CHIRURGIE
DrCD
4, rue de Logelbach
75017 Paris
L’objet de cette publication est de mettre en évidence l’efficacité d’une nouvelle molécule ostéo-inductrice (la rh-BMP2) dans les augmentations de volume osseux et de montrer les avantages de cette technique par rapports aux techniques plus conventionnelles [greffes en onlay/régénération osseuse guidée (ROG)]. Après divers rappels sur les mécanismes d’ostéogenèse, d’ostéoconduction et d’ostéo-induction, puis sur les différents matériaux d’augmentation osseuse disponibles et leur classification, nous nous sommes penchés sur le mode de fonctionnement des ostéo-inducteurs et précisément des rh-BMP2.
L’ensemble de la revue de littérature et des études multicentriques chez l’animal et chez l’homme met en évidence que le complexe rh-BMP2/ACS est une alternative sérieuse à la ROG ; l’os régénéré montre des qualités identiques à l’os hôte et le comportement fonctionnel et biologique des implants est prédictible à long terme.
The purpose of this publication is to highlight the effectiveness of a new molecule osteoinductive (rh-BMP2) in bone volume augmentation technics, and show the advantages of this technic over more conventional technics (onlay grafts/GBR). After several reminders about the mechanisms of osteogenesis, osteoinduction and osteoconduction, then the various materials available to increase bone and their classification, we focused on the mode of osteoinductive and accurately rh-BMP2.
All of the literature review and multicenter studies in animals and humans shows that the complex rh-BMP2/ACS is a serious alternative to GBR, the regenerated bone show the same host bone qualities, and the implants functional and biological behavior is long term predictable.
Le succès et l’intégration esthétique de la future prothèse implanto-portée sont directement liés au placement optimal des implants. Les déficits osseux verticaux ou horizontaux compromettent le plus souvent le placement idéal de l’implant.
Pour compenser les décalages entre une émergence prothétique idéale et une crête osseuse résorbée, des techniques d’augmentation osseuse (greffes autogènes, régénération osseuse guidée) ont été utilisées [1], mais les résultats obtenus en fonction des techniques employées sont variables, et n’ont pas toujours été concluants :
– Les greffes en onlay peuvent se résorber assez rapidement, compromettant la mise en place idéale de l’implant [2, 3, 4] ; de plus, l’accès à un deuxième site opératoire (ramus, symphyse) n’est pas toujours possible et augmente la morbidité et les complications postopératoires [5]. Il est important de préciser que la durée de vie des implants dans de l’os régénéré est équivalente aux résultats obtenus dans de l’os natif [6].
– La régénération osseuse guidée donne des résultats très concluants dans les pertes osseuses limitées [7]. La technique consiste à réaliser un mélange d’os autogène avec une xénogreffe ou une allogreffe et éventuellement un facteur de croissance [8], le tout étant enfermé sur le défaut osseux grâce à une membrane Gore-Tex® renforcée en titane. Cette membrane permet le maintien de l’espace, et également la sélection cellulaire. Le placement d’implants dans ces zones greffées donne d’excellents résultats à long terme [9]. Néanmoins la morbidité associée au prélèvement d’os autogène d’une part et la complexité opératoire d’autre part rendent cette technique peu prédictible. Il faut également préciser que la membrane Gore-Tex® n’admet aucune perforation, ou fenestration, du lambeau pendant la période de cicatrisation sous peine d’une contamination bactérienne qui conduit inévitablement à l’échec.
– La distraction osseuse donne d’excellents résultats en termes d’augmentation verticale [10], et une ostéo-intégration prédictible à long terme [11]. Cependant la mise en place chirurgicale du distracteur reste complexe, et la taille du dispositif est souvent difficile à faire accepter par les patients, ce qui rend la temporisation délicate voire impossible dans les secteurs antérieurs. Enfin, les distracteurs ne permettent d’obtenir qu’une augmentation volumétrique verticale.
Les augmentations volumétriques par les rh-BMP 2 (recombinant human Bone Morphogenetic Protein 2 : protéine morphogénétique osseuse recombinante humaine 2) présentent de nombreux avantages par rapport aux techniques plus classiques précédemment décrites.
