Implant n° 2 du 01/05/2019

 

chirurgie implantaire

A. Azogui  

Les logiciels de planifications implantaires se démocratisent et deviennent accessibles pour les praticiens, à l'image du logiciel BlueskyPlan® disponible en libre téléchargement. Ces logiciels ne sont pas très intuitifs lors de la prise en main mais présentent une modularité intéressante qui, couplée avec des logiciels de conceptions 3D, augmente les champs d'applications pour l'utilisateur qui prend le temps d'apprivoiser ces nouveaux outils. Voici un exemple clinique à travers...


Les logiciels de planifications implantaires se démocratisent et deviennent accessibles pour les praticiens, à l'image du logiciel BlueskyPlan® disponible en libre téléchargement. Ces logiciels ne sont pas très intuitifs lors de la prise en main mais présentent une modularité intéressante qui, couplée avec des logiciels de conceptions 3D, augmente les champs d'applications pour l'utilisateur qui prend le temps d'apprivoiser ces nouveaux outils. Voici un exemple clinique à travers un guide de réduction osseuse et de pose d'implant, conçu et fabriqué en interne dans le service d'Odontologie de la Pitié-Salpêtrière.

PRÉSENTATION DE LA SITUATION CLINIQUE

Une patiente de 73 ans présentant un édentement total réhabilité par des prothèses amovibles complètes est reçue en consultation [fig. 1 à 3]. Les doléances de la patiente concernent l'instabilité de la prothèse mandibulaire qui entraîne une gêne fonctionnelle à la mastication et à la phonation.

L'analyse faciale et prothétique révèle une bascule du plan d'occlusion prothétique et des courbes d'occlusion non conformes au schéma d'occlusion généralement équilibrée.

L'analyse des prothèses montre une morphologie des bases prothétiques inadaptée à l'anatomie de la crête édentée et des muscles péribuccaux, entraînant des blessures au niveau de la muqueuse.

L'analyse intra-buccale met en évidence une crête maxillaire large avec un palais relativement plat, très favorable à la rétention de la prothèse complète maxillaire.

Au contraire, la crête mandibulaire présente une morphologie très défavorable à la rétention de la prothèse complète, notamment en raison d'une absence de relief dans les secteurs postérieurs.

L'examen panoramique [fig. 4] confirme la résorption osseuse des secteurs postérieurs avec un trajet du nerf alvéolaire inférieur très proche du sommet de la crête osseuse mandibulaire.

Le plan de traitement prothétique consiste en la réalisation d'une nouvelle prothèse amovible complète au maxillaire et d'une prothèse amovible complète stabilisée sur implants à la mandibule (PACSI)[1]. Le nouveau jeu de prothèse est réalisé avant toute préparation implantaire dans le but d'orienter le positionnement implantaire en fonction des critères esthétiques et fonctionnels [fig. 5].

Plusieurs phases composent la réalisation de ce cas clinique :

• la phase d'acquisition de données ;

• la phase de traitement des données numériques ;

• la phase de production des guides chirurgicaux ;

• la phase chirurgicale ;

• la phase prothétique.

Acquisition et réflexion

Après réfection des prothèses complètes [fig. 5], la prothèse mandibulaire est armée de marqueurs radio-opaques réalisés ici avec du composite fluide. Ces plots sont répartis sur l'extrados prothétique du côté vestibulaire et du côté lingual, sans interférer avec l'occlusion [fig. 6].

Une empreinte optique de l'extrados prothétique est réalisée pour enregistrer les reliefs des dents et des marqueurs radio-opaques [fig. 6].

Une acquisition CBCT est pratiquée prothèses en place, en occlusion, afin de stabiliser la mandibule le temps de l'acquisition [fig. 7].

Cet examen permet de confronter les éléments anatomiques et le projet prothétique dans les trois dimensions de l'espace et de poser un diagnostic fin de la situation clinique [fig. 8 et 9].

La crête osseuse symphysaire visualisée est une crête en lame de couteau (classe IV de Cawood et Howell) pas assez large pour placer un implant dans un environnement osseux favorable [fig. 10].

L'option thérapeutique de l'augmentation osseuse, associée ou non à la pose d'implant, n'est pas une indication pertinente dans cette situation. En effet, l'espace prothétique entre le sommet de la crête et le bord libre des incisives mandibulaires est insuffisant pour accueillir un attachement et sa partie femelle.

La réduction verticale de la crête osseuse associée à une pose d'implants plus apicale présente l'avantage de ne réaliser qu'une seule intervention au niveau osseux, de réduire le temps de traitement et de pouvoir positionner des implants dans un os natif en laissant une bonne hauteur prothétique pour les attachements.

