CHIRURGIE
Julien Duroux* Sylvain Opé** Christophe Deschaumes*** Cédric Huard**** Julien Cubertafont***** Manuel Vasconcelos****** Jean-Luc Veyrune*******
*Docteur en chirurgie dentaire, AHU sous section Parodontologie,
UF implantologie orale, Faculté Chirurgie Dentaire et service
d’Odontologie CHU Clermont-Ferrand
**Docteur en chirurgie dentaire, ancien AHU sous section Prothèse
UF Implantologie Orale, Faculté de Chirurgie Dentaire et service
d’Odontologie CHU Clermont-Ferrand
***Docteur en chirurgie dentaire, Docteur des universités,
MCU-PH, sous section pathologie, UF implantologie orale,
Faculté Chirurgie Dentaire et service d’Odontologie CHU
Clermont-Ferrand
****Docteur en chirurgie dentaire, PH, UF pathologie,
UF implantologie orale, service d’Odontologie CHU
Clermont-Ferrand
*****Docteur en chirurgie dentaire, Faculté Chirurgie Dentaire
et service d’Odontologie CHU Clermont-Ferrand
******Prothésiste dentaire
Laboratoire ARV, Clermont-Ferrand
*******Docteur en chirurgie dentaire, Docteur des universités, PU-PH,
sous section Prothèse, UF implantologie orale, EA 3847,
Faculté Chirurgie Dentaire et service d’Odontologie CHU
Clermont-Ferrand
Dans un passé encore récent, le seul traitement envisageable de l’édentement total était la prothèse totale amovible (PTA). Cette thérapeutique qui a rendu et rend encore beaucoup de services au patient édenté, se voit aujourd’hui supplantée par des thérapeutiques implanto-prothétiques. Depuis les travaux de Brånemark sur l’ostéo-intégration, l’implantologie poursuit son évolution et aujourd’hui des protocoles de mise en charge immédiate ou précoce sont de plus en plus souvent proposés aux patients édentés totaux. Dans ces thérapeutiques, l’enregistrement et le transfert au laboratoire de prothèse des rapports intermaxillaires constituent une des difficultés majeures. Ce travail se propose de présenter et de critiquer différentes méthodes d’enregistrement de l’occlusion utilisées au bloc opératoire ou en salle blanche dans quelques cas caractéristiques de mise en charge précoce réalisées par une équipe pluridisciplinaire composée de chirurgiens, de prothésistes et d’un laboratoire de prothèse très réactif.
Not so long ago, the only conceivable treatment for full edentulism was complete dentures. Today, this therapy, still useful for edentulous patients, is being substitute by implant borne prosthesis. Since Brånemark’s studies on osseointegration, implantology is advancing, and today immediate and early loading protocols are often suggested to edentulous patients. One of the main challenges of these techniques is to record and transfer to the dental laboratory the occlusion. This paper presents and critically examines different intermaxillary recording methods used in surgical or clean rooms, in some early loading typical cases carried out by a multidisciplinary team.
Dans un passé encore récent, le seul traitement envisageable de l’édentement total était la prothèse totale amovible (PTA). Cette thérapeutique, qui a rendu et rend encore beaucoup de services au patient édenté, se voit aujourd’hui supplantée par des thérapeutiques implanto-prothétiques.
En effet, la stabilisation des prothèses totales par des dispositifs implantaires permet de retrouver une fonction et un confort proches de ceux du patient denté [1, 2]. L’implantologie poursuit son évolution et la mise à disposition des praticiens d’implants à état de surface amélioré (sablés mordancés) a accéléré le processus d’ostéo-intégration [3]. Le délai entre l’implantation et la mise en charge a été ainsi réduit de 6 à 2 mois [3, 4]. Dans le même esprit, des protocoles de mise en charge précoce (dans les 72 heures), postextractionnelle ou non, ont été réalisés avec des taux de succès voisins de ceux observés pour les mises en charge différées [5]. Ces protocoles diminuent considérablement le temps d’attente du patient, qui peut recevoir une prothèse fixe implanto-portée 48 à 72 heures seulement après la phase chirurgicale. Cette option thérapeutique affranchit le praticien des nombreuses séances d’ajustement relatives à l’inconfort fonctionnel ou esthétique provoqué par une prothèse transitoire amovible. De plus, l’absence de sollicitations mécaniques par la prothèse transitoire amovible a un effet positif sur l’ostéo-intégration des implants [6]. L’acceptation psychologique du passage à l’édentement total est également améliorée par ces protocoles de mise en charge précoce. Notamment, pour les patients atteints de maladies parodontales généralisées sévères irréversibles, la possibilité d’une mise en charge immédiate permet de mieux appréhender l’aspect inéluctable de la perte des dents. Dans ce cas précis, le praticien bénéficiera de tous les éléments nécessaires pour inclure l’occlusion prothétique dans le schéma neurophysiologique du patient. En effet, les rapports intermaxillaires (RIM) dans tous les plans de l’espace découleront de l’occlusion physiologique du patient lorsque celle-ci est correcte.
