Dossier clinique - Chirurgie implantaire
P. RUSSE C. BILWEIS P. MISSIKA
De nombreux auteurs font référence à Alling[] comme étant le premier auteur d'une intervention de déplacement du nerf alvéolaire inférieur pour permettre la mise en place d'implants. En fait, sa publication décrit le déplacement du nerf pour supprimer des douleurs liées à la compression de son émergence par une prothèse amovible, lorsque la résorption de la mandibule a amené le foramen...
Résumé
Trois techniques de transposition du nerf alvéolaire sont présentées, dont une technique préservatrice permettant de conserver la sensibilité des dents antérieures. Les résultats de 44 transpositions chez 31 patients sont exposés avec une seule paresthésie définitive et un recul moyen de près de 10 ans. Les résultats implantaires sont excellents, en liaison avec la longueur importante des implants et un appui bicortical. La chirurgie est complexe, le risque neuro-sensoriel est réel, surtout transitoirement, mais l'apparition du bistouri piezo-électrique a amélioré le pronostic de cette intervention.
De nombreux auteurs font référence à Alling[] comme étant le premier auteur d'une intervention de déplacement du nerf alvéolaire inférieur pour permettre la mise en place d'implants. En fait, sa publication décrit le déplacement du nerf pour supprimer des douleurs liées à la compression de son émergence par une prothèse amovible, lorsque la résorption de la mandibule a amené le foramen mentonnier en position crestale. Les premiers à réellement décrire des chirurgies de déplacement du nerf à visée implantaire sont Jensen et Nock[] qui, en 1987, ont proposé, chez le même patient, deux techniques, la latéralisation et le repositionnement, pour permettre la mise en place d'implants dans les cas d'atrophie mandibulaire postérieure.
Depuis cet article, le terme « latéralisation » a souvent caractérisé les déplacements du nerf alvéolaire inférieur sans modification du foramen mentonnier, et le terme « repositionnement » celui d'un déplacement vestibulaire du nerf incluant la section du nerf incisif et la libération du nerf mentonnier au foramen mentonnier. Beaucoup de termes ont été utilisés au fil des années pour nommer ces interventions mais ceux-ci sont majoritairement impropres si l'on s'en réfère aux dictionnaires :
- latéralisation : spécialisation progressive, au cours de la petite enfance, de chacun des hémisphères du cerveau dans leurs fonctions respectives ;
- repositionnement : action de positionner de nouveau ;
- dérivation : intervention chirurgicale qui consiste à créer une voie artificielle pour l'écoulement de matières ou de liquides, en remplacement de la voie naturelle où siège un obstacle.
Le terme le plus inapproprié est certainement celui de « déroutement », retenu récemment dans la CCAM (classification commune des actes médicaux) :
- déroutement : action de changer en cours de route l'itinéraire d'un véhicule, d'un navire, et en particulier d'un avion pour le faire atterrir sur un autre aérodrome que celui qui était prévu.
Littéraire. État de quelqu'un qui est déconcerté, désorienté.
C'est en fait le terme de « transposition », correspondant au « déplacement d'un organe ou d'un tissu par rapport à sa disposition anatomique normale », qui devrait être utilisé.
Différentes options techniques pouvant être distinguées, seront alors qualifiées de transpositions postérieures, totales ou préservatrices, ces différentes variantes chirurgicales.
Ils ne diffèrent pas de ceux de la chirurgie buccale et implantaire.
Une simulation prothétique sous forme de montages, virtuel informatique ou directeur à l'aide de dents prothétiques, permet d'évaluer la hauteur prothétique, les axes et les émergences des futurs implants, et de réaliser un guide chirurgical (fig. 1).
Le bilan radiologique initial comprend une radiographie panoramique permettant d'avoir une vision globale de la situation osseuse du cas et de poser le diagnostic de hauteur supra-canalaire faible (fig. 2).
L'imagerie 3D permet ensuite de définir le plan de traitement et de réaliser une planification de la pose des implants, ceux-ci étant toujours placés sous contrôle visuel du déplacement vestibulaire du pédicule. Elle permet aussi d'objectiver la position vestibulo-linguale du nerf, la densité osseuse et l'épaisseur d'os vestibulaire sur toute la longueur du trajet intra-osseux du nerf (fig. 3 à 5).
