22 ET 23 MARS 2012 / GÖTEBORG
IMPLANT A SUIVI
Le Nobel Biocare Nordic Symposium qui s’est déroulé à Göteborg (Suède) a réuni 3 000 praticiens, venus de 25 pays célébrer avec les pionniers de la méthode les 60 ans de la découverte de l’ostéo-intégration et les 30 ans de la conférence décisive de Toronto. Selon Magnus Persson, directeur régional des pays nordiques et organisateur de la conférence, « pour être capables de construire le futur, vous devez connaître l’histoire ».
L’histoire de l’ostéo-intégration
Lors de la première journée, une séance plénière ouvrait le congrès avec, pour thème, « L’histoire doit être racontée à nouveau ». Une courte vidéo de présentation remontait le temps des étapes de la découverte de l’ostéo-intégration, en se terminant par une interview du Pr P.I. Brånemark délivrant son message universellement connu : « Personne ne devrait mourir avec ses dents dans un verre d’eau. »
Le conférencier est l’un des « big five ». Premier directeur de la clinique Brånemark à Göteborg de 1985 à 2000, il est aujourd’hui professeur émérite de l’université de Göteborg et a commencé sa présentation par la première célébration : 60 ans depuis le début.
Il a rappelé que la recherche sur l’ostéo-intégration a débuté en 1952, les premiers résultats ayant été présentés en 1959 dans la thèse de doctorat de P.I. Brånemark (Scand J Clin Lab Invest 1959 ; 11 [38]). L’application clinique a débuté au milieu des années soixante, les quatre premières « fixtures » ayant été insérées en 1965, trois d’entre elles étaient toujours en fonction à la mort du patient, Gösta Larsson, en 2005. La recherche scientifique sur les bridges ostéo-intégrés à l’université de Göteborg a fourni plus de 1 200 rapports (dont certains sont devenus des gold standards) et environ 110 thèses de doctorat.
En 2010, un rapport de revue systématique de la littérature publié par le Swedish Council on Health Technology Assesment (Rohlin et al. Prosthetic rehabilitation of partially dentate or edentulous patients. SBU, 2010;204) a recherché les publications sur plus de 5 ans et plus de 20 patients, avec moins de 25 % de perdus de vue à 5 ans, concernant toutes les restaurations prothétiques dento-portées, muco-portées et implanto-portées. Plus de 15 000 titres d’articles ont été examinés, environ 6 600 résumés évalués et 1 650 textes complets analysés. Seuls 26 rapports ont été acceptés. Parmi les 26 rapports retenus, 20 concernaient des études en relation avec les implants (77 % des études) et 12 étaient fondés sur les implants Brånemark (60 % des articles) dont 10 provenaient de la clinique Brånemark. On peut donc conclure que les études documentées sont rares, que les recherches scientifiquement menées restent exceptionnelles et que la clinique Brånemark a fourni la moitié de ces études au cours des 40 dernières années, tous systèmes implantaires compris.
Le conférencier a ensuite présenté une interview du Pr P.I. Brånemark réalisée quelques semaines auparavant. Répondant aux interrogations, P.I. Brånemark a rappelé que tout a débuté par sa recherche sur la cicatrisation osseuse dans l’os tibial du lapin et l’impossibilité de retirer les chambres optiques en titane à la fin de l’expérience. Dix ans ont été nécessaires pour comprendre le phénomène et, à partir de là, il lui a fallu lutter contre l’hostilité de la communauté scientifique, en particulier dans les pays nordiques. Il avoue être solide et têtu, et il s’est alors tourné vers les États-Unis et le NIH (National Institute of Health, le centre de recherche biomédicale américain) où il a trouvé une petite écoute et des encouragements à poursuivre ses travaux. Il a alors commencé l’expérimentation sur les chiens, avec le soutien financier de Bofors puis de Nobel, car selon son expression : « Money doesn’t heal, but you need money to do research » (L’argent ne guérit pas, mais il faut de l’argent pour faire de la recherche). Pendant ces séjours aux États-Unis, il a rencontré des équipes à la Mayo Clinic et au Rochester Hospital et a souvent collaboré avec Richard Skalak, qui travaillait à Toronto avec un jeune professeur de prothèse Georges Zarb. En 1982, au vu des travaux scientifiques présentés