les piliers jusqu’à la mise en charge prévue en fin d’après-midi.
Un orthopantogramme permet d’avoir une image à « J0 » (Fig. 15).
Le laboratoire de prothèse termine le bridge transvissé provisoire d’après la planification effectuée en amont et l’empreinte de fin de chirurgie.
À 18 h 00, sans anesthésie nécessaire, les capuchons de protection (Fig. 16) sont retirés, une couche de gel à base de chlorhexidine est appliquée et le bridge est vissé sur les piliers Multi-Base [18, 19]. Les entrées des tubes provisoires sont refermées par du coton et un pansement temporaire pour permettre un accès aisé aux vis.
Des ajustages sont nécessaires pour avoir la bonne répartition des forces occlusales.
La patiente repart avec des dents fixes et un confort oublié depuis plusieurs années (Fig. 17). Elle a reçu toutes les recommandations nécessaires quant au rinçage à la chlorhexidine, la prise des antalgiques et une alimentation hachée et tendre.
Après une période de 4 mois d’ostéo-intégration, un contrôle radiographique est effectué (Fig. 18).
Le bridge provisoire est retiré. Les implants présentent une excellente intégration dans leur environnement ostéo-gingival (Fig. 19).
Chaque pilier Multi-Base est dévissé, les têtes d’implant et les piliers sont nettoyés et désinfectés. Puis les piliers sont remis en place et vissés à 35 Ncm.
Les diverses séances d’empreinte, de vérification par une clé au plâtre, de montage esthétique et d’essayage de l’armature sont validées.
Le bridge permanent implanto-porté est constitué d’une armature en titane autour de laquelle sont montées des dents en résine avec une fausse gencive en résine. La gencive naturelle est au contact direct de l’infrastructure en titane et la gencive artificielle n’est présente que pour l’aspect esthétique (Fig. 20). En effet, elle permet de compenser les pertes de hauteur de l’os et de la gencive et de retrouver de belles papilles entre les dents (Fig. 21). La ligne de transition entre la gencive naturelle et la gencive artificielle est au-dessus de la ligne du sourire et n’est visible qu’en soulevant la lèvre supérieure (Fig. 22).
Le bridge est vissé à 15 Ncm sur les piliers et les puits d’entrée sont refermés avec de la résine composite après avoir protégé les têtes de vis avec du coton.
Passés les premiers contrôles, la patiente se présente pour examen 36 mois après l’intervention. La gencive est en parfaite santé et présente un bel aspect, une belle teinte.
La radiographie confirme une excellente stabilité osseuse autour des implants, notamment dans les zones traitées par régénération osseuse guidée (Fig. 23).
Le positionnement des implants a pu être effectué virtuellement avant la chirurgie, sans stress, en prenant tout son temps et en effectuant toutes les vérifications et corrections nécessaires.
L’étude du cas sur le logiciel de planification est plus aisée que la seule observation des coupes obliques. En effet, une vue simultanée permet de se repérer à la fois sur les plans axial, panoramique et oblique et sur la modélisation 3D.
Les défauts osseux de la patiente n’offraient que très peu d’os disponible implantable. Dans cette situation, il ne s’agit pas d’insérer des implants bien droits et parallèles. Il faut les positionner en fonction de la prothèse tout en cherchant des axes et des points d’ancrage précis.
Pouvoir exploiter idéalement les faibles volumes à main levée aurait été difficile.
De plus, le forage détruit de l’os par les vibrations latérales. En revanche, les forets étant maintenus fermement et précisément dans les canons de forage du guide, les mouvements latéraux sont quasi inexistants.
Les implants ont pu ici être placés le plus près possible des parois antérieures des sinus maxillaires droit et gauche pour gagner en étendue.
Le choix s’est porté sur 6 implants car :
– 8 implants auraient obligé à faire des greffes sinusiennes ;
– même si 4 implants donnent de très bons résultats [20], l’os affaibli par des lésions parodontales de la patiente a incité à mieux répartir les forces.
Cette harmonie entre le rose et le blanc des dents aurait été impossible à recréer sans fausse gencive dans une situation avec de telles pertes ostéo-gingivales sans avoir recours à des greffes importantes et à plusieurs interventions.
Les 6 implants sont solidarisés ensemble. De nombreuses études démontrent des résultats identiques entre des implants mis en charge tardivement et des implants mis en charge immédiatement même dans des sites d’extraction.
La cicatrisation est toujours compliquée sous une prothèse amovible. Nous l’avons tous remarqué dans notre exercice quotidien. Il faut évider l’intrados, rebaser avec de la résine souple, puis la remplacer régulièrement. La mobilité de l’appareil peut entraîner un appui sur les implants et cela devient un facteur de risque très important.
Il est inutile de préciser à quel point les patients sont reconnaissants d’une mise en charge immédiate.
Il ne s’agit pas de présenter ce cas comme un plan de traitement idéal ou sans risques. Dans la classification SAC (staightforward, advanced, complex) des consensus de l’ITI (International Team for Implantology), il est classé en « complexe » avec des risques élevés (Fig. 24).
Toutes ces techniques (extraction-implantation immédiate avec chirurgie guidée, régénération osseuse guidée, mise en charge immédiate), seules ou combinées, ont déjà fait leur preuve dans notre pratique et ont été rapportées dans la bibliographie.
Toutes ces techniques associées lors de la même intervention ont été utilisées dans de nombreux cas au sein de notre équipe et nous n’avons à ce jour aucun échec avec un recul de 3 ans.
Il est nécessaire de suivre l’évolution de ces patients pendant 5 à 10 ans.
Ainsi, pour un patient édenté ou sur le point de l’être, avec un faible volume osseux, cette option thérapeutique pourrait être envisagée pour éviter plusieurs interventions avec des greffes osseuses et gingivales qui impliqueraient un traitement étalé sur 8 mois à 1 an. Soulignons également le confort de patienter avec des dents fixes pendant la période de cicatrisation et d’ostéo-intégration.
– au laboratoire dentaire Oral Beauty (9 ter, rue de Verdun, BP 95, 88600 Bruyères, tél. : 03.29.50.50.30, www.oralbeauty.com) ;
– à Straumann France
– à Élodie Lang pour sa collaboration.
→ SIMPLANT(r) – MATERIALISE DENTAL – simplant@materialisedental.fr – www.materialisedental.com
→ BONE LEVEL(r) – STRAUMANN – info.fr@straumann.com – www.straumann.fr