Elle doit comprendre une mise en garde sur les risques neuro-sensoriels, provisoires et définitifs, postopératoires. Dans le cas où le patient ne peut se représenter clairement la réalité d'une paresthésie labio-mentonnière, une anesthésie loco-régionale au foramen mandibulaire peut être administrée.
Le consentement éclairé du patient doit être recueilli préalablement à l'intervention. Les techniques alternatives à la transposition, comme les implants courts ou l'utilisation d'implants à insertion latérale ou à plaque, doivent avoir été exposées loyalement au patient. La mise en place d'implants cunéiformes, en vestibulaire ou en lingual du canal alvéolaire inférieur, ne peut être considérée comme une alternative sans risques, des paresthésies étant rapportées dans l'étude de Cruz et al.[].
Les 3 techniques chirurgicales diffèrent par l'importance du déplacement du tronc nerveux. Toutes les étapes initiales sont identiques.
Plusieurs séries de cas ont été réalisées sous anesthésie locale potentialisée[, ]et d'autres sous anesthésie générale. C'est le cas de l'étude présentée où un seul cas a été traité sous anesthésie locale simple, chez une patiente ayant déjà été opérée d'une prémolaire incluse horizontale auparavant avec cette technique anesthésique (cas no 12).
Une incision crestale est réalisée dans la gencive attachée de la zone édentée, les implants étant systématiquement posés lors de l'intervention. L'accès à la face latérale du corps mandibulaire nécessite la réalisation de larges contre-incisions mésiales et distales, en arrière dans le secteur du trigone rétro-molaire, et en avant à distance du foramen mentonnier, pour limiter le risque de paresthésie postopératoire due à la section des fibres des différentes branches terminales du nerf mentonnier (fig. 6).
Un décolleur (Stoma®) est utilisé en pointe pour l'élévation de la gencive attachée crestale et marginale, ainsi que pour la zone autour du foramen mentonnier. Sa portion rectiligne latérale, plus large, permet l'élévation du périoste de la face latérale du corps mandibulaire.
Elles concernent postérieurement une zone située vestibulairement en regard du trajet nerveux repéré sur l'imagerie 3D. Un auteur a récemment proposé de réaliser un guide chirurgical pour faciliter ce repérage[].
Cette étape s'est faite jusqu'en 2000 à l'aide de fraises boules en carbure de tungstène d'abord, puis diamantées à l'approche du nerf. Depuis cette date, le bistouri piézoélectrique, efficace sur l'os mais moins traumatisant pour le tissu nerveux, a remplacé les fraises rotatives. Cette ostéotomie est actuellement réalisée avec un insert piézoélectrique micro-scie (OT 7 Mectron®) (fig. 7).
Dans le cas de la transposition postérieure, la section corticale est réalisée en mésial, environ 5 mm en arrière du foramen mentonnier (fig. 8).
Pour les transpositions complètes ou conservatrices, l'ostéotomie est étendue en avant, englobant le foramen mentonnier.
Dans le cas de la transposition complète, l'extension antérieure de l'ostéotomie doit permettre la section de la branche incisive, sans lésion du nerf alvéolaire et de sa boucle antérieure.
Pour la transposition conservatrice, l'extension peut être plus importante, en fonction de l'édentation, pour permettre la mise en place, sous contrôle visuel, d'un implant soit lingual, soit vestibulaire par rapport au nerf incisif protégé (fig. 9).
Le volet osseux postérieur est luxé, en utilisant des ostéotomes de Lambotte qui prennent exclusivement appui sur la corticale crestale résistante, au-dessus du tracé d'incision.
Leur mouvement doit vestibuler le volet osseux de telle sorte que l'extrémité active de l'ostéotomie s'éloigne du nerf alvéolaire (fig. 10).
Lorsque le foramen mentonnier doit être déplacé, une section complémentaire horizontale est réalisée pour libérer le nerf mentonnier. Le fragment osseux supérieur est retiré, permettant la dépose du fragment inférieur, une fois luxé, par rotation autour de l'émergence du nerf mentonnier (fig. 11).
Une fois les volets corticaux déposés, en secteur postérieur, le tissu spongieux recouvrant le canal est retiré manuellement à l'aide d'excavateurs affutés, dans un mouvement exclusivement centrifuge, du canal vers l'extérieur.
