Prothèse implantaire
J.-L. Veyrune P. Auroy C. Travers
En prothèse dentaire, la transmission des données cliniques au laboratoire de prothèse constitue une étape critique et primordiale du traitement. Cette étape demande une attention accrue dans les cas de réhabilitation implanto-prothétique, aussi bien dans la restauration des édentements en secteurs esthétiques qu'au niveau des secteurs cuspidés. En effet, l'utilisation de racine artificielle implique la création d'un volume gingival et d'un profil d'émergence les plus naturels...
Résumé
L'utilisation de racine artificielle implique la création d'un volume sous gingival et d'un profil d'émergence les plus naturels possibles dans un but esthétique mais aussi biologique. Plus que l'esthétique au sens strict, l'objectif est d'obtenir la meilleure intégration possible de la restauration prothétique dans le contexte biologique et anatomique du patient. Il s'agira de transférer la position spatiale de l'implant mais également le volume du sulcus nouvellement créé. Pratiquement toutes les empreintes physico-chimiques sont scannées au laboratoire. De ce fait, la cohérence du flux numérique constitue un argument supplémentaire dans l'utilisation de l'empreinte optique intra-buccale en prothèse implantaire unitaire ou plurale de petite étendue. Cependant, jusqu'à présent, les corps de scannage pour les empreintes intra-buccales étaient identiques à ceux utilisés au laboratoire sur des modèles en plâtre issus des empreintes physico-chimiques et donc absolument pas adaptés aux contraintes de l'empreinte optique intra-buccale et au transfert du profil d'émergence.
Ce travail propose de présenter une solution numérique originale de transfert de la position de l'implant et du profil d'émergence nouvellement créé grâce au système Iphysio® développé par la société Lyra Etk™.
En prothèse dentaire, la transmission des données cliniques au laboratoire de prothèse constitue une étape critique et primordiale du traitement. Cette étape demande une attention accrue dans les cas de réhabilitation implanto-prothétique, aussi bien dans la restauration des édentements en secteurs esthétiques qu'au niveau des secteurs cuspidés. En effet, l'utilisation de racine artificielle implique la création d'un volume gingival et d'un profil d'émergence les plus naturels possible dans un but esthétique mais aussi biologique. Plus que l'esthétique au sens strict, l'objectif est d'obtenir la meilleure intégration possible de la restauration prothétique dans le contexte biologique et anatomique du patient [] (fig. 1 et 2). Nous ne reviendrons pas dans ce travail sur la nécessité d'un positionnement tridimensionnel précis de l'implant, qui reste un préalable indispensable à la réussite de tout traitement implanto-prothétique. Quoi qu'il en soit, il conviendra, à partir d'un implant de section généralement circulaire, de créer un profil à l'émergence correspondant à la section de la dent à remplacer au niveau de son collet. Ainsi, la transition entre l'implant et la prothèse pourra se faire de façon harmonieuse, propice à l'hygiène et à la santé des tissus péri-implantaires.
Une fois cet objectif atteint, la situation clinique devra être transférée au laboratoire de prothèse. Il s'agira de transmettre la position spatiale de l'implant mais également le volume du sulcus nouvellement créé. En effet, le prothésiste de laboratoire doit réaliser une prothèse qui épouse parfaitement le volume sous gingival prédéfini. Une étude montre que le volume des tissus mous enregistré après une mise en forme du sulcus par une couronne provisoire pourrait atteindre plus du double de celui obtenu par un pilier de cicatrisation classique []. Le transfert des données cliniques peut se faire classiquement par une empreinte physico-chimique faisant appel à un transfert d'implant modifié, ou par une empreinte optique utilisant un corps de scannage. Des études récentes sur les erreurs de position qui peuvent intervenir lors de l'empreinte physico-chimique des implants, tant au niveau de la liaison entre le transfert et le matériau d'empreinte que lors du vissage de celui-ci à la réplique de l'implant [], laissent à penser que le gold standard en matière d'empreinte implanto-prothétique unitaire serait l'empreinte optique. En effet, l'empreinte optique permet d'obtenir un modèle virtuel sur lequel l'implant est mis en place sans aucune intervention humaine susceptible de modifier, même de façon infime, sa position. Cependant, le transfert du profil d'émergence par un corps de scannage standard est difficile voire impossible. Classiquement, une empreinte optique sur implant se décline en deux temps : un premier scan oral une fois le pilier de cicatrisation ou la provisoire déposée, afin d'enregistrer le profil d'émergence ; un deuxième scan oral avec le corps de scannage en place pour enregistrer la position de l'implant. Cependant, dès le retrait du pilier de cicatrisation ou de la dent provisoire, la gencive péri-implantaire tend à se refermer sur l'implant, et le contour ainsi que le volume enregistré ne correspondent alors plus au profil créé.