L’enregistrement et le transfert au laboratoire de prothèse des rapports intermaxillaires constituent une des difficultés majeures des réhabilitations de l’édentement total par mise en charge précoce. En effet, cette étape prothétique sera réalisée en salle blanche, ou au bloc opératoire, le jour de la pose des implants. Elle doit s’inscrire dans un temps limité qui, pour des patients traités en état vigile, ne peut guère excéder 2 heures, actes chirurgical et prothétique compris. Dans cette même séance, le praticien devra aussi effectuer les empreintes de positionnement des implants.
Cette option thérapeutique exige une étroite collaboration avec le laboratoire de prothèse. Cette coopération doit permettre de répondre aux exigences psychologiques, fonctionnelles et esthétiques des patients dans un délai de 3 jours maximum, sans possibilité de modification importante le jour de la pose. En effet, la prothèse doit impérativement être posée dans les délais définis par le protocole de la mise en charge [7]. Tout ceci implique de la part du praticien et du technicien de laboratoire une réflexion clinique et technique approfondie conduisant à l’élaboration d’un protocole thérapeutique précis, avec notamment une préparation de la chronologie des différentes étapes en amont de l’intervention qui minimise l’improvisation pendant la phase chirurgicale. Ce travail se propose de présenter et de critiquer différentes méthodes d’enregistrement de l’occlusion utilisées au bloc opératoire dans quatre cas caractéristiques de mise en charge précoce. Le protocole décrit correspond à celui mis en place dans le cadre du service d’Odontologie de Clermont-Ferrand par une équipe pluridisciplinaire composée de chirurgiens, de prothésistes et d’un laboratoire de prothèse très réactif.
Les sujets sont recrutés parmi les patients de la consultation d’implantologie du centre de soins dentaires du CHU de Clermont-Ferrand dont le traitement requiert une réhabilitation prothétique totale fixe implanto-portée, uni- ou bimaxillaire, dans le cadre d’une mise en charge précoce. En ce qui concerne les patients retenus, aucun critère d’âge ou de sexe n’est considéré.
Schématiquement, le déroulement du traitement se divise en trois étapes successives :
– interrogatoire médical ;
– examen clinique exo- et endobuccal ;
– examens complémentaires (clichés radiographiques, modèles d’études, montages prospectifs…).
Cette étude préopératoire doit permettre d’écarter les contre-indications générales à la pratique de l’implantologie. Il faudra notamment évaluer les forces masticatoires en présence et rechercher d’éventuelles parafonctions. Le bruxisme, par exemple, est identifié comme un facteur de risque mécanique dans les techniques de mise en charge conventionnelles. Bien que son impact n’ait pas été évalué dans les cas de mise en charge précoce, il devra être considéré comme un facteur négatif contre-indiquant cette option thérapeutique [8].
La nature de l’arcade antagoniste et le schéma occlusal dans lequel s’inscrit le patient sont évalués. Les paramètres pris en compte regroupent l’état des dents antagonistes, la qualité de leur soutien parodontal, la nature des éventuelles restaurations prothétiques fixes ou amovibles. L’analyse du schéma occlusal se fera en bouche et sur l’articulateur. La situation clinique doit également répondre aux impératifs de la chirurgie implantaire. Les obstacles anatomiques et leurs incidences sur la position des implants en fonction du projet prothétique doivent être appréciés. Le volume et la qualité de l’os interviendront sur le nombre, la position et la taille des implants mis en place.