Dans le secteur du foramen mentonnier et dans la zone plus antérieure où la présence d'os cortical est prépondérante, une alternance de sections avec un insert denté fin (OT 7 S3 Mectron®) et d'usure avec des inserts diamantés (OT 5 et OT 1 Mectron®) permet l'exposition des branches nerveuses (fig. 12).
Dans le cas de la transposition complète, une fois exposée la boucle antérieure du nerf alvéolaire, le nerf incisif est sectionné au bistouri 2 à 3 mm en avant de la bifurcation nerveuse (fig. 13).
Le nerf est alors chargé sur un instrument métallique rigide, soit une lame malléable, soit une spatule à bouche, soit une sonde de Nabers (fig. 14).
Tous les implants ont été posés en un temps chirurgical, à l'exception de deux cas où la largeur de la crête (cas no 11) et un abord crestal (cas no 20) ont nécessité la réalisation complémentaire d'une régénération osseuse guidée.
Les implants sont posés après un forage qui, en général, permet un appui bicortical en utilisant le bord basilaire. Pour Brackman et al.[], ceci ne semble pas impacter la résistance mécanique de la mandibule lors d'une expérimentation sur des mandibules en polyuréthane. C'est pour Pimentel et al.[] la clé du taux de succès implantaire élevé de la technique.
Pour la transposition conservatrice, la branche incisive une fois dégagée (fig. 15), lorsque le canal incisif devient très rapidement lingual vers l'avant, l'implant en position de 34 ou 44 peut être placé en vestibulaire du nerf incisif (fig. 16).
Les implants sont ensuite remplis de métronidazole en gel (Grinazole 100 mg/g, Septodont®) pour éviter la prolifération bactérienne dans les implants (fig. 17).
Les vis de cicatrisation sont mises en place, souvent de hauteur 5 mm, voire 7 mm, pour éviter que les lambeaux, largement décollés en vestibulaire, ne passent par-dessus les vis de cicatrisation avec l'œdème postopératoire.
Le volet osseux cortical découpé est ensuite passé dans un moulin à os. Les copeaux obtenus sont délicatement interposés avec une précelle entre les spires, vives, des implants et le NAI (fig. 18).
Le dernier cas opéré (no 9) a été traité en s'inspirant de la publication de Khojasteh et al.[], qui proposent d'enrouler le nerf alvéolaire dans une membrane de PRF avant de l'entourer d'une membrane de collagène. Ils notent que si les résultats, avec et sans cette technique, sont comparables à 12 mois, la cinétique de récupération nerveuse est plus rapide avec l'utilisation de PRF (fig. 19).
La patiente, dont les deux nerfs alvéolaires ont été entourés de A-PRF seul, a présenté une hypoesthésie transitoire qui a régressé avant le contrôle à 1 mois. Il s'agit, pour l'instant, d'un constat anecdotique mais prometteur.
La fermeture muqueuse est classique, faite de points simples et en X, sans nécessité de réaliser une incision périostée, sauf en cas de ROG complémentaire (fig. 20).
Le traitement médical per-opératoire comprend une dose d'antibiotiques et des corticoïdes, injectés au bloc opératoire en début d'intervention.
En postopératoire, en l'absence d'allergie, un traitement de 8 jours est prescrit, comprenant :
- amoxicilline 1 g. : 1 matin et soir ;
- métronidazole 500 : 1 matin et soir ;
- prednisolone 20 mg : le matin, 3 pendant 3 jours, puis 2 pendant 2 jours, puis 1 pendant 2 jours ;
- antalgique à base de paracétamol, d'opium et de caféine ;
- bains de bouche à la chlorhexidine.
Les contrôles postopératoires sont prévus à 1 mois, à 3 mois pour la prise d'empreinte des implants, à 6 mois pour la pose des prothèses d'usage, puis de manière annuelle.
Le premier patient a été opéré en octobre 1996. Au total, 31 patients, 22 femmes et 9 hommes, dont 13 cas bilatéraux, ont été opérés, représentant 44 transpositions et 126 implants posés (tableau 1).
Sur les 44 transpositions pratiquées, 14 sont des transpositions postérieures, 12 des transpositions totales et 18 des transpositions préservatrices.
L'âge moyen des patients est de 57,9 ans au moment de leur chirurgie. Alors que 2 patients seulement ont été perdus de vue, dont une patiente décédée, aucun implant n'a été perdu chez les 29 patients suivis.