depuis 1977 et des possibilités offertes aux patients par les prothèses ostéo-intégrées, Georges Zarb a décidé d’organiser une conférence à Toronto pour vaincre l’hostilité de la communauté scientifique en convoquant les professeurs de chirurgie et de prothèse d’Amérique du Nord, avec comme résultat la reconnaissance des travaux de l’équipe de P.I. Brånemark et le début de la collaboration de plusieurs centres pour développer le traitement des patients avec des prothèses ostéo-intégrées. Ensuite, Sven Johansson, le second patient traité par la méthode, toujours en vie et porteur d’une prothèse ostéo-ancrée depuis plus de 40 ans, explique les bénéfices qu’il a retirés de son traitement. Enfin, P.I. Brånemark a rappelé qu’en même temps que les avancées en dentisterie, l’ostéo-intégration a connu de nombreuses applications en orthopédie, qu’il est extrêmement satisfaisant de partager les succès mais qu’il est capital de considérer et de comprendre les échecs, et que, encore aujourd’hui, la vie est une chose que l’on ne peut expliquer. Le dernier message de son interview : « Souvenez-vous que chaque patient qui a perdu, ou à qui il manque, une partie de son corps est un amputé, un invalide, et si nous pouvons améliorer la situation même pour une dent, c’est important. »
Cette longue interview avait été enregistrée en raison de l’état de santé du Pr Brånemark qui ne permettait pas d’assurer de façon certaine sa présence physique le jour de la conférence, même si dans les couloirs courait le bruit de son éventuelle présence. Un frisson d’émotion a parcouru l’assistance lorsque l’écran a montré le Pr Brånemark arrivant dans la salle, déclenchant la plus longue ovation debout à laquelle j’ai assisté. Après de longues minutes d’applaudissements, P.I. Brånemark a remercié la salle et conclu : « Continue to enjoy integrated life » (« Continuez à trouver du plaisir dans une vie (ostéo-)intégrée »).
La deuxième célébration concerne les 30 ans de la percée internationale du principe des bridges ostéo-intégrés (OIB principle) lors de la conférence de Toronto en mai 1982.
La conférence de Toronto, organisée conjointement par les universités de Göteborg et de Toronto, a eu un impact considérable sur la profession dentaire pour le bien-être de nos patients : des milliers de praticiens ont été instruits, des millions de patients ont été traités, aboutissant à une fonction orale optimisée et durable pour les patients et une vie professionnelle stimulante pour les praticiens.
L’organisateur Georges Zarb avait pour objectif d’examiner soigneusement les données de la recherche fondamentale et clinique du protocole de Brånemark afin d’établir un consensus parmi la communauté scientifique nord-américaine sur la possibilité de traiter ou non des patients selon les principes de l’ostéo-intégration. Le groupe des 10 Suédois (Per-Ingvar Brånemark, Ragnar Adell, Tomas Albrektsson, Bo Bergman, Gunnar E. Carlsson, Hans-Arne Hansson, Bengt Kasemo, Ulf Lekholm, Jan Lindhe et Jörgen Lindström) a repris le chemin vers l’ouest de leurs ancêtres vikings pour présenter et défendre leurs travaux. À Toronto, Georges Zarb avait invité, pour une conférence de 3 jours, une centaine de chefs de département en chirurgie orale et en prothèse d’Amérique du Nord. À la fin de la conférence, au moment de la discussion et des éventuelles questions, le Dr James R. Hayward s’est levé en déclarant : « Je tiens à vous féliciter, Dr Brånemark, pour le plus fantastique projet de recherche clinique que je connaisse ; ainsi, je ne vois aucune nécessité d’une discussion ! », signant par là l’acceptation et la percée internationales du protocole des implants de Brånemark. G. Zarb déclarera, 25 ans plus tard : « Les plus importants universitaires chirurgiens maxillo-faciaux et prothésistes d’Amérique du Nord étaient venus pour critiquer – et sont restés pour rendre hommage. »
La conférence de Toronto a été un tournant en dentisterie, Ragnar Adell et Georges Zarb qui étaient présents vont nous exposer leurs souvenirs de l’événement, l’importance des bridges ostéo-intégrés en dentisterie clinique et leur opinion sur les développements actuels des prothèses ostéo-intégrées.