En rassemblant toutes les informations recueillies au cours de cette analyse, un projet thérapeutique pourra être défini, puis un plan de traitement établi.
Elle se déroule en salle blanche ou au bloc opératoire. Pour les patients traités sous anesthésie locale, la durée de l’intervention est limitée à environ 2 heures. En revanche, l’anesthésie générale donne, en principe, plus de latitude au praticien. Au cours de cette séance, les éventuelles avulsions sont pratiquées et les implants sont mis en place.
Successivement à la phase chirurgicale proprement dite, les empreintes de positionnement des implants et l’enregistrement des rapports intermaxillaires sont réalisés. La phase d’enregistrement des rapports intermaxillaires n’intervient que très rarement en fin de chirurgie. Le plus souvent, elle se déroule parallèlement, selon une chronologie établie préalablement à l’intervention. Dans chaque situation, la principale différence tient à la façon dont le praticien va aménager, selon les conditions cliniques, le moment où il effectuera l’enregistrement des rapports inter-arcades. Il est important de noter que chacun des cas cliniques étudiés est unique et que, par conséquent, la méthodologie suivie par le praticien ne sera jamais tout à fait identique.
On peut toutefois distinguer deux situations :
– soit on réalise une implantation totale bimaxillaire ;
– soit l’implantation ne concerne qu’une seule arcade.
En considérant la finalité prothétique, on peut ainsi généraliser les rapports inter-arcades de la façon suivante : implants/dents naturelles ou implants/implants.
Dans l’optique de minimiser la part d’impondérable le jour de l’intervention chirurgicale, le praticien devra entretenir une relation de qualité avec son laboratoire de prothèse. Le matériel nécessaire au bon déroulement de cette étape (guides chirurgicaux, porte-empreintes individuels ou encore maquettes d’occlusion adaptées au protocole thérapeutique défini au terme de l’analyse pré-implantaire) sera préparé en amont de l’intervention.
Elle intervient dans les 48 à 72 heures suivant la pose des implants.
Cette phase fait suite à une étape de laboratoire au cours de laquelle les prothésistes ont pour objectif de réaliser une prothèse possédant les qualités suivantes :
– esthétique (cosmétique résine) ;
– armature coulée rigide en titane. L’utilisation d’une surcoulée en titane permet l’emploi de pilier provisoire usiné en titane qui assure un meilleur ajustage et une meilleure homogénéité de l’armature. Cette méthode est directement liée à la compétence du laboratoire de prothèse en ce qui concerne la coulée du titane ;
– rapports occlusaux précis.
Le contrôle clinique de l’occlusion est réalisé en bouche. La précision du travail effectué en amont de la pose doit le réduire au minimum.
On considère que cette étape doit intervenir après une période allant de 6 à 8 mois ou plus. Elle fait suite à des visites de contrôle régulières au cours desquelles on vérifie cliniquement et radiologiquement la stabilité du dispositif implantaire, ainsi que son intégration aux tissus péri-implantaires.
M. J présente une parodontite terminale généralisée et vient consulter pour une réhabilitation complète bimaxillaire.
Sa dimension verticale d’occlusion est maintenue et on constate une biproalvéolie accompagnée d’une dysharmonie dento-maxillaire.
Chacune des dents résiduelles présente un pronostic individuel défavorable qui contre-indique les traitements conservateurs. Le patient est soucieux de trouver une fonction et une esthétique satisfaisante le plus rapidement possible. Suivant la demande du patient et après concertation de l’équipe implantaire, la décision est prise d’effectuer une réhabilitation prothétique supra-implantaire complète bimaxillaire postextractionnelle avec mise en charge précoce.
Le plan de traitement suivant est mis en place.
1. Réalisation d’un montage directeur respectant la dimension verticale d’occlusion, le schéma neuro-musculo-articulaire et réglant le problème de l’encombrement incisif des deux arcades. Ce montage directeur servira de base au guide chirurgical. La présence de nombreuses dents ne permet pas de valider l’esthétique et les rapports d’occlusion par un essayage en bouche du montage directeur. Ces paramètres sont définis sur l’articulateur par l’équipe thérapeutique et validés avec l’accord du patient.