Le taux de survie est donc de 100 % sur les 29 patients suivis sur 31. Les radiographies panoramiques de contrôle ne permettent cependant pas d'évaluer avec précision le taux de succès. La résorption osseuse amenant le sommet de la crête osseuse à proximité de la ligne mylo-hyoïdienne, la réalisation de radiographies rétro-alvéolaires orthogonales est le plus souvent impossible.
Un contrôle postopératoire à un mois permet de vérifier la cicatrisation initiale des implants, l'absence de desserrage des vis de cicatrisation, la présence d'une hypoesthésie et son importance.
Lors du début de l'étude, l'évaluation de l'altération neurosensorielle a fait appel à l'interrogatoire du patient et aux tests décrits par Nishioka et al.[] en 1987 :
- LT : light touch : contact léger ;
- BSD : Brush stroke direction : sens de déplacement d'un pinceau (fig. 21) ;
- 2-P : 2 points discrimination : capacité à discriminer les pointes d'un compas à pointes sèches ;
- T : temperature : température, réalisé avec un coton salivaire refroidi par du Friljet Spray (Pierre Rolland®) ou réchauffé avec de l'eau chaude.
Ces tests simples ont été conservés tout au long de l'étude avec le rythme habituel pour les patients opérés à la mandibule, à savoir 1 mois, 3 mois pour le début de la phase prothétique, puis 6 mois après celle-ci, et enfin un contrôle annuel.
La cinétique de récupération nerveuse est résumée par le graphique 1.
Une seule patiente, opérée en 2000, présente une paresthésie au-delà du contrôle à 1 an. A posteriori, cette patiente présentait des facteurs de risques désormais pris en compte :
- la découpe osseuse et l'exposition du nerf alvéolaire inférieur ont été réalisées avec des fraises boules montées sur pièce à main, technique abandonnée peu après avec l'arrivée sur le marché du bistouri piézoélectrique (à partir du cas no 6) ;
- la corticale vestibulaire du corps mandibulaire est particulièrement épaisse, évaluée à plus de 5 mm sur le scanner préchirurgical ;
- le nerf alvéolaire est en position profonde, accolé à la corticale linguale, très éloigné de la voie d'abord vestibulaire (fig. 22).
Le taux de paresthésie définitive est donc de 2,27 %. Il faut cependant noter que l'intervention est la 4e de la série et que, depuis 19 ans et 40 transpositions, aucune autre paresthésie définitive n'a été constatée.
La mise en place d'implants longs, avec une stabilisation initiale bi-corticale, permet leur mise en charge, sauf ROG, après 3 mois de cicatrisation. Tous les implants posés mesurent 11,5 mm de longueur ou plus, avec une majorité d'implants de 13 mm.
Dans le cas de la transposition postérieure, des intermédiaires de bridge en extension mésiale viennent remplacer les prémolaires que le non-déplacement du foramen mentonnier empêche de faire supporter par un implant.
Le temps moyen de suivi des patients est de 115 mois, soit près de 10 ans. Les radiographies panoramiques de contrôle des premiers patients permettent de visualiser des résultats à plus de 15 ans (fig. 23 à 25).
Certains patients ayant été opérés pour poser de nouveaux implants après leur transposition, les coupes Cone Beam obtenues des secteurs opérés ont permis de constater :
- l'existence d'un nouveau foramen mentonnier, beaucoup plus distal, dans le secteur de la 2e molaire en général ;
- une cicatrisation de la table externe corticale, dont l'épaisseur décroît des bords vers le centre de l'ostéotomie initiale pour atteindre environ 50 % de l'épaisseur initiale (fig. 26 et 27).
Les solutions prothétiques ont évolué avec le temps, le recours à la transposition préservatrice est devenu fréquent et on peut noter une évolution vers des prothèses unitaires, alors qu'initialement, des couronnes solidarisées avaient été privilégiées.
La satisfaction générale des patients est très élevée, en concordance avec la littérature. Aucun des patients opérés interrogés ne regrette son intervention, même la patiente présentant une paresthésie définitive. Une patiente (cas no 30) a subi une 2e latéralisation, 7 ans après la première, du côté opposé (fig. 28).
Le positionnement d'implants vestibulairement ou lingualement par rapport au nerf, soit par navigation chirurgicale[], soit en utilisant des implants spécifiques de largeur vestibulo-linguale réduite[], est proposé mais des paresthésies transitoires sont cependant fréquentes.