Plusieurs problématiques entrent en ligne de compte pour aboutir au plan de traitement de réduction osseuse guidée.

Réduction osseuse guidée par le projet prothétique

Le positionnement de l'incisive maxillaire ainsi que l'orientation du plan d'occlusion et des courbes fonctionnelles déterminent le positionnement des bords libres du bloc antérieur mandibulaire [fig. 5]. De ce fait, la position verticale de l'implant est définie par l'espace prothétique nécessaire en site de 33 et 43 et par la largeur disponible au niveau de la crête osseuse [fig. 11].

Optimisation du transfert de la planification dans la bouche du patient

Le positionnement d'un implant dans une crête en lame de couteau présente un risque de déviation au moment de l'ostéotomie par un mauvais contrôle du foret. Ce problème est également rencontré en chirurgie guidée, notamment à cause des tolérances mécaniques entre le foret et le tube de guidage, mais aussi à cause d'une légère déformation du guide en lui-même sous la contrainte du foret lorsque celui-ci doit lutter contre une corticale[2].

Il est donc décidé de procéder, dans un premier temps, à une réduction osseuse permettant de rendre la crête perpendiculaire à l'axe de forage puis, dans un deuxième temps, à la pose de l'implant en chirurgie guidée.

L'accès à l'os alvéolaire par un lambeau de pleine épaisseur est un pré-requis pour la réduction crestale, il est donc nécessaire de réaliser un appui osseux pour stabiliser le guide chirurgical après élévation du lambeau. De plus, il est décidé de concevoir un guide de pose d'implants venant s'ajuster sur le guide de coupe et non sur la crête osseuse réséquée, pour éviter une imprécision de positionnement du guide de forage sur un os réduit[].

Les deux guides seront fixés directement à l'os à l'aide de vis d'ostéosynthèses.

Traitement des données numériques

Après avoir établi le « cahier des charges » de notre guide, nous avons procédé à la réalisation numérique du projet implantaire.

La première étape a été l'importation du fichier DICOM au sein du logiciel BlueskyPlan® et la réalisation de la fusion du fichier STL de l'extrados de la prothèse. Cette étape est réalisée grâce à l'outil « alignement par points », en faisant correspondre le relief des plots présent sur le fichier STL aux marqueurs présents sur le rendu 3D du DICOM.

S'ensuit la segmentation de la mandibule avec l'outil « fragmentation avancée de la mâchoire » où nous déterminons précisément le contour du tissu osseux visible sur les différentes coupes. Nous obtenons un fichier STL du volume osseux qui nous servira de surface d'appui du guide chirurgical [fig. 12 à 14].

S'ensuit la planification implantaire : 2 implants Zimmer® TSV 3,7/10 sont positionnés en site de 33 et 43. On note que le montage prothétique ne contient que 3 incisives, ce qui rapproche légèrement les implants de la médiane. L'axe et le positionnement vertical sont fonction du projet prothétique et de l'anatomie, à savoir une parallélisation des implants et un enfouissement garantissant 1,5 mm d'os en vestibulaire et lingual.

Conception du guide de coupe

Nous avons ensuite positionné virtuellement les vis d'ostéosynthèse qui permettront de fixer le guide à l'os alvéolaire ; celles-ci ne doivent pas entrer en interférence avec le trait de coupe et avec le trajet des implants. Ici, ce sont des vis d'ostéosynthèse de longueur 12 mm et de diamètre 1,5 mm qui sont planifiées pour garantir une accroche suffisante à la stabilisation du guide [fig. 15].

Dans le panneau « guide chirurgical », nous avons tracé une courbe sur la mandibule qui englobait les cylindres de guidage mais qui contournait les foramina mentonniers en distal [fig. 15]. Cela crée une gouttière d'une épaisseur de 3 mm qu'il faudra alors couper au niveau du col des implants pour obtenir un guide de réduction. Pour cela, nous avons orienté la mandibule dans une vue de face et mis en transparence la gouttière et la mandibule afin de visualiser les implants [fig. 16 et 17].

Avec l'outil « coupe », une ouverture précise de la gouttière est réalisée juste au-dessus du niveau des implants. Il est important à cette étape de conserver une épaisseur minimale de 3 mm par rapport au bord périphérique de la gouttière et par rapport au cylindre de guidage des vis d'ostéosynthèse pour ne pas fragiliser le guide.

Le logiciel Autodesk Meshmixer® est utilisé pour refermer le maillage du fichier STL du guide de coupe et de la mandibule et nous avons créé une nouvelle surface qui a fusionné la mandibule coupée et le guide de coupe [fig. 18].