2. Sous anesthésie générale : avulsion de l’ensemble des dents puis, dans cette même séance, mise en place de huit implants au maxillaire et de six à la mandibule.
3. Au laboratoire, réalisation des bridges provisoires grâce aux empreintes et aux rapports intermaxillaires pris lors de la phase chirurgicale.
4. Pose des bridges provisoires 48 heures après l’intervention chirurgicale.
Le chirurgien, en accord avec le prothésiste, choisit de conserver trois dents situées dans deux secteurs antagonistes, afin d’assurer le centrage et le calage de la mandibule à la dimension verticale d’occlusion physiologique du patient (Fig. 1). Il s’agit des dents 16, 46 et 47. L’intervention se déroule sous anesthésie générale ; de ce fait, le patient est inconscient et ne peut participer à l’intervention. C’est le chirurgien qui positionne la mandibule en faisant s’affronter les trois dents résiduelles. L’enregistrement des rapports intermaxillaires est réalisé par l’intermédiaire d’un silicone d’occlusion de basse viscosité sur les porte-implants laissés en place (Fig. 2 et 3). L’avulsion des trois dernières dents est effectuée à la suite de l’enregistrement des RIM (Fig. 4), puis les derniers implants sont mis en place. L’empreinte est faite à l’aide de PEI réalisés à partir des montages directeurs. Le modèle maxillaire est ensuite coulé et positionné sur le plateau de montage de l’articulateur grâce à une clé en silicone indexée sur la voûte palatine. Le modèle mandibulaire est ensuite positionné grâce au mordu réalisé pendant l’intervention.
Mme B est porteuse de prothèses partielles amovibles (PPA) anciennes. Elle souhaite améliorer sa mastication et son esthétique, de préférence par une solution fixe. À l’examen exobuccal, elle présente une dimension verticale d’occlusion diminuée et un soutien labial insuffisant.
Au niveau endobuccal, on constate un édentement maxillaire de classe II div. 2 avec six dents résiduelles au maxillaire (Fig. 12). Seul subsiste le bloc incisivo-canin à la mandibule.
L’examen parodontal montre des pertes d’attaches généralisées avec une importante mobilité des dents résiduelles.
Le pronostic parodontal défavorable a entraîné la décision d’extraire les dents restantes et d’effectuer une réhabilitation implanto-prothétique complète bimaxillaire. Ce projet thérapeutique comprend la mise en place de huit implants au maxillaire (Fig. 13) et de deux à la mandibule afin de réaliser un bridge sur pilotis au maxillaire (mise en charge à 48 heures) et une prothèse amovible mandibulaire implanto-retenue par deux implants équipés du système d’attachement Locator(r) (mise en charge différée à 2 mois).
En raison de la perte de dimension verticale d’occlusion de cette patiente, l’occlusion d’intercuspidie maximal (OIM) n’a pu être utilisée comme position de référence.
L’intervention a demandé une préparation en amont qui s’est déroulée en plusieurs étapes.
1. Réalisation de maquettes d’occlusion maxillaire et mandibulaire, puis enregistrement des nouveaux rapports intermaxillaires avec augmentation de la dimension verticale d’occlusion en position de relation centrée (RC).
2. Au laboratoire, réalisation d’un montage directeur maxillaire et mandibulaire respectant la nouvelle dimension verticale d’occlusion, puis d’un duplicata en résine qui servira de maquette d’occlusion (Fig. 14).
3. Après avulsion des dents résiduelles à la mandibule, mise en place d’une PTA immédiate mandibulaire et d’une PPA provisoire maxillaire adaptée à la nouvelle dimension verticale. Cette étape a pour objectif de permettre à la patiente d’intégrer et de valider les nouveaux rapports intermaxillaires.
4. Après une période de 3 mois, sous anesthésie locale, avulsion des dents résiduelles maxillaires, puis, dans la même séance, mise en place de huit implants au niveau de l’arcade supérieure et de deux implants symphysaires à la mandibule.
