Implant n° 2 du 01/05/2012

 

CHIRURGIE

Bouabid Morchad*   Yves Lauverjat**  


*Professeur assistant de l’enseignement supérieur,
Service de Prothèse conjointe,
Faculté de médecine dentaire de Rabat, Maroc,
63, avenue Hassan-II, Lotissement Messrour 1,
12000 Temara, Maroc.
Tél. Maroc : 00212 61 26 90 22
e-mail : morchad.bouabid@hotmail.com
**Maître de conférences des universités,
UFR d’Odontologie de Bordeaux,
service de Parodontologie.

Résumé

Dans la région postérieure maxillaire, après extractions dentaires, les crêtes subissent une résorption osseuse continue. Dans cette région s’ajoute un obstacle anatomique formé par le sinus maxillaire, qui nécessite des conduites particulières avant et au moment de la pose d’implants. Parmi les techniques d’augmentation de volume osseux, figurent la voie d’abord crestale à l’aide des ostéotomes et la piézochirurgie.

Summary

After teeth extractions, the crests undergo a continuous bone resorption in the posterior maxillary region, also, an anatomic barrier formed by the maxillary sinus is added in this region, and this requires particular behaviors before and at the time of implant placement. Among the techniques for increasing bone volume, the crestal incision using osteotomes and piezosurgery.

Key words

sinus maxillary, sinus lift, crestal track, piezosurgery, osteotomy

INTRODUCTION

La découverte du phénomène biologique par Brånemark, appelé ostéo-intégration [1], et son application à la technique des implants dentaires ont été parmi les progrès les plus importants dans le traitement des patients totalement ou partiellement édentés. L’une des limites de cette technique est le manque d’os, particulièrement au maxillaire. En effet, après extraction, les crêtes subissent une résorption continue.

Dans la région maxillaire postérieure s’ajoute un obstacle anatomique formé par le sinus maxillaire (Fig. 1), qui nécessite des conduites particulières avant et au moment de la pose des implants supports de restaurations prothétiques.

La mise en place d’implants sous-sinusiens est possible lorsqu’on dispose d’une hauteur osseuse résiduelle minimale de 8 à 10 mm [2] avec les techniques d’implantation classique, contrairement à celles préconisées par Lazzara (qui nécessite 3 mm) et par Summers (à partir de 6 mm).

Il est possible d’intervenir de façon préventive, pendant la phase d’extraction, ou de façon réparatrice pour pallier la résorption osseuse ; le traitement sera alors fonction de l’étendue de la perte de substance.

Afin de pallier cette perte osseuse, différentes solutions sont proposées pour augmenter la hauteur et/ou l’épaisseur :

• les greffes d’apposition ;

• le comblement du sinus par voie d’abord latérale par différents types de greffe ;

• l’élévation du plancher du sinus maxillaire par voie d’abord crestale.

Nous allons décrire dans ce travail la technique d’élévation du plancher du sinus maxillaire faisant appel à la piézochirurgie et aux ostéotomes.

RAPPEL DE LA CLASSIFICATION DE MISCH

Elle est un excellent outil d’évaluation quantitatif de l’os résiduel. Misch [3] a proposé de diviser la hauteur résiduelle de l’os en quatre parties (SA-1 à SA-4), du sommet de la crête jusqu’au plancher du sinus.

SA-1 : hauteur supérieure ou égale à 12 mm avec pose d’implants sans augmentation.

SA-2 : hauteur entre 8 et 12 mm autorisant la pose d’implants avec élévation préalable du plancher par voie crestale ; indiquée actuellement même avec des valeurs supérieures ou égales à 3 mm.

SA-3 : hauteur entre 5 et 8 mm pour laquelle un volet latéral peut être indiqué ; les implants peuvent être posés dans le même temps que le comblement sous-sinusien, à la condition que leur stabilité primaire soit assurée ; une ostéotomie crestale est aussi envisageable.

SA-4 : hauteur entre 0 et 3 mm, qui impose une greffe d’augmentation par volet latéral et une pose différée des implants.

TECHNIQUES D’ÉLÉVATION PAR ABORD CRESTAL

AVANTAGES

• Réalisable au cabinet dentaire sous anesthésie locale.

• Mise en place de l’implant dans le même temps chirurgical.

• Amélioration de la densité osseuse péri-implantaire.

• Préservation de l’intégrité intrasinusienne.

• La voie crestale permet une meilleure néo-vascularisation du greffon par l’absence de traumatisme des artères au niveau du mur latéral.

• La vascularisation de la cavité sinusienne est en grande partie préservée. Selon Solar et al. [4], celle-ci se réalise par le biais de :

– l’anastomose vasculaire intra-osseuse (AI) ;

– l’anastomose extra-osseuse (AE) ;

– les vaisseaux de la membrane sinusienne provenant surtout de l’artère alvéolaire postéro-supérieure, l’artère infra-orbitaire et l’AI.