Avant d’aller plus en avant dans la compréhension du mode de fonctionnement des rh-BMP 2, il nous semble judicieux de rappeler quelques notions indispensables.
On peut classer les greffes et matériaux d’augmentation en quatre grandes familles distinctes.
1. Les greffes osseuses : os autogène particulaire ou en bloc ;
2. Les biomatériaux.
• Dérivés de l’os :
– allogreffes, os déminéralisé (DFDB, Demineralized Freeze Dried Bone),
– xénogreffes (Bio-Oss®) ;
• Substituts osseux :
– céramiques,
– polymères,
– βTCP (phosphate tricalcique bêta),
– hydroxyapatite ;
3. Les matériaux biologiques.
• Facteurs de croissance :
– PRP (Platelet Rich Plasma : plasma enrichi en plaquettes),
– PDGF (Platelet Derived Growth Factor : facteur de croissance dérivé des plaquettes),
– TGF β (Transforming Growth Factor Β : facteur de croissance transformant β),
– VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor : facteur de croissance endothélial vasculaire) ;
• Peptides ;
• Facteurs de différenciation cellulaire : rh-BMP (recombinant human Bone Morphogenetic Protein : protéine morphogénétique osseuse recombinante humaine) ;
4. Les membranes :
• non résorbables : e-PTFE (Expanded Polytetrafluoroethylene : polytétrafluoroéthylène expansé, Gore-Tex® renforcé titane),
• résorbables (collagène ou acide hyaluronique).
L’ostéogenèse est la capacité, pour des cellules ostéoblastiques, de synthétiser du tissu osseux. Lors d’une greffe d’os autogène, particulaire ou en bloc, on fait appel à ce mécanisme d’ostéogenèse par l’apport sur le site greffé de cellules ostéoblastiques.
L’ostéoconduction consiste à améliorer la synthèse et la croissance de tissus osseux par l’apport d’un biomatériau (xénogreffe) ou d’un facteur de croissance (PDGF, VEGF, TGF β).
L’ostéo-induction est la capacité d’un biomatériau ou d’une molécule d’induire une différenciation cellulaire et, dans le cas qui nous intéresse, de transformer des cellules mésenchymateuses indifférenciées en ostéoblastes ; c’est le mode de fonctionnement des rh-BMP 2, qui sont des ostéo-inducteurs.
Les xénogreffes (Bio-Oss®) ou les allogreffes (DFDB) sont des matériaux ostéoconducteurs. Ils améliorent la formation de la trame osseuse et agissent comme mainteneurs d’espace. Ils sont souvent associés à une membrane résorbable (collagénique) ou non résorbable (PTFE) ; ils ont vocation à se résorber rapidement (DFDB) ou lentement (Bio-Oss®) et à être progressivement remplacés par de l’os néoformé.
Les facteurs de croissance agissent sur un mode différent puisqu’ils activent les mécanismes d’angiogenèse, améliorent la néovascularisation au sein de l’os néoformé et, grâce à leurs propriétés chimiotactiques, accélèrent les premières phases de la cicatrisation osseuse.
Examinons maintenant le mode de fonctionnement des ostéo-inducteurs.
Les protéines osseuses morphogénétiques recombinantes humaines ont été découvertes suite à une activité ostéo-inductrice dans la matrice osseuse après une fracture dans de l’os d’origine bovine [12].
Les protéines capables d’une activité ostéo-inductrice ont été identifiées et isolées [13]. Cette équipe a cloné les premières BMP recombinantes (BMP 1 à 4 puis BMP 5 à 8) et a identifié leurs caractéristiques biochimiques, biologiques ainsi que leur séquence d’acides aminés. Les BMP pour leurs indications cliniques sont produites de façon routinière grâce aux technologies d’ADN recombinant.
Une de ces protéines, la « BMP 2 » a montré qu’elle était capable d’induire, in vivo chez l’animal, une formation osseuse conséquente, et ce dans des situations cliniques différentes [14, 15, 16, 17, 18, 19].