L'étude par éléments finis de Jayme et al.[] montre que, sous une charge occlusale axiale et oblique, les implants courts (7 mm) ont un risque de perte osseuse majorée par rapport aux implants longs (15 mm) utilisés lors d'une transposition.
Khojasteh et al.[], comparant les résultats de transpositions avec ceux de greffes autogènes corticales, trouvent des taux de survie équivalents, mais les taux de succès des implants plus courts, dans un os greffé, sont significativement plus faibles avec une résorption crestale majorée (tableau 2).
À l'inverse, pour Dursun et al.[], les implants courts sont une alternative à considérer, une étude comparative ne montrant pas plus de perte osseuse marginale sur les implants courts, mais cette étude ne concerne qu'une majorité d'implants de 8 mm dans un os non greffé.
L'alternative des implants courts a des limites, comme dans le cas no 20, lors de la reprise à 15 ans d'un bridge de type All-on-6, où la patiente, ayant toujours été gênée par l'absence de molaires mandibulaires, souhaitait qu'elles soient remplacées (fig. 29).
La hauteur supra-canalaire, millimétrique, a conduit à l'utilisation d'une technique modifiée, l'abord des nerfs s'effectuant par voie crestale. Une gouttière a été creusée à la fraise boule dans la table externe pour limiter la tension sur les nerfs alvéolaires inférieurs (fig. 30 et 31).
Les implants posés, un comblement péri-implantaire d'os autogène provenant du volet broyé est recouvert de biomatériau (Bio-Oss, Geistlich®), puis une membrane (Bio-Gide, Geistlich®) a été mise en place. Dans ce cas, les implants ont fait l'objet d'une découverte chirurgicale différée, 6 mois après les transpositions.
Certaines publications récentes montrent encore l'utilisation de fraises pour l'ouverture de l'étui cortical mandibulaire. Les études animales de Yoshimoto et al.[] en 2004, puis de Metzger et al.[] en 2006 ont pourtant montré que le fait de toucher le nerf avec un insert diamanté ultrasonore rendait simplement rugueux l'épinerve et ne provoquait qu'une désorganisation tissulaire à l'échelle micro-structurelle à cause de l'œdème.
L'utilisation du bistouri piézoélectrique représente donc une sécurité lors de la chirurgie de transposition du pédicule alvéolaire inférieur.
Plusieurs auteurs[, , ] recommandent l'utilisation de lacs vasculaires ou de bandes de latex pour maintenir le pédicule dans une position vestibulée pendant le forage et la pose des implants (fig. 32).
Cette utilisation présente deux inconvénients potentiels :
- pendant l'utilisation des forets nécessaires à la réalisation de l'ostéotomie pré-implantaire, tout relâchement ou dérapage de cette protection souple peut avoir des conséquences désastreuses ;
- le maintien en position vestibulaire du pédicule ne peut se faire que par la traction, le risque d'élongation du nerf est donc réel et il a été prouvé par Tanoue et al.[] chez l'animal et par Simpson[] chez l'homme qu'une élongation de 10 % suffisait pour provoquer une diminution du transport neuronal et de la vascularisation nerveuse.
Dans leur revue systématique, Abayev et Juodzbalys[] ont calculé que, dans les 21 articles retenus, la transposition postérieure est pratiquement deux fois plus pratiquée que la transposition totale :
- transposition postérieure : 62,2 % (235/378) ;
- transposition totale : 37,8 % (143/378).
La transposition préservatrice, sans section du nerf incisif, n'est pas évoquée.
Résultat quantitatif : une constante de la littérature est le taux de survie très élevé des implants. Dans les études retenues par Abayev et Juodzbalys[], 10 présentent un taux de survie implantaire de 100 % mais le nombre de cas au total reste faible.
Les études avec des cohortes de patients importantes donnent des taux de survie très positifs :
- 98,6% pour Martínez-Rodríguez et al.[] : 40 patients et 129 implants ;
- 97,8 % pour Sethi et al.[] : 78 patients et 308 implants ;
- 99,56 % pour Lorean et al.[] : 57 patients et 232 implants.
Résultat qualitatif : Khajehahmadi et al.[], étudiant la vitalité des dents antérieures à des transpositions, trouvent que 90 % des dents restent vitales en cas de transposition postérieure contre 0 % en cas de transposition totale.