Historique
En 1972, Tallgren a trouvé que 3 ans après l’extraction des dents, la résorption de la mandibule atteignait 6 mm, suivie d’une atrophie de 0,3 mm par an les années suivantes. À ce moment-là, le seul pronostic était la perte de rétention des prothèses amovibles au cours du temps et son cortège d’inconvénients en termes de perte de fonction, de perte de confiance en soi et de perte esthétique. Avant l’époque des implants, de nombreuses options chirurgicales ont été proposées pour augmenter la rétention et la stabilité des prothèses amovibles :
– l’approfondissement du sulcus par le déplacement de la lèvre (Kazanjian, 1924), ou vestibuloplastie, ou par l’abaissement du plancher de la bouche (Obwegeser, 1963) ;
– l’augmentation de la crête par greffon costal ou hydroxyapatite avec, au bout de 3 ans, la perte quasi totale de la greffe (Davis et al., 1985 ; Fazili et al., 1978 ; Piecuch et al., 1990), par l’ostéotomie en visière (Härle, 1975) avec, au bout de 3 ans, 36 % de perte de la hauteur gagnée, 40 % de troubles sensoriels (Härle, 1979) et 83 % de paresthésie persistante (de Koomen et al., 1979) ;
– les prothèses amovibles avec pointes de rétention dans des poches épithéliales (Wallenius et Öwall, 1966) avec, au bout de 5 ans, 30 % de prolifération tissulaire dans les poches mandibulaires.
L’évaluation de la chirurgie préprothétique avant l’ère des implants se faisait par des études à 3 ans ou moins et présentait des risques de réduction vasculaire de l’os alvéolaire lorsque les muscles étaient détachés de la mandibule, des risques de troubles sensoriels, des récidives considérables dans le temps, d’autant plus que les tentatives de chirurgie frisaient parfois la haute voltige. Dans les années 1940 à 1970, les implants dentaires ont connu pléthore de matériaux, de formes, de techniques chirurgicales et de suppositions, comme les vis hélicoïdales en NiCr (Strock, 1939 ; Formiginni, 1947 ; Chercheve, 1962), les implants sous-périostés en vitallium (Dahl, 1943 ; Goldberg et Gershkoff, 1957) donnant 60 % de succès à 3 ans (Mercier et al., 1981) et 36 % de succès à 10 ans (Goldberg, 1980), les inserts intramuqueux en CrCo (Dahl, 1943), les implants IMZ en titane (Koch, 1976) présentant un taux de survie de 97,3 % à 3 ans, l’implant de Tubingen/Frialit en alumine (Schulte et Heimke, 1976) avec un taux de succès à 5 ans de 70 % (d’Hoedt et al., 1981), les implants lames en CrNiVa/alliages de titane (Linkow, 1968) avec de très nombreuses formes différentes et peu d’études, les cylindres creux d’ITI avec projetat de plasma de titane (Schroeder, 1976 et 1981) avec des preuves histologiques d’ostéo-intégration et 80 à 85 % de succès à 5 ans, les crampons transmandibulaires en alliage de titane (Small, 1975) et un taux de succès de 91 % à 16 ans sur 1 500 patients (Small et Misiek, 1985). À la fin des années 1970, Cranin et al. (1977), dans une revue des taux de succès cumulatifs, concluent qu’il y a beaucoup de références sur les indications et l’utilisation des implants ainsi que sur les techniques de mise en place mais qu’aucune ne donne d’évaluations sur ceux déjà posés. Williams (1981) conclut une revue de littérature médicale dans les termes suivants : « Il existe une difficulté à obtenir la réponse désirée des tissus adjacents. » L’axiome de ces années sur l’issue des implants dentaires est résumé par Southam et Selwyn (1970) : « Lorsque n’importe quel appareillage métallique est implanté, une couche de tissu fibreux se développera toujours autour, avec pour conséquence qu’il ne sera jamais aussi solide qu’au moment de son implantation. » De même, Cameron et Fornasier (1976) déclarent : « Lorsque la réaction initiale autour de l’implant a atteint sa maturation, le métal n’est jamais en contact direct avec l’os. » L’encapsulation fibreuse était considérée comme un effet du matériau implantaire (Williams, 1981 ; Spiekermann, 1981), aucune attention n’était apportée à la technique chirurgicale. C’est pourquoi le protocole de Brånemark et le phénomène d’ostéo-intégration montrant un contact direct entre l’os et la surface implantaire ont rencontré autant de critiques et d’opposition dans la communauté scientifique. Ainsi, lors de la parution en 1969 des résultats de l’étude de 2 à 5 ans sur l’ancrage intra-osseux de prothèses dentaires sur 92 implants chez 12 chiens (Brånemark PI, Breine U, Adell R, Hansson BO, Lindström J, Ohlsson Å. Intra-osseous anchorage of dental prostheses. 