Le potentiel clinique des rh-BMP 2 a été confirmé chez l’humain par des études évaluant :
– les augmentations dans des sinus maxillaires [20] et sur des crêtes osseuses résorbées avant la mise en place d’implants endo-osseux ;
– leur suivi à long terme ;
– l’analyse de la surface de contact entre l’os et l’implant dans des sites augmentés par des rh-BMP 2 [21, 22].
Comme la plupart des facteurs de croissance, le rh-BMP 2 est une protéine de faible poids moléculaire et se présente sous la forme d’un liquide pour son utilisation thérapeutique. Il est donc nécessaire d’avoir un « véhicule » dont les caractéristiques du matériau sont les suivantes :
– garder une forme constante ;
– permettre la construction d’une néovascularisation ;
– autoriser la migration de cellules ostéoprogénitrices ;
– maintenir les facteurs de croissance et les ostéo-inducteurs à une concentration optimale ;
– procurer un environnement qui va permettre aux ostéoblastes de se développer et d’inhiber toute réponse inflammatoire.
Le collagène est utilisé depuis longtemps dans le domaine de la régénération osseuse pour ses propriétés hémostatiques et de mainteneur d’espace ; le collagène est la trame idéale pour la minéralisation [23].
Malgré certaines études donnant une préférence pour l’acide hyaluronique comme véhicule [24], les éponges résorbables de collagène (ACS : Absorbable Collagen Sponge) ont été préférées par les fabricants (Medtronic).
Cinq études chez l’animal et une étude clinique chez l’homme ont retenu notre attention. Nous résumons brièvement les résultats obtenus dans les études citées ci-dessous.
Jovanovic et al. [25] ont étudié la reconstruction osseuse suite à l’implantation de rh-BMP 2, avec et sans régénération osseuse guidée dans des défauts de crête osseuse chez le chien.
• Le but de l’étude était d’évaluer une néoformation osseuse suite à la mise en place du complexe rh-BMP 2/ACS (Absorbable Collagen Sponge) dans des défauts induits chez le chien, avec ou sans la mise en place d’une barrière type membrane Gore-Tex®.
• Méthode : des défauts osseux ont été induits chirurgicalement chez sept chiens adultes (fox-hounds). Les défauts ont été traités soit par des rh-BMP 2 seules, soit par des rh-BMP 2 et une barrière occlusive, soit par régénération osseuse guidée (ROG), ou bien non traités. Les animaux ont été euthanasiés à 12 semaines postopératoires et des sections ont été réalisées pour l’analyse histologique.
• Résultats : les complications postopératoires vont de l’œdème (sites rh-BMP 2/ACS) jusqu’à l’échec complet (rh-BMP 2/ROG, ROG), en raison d’une exposition de la membrane. Au niveau radiologique, on distingue de nombreuses zones vacuolaires sur les sites traités par des membranes et des rh-BMP 2. Les sites traités par les rh-BMP 2 avec ou sans membranes ont montré un taux de régénération osseuse de 101 % contre 60 et 92 % pour le site de contrôle et pour celui traité par ROG seule. La densité osseuse est de 50 à 57 % pour les sites rh-BMP 2 seuls et ROG ; elle chute à 34 % pour les sites rh-BMP 2/ROG du fait des larges vacuoles.
• Conclusion : les rh-BMP 2 sont une alternative sérieuse à la ROG. Malgré l’œdème important, les complications postopératoires sont moindres qu’avec la ROG seule ; la mise en place d’une membrane occlusive sur les rh-BMP 2 n’apporte rien si ce n’est qu’elle diminue la densité osseuse de façon conséquente.
Hunt et al. [24], dans une étude pilote, ont testé l’acide hyaluronique comme support des rh-BMP 2 dans la reconstruction des défauts osseux chez le chien.
• L’objet de cette étude était d’évaluer la régénération osseuse dans des défauts (type selle au sein d’une crête alvéolaire) suite à l’implantation de rh-BMP 2 supporté par une nouvelle éponge d’acide hyaluronique.