5. Au laboratoire, réalisation du bridge provisoire maxillaire grâce aux empreintes et aux rapports inter-arcades pris lors de la phase chirurgicale.
6. Pose du bridge provisoire maxillaire 48 heures après la mise en place des implants (Fig. 21 et 22).
7. Les deux implants mandibulaires seront connectés à la prothèse mandibulaire réhabilitée au bout de 8 semaines de cicatrisation.
Au maxillaire, on utilise le duplicata du montage directeur comme maquette d’occlusion (Fig. 15). L’arcade mandibulaire antagoniste est constituée par la PTA mandibulaire portée depuis quelques semaines par la patiente. Le matériau d’enregistrement choisi dans ce cas est l’Impregum(r) qui présente, après prise complète, les qualités de dureté, de précision et de stabilité dimensionnelle permettant, dans le même temps, de solidariser les plots de morsure à la maquette et d’enregistrer l’occlusion. Après avoir éliminé le bloc antérieur du duplicata, des plots de morsure fournis par le fabricant d’implants (Straumann(r)) sont positionnés au niveau de trois implants antérieurs (Fig. 16), puis le matériau d’enregistrement est injecté alors que la patiente est en occlusion (Fig. 17 à 20). Le montage directeur a été réalisé avec comme position de référence la relation centrée ; dans ce cas, la relation centrée et l’occlusion d’intercuspidie maximal coïncident (OIM = RC).
Mme D est réhabilitée au maxillaire par une prothèse fixée qui concerne toutes les dents résiduelles (Fig. 23). Une parodontite terminale généralisée compromet l’avenir de ces prothèses. À terme, une solution de remplacement doit être trouvée sachant que la patiente souhaite une réhabilitation fixe. Au niveau de l’examen clinique, on constate que la dimension verticale d’occlusion est maintenue et que le plan d’occlusion n’est pas perturbé. L’OIM est stable, et le schéma occlusal est fonctionnel.
Le projet thérapeutique accepté par la patiente est l’avulsion de toutes les dents maxillaires, le positionnement de huit implants en postextractionnel et la confection d’un bridge « pilotis » avec mise en charge précoce.
Le plan de traitement est le suivant.
1. Réalisation d’un montage directeur et du guide chirurgical maxillaire qui en découle.
2. Sous anesthésie locale, avulsion des dents maxillaires et mise en place de huit implants à l’aide du guide chirurgical.
3. Au laboratoire, réalisation du bridge provisoire maxillaire, à partir des empreintes et des rapports inter-arcades enregistrés lors de la phase chirurgicale.
4. Insertion d’un bridge provisoire 48 heures après l’intervention chirurgicale.
Dans un premier temps, le praticien ne s’intéresse qu’au secteur 1 : avulsion des dents et mise en place de quatre implants. Trois butées en résine fournies par le distributeur implantaire et ajustées en hauteur sont fixées sur les implants ; elles n’interfèrent pas avec l’arcade antagoniste lors de l’occlusion (Fig. 24). La patiente est placée en position d’occlusion d’intercuspidie maximale en faisant s’affronter les dents des secteurs 2 et 3 (Fig. 25). Un silicone d’occlusion est injecté entre les butées pour enregistrer leur position relativement à l’arcade antagoniste dentée (Fig. 26).
Dans un second temps, les dents du secteur 2 sont extraites avant la mise en place des quatre derniers implants. De nouvelles butées occlusales sont positionnées sur les trois implants du secteur 2 (Fig. 27), le mordu du secteur 1 est repositionné en bouche, la mandibule est guidée en occlusion grâce aux indentations sur la cale de silicone. La position de la mandibule est alors enregistrée de la même façon que pour le secteur 1 (Fig. 28). Le modèle maxillaire est positionné, grâce au mordu silicone, sur le modèle mandibulaire monté précédemment sur l’articulateur lors de la phase préprothétique.
M. V est porteur d’un bridge « pilotis » maxillaire sur huit implants. À la mandibule, il est porteur d’une PPA 10 dents ; seules subsistent quatre dents dans le secteur 3. La dimension verticale est maintenue. Au niveau parodontal, on note une perte d’attache et une importante mobilité de ces dents résiduelles qui présentent un pronostic défavorable.