C'est la justification clinique de la technique de la transposition préservatrice visant à respecter le nerf incisif lors de la transposition, tout en permettant la pose d'implants en avant de la première molaire.
La seconde partie de la revue d'Abayev et Juodzbalys[] indique que, si 99,47 % de patients (376/378) ont présenté une paresthésie initiale, seulement 0,53 % (2/378) ont présenté une paresthésie définitive.
Pour Vetromilla et al.[], dans une revue systématique de littérature (24 articles retenus sur 116), les complications relevées ont été les suivantes :
- Après transposition postérieure :
• Paresthésie initiale : 95,9 % ;
• Paresthésie à long terme : 3,4 %.
- Après transposition totale :
• Paresthésie initiale : 58,9 % ;
• Paresthésie à long terme : 22,1 %.
L'étude des publications de la revue montre que seule une étude, sur 9 retenues, utilise le bistouri piézoélectrique.
Le dégagement vestibulaire du pédicule alvéolaire à la fraise pourrait donc être un facteur majeur de risque pour la survenue de paresthésies.
Les 5 premiers cas de notre étude ont été opérés à la fraise, et c'est dans ces cas initiaux qu'en 2000 figure le seul cas de paresthésie définitive des 44 transpositions réalisées.
Dans une série de 121 nerfs alvéolaires déplacés, Sethi et al.[] constatent que le retour de la sensibilité varie de 24 heures à 6 mois, et que 5 patients sur 78 (6,4 %) présentent une altération résiduelle de leurs sensations. Les résultats de Campos et al.[] sont assez similaires avec un pourcentage de 5 % de paresthésies à 6 mois, comme ceux de Fernández Díaz et Naval Gías[] avec 5,27 % à seulement 8 semaines postopératoires.
Pour Martínez-Rodríguez et al.[], 1 seul patient sur 27 présente une légère hypoesthésie au contrôle à 18 mois.
Hashemi[], sur 110 sites opérés, étudie la cinétique de récupération nerveuse : 97 % des sites retrouvent une sensibilité normale, sans changement après 12 mois. L'altération de la sensibilité de 3 patients est décrite comme une sensation persistante de « chatouillement » (tickling).
Les revues de littérature consultées objectivent une grande disparité de résultats quant aux altérations neurosensorielles. La classification entre sensibilité altérée, dysesthésie et paresthésie reste très subjective.
Da Costa Ribeiro et al.[] décrit, à propos d'un cas, la fracture d'une mandibule après une transposition, suivie de la dépose d'un implant. Des cas uniques similaires de fracture sont rapportés par d'autres auteurs : Kan et al. [], Dos Santos et al. [], Sharifi et al. [], Karlis et al. [] et Ferrigno et al. [].
Les transpositions du pédicule alvéolaire inférieur permettent de placer, en un seul temps chirurgical, des implants longs dans une mandibule, même très résorbée.
La stabilité primaire importante des implants, en appui bicortical, permet de garder un temps de cicatrisation habituel de 3 mois. Cet appui bicortical serait le facteur clé permettant d'obtenir des taux de survie implantaire très élevés.
La stabilité du niveau osseux au col de l'implant est beaucoup plus favorable que dans un tissu greffé.
Le nombre d'interventions et le temps de traitement sont réduits par rapport aux techniques d'augmentation osseuse.
La fermeture des tissus mous est très simple, contrairement aux techniques d'augmentation verticale, greffes, ostéotomies sectorielles ou régénérations.
Les principaux inconvénients de la technique sont sa technicité, qui en fait une chirurgie opérateur-dépendante, comme le montre la disparité des résultats dans les revues de littérature, et le risque de survenue d'une dysesthésie, ce risque semblant cependant réduit depuis l'apparition du bistouri piézoélectrique.
Philippe Russe
Diplôme universitaire d'implantologie chirurgicale et prothétique, Université Paris Diderot
Diplôme universitaire de biomatériaux et tissus calcifiés, Université d'Angers
Ancien assistant à la Faculté de Reims
Expert près la cour d'appel de Reims
Christophe Bilweis
Ancien assistant, Faculté Paris V
Chargé d'enseignement en anatomie, Faculté dentaire Montrouge Paris V
Patrick Missika
Maître de conférences des universités Paris Diderot
Professeur associé Tufts University, Boston
Expert près la cour d'appel de Paris
Expert national agréé par la cour de cassation