1. Experimental studies. Scand J Plast Reconstr Surg 1969;3:81-100), montrant la possibilité d’une mastication normale, des couples de dépose des fixtures élevés et aucun signe histologique ou radiographique d’interposition de tissu fibreux, les réactions lors du congrès de l’Association dentaire du Sud de la Suède à Landskrona ont été virulentes. Le président déclarant à P.I. Brånemark : « Vous êtes un charlatan, Monsieur, même pas un dentiste ! » Les autorités de la santé locale de Göteborg ont malgré tout soutenu le projet alors que le Fonds de recherche national refusait de subventionner la recherche. Une clinique privée, en coopération avec l’hôpital de l’université Sahlgren, a permis le traitement de 235 patients à partir de 1968. Lors de la réunion de l’Assemblée nationale odontologique suédoise en novembre 1973 et de la présentation de la coupe histologique réalisée par Tore Arwill et Alf Öhman à partir d’un échantillon prélevé sur un patient, montrant en microscopie optique le contact direct entre l’os et la surface implantaire, un rejet hostile de toute la communauté scientifique réclamait l’exclusion de l’équipe pour la sécurité des patients. En 1975, une inspection du Swedish National Health and Welfare Board (Sécurité sociale suédoise) réclamée par le Health Insurance System (assurances complémentaires) est menée par 3 praticiens d’Umeå sur 20 patients sélectionnés au hasard parmi 165 patients traités. Le verdict tombe en mai 1975 : agrément et acceptation du traitement, à condition qu’un traitement prothétique conventionnel ait d’abord été tenté et que le traitement ne soit réalisé que par des spécialistes. En 1977 paraît l’étude à 10 ans (Brånemark PI, Hansson BO, Adell R, Breine U, Lindström J, Hallén O, Öhlman A. Osseointegrated implants in the treatment of the edentulous jaw. Experience from a 10-year period. Scand J Plast Reconstr Surg 1977;16:1-132), avec des résultats prothétiques encourageants (99 % des prothèses stables à la mandibule et 76 % au maxillaire) alors que la stabilité des fixtures à la mandibule est de 70 % et n’atteint que 39 % au maxillaire supérieur. Le rapport à 15 ans publié en 1981 et portant sur 2 768 fixtures et 371 patients consécutifs (Adell R, Lekholm U, Rockler B, Brånemark PI. A 15-year study of osseointegrated implants in the treatment of the edentulous jaw. Int J Oral Surg 1981;10:387-416) propose une méthode strictement standardisée pour obtenir l’ostéo-intégration et donnant un taux de survie des implants à 5-9 ans de 81 % au maxillaire et de 91 % à la mandibule, avec une perte osseuse moyenne de 1,5 mm la première année et de 0,1 mm les années suivantes, et 3 % de fractures d’implants. Enfin, en 1982, le congrès de Toronto (Osseointegration in Clinical Dentistry) organisé par le Pr Georges Zarb, qui avait rencontré P.I. Brånemark en 1975 (par l’intermédiaire du Pr G.E. Carlsson) puis avait été professeur invité à Göteborg en 1978 et qui suivait l’avancée des travaux de l’équipe suédoise depuis lors, a permis à l’ostéo-intégration de se développer outre-Atlantique. En 1990 paraissait le rapport des 20 ans de suivi sur 4 636 fixtures posées chez 700 patients (Adell R, Eriksson B, Lekholm U, Brånemark PI, Jemt T. A long-term follow-up study of osseointegrated implants in the treatment of totally edentulous jaws. Int J Oral Maxillofac Implants 1990;5:347-359). Cet article montre un taux de survie des implants, à 10 ans, de 81 % au maxillaire et de 89 à 98 % à la mandibule (et de 95 à 99 % pour les bridges) et, à 15 ans, de 78 % au maxillaire et de 86 % à la mandibule (et de 93 à 99 % pour les bridges). Ce rapport a été à l’époque le plus important travail statistique à long terme réalisé en dentisterie. Depuis, très peu d’études ont été réalisées sur une telle durée en dehors de cette équipe.
Retrouvez la suite de la conférence du Pr Adell dans le prochain numéro d’Implant.