Dossier clinique - Chirurgie implantaire
P. RUSSE C. BILWEIS P. MISSIKA
Conséquence de l'édentation des secteurs mandibulaires postérieurs et du vieillissement, la résorption osseuse fait diminuer la hauteur osseuse supra-canalaire. Elle peut rendre difficile, voire impossible, la mise en place d'implants dans les secteurs prémolaires-molaires mandibulaires. Parmi les solutions chirurgicales proposées, les transpositions du nerf alvéolaire inférieur peuvent garder un intérêt, malgré le développement actuel de l'utilisation d'implants...
Résumé
Avant d'envisager un geste chirurgical aussi délicat qu'un déplacement du pédicule alvéolaire inférieur, une parfaite connaissance de l'anatomie du canal mandibulaire, de son contenu mais surtout de ses variations anatomiques est indispensable. Certaines de ces dernières, comme un canal mandibulaire bifide ou un foramen mentonnier multiple, constitueront une difficulté chirurgicale supplémentaire qu'il importe de reconnaître avec l'examen pré-opératoire attentif d'une imagerie en 3D.
Conséquence de l'édentation des secteurs mandibulaires postérieurs et du vieillissement, la résorption osseuse fait diminuer la hauteur osseuse supra-canalaire. Elle peut rendre difficile, voire impossible, la mise en place d'implants dans les secteurs prémolaires-molaires mandibulaires. Parmi les solutions chirurgicales proposées, les transpositions du nerf alvéolaire inférieur peuvent garder un intérêt, malgré le développement actuel de l'utilisation d'implants courts.
La connaissance de l'anatomie mais aussi des variations anatomiques du pédicule vasculo-nerveux alvéolaire inférieur sont indispensables pour préserver ces structures lors de chirurgies de transposition du contenu canalaire.
Il commence postérieurement sur la face interne de la branche montante, en arrière de la lingula, par le foramen mandibulaire, pour se terminer en avant sur la face latérale du corps mandibulaire, au niveau du foramen mentonnier.
Olivier[] situe à 60 % la proportion de mandibules où le canal mandibulaire représente un étui osseux continu, par opposition aux 40 % de cas où le nerf chemine entre les cellules osseuses, sans structure canalaire individualisée (fig. 1).
De Oliveira-Santos et al.[], en étudiant 100 CB, trouvent pratiquement la même proportion d'étui cortical au niveau de la première molaire, avec 59 % des cas, à l'inverse de Bouquet et al.[] qui retrouvent, sur 32 canaux, un étui cortical dans 9 cas seulement (28,12 %). Ce différentiel pourrait s'expliquer par l'âge et la pathologie osseuse des patients étudiés, la revue de López-López et al.[] démontrant une perte du contenu minéral de la mandibule avec l'ostéopénie et l'ostéoporose, dont Leite et al.[] estiment que l'hypominéralisation de la paroi canalaire pourrait être un marqueur.
Le canal mandibulaire a un diamètre variable, compris entre 2,1 et 4 mm dans 80 % des cas[].
Pour Ozturk et al.[] et Gowgiel[], le point déclive du bord supérieur du canal se situe en moyenne à 1 cm du bord basilaire de la mandibule. Al-Siweedi et al.[] situent ce point à 20 mm en arrière du foramen mentonnier et la distance canal-bord basilaire à 7,96 ± 1,93 mm. C'est cette hauteur osseuse supplémentaire que la transposition du pédicule alvéolaire inférieur permet d'utiliser pour la mise en place d'implants.
Le dédoublement du canal mandibulaire est déjà décrit par Molliere[] en 1871. Depuis, de nombreux auteurs ont fait état de cette particularité dont le repérage est essentiel si une transposition doit être réalisée.
Un canal totalement dédoublé a été trouvé parmi les 30 hémi-mandibules (3,33 %) disséquées par l'auteur[].
La prévalence d'un canal mandibulaire bifide est très variable selon la littérature (tableau 1).
L'apparente disparité des résultats s'explique par des différences de définition, certains auteurs intégrant les canaux accessoires dans le comptage des canaux bifides, et la radiographie panoramique sous-estimant les canaux accessoires par rapport à l'imagerie 3D.
Pour Shen et al.[], le Cone Beam objective davantage d'étuis corticaux et des corticales plus fines, et il permet de mettre en évidence deux fois plus de canaux bifides que le scanner (fig. 2).
En réalisant une étude sur 500 radiographies Cone Beam mandibulaires, Borgonovo et al.[] trouvent des canaux accessoires chez 8,8 % des patients examinés, le plus souvent des canaux rétro-molaires. Ces derniers représentent 70 % de tous les canaux accessoires et présentent un diamètre moyen de 1,2 +/- 2 mm (fig. 3).
À l'inverse, et toujours en étudiant des Cone Beam, pour Afsa et Rahmati[], sur 116 hémi-mandibules, 40,5 % présentent des canaux accessoires, dont près de la moitié (49,2 %) dans la zone molaire.
Les canaux accessoires de la mandibule sont donc observés de manière très variable, mais heureusement, leur incidence sur la chirurgie de transposition est beaucoup moins importante qu'un véritable dédoublement du canal mandibulaire.