• Méthode : des défauts osseux (15 × 10 × 10 mm) ont été créés chirurgicalement chez cinq chiens (fox-hounds américains) ; quatre défauts ont été comblés par rh-BMP 2/HY (acide hyaluronique), trois par rh-BMP 2/ACS (Absorbable Collagen Sponge) comme contrôle positif, et deux défauts ont été remplis de collagène seul comme contrôle négatif. La concentration de rh-BMP 2 est de 0,2 mg/mL. Les animaux sont sacrifiés à 12 semaines pour analyse histologique.
• Résultats : cliniquement, les défauts traités par rh-BMP 2/ACS connaissent une expansion supracrestale et les défauts traités par rh-BMP 2/HY restent au même niveau de la crête, alors que les défauts traités seulement au HY accusent un effondrement. D’un point de vue histométrique, les défauts avec rh-BMP 2/HY ne montrent aucune région radio claire à 4 puis 8 semaines et une densité osseuse de 58 à 94 %, tandis que ceux traités avec rh-BMP 2/ACS montrent 100 % de densité osseuse.
• Conclusion : l’acide hyaluronique est un véhicule pour les rh-BMP 2 ; il permet une excellente induction osseuse et l’obtention d’un os de qualité équivalente à l’os résident. Utilisé seul, l’acide hyaluronique ne présente aucune qualité ostéo-inductrice et se résorbe sous 12 semaines.
Hanisch et al. [17] ont évalué la formation osseuse et l’ostéo-intégration d’implants en titane dans des espaces sub-antraux augmentés aux rh-BMP 2/ACS chez le singe.
• Méthode : un espace sub-antral est traité par des rh-BMP 2/ACS alors que le site controlatéral est traité uniquement avec ACS. À 3 mois postopératoire, trois implants sont mis en place : deux dans le sinus greffé et un immédiatement après le sinus. Chaque animal a donc trois sites expérimentaux : rh-BMP 2/ACS, contrôle (collagène uniquement) et non sinusien.
• Résultats : les animaux sont sacrifiés 3 mois après la mise en place des implants, et les blocs osseux sont prélevés pour analyse histométrique. Le gain osseux ainsi que la densité sont significativement plus importants dans les sites traités aux rh-BMP 2 que dans les sites de contrôle (6 mm +/– 0,3 contre 2,6 mm +/– 0,3). Le contact os-implant (BIC : Bone to Implant Contact) n’est pas significativement supérieur dans les sites traités aux rh-BMP 2.
• Conclusion : la présente étude montre donc que les rh-BMP 2 dans les augmentations volumétriques sinusiennes sont une vraie alternative à l’os autogène ou aux xénogreffes ; l’os ainsi obtenu est similaire à l’os résident et permet la mise en place d’implants en titane.
Jovanovic et al. [21] ont réalisé une étude à long terme sur des implants dentaires dans de l’os induit par des rh-BMP 2 chez le chien.
• L’objectif de cette étude est d’évaluer à long terme la formation osseuse et le contact os-implant sur des implants placés dans de l’os reconstruit par des rh-BMP 2/ACS avec une charge fonctionnelle.
• Méthode : deux défauts par cadran ont été créés chez six chiens fox-hounds ; deux défauts par animal ont été régénérés par régénération osseuse guidée (membrane e-PTFE) et tous les autres défauts ont été traités par des rh-BMP 2/ACS. À 3 mois, les membranes ont été retirées, et les différents sites ont été implantés par des fixtures usinées ; un implant a été également mis en place dans de l’os adjacent pour contrôle. Après 4 mois d’ostéo-intégration, certains implants sont mis en charge pendant 12 mois, d’autres sont déposés en vue d’étude histologique, puis les animaux sont sacrifiés pour étude histométrique.