• Les suites postopératoires sont minimes, Wiltfang et al. [5] ont mis en évidence des conséquences mineures (hématomes, gonflement).

• Faible taux de perforation de la membrane de l’ordre de 5,5 % [6], ce résultat ne doit pas être généralisé. Néanmoins, il reste bien en deçà des chiffres constatés avec la technique de l’abord latéral (17 à 35 %) [7, 8].

• La hauteur osseuse obtenue est suffisante pour placer des implants d’au moins 9 mm de longueur (longueur minimale recommandée au niveau du maxillaire postérieur). Le gain est de l’ordre de 9 à 11,5 mm en moyenne selon les auteurs (Fig. 2) [9, 10, 11].

INCONVÉNIENTS

• Technique à l’aveugle : l’opérateur n’a pas de vision directe de l’antre [12].

• Ne permet pas de traiter des défauts de grande étendue.

• La présence de septa intrasinusiens peut être une contre-indication si l’on envisage de greffer l’ensemble de la cavité sinusienne. Dans des cas d’augmentation ponctuelle (et c’est là encore un des avantages de cette technique), ces septa peuvent être évités [9].

DESCRIPTION DE LA TECHNIQUE

La technique par ostéotomie a été mise au point par Tatum et décrite par Summers [11, 13]. Elle complète et simplifie les techniques habituelles ; elle est une aide précieuse pour la pose d’implants dans les régions postérieures du maxillaire, de hauteur souvent insuffisante pour recevoir des implants de longueur propice à supporter les efforts occlusaux d’origine masticatoire. L’ostéotomie est une procédure qui permet d’élever le plancher du sinus.

En 1986, Tatum [13] utilise un « sockets former » ou « formateur d’alvéoles » pour placer un implant ­volumineux, présentant des ailettes, qui sera inséré puis impacté avec une légère friction.

En 1994, Summers [14] a développé une technique utilisant des ostéotomes et permettant une mise en place d’implants de manière simultanée à l’élévation du sinus par voie crestale. Elle est indiquée pour une hauteur osseuse de 5 à 6 mm, associée de préférence à un os de faible densité.

L’ostéotome est un instrument droit et gradué, de section ronde calibrée, à bout concave et aux bords tranchants, qui est impacté au maillet pour créer le site implantaire.

Parmi les nombreux avantages [15, 16] de cette technique, on peut citer :

• absence de forage, donc d’échauffement, ce qui améliore la future interface os-implant ;

• la crête alvéolaire est progressivement élargie grâce à l’utilisation d’ostéotomes de diamètre croissant ;

• préservation de la sensation tactile, qui permet d’évaluer la densité osseuse et de contrôler l’effraction du plancher ;

• pas de soustraction osseuse ;

• possibilité de rajouter des matériaux de comblement.

L’addition d’os au sommet des ostéotomes agit comme un fouloir hydraulique et limite les risques de perforation. Elle permet une augmentation de hauteur plus importante (4 à 5 mm).

En 1996, Lazzara [17] propose une nouvelle séquence opératoire basée sur l’utilisation combinée d’ostéotomes, de forets et d’implants vissés.

Cette technique est indiquée en présence :

– d’une crête large (supérieure ou égale à 8 mm) ;

– d’une hauteur osseuse sous-sinusienne supérieure ou égale à 5 mm.

Dans toutes les variantes proposées, il est recommandé d’arrêter le forage à 1 mm du plancher sinusien. Il s’agit alors de fracturer le plus délicatement possible le rempart osseux à l’aide d’ostéotomes pour élever sans dommage la membrane. Aucun instrument ne doit pénétrer la cavité sinusienne tout au long de l’intervention.

Néanmoins, cette procédure peut être à l’origine d’une perforation, en raison d’une poussée trop forte des ostéotomes ou à cause des arêtes tranchantes de l’os fracturé [12]. Un contrôle par la manœuvre de Valsalva [18], consistant à exercer une pression intrasinusienne en obstruant les voies nasales au moment d’une expiration forcée, permet d’objectiver ces éventuelles perforations. En cas de test positif, l’intervention doit être interrompue et reportée deux mois plus tard.

Pour pallier ce défaut, et afin de sécuriser les procédures d’élévation sinusienne, la piézochirurgie offre l’avantage de réduire de façon notable les perforations de la membrane de Schneider [12].

La piézochirurgie offre une précision et une visibilité opératoire extrêmement confortables lors de l’acte chirurgical [19]. Elle permet l’épaississement de crête en association de la pose d’implant conique [20].

Blus et Szmukler-Moncler [21] rapportent des taux de succès à trois ans comparables à ceux obtenus avec les procédures classiques d’épaississement osseux. Ces interventions sont très simples à réaliser au maxillaire du fait de l’élasticité du tissu osseux ; elles doivent néanmoins être réservées à un nombre minimum de deux implants.

