Revue de littérature
Résumé
La gestion implantaire d'un maxillaire antérieur atrophié est un défi délicat relevé classiquement par des techniques chirurgicales lourdes et inconfortables pour le patient.
L'objectif de cet article est de décrire la technique du « nasal-lift » comme une alternative aux grosses reconstructions osseuses, séduisante par sa simplicité, similaire au traditionnel sinus-lift.
Pour cela, nous décrirons l'évolution de la technique opératoire, illustré d'un cas clinique puis analyserons et discuterons la littérature scientifique.
Managing severe atrophy of anterior maxilla can represent a major challenge usually achieved with heavy and discomfortable surgical procedures for the patient.
The aim of this article is to descibe the nasal-floor augmentation procedure, as an alternative to large bone reconstruction, attractive by its simplicity, and close to the conventional sinus-lift.
Therefore, we will describe the evolution of this surgical procedure, iluustrated with a clinical case, and then we will analyse and discuss about the scientific literature.
La réhabilitation implantaire du secteur antérieur maxillaire chez le patient atrophié est un challenge difficile à relever faisant souvent intervenir des techniques chirurgicales complexes.
La gestion d'une résorption de type D-E dans la classification de Lekholm et Zarb (1985) ou de classe 5-6 dans la classification de Cawood et Howell (1988), au niveau du secteur antérieur maxillaire, est classiquement décrite par des chirurgies lourdes et délicates type Le Fort I avec greffes d'apposition, des ostéotomies segmentaires avec greffons d'interposition, des greffes d'apposition, des régénérations osseuses guidées. Ces interventions demandent un niveau de technicité élevé pour le chirurgien et sont également souvent accompagnées d'une forte morbidité, d'inconfort, d'un coût financier élevé et de suites opératoires importantes pour le patient[].
L'objectif de cet article est de décrire une alternative plus prédictible : la technique du nasal lift, ou technique de soulèvement et comblement des fosses nasales, issue du même concept que le sinus lift.
Nous décrirons la procédure chirurgicale, et analyserons puis discuterons les résultats issus de la revue de la littérature.
Pour décrire et évaluer la technique du nasal lift dans la gestion du maxillaire antérieur atrophié, une recherche bibliographique a été réalisée sur PubMed.
Les mots clés utilisés ont été : « nasal lift », « nasal floor augmentation », « nasal floor elevation », « subnasal elevation », combinés à l'aide des opérateurs booléens « OR » et « AND »
Mille soixante-trois publications en anglais et français ont été trouvées, sans filtrer l'année de parution.
Après lecture des titres et résumés, les articles ne traitant pas de notre sujet ont été écartés. Au final, seules une quinzaine de publications depuis les années 1990, avec un faible niveau de preuve, abordent cette technique (tableau 1).
Historiquement, nous devons la paternité de cette technique à Adell, publié en 1985[]. La technique chirurgicale suppose initialement le prélèvement iliaque d'un bloc cortico-spongieux qui sera transfixé dans les fosses nasales à l'aide de vis d'ostéosynthèse ou de l'implant dentaire posé simultanément (fig. 1).
C'est en 1997 que Garg décrit pour la première fois la technique du nasal lift avec l'utilisation d'os particulaire autogène mélangé à de l'os allogénique dans un ratio de 50:50[]. Voici son protocole chirurgical :
- préparation ;
- désinfection péribuccale et endobuccale classique à la chlorhexidine (fig. 2) ;
- anesthésie locale : anesthésie adrénalinée à 1/100 000 au niveau vestibulaire, palatin et infra-orbitaire ;
- chirurgie des tissus mous (fig. 3) :
• incision crestale maxillaire de pleine épaisseur de canine à canine ;
• deux incisions de décharges verticales en distal de la première incision crestale ;
• élévation du lambeau de pleine épaisseur exposant l'épine nasale et les orifices piriformes (fig. 4) ;
• élévation de la muqueuse nasale avec des curettes angulées à bout mousse, de façon similaire à l'élévation de la muqueuse sinusienne lors d'une procédure de comblement sinusien par voie latérale (fig. 5 et 6) ;
• augmentation osseuse par comblement avec un mélange d'os particulaire autogène issu de la région symphysaire, broyé au moulin à os, et d'os particulaire allogénique dans un ratio de 50:50 ;
• le mélange est appliqué à partir des régions les plus latérales vers la partie la plus médiale (fig. 7).