Modélisation du guide implantaire

La surface précédente a servi de surface de modélisation pour le guide de pose d'implant qui viendra s'appuyer sur le guide de réduction [fig. 19]. Ce guide contient les tubes de guidage pour la pose d'implant et le logement de la vis d'ostéosynthèse qui permettra la fixation de celui-ci à l'os.

Le paramétrage des tubes de guidage est une étape importante car ils doivent être adaptés au système de chirurgie guidée employé. Ici, nous avons utilisé le système de chirurgie guidée Zimmer TSV et nous avons étalonné le diamètre dans le logiciel pour que la cuillère puisse se positionner dans le guide avec une légère friction (diamètre du trou de guidage : 5,45 mm – hauteur de la douille : 4 mm – décalage : 8 mm). Tous les éléments ont été exportés en fichiers STL pour pouvoir être imprimés.

Production

Les guides sont imprimés avec l'imprimante 3D Formlabs® en résine Dental SG® et la mandibule est également imprimée pour vérifier en amont de la chirurgie le bon ajustage des guides l'un par rapport à l'autre [fig. 20 à 24].

Phase chirurgicale

Après préparation de la patiente, une anesthésie locale est pratiquée. Une incision crestale de canine à canine est réalisée, centrée par rapport à la gencive attachée, puis cette incision est déportée en lingual dans son prolongement distal pour s'arrêter en site de première molaire. Cette incision est suivie d'une incision médiane vestibulaire afin de faciliter le décollement de pleine épaisseur. Un décollement soigneux est nécessaire pour éliminer l'intégralité du périoste qui pourrait interférer avec le positionnement du guide. Un décollement de mésial en distal est réalisé suivi d'un décollement apical en dessous des foramina qui a permis de libérer les nerfs mentonniers et d'augmenter le champ de vision. Un point est réalisé pour maintenir le lambeau lingual [fig. 25].

Après nettoyage de la crête osseuse, le guide de réduction est mis en place et fixé à l'aide de 2 vis d'ostéosynthèse Straumann® de 1,5 par 12 mm après sous-forage à 1 mm de diamètre et mise en compression légère [fig. 26].

La réduction est effectuée en suivant le contour du guide de réduction à l'aide d'un disque diamanté sur contre-angle et terminée à l'aide d'une fraise résine sur pièce à main [fig. 27 à 30].

Le guide de pose d'implant est mis en position sur les bords du guide de réduction osseuse, et la fixation de celui-ci est réalisée à l'aide d'une vis d'ostéosynthèse verticale prévue dans le guide [fig. 31].

L'ostéotomie est réalisée grâce au système de chirurgie guidée ZimmerBiomet® qui est composé de cuillères et de forets guidés. La cuillère est ici directement positionnée dans le guide en résine car l'utilisation de douille métallique entraîne un jeu mécanique supplémentaire qui peut être évité si le diamètre du cylindre de guidage du guide est bien calibré au diamètre externe de la cuillère dans le logiciel de conception[4].

Ici ce sont les cuillères Zimmer Size B qui sont utilisées avec les forets guidés de 19 mm de longueur, avec une séquence de forage classique pour une densité osseuse de type D2 [fig. 32].

La pose des implants est réalisée à travers le guide mais le guidage est purement visuel car le porte-implant n'était pas en contact avec le guide chirurgical [fig. 33]. Cette procédure permet de conserver un repère visuel de l'axe pendant la pose des implants et de limiter le risque de déviation [fig. 34 et 35].

Phase prothétique

Les implants sont enfouis et la prothèse amovible de la patiente est re-basée avec une résine à prise retardée (Fitt de Kerr®). La mise en fonction est réalisée 2 mois après l'intervention avec des incisions a minima afin de répartir et de conserver un maximum de gencive attachée autour des implants [fig. 36 et 37]. Le choix des attachements Locator® est fonction de la hauteur trans-gingivale et ils sont assemblés de manière semi-directe grâce à une empreinte emportée des boîtiers Locator® et des surfaces de sustentation. Cette empreinte est réalisée en occlusion avec la prothèse en utilisant un polyéther [fig. 38].

L'assemblage des boîtiers est réalisé au laboratoire pour profiter de la cuisson de la résine. La pose de la prothèse a nécessité un léger réglage occlusal et les gaines de laboratoires de couleur noire sont laissées dans les boîtiers car elles présentaient une rétention suffisante pour le confort de la patiente [fig. 39 à 41].