• Résultats : 4 sites traités par rh-BMP 2 et membrane e-PTFE ont été des échecs dus essentiellement à une exposition prématurée de la membrane ; ces sites ont donc montré une néoformation osseuse limitée. Pour les autres sites, l’os nouvellement formé montre les mêmes caractéristiques que l’os résident, malgré des vacuoles qui se résorbent avec le temps. Pour les implants biopsiés à 4 mois, aucune résorption n’est observée, et l’on mesure un contact os-implant de 40,6 % (+/– 8,2 %) dans l’os induit par rh-BMP 2, alors qu’on obtient 52,7 % (+/– 11,4 %) dans l’os hôte. Pour les implants soumis à une mise en charge fonctionnelle à 12 mois, on obtient 51 % (+/– 7 %) pour le groupe des implants os induit (rh-BMP 2) alors que, dans de l’os hôte, on atteint des valeurs de 74 % (+/– 7 %) de contact os-implant.
• Conclusion : l’os induit par les rh-BMP 2/ACS permet la mise en place, l’ostéo-intégration et la mise en charge fonctionnelle à long terme d’implants en titane.
Wikesjö et al. [22] ont montré que les rh-BMP 2 sont une alternative réaliste à la greffe osseuse dans les reconstructions d’os alvéolaire.
Les études précliniques ont montré que les rh-BMP 2 induisent de l’os physiologique normal dans les défauts osseux du squelette cranio-facial. L’os néoformé possède les mêmes caractéristiques que l’os adjacent ; il permet la mise en place d’implants, ainsi que la réostéointégration d’implants et leur mise en charge fonctionnelle. Les études cliniques sur la concentration optimale, la voie de livraison et les conditions de stimulation de croissance osseuse représentent une nouvelle ère dans la dentisterie. La possibilité de prévoir le volume d’os que l’on peut régénérer de façon prédictible et répétitive est en phase de devenir une réalité.
Fiorellini et al. [26] ont mené une étude statistique évaluant la reconstruction d’alvéoles d’extraction par des rh-BMP 2.
• Le but de cette étude est de tester l’efficacité du complexe rh-BMP 2/ACS à deux concentrations différentes (0,75 mg/mL et 1,50 mg/mL) dans la reconstruction d’alvéoles d’extraction lorsque la paroi vestibulaire disparaît. Les comparaisons ont été faites par rapport à du collagène seul et par rapport à un non-traitement.
• Méthode : 80 patients ont été choisis pour la perte de la table osseuse vestibulaire suite à l’extraction d’une prémolaire maxillaire. Deux groupes de 40 patients sont isolés et randomisés dans une étude en double aveugle ; certains défauts sont traités par des rh-BMP 2/ACS à 0,75 mg/mL, d’autres par des rh-BMP 2/ACS à 1,50 mg/mL, d’autres encore par du collagène seul, et enfin en contrôle par un placebo sans traitement.
• Résultats : l’efficacité a été évaluée en fonction de la quantité d’os induit et de sa capacité à supporter un implant. Le groupe des patients traités aux rh-BMP 2 concentrés à 1,5 mg/mL donne des résultats deux fois supérieurs au groupe de contrôle. L’os régénéré est parfaitement susceptible de recevoir un implant, et ses qualités histologiques ne montrent pas de différence avec l’os natif.
Mme Carole N, 47 ans, sans aucune pathologie connue, fumeuse (plus de 25 cigarettes/jour depuis 20 ans), se présente à notre consultation pour :
– des abcès à répétition sur les dents 11 et 21 ;
– améliorer l’esthétique de son sourire ;
– réhabiliter les secteurs postérieurs maxillaires.
L’examen exo-buccal montre une ligne du sourire moyenne, la lèvre supérieure découvre le début des papilles (Fig. 1), la vue intra-buccale (Fig. 2) en vestibulaire montre quatre couronnes céramique sur les dents 22, 21, 11 et 12 ; leur opacité d’une part et leur ancienneté d’autre part laissent imaginer une armature métallique interne. Le profil gingival est festonné, les dents sont triangulaires et le biotype gingival est moyen.
Le cliché intra-oral (Fig. 3) révèle une inadaptation des couronnes au niveau de 11 et de 21, vraisemblablement des échecs endodontiques répétitifs sur 21 et une suspicion de fracture sur 11, qui sera confirmée par une perte d’attache au sondage et par l’examen tomodensitométrique.