Le patient souhaite, comme pour son arcade maxillaire, une solution fixe de remplacement à la mandibule.
Le projet prothétique consiste en la réalisation d’un bridge « pilotis » mandibulaire après mise en place de six implants postextractionnels.
Le plan de traitement est le suivant.
1. Réalisation d’un montage directeur au laboratoire de prothèse en respectant le schéma occlusal du patient.
2. Sous anesthésie locale, avulsion des dents mandibulaires résiduelles et mise en place de six implants.
3. Au laboratoire, réalisation du bridge provisoire mandibulaire, à partir des empreintes et des rapports inter-arcades pris lors de la phase chirurgicale.
4. Pose d’un bridge provisoire 48 heures après l’intervention chirurgicale.
Dans un premier temps, cinq des six implants prévus sont mis en place et les dents résiduelles du secteur 3 sont momentanément conservées (Fig. 35).
Le secteur 4 a alors reçu trois implants. Au niveau du secteur 3, un implant antérieur et un en position de 36 encadrent les dents résiduelles, l’objectif étant d’assurer le calage et le centrage de la mandibule au moment de l’enregistrement des rapports intermaxillaires.
Des butées occlusales identiques à celles utilisées dans le cas numéro 2 sont fixées sur chacun des cinq implants en place, et elles sont réglées de façon à ne pas interférer avec la prothèse maxillaire (Fig. 36). Un silicone d’occlusion est alors injecté sur l’arcade mandibulaire en englobant les butées avant que le patient ne soit placé en position d’occlusion d’intercuspidie maximale (Fig. 37), tout en vérifiant visuellement l’exactitude de la relation souhaitée.
On obtient ainsi un mordu en silicone fixé sur cinq butées d’occlusion (Fig. 38).
Au moment de la mise en place du bridge, 48 heures après l’intervention chirurgicale, une sous-occlusion a été objectivée du côté gauche du patient (Fig. 5 et 7), alors que le côté droit ne demandait que quelques réglages mineurs pour obtenir des contacts uniformément répartis.
L’analyse pré-implantaire avait permis de choisir l’OIM comme position de référence pour M. J. Pour ce faire, les dents 16, 46 et 47 ont été conservées. L’occlusion d’intercuspidie maximale, par définition, se rapporte à la position mandibulaire pour laquelle il y a un maximum de contacts dentaires inter-arcades. Dans ce cas, on a essayé de reproduire la relation intermaxillaire avec seulement trois dents en occlusion et ce, de façon unilatérale. La RC aurait-elle été une position de référence plus fiable dans ce cas ? Il faut se rappeler que l’intervention s’est déroulée sous anesthésie générale. Par conséquent, les capacités de proprioception des dents résiduelles n’ont pas pu être mises à profit pour situer spatialement la mandibule par rapport au maxillaire. C’est le praticien qui, visuellement, a positionné la mandibule en occlusion sur les trois dents résiduelles. On peut ainsi supposer que le ou les condyles mandibulaires n’étaient pas correctement positionnés lorsque le patient se trouvait en position d’intercuspidie maximale. Choisir la relation centrée comme position de référence aurait été encore plus périlleux. En effet, en prothèse conventionnelle, l’un des pièges classiques de la RC est la dyssimétrie des conditions d’enregistrement [9]. Le risque est d’enregistrer une RC erronée en latéro-déviation, notamment lorsque la manipulation mandibulaire s’effectue dans un contexte neuromusculaire relâché, ce qui est le cas ici dans le contexte de l’anesthésie générale. Pour se donner les moyens d’obtenir une position reproductible, il apparaît donc impératif que le praticien bénéficie de repères visuels symétriques. La présence de dents résiduelles antagonistes et symétriques à gauche et à droite de l’arcade aurait certainement évité le défaut d’occlusion rencontré.
Il faut insister sur le degré de difficulté élevé d’une telle thérapeutique. Réaliser la mise en charge précoce postextractionnelle des deux arcades en une seule phase chirurgicale présente une grande difficulté technique, comme l’atteste la radio panoramique postopératoire (Fig. 6). Outre la problématique représentée par l’enregistrement des rapports intermaxillaires, cette étape chirurgicale a duré plus de 5 heures, avec l’accumulation du stress et de la fatigue correspondante. Cette approche n’est pas à conseiller ; elle exige un praticien particulièrement expérimenté aimant les challenges.