- fermeture du site :
• incision horizontale périostée afin de relâcher les tensions du lambeau lors de la fermeture ;
• sutures berges à berges par des points continus ou discontinus avec du fil 3.0 ;
• les instructions classiques postopératoires sont données ;
• le placement des implants aura lieu quatre à six mois après la procédure d'augmentation sous-nasale (fig. 8 à 10).
En 2008, Rubo de Rezende, dans un case report, publie un cas d'implantation simultanée à la procédure de nasal lift décrite par Garg en 1997[].
Cette procédure n'échappe pas à l'innovation grâce à des solutions mini-invasives. En 2012, Kfir publie deux case-report avec la pose d'implant simultanée à une augmentation des fosses nasales par la technique du ballon[].
Et, en 2016, Sentineri publie un case-report similaire avec le décollement de la membrane nasale par pression hydraulique[].
En 2001, Hising a posé 5 implants dans 3 cavités nasales après une période moyenne de cicatrisation de 11,9 mois[]. Les 5 implants ont été perdus entre la pose et la mise en charge.
En 2010, Mazor publie une étude rétrospective d'une cohorte de 32 patients[]. Cent implants ont été posés simultanément à l'élévation et au comblement des fosses nasales. Les comblements ont été réalisés par un substitut osseux d'origine bovine (Cerabone®, Botiss Straumann). Les hauteurs d'os préopératoires s'étendaient de 7,3 à 11,2 mm, avec une moyenne de 9,1 +/- 0,9 mm. Les augmentations osseuses allaient de 1,1 à 5,7 mm avec une moyenne de 3,4 +/- 0,9 mm. Les résultats sont de 100 % de survie avec un suivi moyen de 27,8 +/- 12,4 mois.
En 2012, El-Ghareeb publie une série de 6 patients édentés totaux traités par 4 implants maxillaires et une overdenture retenue par une barre[]. Trois patients présentaient un défaut vertical et horizontal incompatible avec la pose d'implant simultanée. Le comblement osseux a été réalisé avec de l'os particulaire allogénique (Puros®, Zimmer Biomet) et l'augmentation horizontale par un greffon d'apposition ramique ou symphysaire. Les implants ont été posés 6 mois après la cicatrisation. Trois patients présentaient seulement un défaut vertical, l'augmentation osseuse a alors été réalisée par de l'os particulaire allogénique (Puros) et les implants ont été posés simultanément. Le suivi de l'étude a été de 4 à 29 mois après la pose de la prothèse. Les taux de succès implantaires ont été de 75 % et les taux de survie de 100 %, sans complications. Dans un questionnaire de satisfaction, 93 % des réponses ont eu un score supérieur à 7 sur 10.
En 2015, Garcia-Denche publie une étude rétrospective comparative des taux de succès entre des implants posés dans un nasal lift et un sinus lift avec un comblement à l'os particulaire d'origine bovine (Bio-Oss®, geistlich)[]. Soixante-dix-huit implants ont été posés sur 14 patients, 37 dans un site de nasal lift et 41 dans un site de sinus lift. Pour 10 patients, 55 implants ont été posés simultanément au comblement, et pour 4 patients, 23 implantations ont été retardées. Seule une patiente a perdu l'intégralité de ses implants (2 dans le sinus lift et 4 dans le nasal lift). Au total, Garcia-Denche obtient un taux de succès de 89,2 % dans le groupe nasal list et 95 % dans le groupe sinus lift, sans différence statistiquement significative entre ces deux techniques.
En 2014, Lorean publie la plus grande étude rétrospective réalisée à ce jour, avec la pose de 203 implants simultanément à une procédure de nasal lift sur 67 patients, entre 2006 et 2012[]. Le comblement osseux était réalisé par un substitut d'os particulaire d'origine bovine (Cerabone®, Biotiss Straumann). La hauteur d'os moyenne avant augmentation était de 8,89 +/- 1,1 mm (de 5 à 11,2 mm). L'augmentation moyenne était de 3,65 +/- 0,9 mm (de 1,1 et 7 mm). Les implants posés avaient une longueur moyenne de 12,5 +/- 0,8 mm (de 10 et 16 mm). La durée moyenne du suivi a été de 65,93 +/-13,2 mois (de 7 à 44 mois) avec un taux de survie de 100 %.
Il persiste un manque évident de littérature scientifique de haut niveau de preuve pour cette technique. Pour autant, excepté l'étude de Hising en 2001[], tous les auteurs décrivent une technique simple et fiable[1, 3-6, 8-10], comparable à la traditionnelle technique du sinus lift[], avec des taux de survie implantaire compris entre 89,2 % et 100 %[1, 8-10].