Les coupes sagittales cone beam (Fig. 4 et 5) confirment le diagnostic de fracture palatine de 11 associé à une formation kystique et des échecs endodontiques successifs sur 21, qui rendent cette racine inexploitable d’un point de vue prothétique (Fig. 6).
On notera la procidence des racines en vestibulaire et l’absence de table osseuse.
On se propose de réhabiliter le secteur esthétique de 13 à 23 par la réalisation de six couronnes zircone unitaires, dont deux couronnes implanto-portées sur les sites 11 et 21, en suivant la séquence thérapeutique :
– extraction de 11 et 21, comblement des alvéoles, greffon conjonctif et temporisation par un bridge temporaire de laboratoire avec armature interne (de 13 à 23) ;
– réévaluation à 6 semaines de la situation des tissus durs et des tissus mous ;
– augmentation du volume osseux vraisemblablement horizontale et verticale (à la vue des coupes sagittales) ; le volume sera à évaluer 8 à 10 semaines après les extractions ;
– six mois après l’augmentation volumétrique : mise en place des implants 11 et 21 ;
– cinq mois après : gestion des tissus mous, mise en condition tissulaire par temporisation pendant 4 à 6 mois ;
– phase prothétique implanto-portée, avec deux couronnes en zircone transvissées, si l’axe implantaire le permet ;
– les dents 13, 12, 22 et 23 sont restaurées par des couronnes céramiques zircone conventionnelles.
1. Un bridge provisoire des six dents antérieures avec une armature interne est réalisé au laboratoire. Il est mis en place (Fig. 7) ; dans le même temps, les racines de 11 et 21 (Fig. 8) sont extraites, et le caillot sanguin est stabilisé par la mise en place de Bio-Oss® (Fig. 9).
Un prélèvement de tissu conjonctif est réalisé au niveau palatin en regard des prémolaires (Fig. 10 et 11), et ce tissu conjonctif est suturé au niveau des alvéoles pour maintenir la xénogreffe (Fig. 12 et 13).
À 10 jours, la cicatrisation se présente mal avec l’effondrement de la table osseuse vestibulaire au niveau de 11. Il en résulte une résorption complète de la greffe conjonctive et un manque évident de hauteur des tissus par rapport à l’emplacement idéal des cols des futurs implants (Fig. 14).
Connaissant le positionnement tridimensionnel idéal de l’implant (1,5 à 2 mm en deçà du collet anatomique des futures dents prothétiques), nous pouvons en déduire que sur les 6 à 7 mm de déficit osseux vertical il sera nécessaire de reconstruire environ 4 à 5 mm (Fig. 15).
2. Nous prenons donc la décision, à 3 mois postextractionnels (Fig. 16 et 17), de réaliser une augmentation verticale par des éponges collagènes imbibées de rh-BMP 2 (rh-BMP 2/ACS Infuse®, Medtronic).
La patiente est prémédiquée : amoxicilline 2 g/jour pendant 10 jours et 25 mg d’Atarax (dichlorhydrate d’hydroxizine) à 1 h préopératoire. La cavité buccale est nettoyée à la chlorhexidine.
Une infiltration vestibulaire est pratiquée, ainsi qu’un rappel de toute la zone palatine (Alphacaïne spéciale : chlorhydrate d’articaïne 40 mg/mL + adrénaline 0,01 mg/m).
Une incision mésio-distale sur la crête est réalisée de 12 à 22, avec deux incisions de décharge en disto-vestibulaire des incisives latérales en prenant soin de conserver la papille (Fig. 18). Un lambeau mucopériosté est décollé, donnant un accès visuel et instrumental à la crête résorbée. La dissection doit permettre une totale mobilité du lambeau sans aucune tension.
Le bridge provisoire nous sert de guide et nous permet de mesurer la distance entre le collet anatomique et la crête osseuse (6 mm) afin d’en déduire, d’une part, la situation idéale du sommet des implants et, d’autre part, qu’il faudra par rapport à cette situation gagner 4 mm d’os en vertical (Fig. 19).