L'évolution technique au niveau des laboratoires de prothèse est tournée de façon irréversible vers les techniques numériques, dont la CFAO fait partie. Pratiquement toutes les empreintes physico-chimiques sont scannées au laboratoire. De ce fait, la cohérence du flux numérique constitue un argument supplémentaire dans l'utilisation de l'empreinte optique intrabuccale en prothèse implantaire unitaire ou plurale de petite étendue. Cependant, jusqu'à présent, les corps de scannage pour les empreintes intrabuccales étaient identiques à ceux utilisés au laboratoire sur des modèles en plâtre issus des empreintes physico-chimiques, et donc absolument pas adaptés aux contraintes de l'empreinte optique intrabuccale et au transfert du profil d'émergence.
Ce travail propose de présenter une solution numérique originale de transfert de la position de l'implant et du profil d'émergence nouvellement créé, grâce au système Iphysio® développé par la société Lyra Etk™, en collaboration avec la société 3Shape™.
Le pilier Iphysio® est usiné en titane, revêtu d'une couche d'oxyde de zirconium. Il se décline en quatre dimensions ou formes :
- A, indiqué pour les incisives ;
- B, indiqué pour les prémolaires et certaines incisives centrales ;
- C, indiqué pour les molaires.
Une forme D est maintenant aussi disponible pour les prémolaires, prenant en compte la spécificité anatomique de ces dents au niveau du collet.
Cependant, ces indications restent relatives et doivent être adaptées au cas par cas en fonction du volume disponible et de la taille des dents à remplacer.
Trois hauteurs transgingivales existent : 1, 2 et 4 mm.
Ce pilier est de forme parallélépipédique, avec la face vestibulaire plus large que la face palatine ou linguale. Cette morphologie va permettre de transformer la section ronde de l'implant à son col en une émergence gingivale compatible avec la dent à restaurer.
Le pilier Iphysio® a un triple rôle (fig. 3) :
- 1. Pilier de cicatrisation : il sera idéalement mis en place le jour de la pose de l'implant et guidera, par sa morphologie adaptée à la dent, à reconstruire la cicatrisation des tissus mous pendant toute la phase d'ostéo-intégration et de cicatrisation muqueuse. Il pourra également être mis en place lors d'un deuxième temps chirurgical (fig. 4 à 6). Le choix du pilier Iphysio® en taille et en hauteur est particulièrement important. Le choix se fera en fonction de la dent à remplacer, mais aussi de l'espace disponible. Si l'on veut espérer une certaine compression basale propice au retour des papilles, il faudra également adapter le niveau d'enfoncement muqueux. Celui-ci devra être au moins de la moitié de la hauteur du pilier Iphysio® afin de former correctement le berceau gingival (fig. 7 et 8).
- 2. Support de dent prothétique transitoire grâce à un pilier temporaire en peek qui se clipse dans l'orifice de vissage de l'Iphysio® sur l'implant. Ainsi, la prothèse provisoire sera fixée sans utilisation d'un ciment d'assemblage, qui peut toujours contaminer le sulcus péri-implantaire. En outre, elle sera aisément démontable pour subir les modifications qui se révéleront nécessaires pendant toute la phase de cicatrisation.
- 3. À la fin de la maturation gingivale, le pilier Iphysio® sera utilisé comme corps de scannage sans avoir à être, à aucun moment, désolidarisé de l'implant. Ce dernier aspect répond aux études qui tendent à montrer que les dévissages des vis de cicatrisation ou des prothèses de temporisation, lors des différentes phases du traitement (modifications de la dent transitoire, empreinte, essayage...), seraient nocifs à la néo-attache péri-implantaire [].
À l'heure actuelle, le système Iphisio® peut être utilisé sur divers implants juxta-osseux. Dans notre expérience, il s'agit des implants Naturactis® d'ETK™. Lors de la chirurgie, il convient de placer un des pans de l'hexagone d'indexation parallèlement à la corticale vestibulaire (fig. 9). Ainsi, on utilisera au mieux la morphologie spécifique de l'Iphysio® dans la formation d'un sulcus physiologique (fig. 1).
- Étape 1 : l'implant et le pilier Iphysio® sont mis en place. Une mise en esthétique peut être réalisée à cette étape.