Le foramen mentonnier se situe en général entre la 1e molaire et la 1e prémolaire. S'il peut être situé dans le sens vertical, à mi-hauteur du corps mandibulaire chez le denté, sa position relative est beaucoup plus crestale chez l'édenté partiel candidat à une transposition du pédicule alvéolaire inférieur. Au niveau du foramen mentonnier, le pédicule alvéolaire inférieur se divise en pédicule mentonnier sortant par ce foramen et en pédicule incisif continuant dans la mandibule en empruntant le canal incisif.
L'observation de près de 1400 crânes secs par Sawyer et al.[] a mis en évidence 2,8 % de foramens mentonniers multiples. Cette particularité anatomique est aussi de nature à compliquer une transposition.
De nombreuses études récentes avec le CBCT ont permis d'obtenir des statistiques portant sur des séries de cas importantes (tableau 2).
L'étude d'Imada et al.[] montre que des foramen mentonniers accessoires, présents chez 3 % des patients, ne peuvent être identifiés sur les radiographies panoramiques.
Leur diamètre moyen est de 0,93 mm avec une distance moyenne au foramen mentonnier de 4 mm dans le sens vertical et de 2,3 mm dans le sens horizontal (fig. 4 et 5).
Dans notre expérience[-], l'artère pénètre, en arrière du nerf, le canal alvéolaire inférieur au niveau du foramen mandibulaire pour se situer au-dessus du nerf dans la zone antérieure du canal. L'artère croise le nerf en lingual dans 13 cas sur 30 (43,3 %), en vestibulaire dans 12 cas sur 30 (40 %), ou traverse le nerf dans 5 cas sur 30 (16,6 %). Elle se situe de manière constante au-dessus du nerf dans la zone molaires-prémolaires (fig. 6).
Ce croisement est confirmé par l'étude de Deng et al.[] en IRM à haute résolution, qui retrouve, sur l'imagerie 3D, cette description cadavérique.
Pour Wadu et al.[], les branches de l'artère alvéolaire inférieure destinées aux dents involuent avec l'extraction de celles-ci, faisant ainsi diminuer le risque hémorragique lors des transpositions.
Le nerf alvéolaire inférieur est le rameau le plus volumineux du nerf mandibulaire, lui-même une branche du nerf trijumeau.
Il est uniquement sensitif dans sa portion intra-canalaire, les fibres motrices du mylo-hyoïdien et du ventre antérieur du digastrique ne pénétrant pas dans le canal.
La description classique du NAI est celle d'un tronc nerveux unique, accompagné dans le canal par une artère et des veines. L'anatomie et la morphologie du nerf alvéolaire inférieur font cependant débat et les descriptions sont souvent divergentes.
De nombreux auteurs relèvent la présence fréquente de 2 nerfs dans le canal, comme Olivier[], dès 1928, dans 34 % des cas, ou Bouquet[], dans 43,75 % des cas. Pour Kqiku et al.[], disséquant 20 hémi-mandibules, le nerf présente un tronc unique, formé de 2 nerfs, se croisant en spirale et séparés depuis la région molaire :
- La branche incisive continuant, en avant du foramen mentonnier, en nerf incisif ;
- La branche mentonnière, émergeant par le foramen mentonnier.
Les deux fascicules sont entourés d'un épinèvre, l'ensemble du tronc nerveux étant entouré du périnerve.
Pour Hur et al.[], le plus souvent, la branche mentonnière, qui représente les deux tiers vestibulaires du nerf, est entourée de plusieurs faisceaux innervant les différents groupes de dents mandibulaires.
Cette description est retrouvée, sous une forme encore plus complexe, en raison de la présence d'anastomoses sur certains nerfs alvéolaires inférieurs disséqués[] (fig. 7).
Le nerf incisif est présent dans 97,33 % des cas sur 824 hémi-mandibules pour Yang et al.[], mais seulement chez 71,66 % des 120 sujets de l'étude de Ramesh et al.[], avec une longueur moyenne de plus de 10 mm pour 2,5 mm de diamètre (fig. 8).
Après sa sortie du foramen mentonnier, le nerf mentonnier se sépare en trois à quatre branches terminales qui innervent le menton, la commissure buccale, la lèvre inférieure, la gencive et la muqueuse vestibulaire, de la deuxième prémolaire aux incisives centrales[]. Une paresthésie du territoire du nerf mentonnier étant beaucoup plus invalidante qu'une paresthésie du nerf incisif, la section du nerf incisif, afin de limiter la tension sur le nerf mentonnier, est à l'origine de la technique de la transposition totale.
Tous nos remerciements pour l'accueil et la mise à disposition des pièces anatomiques au centre du don des corps des Saints Pères à Paris.
Merci aussi aux équipes de la SAPO qui depuis de nombreuses années collaborent pour une meilleure connaissance anatomique dans notre profession et tout particulièrement au Professeur Jean-François Gaudy ainsi qu'au Docteur Christophe Bilweis pour leurs précieux enseignements et leur disponibilité.
Philippe Russe
Diplôme universitaire d'implantologie chirurgicale et prothétique, Université Paris Diderot
Diplôme universitaire de biomatériaux et tissus calcifiés, Université d'Angers
Ancien assistant à la Faculté de Reims
Expert près la cour d'appel de Reims
Christophe Bilweis
Ancien assistant, Faculté Paris V
Chargé d'enseignement en anatomie, Faculté dentaire Montrouge Paris V
Patrick Missika
Maître de conférences des universités Paris Diderot
Professeur associé Tufts University, Boston
Expert près la cour d'appel de Paris
Expert national agréé par la cour de cassation