L’éponge de collagène est ainsi imbibée de la solution de rh-BMP 2 (1,5 mg/mL) préparée 15 min auparavant (Fig. 20) ; elle est découpée en fines bandelettes de 3 à 5 mm de largeur.
Les résidus de Bio-Oss® sont curetés, et des perforations sont réalisées pour ouvrir les espaces médullaires et favoriser la néovascularisation au sein de la greffe (Fig. 21). Les bandelettes de collagène préalablement préparées sont appliquées dans le sens vertical et horizontal sur le site (Fig. 22 et 23) ; elles sont stabilisées par deux grilles de titane (Fig. 24) (titanium mesh 45 × 45, Salvin® Dental Specialties) et fixées par l’intermédiaire de punaises en titane (Frios® Dentsply Friadent).
Le premier point de suture est un point de matelassier horizontal (Fig. 25), dont les entrées se situent à 3 mm de la partie la plus coronaire du lambeau ; ce point permet de tracter le lambeau. Les sutures doivent permettre de rapprocher les deux berges du lambeau sans tension (sutures CV-5 Gore-Tex®). L’ensemble des autres points de suture sont des points séparés. Nous avons l’habitude de suturer les décharges avec des points de Prolene 5-0 Polypropylene (Ethicon) (Fig. 26), moins traumatisants pour la muqueuse libre que les fils Gore-Tex®.
Les suites opératoires sont classiques de ce type d’intervention : la douleur est gérée par la prise toutes les 4 h de 800 mg d’ibuprofène associé à 1 g de paracétamol. On prescrit également des soins locaux : bains de bouche Éludril (chlorhexidine gluconate) ou Élugel (chlorhexidine), ainsi qu’une brosse postopératoire (Inava 7/100). Il est à noter que l’œdème qui fait suite à une mise en place de rh-BMP 2 est toujours impressionnant ; il dure de 5 à 8 jours, et est inévitable et inhérent au mode de fonctionnement des facteurs de croissance.
Les points de suture sont retirés à 10 jours (Fig. 27), puis la cicatrisation est suivie toutes les 4 semaines (Fig. 28).
3. À 6 mois postopératoires (Fig. 29), un examen tomodensitométrique de contrôle est réalisé ; on peut voir sur les coupes (Fig. 30 à 32) que le gain osseux obtenu est d’environ 3 mm en horizontal et de 3 à 4 mm en vertical. Les examens cliniques et radiographiques étant satisfaisants, nous décidons de programmer un deuxième temps opératoire au cours duquel nous réaliserons simultanément la dépose de la grille en titane et la mise en place des implants au niveau de 11 et de 21 (Fig. 33).
La patiente est à nouveau prémédiquée de la même façon et, après une infiltration à l’Alphacaïne spéciale (chlorhydrate d’articaïne 40 mg/mL + adrénaline 0,01 mg/mL), un lambeau de pleine épaisseur est décollé suivant le même tracé d’incision que celui décrit précédemment (Fig. 34).
Dans un premier temps, on procède à la dépose de la grille en titane (Fig. 35 et 36). Il faut noter que cette dépose est relativement longue car le tissu ostéoïde vient se loger dans les interstices de la grille. Le bridge provisoire nous permet de mesurer le gain osseux vertical, mais aussi de déterminer la situation idéale du col des implants par rapport au collet anatomique des futures dents (Fig. 37). Les implants (Nobel Replace® RP, 11, 5 mm) sont donc positionnés de telle façon que le col se situe à 2 mm du collet (Fig. 38 et 40) et de façon à avoir au moins 1,5 mm de tissu osseux en vestibulaire (Fig. 39). Le couple d’insertion est supérieur à 40 Ncm, puis les vis de couverture sont mises en place, et l’on réalise une régénération osseuse guidée pour parfaire le volume osseux autour des spires exposées.
On met en place une xénogreffe (Geistlich Bio-Oss® Small Spongious Granules 0,25 mm-1 mm) et une membrane collagène (Geistlich Bio-Gide® 30 × 40 mm). Le Bio-Oss® est ainsi compacté tout autour des implants (Fig. 41), puis la membrane collagène est fixée en vestibulaire par l’intermédiaire de deux punaises en titane ; le reste de la membrane recouvre la totalité de la xénogreffe (Fig. 42).
