ÉDITORIAL
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Juste avant de mourir, Socrate aurait prononcé la phrase suivante : « La vie n’est qu’une longue maladie ; je dois un coq à Asclépios, le Sauveur. » Pendant plusieurs centaines d’années, la médecine a bénéficié d’un statut privilégié, oscillant entre la magie et le miracle, et l’exigence des patients quant au résultat du traitement médical est restée mesurée et fataliste.
À l’époque, on arrivait à l’hôpital en position allongée, et en...
Juste avant de mourir, Socrate aurait prononcé la phrase suivante : « La vie n’est qu’une longue maladie ; je dois un coq à Asclépios, le Sauveur. » Pendant plusieurs centaines d’années, la médecine a bénéficié d’un statut privilégié, oscillant entre la magie et le miracle, et l’exigence des patients quant au résultat du traitement médical est restée mesurée et fataliste.
À l’époque, on arrivait à l’hôpital en position allongée, et en ressortir debout était considéré par le malade et sa famille comme une bénédiction, autant due à l’intervention divine qu’à la science médicale. Le médecin à l’époque était donc un intermédiaire entre deux mondes, entre la vie et la mort, doté d’un pouvoir quasi surnaturel imposant le respect de la société de ses concitoyens.
Avec le progrès médical, les exigences des patients en termes de résultat médical se sont considérablement modifiées. Et l’adage : « La vie est une longue maladie, dont on ne guérit jamais » marque la limite du pouvoir médical. Dans notre société, qui refuse l’échec et où la réussite est prônée, non pas en exemple, mais en impératif, constater que la vie n’est pas éternelle – contrairement au vieux rêve de l’humanité – est vécu non comme une injustice, mais comme une erreur du responsable de l’échec, coupable de son impuissance : le corps médical.
Aujourd’hui, le quart de la population française débarque en urgence à l’hôpital chaque année. Pour une grande part d’entre eux, debout sur leurs deux jambes… L’idée farfelue d’en ressortir en position allongée, temporairement ou éternellement, n’est pour la plupart d’entre eux pas envisageable. Tout le monde oublie l’incroyable allongement de l’existence, l’inespéré recul de la mortalité infantile en moins de 100 ans, pour ne retenir que l’invraisemblable injustice du terme programmé de l’existence.
La société, devenue civile, a dans son ensemble, pas encore dans sa totalité – bien heureusement ! – perdu le respect et la considération pour une profession dont l’action est, par essence, vouée à l’échec. Malgré les effets d’annonce de nouvelles avancées inimaginables il y a seulement 5 ans, dont on ne sait pas si une application clinique aboutira un jour à autre chose qu’à améliorer la vie précaire des rats de laboratoire, le doute s’installe entre les patients et le corps médical quant au résultat des traitements. Avec pour paradoxe que le terme de la vie des autres devrait être déterminé de manière plus rationnelle : est-il bien raisonnable de prolonger la vie d’un centenaire, voire d’un nonagénaire ? Il vaut mieux en général éviter de poser la question à la personne concernée.
Si l’on admet qu’en termes politiques, un bon retraité est un retraité mort, la scission entre la volonté de guérison du patient par le corps médical pour reculer l’échéance fatale, l’exigence des patients quant au résultat du traitement médical, et le contrôle démographique et économique d’une population vieillissante et inactive, on peut comprendre que l’ensemble des professionnels de santé soit déstabilisé dans la compréhension de son utilité intrinsèque dans la société.
Le plus grand hypocondriaque de la planète, humoriste new-yorkais de son état, a tenté de résumer le débat en déclarant : « La vie est une maladie mortelle sexuellement transmissible. »