- Étape 2 : après deux à trois mois d'ostéo-intégration et de cicatrisation muqueuse, une empreinte optique permet de transmettre les données cliniques au laboratoire de prothèse (fig. 10). Celle-ci ne demande pas d'enregistrement du profil d'émergence, le scan oral se fait directement sur les piliers sans aucun démontage. En effet, la partie sous-gingivale correspond aux cotes du pilier Iphysio®. Celles-ci sont intégrées au logiciel de modélisation et seront ainsi reproduites à l'identique lors de la réalisation de la prothèse (fig. 11 et 12). La situation clinique devient alors identique à une prise d'empreinte optique sur préparation dentaire. Le temps de réalisation de l'empreinte s'en trouve sensiblement réduit.
- Étape 3 : réception et pose de la prothèse réalisée après modélisation et usinage.
Ce protocole, qui peut paraître extrêmement compact, donne d'excellents résultats en secteur cuspidé. En effet, la modélisation de la couronne puis l'usinage du bloc de céramique vont respecter exactement le volume défini par le pilier Iphysio®, avec comme conséquence une mise en place de la prothèse sans compression dans le berceau gingival nouvellement créé. De plus, la modélisation par CFAO permet d'obtenir plus facilement des morphologies occlusales, qui s'intègrent au mieux dans l'occlusion du patient.
Au niveau du bloc incisivo-canin, ce système facilite la mise en esthétique immédiate lorsque celle-ci est indiquée. La prothèse transitoire, qui sera clipsée sur le pilier Iphysio®, pourra être réalisée à partir d'une dent du commerce, d'un moule en polycarbonate de type « Ion », ou encore usinée en résine ou en composite à la suite d'une empreinte optique (fig. 13 à 17). Cependant, si la jonction dent transitoire/Iphysio®, par l'intermédiaire du pilier en peek, facilite le démontage pour d'éventuelles modifications, elle autorise avec le temps des petits mouvements de la couronne, qui peuvent être mal perçus par le patient.
Le principal reproche que l'on peut faire aux couronnes usinées en secteur esthétique est le manque de caractérisation. Cet inconvénient peut être contourné grâce à la technique par soustraction dite « cut back ». Une fois la couronne usinée, le prothésiste va découper certaines parties occlusales ou vestibulaires de céramique, qui seront ensuite stratifiées pour parfaire l'intégration esthétique.
Pour illustrer la discussion, nous commencerons par présenter la synthèse d'une étude pilote, visant à évaluer la pertinence du protocole Iphysio®, qui a été conduite dans le cadre d'une thèse d'exercice à l'UFR d'odontologie de Clermont-Ferrand. Les critères d'évaluation font appel au Pink Esthétique Score (PES), proposé par Fürhauser et al. [], qui permet d'évaluer la qualité des tissus mous para-prothétiques, auquel a été associé le White Esthétique Score (WES), élaboré par Belser et al. []. Bien que présentant certains inconvénients, qui seront évoqués plus loin, ces deux indices sont les plus fréquemment utilisés dans les publications pour évaluer l'impact esthétique d'une restauration fixe []. À ces deux indices, nous avons adjoint une échelle visuelle analogique, afin de connaître l'avis des patients. L'évaluation du PES et du WES est effectuée à partir de photos prises entre 3 et 6 mois après la pose des restaurations unitaires en secteur esthétique de première prémolaire à première prémolaire. L'évaluation a été réalisée par deux enseignants de prothèse et par un étudiant de dernière année. Les résultats sont constitués par la moyenne de ces trois évaluations. Dans cette étude pilote, nous avons pu inclure 15 restaurations unitaires sur 10 patients. Cette étude tend à montrer l'obtention de résultats satisfaisants, aussi bien d'un point de vue objectif (PES/WES) que d'un point de vue subjectif (satisfaction des patients). En effet, 10 restaurations sur 15 obtiennent une note supérieure à 10 au PES, seuil au-delà duquel le résultat au niveau des tissus mous est qualifié d'acceptable. De plus, 13 restaurations sur 15 obtiennent une note supérieure à 6 au WES, seuil d'acceptabilité de la prothèse. D'un point de vue subjectif, les patients ont également montré leur satisfaction avec une note moyenne de 9,2/10. Les résultats du PES/WES ainsi que de l'échelle visuelle analogique sont tous très satisfaisants, aussi bien pour les praticiens que pour les patients. Ces résultats sont en accord avec plusieurs études qui montrent une corrélation statistiquement significative sur la perception d'une couronne implanto-portée antérieure entre patients et praticiens[, ]. Cependant, les résultats obtenus sur l'échelle visuelle analogique sont plus élevés que ceux du PES/WES, soulignant, la plupart du temps, une différence d'exigence entre le patient et le praticien, ou plutôt un regard différent sur la restauration, le praticien et le patient n'ayant pas forcément les mêmes critères d'évaluation.