Les suites opératoires et complications décrites sont faibles et rares. Il s'agirait de saignement, gonflement, douleur, hématome, infection, rhinite. La muqueuse nasale est plus épaisse et plus résistante que la muqueuse sinusienne, ce qui limiterait considérablement le risque de perforation[[]].
La pose d'implant simultanée à l'augmentation verticale est souvent possible et dépend des qualité et quantité d'os résiduel, suffisantes ou non à la stabilité primaire de l'implant à poser. Comme pour toute augmentation osseuse, il convient d'évaluer et de corriger le défaut en vertical mais aussi en horizontal. Ainsi, dans le cas d'une pose différée, l'augmentation osseuse verticale peut être associée à une augmentation osseuse horizontale[1, 3, 9].
Il est recommandé d'éviter cette procédure pour des patients présentant un saignement nasal récurrent, un antécédent de réparation de la cloison nasale, une rhinite allergique chronique[].
Élément d'analyse critique important, aucun article ne mentionne la conduite à tenir en cas de perforation de la muqueuse nasale. Deux hypothèses pourraient expliquer ce manque. La première serait qu'aucune perforation n'ait eu lieu au cours des procédures de nasal lift (ce qui est probable car tous les auteurs décrivent une muqueuse particulièrement résistante). La seconde hypothèse serait que les patients dont le décollement aurait entraîné une perforation ont été écartés de l'étude. En effet, une perforation de la muqueuse des fosses nasales mène directement aux orifices nasaux. En contact avec l'air ambiant, toute procédure d'augmentation est à proscrire.
Enfin, n'oublions pas qu'un comblement des fosses nasales est une alternative séduisante mais ne reconstruira pas ad integrum notre patient. En effet, l'espace prothétique augmenté par la résorption du maxillaire restera inchangé et sera à compenser par des artifices prothétiques type fausse gencive. Seules les techniques de reconstructions avancées citées en introduction pourront restaurer la perte osseuse alvéolaire.
La réhabilitation du secteur antérieur maxillaire atrophié est classiquement décrite par des chirurgies lourdes et complexes à mettre en œuvre. Dans ce type de cas, la technicité du chirurgien, la morbidité liée à l'intervention, mais aussi le confort du patient, les moyens financiers dépensés et la lourdeur des suites opératoires doivent être pris en compte[]. Ainsi, la proposition d'une alternative ancienne[], bien que peu connue et faiblement relayée, peut être intéressante. La littérature scientifique manque d'études de haut niveau de preuve sur cette technique du nasal lift mais tout porte à croire qu'il s'agirait d'une technique aussi prédictible que le traditionnel sinus lift[]. Les suites opératoires sont minimes et le risque de perforation est très faible, du fait de l'épaisseur et de la rigidité de la muqueuse nasale[].
Aucun article ne décrit la conduite à tenir en cas de perforation, mais nous recommandons l'arrêt de la procédure.
L'implantation simultanée est possible et réalisée selon la capacité à obtenir une stabilité primaire[1, 4-6, 8-10].
Enfin, cette technique peut encore être simplifiée par l'utilisation de solutions mini-invasives, telles que l'élévation de la muqueuse des fosses nasales par ballon[] ou par pression hydraulique[].
En conclusion, la technique du nasal lift serait donc une très bonne alternative pour la gestion des atrophies du secteur antérieur maxillaire, surtout en cas de résorption de type Cawood et Howell 5-6, à partir du moment où l'indication est posée, et en informant notre patient des techniques conventionnelles de reconstruction.
Benjamin Attuil
Diplôme inter-universitaire de chirurgie pré- et péri-implantaire orale DIU CRPPIO, Sorbonne-Université
Diplôme universitaire d'implantologie orale, université Paris Descartes
Diplôme universitaire d'expertise maxillo-faciale et bucco-dentaire, université de Montpellier
Alice Guyon
Chef de clinique-assistant hospitalo-universitaire en chirurgie orale, service d'odontologie, APHP Pitié-Salpêtrière
Directeur du Diplôme inter-universitaire de chirurgie pré- et péri-implantaire orale DIU CRPPIO, Sorbonne-Université
Diplôme universitaire d'expertise maxillo-faciale et bucco-dentaire, université de Montpellier
Mickaël Samama
Chef de clinique-assistant, service de chirurgie maxillo-faciale et stomatologie, APHP Pitié-Salpêtrière
Directeur du Diplôme inter-universitaire de chirurgie pré- et péri-implantaire orale DIU CRPPIO, Sorbonne-Université
Directeur du Diplôme inter-universitaire de réhabilitation orale implantaire, Sorbonne-Université