Suite à la fixation des bridges provisoires, lors de rendez-vous de contrôle réguliers, les différents paramètres occlusaux ont été ajustés, afin d’arriver dans des conditions idéales le jour de la mise en place des bridges permanents céramique.
La première étape du traitement de Mme B a consisté à rétablir une nouvelle dimension verticale d’occlusion avec, comme position de référence, la relation centrée. Dans ce cas, OIM = RC. Le jour de l’intervention chirurgicale, le duplicata en résine du montage directeur est fixé sur trois implants antérieurs par l’intermédiaire de plots de morsure. Les rapports intermaxillaires correspondant à la nouvelle OIM sont ainsi enregistrés ; la prothèse totale d’usage mandibulaire constitue l’arcade antagoniste. Dans ce cas de figure, la proprioception parodontale de la patiente ne peut pas être sollicitée. En effet, le maxillaire a été anesthésié pour permettre la phase chirurgicale, les références dentaires ont été supprimées et l’appui muqueux de la PTA mandibulaire n’apporte que des informations sensorielles trop imprécises. Le praticien a guidé la patiente dans une position théoriquement stable et reproductible qui a été définie lors de l’étude pré-implantaire. Pour cela, il fait correspondre les deux bases d’occlusion conçues pour être parfaitement engrainées.
Cependant, la mise en place des maquettes possédant des surfaces d’appui de nature différente peut induire des erreurs de positionnement, et en particulier une bascule postérieure. De plus, l’implantation postextractionnelle maxillaire implique, du fait de l’avulsion des dents résiduelles, une imprécision d’adaptation au support muqueux du duplicata résine du montage directeur fixé uniquement par trois implants antérieurs (Fig. 20).
Le résultat final est cependant très correct. Le jour de la pose, les corrections occlusales ont été réduites à une équilibration conventionnelle de PTA (Fig. 21). Lors de la chirurgie, le lambeau a évité au maximum le décollement palatin. De ce fait, l’appui de la maquette sur le palais dur, associé à la stabilisation sur les plots de morsures antérieurs, a permis un enregistrement suffisamment précis des rapports intermaxillaires.
Le plan d’occlusion et la dimension verticale d’occlusion (DVO) n’étant pas perturbés, la position de référence choisie a été l’occlusion de convenance de Mme D.
L’enregistrement de l’occlusion s’est fait en deux temps.
1. Conservation du calage au niveau de l’hémi-arcade secteur 2 pour enregistrer la position des implants du secteur 1 par rapport aux dents antagonistes.
2. Utilisation du mordu préalablement réalisé dans le secteur 1 pour caler et positionner la mandibule en OIM, avant d’effectuer un nouveau mordu secteur 2 (Fig. 29 à 31).
Six des huit implants posés sont impliqués dans cet enregistrement. Contrairement au cas n° 1, la mandibule est toujours calée en position d’intercuspidie, soit par les dents soit par le mordu. De plus, c’est la patiente elle-même qui s’est positionnée en OIM, mettant ainsi en jeu les capacités de proprioception de l’arcade antagoniste. En effet, dans ce cas, la proprioception parodontale de la patiente a pu être sollicitée pour aider au positionnement mandibulaire. Bien que le maxillaire soit anesthésié pour réaliser la phase chirurgicale, le parodonte des dents mandibulaires fournit des informations précises sur la situation spatiale de la mandibule. Cependant, le praticien doit toujours veiller, par des repères visuels controlatéraux au mordu, à l’exactitude des rapports intermaxillaires.
L’utilisation d’appuis implantaires fixes affranchit l’enregistrement des possibilités d’erreurs liées à la dépressibilité de la muqueuse. Ceci explique certainement comment, 48 heures après l’intervention chirurgicale, lors de la mise en place du bridge provisoire, le réglage final de l’occlusion a été minime (Fig. 32 et 34).
Pour M. V, quatre dents ont été conservées afin d’enregistrer les rapports intermaxillaires. Cinq des six implants prévus ont été mis en place de part et d’autre des dents résiduelles. Une nouvelle fois, le but était de conserver l’occlusion du patient, identifiable à partir des quatre dents restantes.