Le lambeau est suturé, comme précédemment, par deux points de matelassier horizontaux puis par des points séparés (CV-5 Gore-Tex®). Les décharges sont suturées au Prolene 5-0 Polypropylene (Ethicon)
(Fig. 43 et 44). On prescrit également des soins locaux : bains de bouche à la chlorhexidine, ainsi qu’une brosse postopératoire : Inava 7/100. Une radiographie de contrôle est prise 10 jours après (Fig. 45), et les points de suture seront déposés lors de cette séance.
Nous prévoyons de réaliser la mise en fonction (dépose des vis de cicatrisation), la mise en condition tissulaire (prothèses provisoires) et les éventuels aménagements tissulaires (greffe conjonctive) 6 mois après la mise en place des implants.
Nous avons pu voir que les rh-BMP 2 ouvrent une nouvelle voie en implantologie orale. Cette technique offre une véritable alternative aux augmentations volumétriques conventionnelles. L’absence de prélèvement d’os autogène sur un second site, la mise en place plus simple d’un point de vue technique qu’une barrière occlusive et les résultats prédictibles qu’elles offrent en font une option de choix dans le traitement des défauts osseux [27]. Leur faible poids moléculaire et leur présentation sous forme d’une solution liquide impliquent la nécessité d’un véhicule ; la société Medtronic qui fabrique les rh-BMP 2 et qui les commercialise sous le nom d’Infuse®, a choisi les éponges de collagène absorbable (ACS) qui, une fois imbibées de la solution de rh-BMP 2, permettent une mise en place chirurgicale assez facile du dispositif. Le maintien de l’espace est en général assuré par une grille de titane qui est retirée 6 mois après l’intervention ; c’est le temps nécessaire à la consolidation de la greffe osseuse. Les désavantages restent leur coût très élevé et la gestion des suites opératoires, car l’œdème qui survient 24 h après l’intervention est en général très impressionnant. Précisons enfin que les rh-BMP 2 ne sont pas encore commercialisées en Europe.
Les domaines d’applications en chirurgie orale sont larges, et la revue de littérature ainsi que l’expérience clinique permettent de conclure les points suivants.
• Les rh-BMP 2 permettent une néoformation osseuse dans les défauts osseux à deux ou trois parois ; l’os natif revêt les mêmes caractéristiques histophysiologiques que l’os normal. La mise en place d’une barrière occlusive (e-PTFE) n’améliore pas qualitativement ou quantitativement l’os néoformé ; pire encore, une exposition accidentelle de la membrane aboutit à l’échec. Le complexe rh-BMP 2 est une alternative sérieuse à la régénération osseuse guidée et aux techniques conventionnelles de greffes en onlay.
• Les rh-BMP 2 stimulent de façon très significative la formation osseuse lors d’augmentation volumétrique dans les sinus maxillaires. L’os induit est identique à l’os de l’hôte, et permet l’ostéo-intégration d’implants en titane.
• Les rh-BMP 2 peuvent avoir une utilité clinique significative dans la reconstruction de défauts osseux péri-implantaires apparus suite à une péri-implantite d’origine bactérienne ou mécanique.
• L’os induit par les rh-BMP 2 nous autorise la mise en place d’implants en titane et leur mise en charge fonctionnelle à long terme [28].
• Les rh-BMP 2 permettent la reconstruction ad integrum de la table osseuse vestibulaire qui s’est résorbée suite à une extraction.
• La concentration utile des rh-BMP 2 est de 1,5 mg/ml [14].
Les rh-BMP 2 sont donc une vraie alternative à l’os autogène des allogreffes ou aux xénogreffes ; l’os obtenu est similaire à l’os naturel, permettant donc la mise en place d’implants stables sur le long terme.
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REMERCIEMENTS au Dr Sascha Jovanovic pour son aide précieuse tant sur le plan scientifique que technique et à toute l’équipe de gIDE et UCLA aux États-Unis.