À ce stade de la discussion, il convient de revenir sur le PES. Cet indicateur de la qualité esthétique et biologique des tissus péri-dentaires ou péri-implantaires n'est peut-être pas adapté à toutes les études visant à évaluer l'intégration esthétique d'une restauration unitaire. En effet, la présence ou non des papilles interdentaires est un élément important de cet indice. Cependant, les bouches où doivent s'intégrer les restaurations ne sont pas toujours parfaites. L'intégration esthétique doit se faire dans le cadre donné par le vécu dentaire du patient, notamment parodontal. Ainsi, une restauration mise en place chez un patient ou une patiente présentant un écrêtement des papilles interdentaires obtiendra une mauvaise note, bien qu'elle soit parfaitement intégrée. Il serait donc souhaitable d'adapter cet indice en valorisant l'intégration dans le sourire tel qu'il est, le but final étant un artifice prothétique le plus naturel et le plus discret possible. À cet effet, la présence ou l'absence de papille devrait être cotée en fonction du contexte parodontal.
En outre, dans cette étude, les cas n'ont pas été sélectionnés en fonction des critères de positionnement tridimensionnel de l'implant ou d'éventuel défaut osseux au niveau du site d'implantation. Cela peut expliquer la plupart des résultats pour les prothèses n'ayant pas atteint le seuil d'acceptabilité.
Cependant, lorsque des conditions anatomiques et chirurgicales favorables sont réunies, le « Profile Designer » Iphysio® répond bien aux exigences esthétiques et biologiques des restaurations implanto-prothétiques. En effet, La cicatrisation muqueuse est optimisée grâce aux différentes formes anatomiques proposées, et le protocole entre la pose de l'implant et la réalisation de la couronne définitive s'en trouve simplifié. Une fois le « Profile Designer » mis en place, il n'y a plus d'intervention à son niveau jusqu'à la pose de la couronne définitive, limitant ainsi le risque de contamination de l'espace biologique du site implantaire. Cet aspect du protocole peut potentiellement diminuer les risques de péri-implantites. En effet, les tissus mous péri-implantaires sont des tissus cicatriciels qui présentent certains caractères spécifiques par rapport aux tissus mous péri-dentaires. À savoir : un espace biologique plus important, un tissu conjonctif pauvre en fibroblastes et riche en fibres de collagènes, cheminant parallèlement à la surface de l'implant, et une vascularisation moins importante []. Il en résulte un impact mécanique ainsi que biologique. L'espace biologique différant quelque peu, il apparaît moins résistant que celui de la dent naturelle, et c'est pourquoi il semble essentiel de ne pas négliger ce paramètre et d'éviter tout risque de contamination supplémentaire.
La promesse de fidélité de reproduction et de transfert du profil d'émergence de la réhabilitation implanto-prothétique grâce à l'Iphysio® et l'empreinte optique semble donc largement atteinte. Elle permet la conception d'une prothèse biologiquement et esthétiquement acceptable. Cependant, il est admis en secteur esthétique [] « qu'une prothèse provisoire correctement ajustée est la meilleure approche pour sculpter les tissus mous péri-implantaires ». Avec ce nouveau concept de préparation du profil d'émergence implantaire, cette assertion n'est plus aussi vraie. Dans les secteurs esthétiques, la mise en place, au cours de la temporisation, d'une prothèse transitoire demeure obligatoire mais plus tout à fait pour les mêmes raisons. Et si finalement l'Iphysio® remplissait désormais le rôle de la prothèse transitoire au niveau de la formation des tissus mous péri-implantaires ? Si besoin en était, le berceau gingival formé au niveau des molaires et prémolaires en serait la démonstration. La CFAO, par sa standardisation, devrait permettre un contrôle des coûts de production, tout en donnant des résultats satisfaisant dans un grand nombre de cas. Cependant, en fonction de l'exigence des patients ou des praticiens, le traitement des empreintes optiques, qui ne sont qu'un moyen de réaliser des empreintes intrabuccales, pourra se faire de façon classique, c'est-à-dire par réalisation d'une chape (CFAO zircone) qui sera stratifiée, tout en gardant les avantages de l'Iphysio® dans la transmission des données cliniques au laboratoire de prothèse.
Jean-Luc Veyrune
PU-PH
Centre de recherche en odontologie clinique
UFR d'odontologie
Unité fonctionnelle d'implantologie orale
Clermont-Ferrand
Pascal Auroy
PU-PH
Laboratoire de recherche clinique en prothèse odontologique
UFR d'odontologie
Unité fonctionnelle d'implantologie orale
Clermont-Ferrand
Cyril Travers
Prothésiste dentaire
CHU de Clermond-Ferrand