Comme dans le cas précédent, c’est le patient lui-même qui s’est positionné en OIM, à la demande du praticien qui a pu le vérifier visuellement. Dans ce cas, l’arcade antagoniste était constituée d’un bridge « pilotis » maxillaire sur huit implants, et on a vu que l’absence de proprioception parodontale pouvait diminuer les repères occlusaux du patient. Cependant, des études récentes [10, 11] tendraient à montrer que le seuil de perception entre une prothèse fixée sur implant et une dentition naturelle serait inférieur à 10 µ. Dans ce cas, l’aspect perte de proprioception serait alors négligeable.
De plus, l’occlusion entre les dents résiduelles et le bridge « pilotis » ainsi que les plots de morsure fixés sur les implants ont permis une stabilisation de la mandibule par rapport au maxillaire suffisamment précise pour qu’il n’y ait, lors de la pose, qu’un réglage occlusal relativement simple.
La mise en charge précoce postextractionnelle présente de nombreux avantages :
– elle diminue le temps de traitement global ;
– elle évite au patient d’avoir à supporter une prothèse transitoire amovible qui, même correctement réalisée, présente des risques pour l’ostéo-intégration. En effet, le bridge transitoire doit assurer l’esthétique, favoriser une répartition harmonieuse des forces occlusales sur l’ensemble des implants et assurer une rééducation fonctionnelle liée aux nouvelles conditions physiologiques. Durant les deux premiers mois, pour limiter la transmission de forces néfastes à l’intégration implantaire, le patient est prié d’adopter une alimentation molle. On peut considérer que cette phase correspond à une rééducation neuromusculaire durant laquelle l’ensemble des composantes neuromusculaires vont développer de nouvelles stratégies de mastication.
Finalement, cette phase permettra d’affiner l’occlusion et de confirmer les nouvelles relations intermaxillaires :
– elle assure la passivité de l’armature par une légère adaptation de la position des implants lors de la mise en place de l’armature rigide du pilotis provisoire (Fig. 10, 22 et 28) ;
– elle favorise le confort psychologique du patient face à la perspective de l’édentement.
Cependant, la mise en charge précoce postextractionnelle ne permet que très rarement de valider l’esthétique en amont de l’intervention. Le praticien devra être capable, au cours d’une séance limitée par le temps, de poser les implants, de prendre les empreintes et d’enregistrer les rapports intermaxillaires. Il est alors important d’organiser chronologiquement ces étapes en fonction des conditions cliniques. Le laboratoire, quant à lui, devra être capable d’interpréter les données transmises par la clinique pour que la prothèse soit une réussite fonctionnelle et esthétique. La relation entre le praticien et le laboratoire de prothèse doit permettre de préparer l’intervention en salle blanche de façon à réduire au maximum les impondérables.
En s’intéressant plus particulièrement aux différentes modalités d’enregistrement des rapports intermaxillaires, on a pu constater qu’il était difficile de dégager un protocole thérapeutique plus performant qu’un autre, tant la variabilité entre les cas peut être importante. De même, face à une situation clinique identique, deux praticiens ne réagiront pas nécessairement de la même manière. Cependant, certaines constantes se dégagent.
– Chaque fois que des contacts dentaires fonctionnels le permettent, c’est l’OIM qui sera choisie pour positionner la mandibule.
– La prise en charge en vigile des patients est préférable à l’anesthésie générale ; on peut ainsi profiter de la coopération et de la proprioception du patient au moment de l’enregistrement des RIM.
– Les dispositifs d’enregistrement doivent être de préférence indexés sur les implants afin de s’affranchir de l’appui muqueux beaucoup trop variable.
Au final, la capacité d’adaptation et l’expérience du praticien joueront un rôle prépondérant dans la réussite de ces thérapeutiques de l’édentement total.
REMERCIEMENTS : Les auteurs tiennent à rendre hommage au Docteur Yves Douillard pour tout ce qu’il a apporté à l’Unité fonctionnelle d’implantologie orale de la faculté d’odontologie de Clermont-Ferrand.