La piézochirurgie permet de réaliser des ostéoplasties et des ostéotomies avec une haute précision de coupe, grâce à des inserts utilisant des fréquences ultrasoniques modulables. L’instrument n’est actif que sur les tissus minéralisés. Cette fourchette de fréquence (22 à 30 kHz) est en effet inactive sur les tissus mous pour lesquels d’autres fréquences seraient nécessaires. La technique s’avère alors très intéressante pour des chirurgies réalisées à proximité de structures anatomiques à préserver telles que les muqueuses ou les paquets vasculo-nerveux [19].

Une puissance plus élevée est nécessaire pour un os très minéralisé. Ainsi, l’épaisseur du trait de coupe obtenu avec la piézochirurgie ne dépendra que des dimensions de l’insert utilisé et peut être réduite à 0,4 mm. Les inserts disponibles sont nombreux et varient notamment dans leur forme et leur ­conception, chacun ayant une indication bien particulière.

PROTOCOLE OPÉRATOIRE

Un scanner préalable est indispensable pour visualiser les dimensions de la crête osseuse, le volume de la cavité sinusienne, l’absence d’obstacles anatomiques et l’épaississement de la membrane de Schneider (Fig. 3).

Après désinfection du champ opératoire, une anesthésie para-apicale avec vasoconstricteur est réalisée (Fig. 4). L’incision crestale se prolonge par des incisions de décharge visant à créer un champ opératoire large. Un décollement d’épaisseur totale puis en épaisseur partielle permet de fermer le site opératoire sans tension (Fig. 5).

L’insert de piézochirurgie (scalpels) est monté sur pièce à main ; une tranchée osseuse crestale est alors réalisée sur une profondeur de 2 à 3 mm et sur une longueur de 10 à 15 mm (longueur variable en fonction du cas clinique). Cette tranchée permet l’épaississement de la crête (Fig. 5).

Ensuite, un insert en forme de boule (diamantée) est utilisé à la place du scalpel, de faible diamètre, correspondant en général au foret pilote (Fig. 6). Le réglage de la puissance est en position de coupe maximale afin de passer la corticale sous-sinusienne.

Il est nécessaire de bien positionner l’insert selon l’axe de l’implant prévu, afin que, sous une légère pression, l’instrument s’enfonce en douceur dans l’os. Au fur et à mesure, le praticien perçoit une sensation tactile différente lors du passage de l’os spongieux à la corticale du plancher sinusien (Fig. 7). Une radiographie confirme la proximité du plancher. L’insert est à nouveau activé pour atteindre sans lésions la membrane.

Une fraise boule de grand diamètre (Fig. 8) augmente alors l’accès afin de faciliter le passage des ostéotomes de calibre croissant (Fig. 9) sur la même longueur jusqu’à l’obtention d’une cavité compatible avec le diamètre de l’implant (Tableau I).

Dans ce cas clinique, où une implantation simultanée est préconisée, un matériau de comblement (Cerasorb®) est introduit dans le site chirurgical et refoulé à l’aide d’ostéotomes (Fig. 10 et 11). Ce matériau additif va combler la cavité créée par l’insert. Cet espace est comblé au fur et à mesure par des ostéotomes de diamètres différents selon la longueur de l’implant prévu [22].

Concernant le site adjacent de la canine, il est préparé de façon conventionnelle pour recevoir un implant de longueur et de diamètre appropriés (Fig. 12 et 13).

Les implants racines (Root-Line® de chez Camlog) écartent progressivement la crête au cours de leur insertion tout en obtenant une stabilité primaire optimale sans taraudage (Fig. 14). L’espace créé par la tranchée crestale est rempli lui aussi de matériau de comblement (Cerasorb®) afin de maintenir cet espace (Fig. 15).

Des sutures hermétiques avec une légère traction coronaire du lambeau (Fig. 16) et une radiographie de contrôle terminent l’intervention (Fig. 17).

CONCLUSION

Dans la plupart de ses aspects, la technique d’élévation par voie crestale semble avantageuse pour le patient. Néanmoins, elle reste une technique à l’aveugle avec risque de perforation de la membrane de Schneider.

La piézochirurgie permet alors de pallier ce défaut en réalisant des coupes au niveau des tissus minéralisés sans léser la membrane sinusienne, ainsi que de faciliter le passage des ostéotomes.

ADRESSE DES DISTRIBUTEURS

→ CERASORB® – RIEMSER SUCC. FRANCE – http://www.riemser.fr

→ ROOT-LINE® – CAMLOG – Distribué par Henry Schein Implantologie – http://www.fr.henryschein.com/dental

BIBLIOGRAPHIE

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