DISCUSSION

Sur l'indication

Poser un implant à main levée chez un édenté complet présente une certaine difficulté en l'absence de repères dentaires. Les études sur la précision de la chirurgie guidée ont montré que c'est dans les situations d'endentement complet qu'il y a le plus de déviation. Les études semblent montrer également de meilleurs résultats avec des guides à appuis muqueux en comparaison aux guides à appuis osseux[5]. Cependant, il nous semble important de préciser que les guides à appuis muqueux sont réservés à des indications très limitées, pour des cas de crêtes osseuses larges, avec du relief, et une bonne quantité de gencive attachée. Ce qui laisse encore beaucoup d'indications pour les guides à appuis osseux.

La réduction osseuse guidée, bien que nécessitant un lambeau assez large, nous semble être une chirurgie minimalement invasive. En effet, cette technique permet de retirer uniquement la quantité nécessaire et suffisante de tissus osseux et elle garantit un positionnement reproductible des implants dans une situation complexe à gérer à main levée.

Sur la préparation du cas

Les sources d'imprécision en chirurgie guidée sont présentes à chaque étape de la chaîne numérique, l'apparition des logiciels ouverts a permis au praticien de maîtriser de nombreux paramètres, ce qui demande des connaissances spécifiques pour éviter les erreurs. Dans ce cas, une des clés importantes lors de la conception est la segmentation de la mandibule. On comprend alors que la surface d'appui du guide n'est pas issue d'une empreinte mais qu'elle est une surface complètement virtuelle issue du traitement numérique des données de l'imagerie. Une acquisition de qualité est donc une condition sine qua non de la précision globale de cette technique.

Le flux de travail pour la conception de cas de chirurgie guidée avancée est encore trop chronophage, et cela reste un frein important à leur réalisation. Cependant, le fait que ces logiciels soient accessibles au plus grand nombre d'utilisateurs permet de créer une communauté qui partage sans cesse de nouvelles applications.

Sur la chirurgie

La chirurgie guidée n'est pas un moyen de se substituer aux compétences de chirurgie conventionnelle, bien au contraire. Comme l'illustre ce cas clinique, la qualité de la manipulation des tissus mous et des tissus durs conditionne la précision de la chirurgie même si celle-ci est guidée. En effet, un trajet d'incision approximatif et un mauvais décollement entraîneront une mauvaise adaptation du guide.

CONCLUSION

La réduction osseuse guidée réalisée en autonomie présente certains avantages comme le coût et la modularité, mais cette technique demande beaucoup de temps de préparation et des compétences qui sortent du champ habituel du chirurgien-dentiste. À l'heure actuelle, aucune étude ne valide les protocoles de chirurgies guidées in office. Ces techniques restent à utiliser avec une extrême prudence et une très bonne connaissance du matériel et des procédés de réalisation[6].

Remerciements

Dr Michael Samama, co-Directeur du DIU de réhabilitation orale implantaire, qui a encadré la chirurgie dans le service de stomatologie et chirurgie maxillo-faciale du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière.

Drs Benjamin Pomes, Rafael Toledo, Dov Derman, Pierre Fabregat, Hélène Citterio, Alice Guyon et Pr Géraldine Lescailles pour leur engagement dans l'équipe enseignante du service d'odontologie du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière.

Auteur

Axel Azogui

Chirurgien-Dentiste

Exercice libéral, Paris (75)

Bibliographie

  • 1. The McGill Consensus Statement on Overdentures. Mandibular two-implant overdentures as first choice standard of care for edentulous patients. Gerodontology 2002;19:3-4.
  • 2. Alzoubi F, Massoomi N, Nattestad A. Bone reduction to facilitate immediate implant placement and loading using CAD/CAM surgical guides for patients with terminal dentition. J Oral Implantol 2016;42:406-410.
  • 3. Tardieu PB, Rosenfeld A, éditeurs. The art of computer-guided implantology. Chicago : Quintessence Pub, 2009 : xiii+230.
  • 4. Schneider D, Schober F, Grohmann P, Hammerle CHF, Jung RE. In vitro evaluation of the tolerance of surgical instruments in templates for computer-assisted guided implantology produced by 3-D printing. Clinical Oral Implants Res 2015;26:320-325.
  • 5. Bover-Ramos F, Viña-Almunia J, Cervera-Ballester J, Peñarrocha-Diago M, García-Mira B. Accuracy of implant placement with computer-guided surgery: a systematic review and meta-analysis comparing cadaver, clinical, and in vitro studies. Int J Oral Maxillofac Implants 2018;33:101-115.
  • 6. Deeb GR, Allen RK, Hall VP, Whitley D, Laskin DM, Bencharit S. How accurate are implant surgical guides produced with desktop stereolithographic 3-dimentional printers? J Oral Maxillofac Surg 2017;75:2559.e1-2559.e8.