Prothèse implantaire
P. Auroy J.-L. Veyrune C. Travers
L'amélioration des moyens prothétiques ou chirurgicaux anticipe l'accroissement des exigences esthétiques légitimes de nos patients. Dans les secteurs antérieurs, il justifie la mise en œuvre de techniques permettant de reproduire non seulement les tissus minéralisés (émail, dentine), mais aussi leur émergence naturelle et la forme des tissus mous.
Sans pouvoir corriger les erreurs de position implantaire et les défauts tissulaires osseux ou muqueux, la mise en forme des...
Résumé
La mise en forme prothétique et la stabilité du berceau gingival des reconstructions unitaires antérieures sur implant est un pré-requis incontournable à l'obtention de rendu esthétique naturel et pérenne.
Quelques techniques ont été décrites sans jamais entrer dans le détail des protocoles cliniques. Nous avons donc compilé, précisé, et modifié les travaux de nos prédécesseurs afin de codifier une procédure clinique : la compression basale.
La compression basale permet aux praticiens de conduire grâce à la prothèse transitoire la mise en forme sur mesure des tissus mous péris implantaire. Nous présentons ici les principes généraux, la mise en œuvre détaillée, ainsi que la discussion des avantages et des inconvénients de cette technique.
L'amélioration des moyens prothétiques ou chirurgicaux anticipe l'accroissement des exigences esthétiques légitimes de nos patients. Dans les secteurs antérieurs, il justifie la mise en œuvre de techniques permettant de reproduire non seulement les tissus minéralisés (émail, dentine), mais aussi leur émergence naturelle et la forme des tissus mous.
Sans pouvoir corriger les erreurs de position implantaire et les défauts tissulaires osseux ou muqueux, la mise en forme des tissus mous péri-implantaires est sous la responsabilité finale du praticien prothésiste. Il lui incombe, en effet, d'organiser avec la prothèse de transition l'optimisation du modelé gingival, du profil d'émergence et du volume coronaire afin de reproduire l'aspect naturel.
Particulièrement délicates dans les secteurs antérieurs esthétiques, l'organisation, la mise en forme et la stabilité du berceau gingival sont une gageure pour les dents unitaires ; c'est ce que nous allons envisager au travers de la description de la technique de compression dynamique décrite par Wittneben et al. en 2013 [] que nous avons modifiée, codifiée et renommée « la compression basale ».
Quel que soit le biotype gingival, la muqueuse péri-implantaire se caractérise par une disposition particulière des fibres collagènes et de l'attache épithéliale. Les premières sont orientées parallèlement au grand axe du pilier, et la seconde est limitée à la région apicale du berceau gingival []. Les fibres collagènes du péri-implant ne peuvent donc pas s'attacher fortement aux surfaces prothétiques []. Cela prédispose la muqueuse péri-implantaire à ne pas s'étendre au-delà de 5 mm de son support osseux [, ], et à être tributaire du support structurel du pilier et de la prothèse sans lesquels elle ne peut recréer les volumes simulant l'architecture gingivale environnante, et s'effondre rapidement dès que ce support est retiré.
Ainsi, la mise en forme gingivale prothétique ne pourra aboutir que si les structures prothétiques assurent un support structurel efficient aux tissus mous, et que les objectifs d'extension maximale des papilles ou du rebord sulculaire n'excèdent pas ces limites naturelles.
La situation horizontale de l'émergence de l'implant est donc déterminante dans la possibilité d'un rendu esthétique satisfaisant (fig. 1). Verticalement, le niveau d'enfouissement de l'implant est tout aussi important car il permet la mise en place d'un profil intrasulculaire biocompatible et d'une épaisseur de gencive vestibulaire suffisante pour ne pas laisser voir en transparence les infrastructures implanto-prothétiques (fig. 2). L'orientation de l'axe de l'implant doit aussi permettre de placer l'accès à la vis implantaire suffisamment en retrait sur la face palatine ou linguale pour faciliter les déposes et remontages successifs de la prothèse transitoire unitaire vissée [] (fig. 3).
L'objectif de la mise en forme gingivale prothétique est de recréer les déterminants de l'esthétique dans le secteur antérieur (fig. 4), c'est-à-dire une papille suffisamment large et haute qui comble l'espace proximal jusqu'au point de contact, ou qui atteint au moins le niveau des papilles des dents naturelles adjacentes, une position stable du zénith gingival [], un profil d'émergence précis et régulier, un point de contact proximal avec la dent ou la prothèse voisine [].
On ne pourra satisfaire ces objectifs que si l'on parvient à transformer la forme circulaire initiale du cratère gingival modelée par le pilier de cicatrisation habituel, en berceau gingival grossièrement triangulaire qui correspond à la section au collet des dents naturelles antérieures [] (fig. 5).
L'outil et le vecteur de cette transformation est la dent provisoire en résine, qu'il faudrait mieux appeler transitoire tant son rôle est déterminant. Elle sera fabriquée en polyméthyleméthacrylate thermo- ou autopolymérisable, car c'est le matériau de choix sur le plan biologique. En effet, les polyméthyleméthacrylates sont les résines acryliques qui stimulent le moins la production de cytokines pro-inflammatoires [].
Les dents transitoires vissées directement sur l'implant sont aisément déposées. Leur volume est facilement retravaillé au fauteuil par soustraction ou adjonction ponctuelle de polyméthyleméthacrylate auto polymérisable sur toute l'étendue de leur surface et jusqu'à proximité de l'implant. Contrairement aux prothèses transitoires scellées, elles ne laissent pas de résidu de ciment provisoire. Elles leur sont donc avantageusement préférées [].
Bien que plusieurs méthodes aient été décrites pour fabriquer une dent transitoire permettant de conditionner les tissus mous afin d'obtenir le meilleur résultat esthétique possible [, , ], Il n'existe pas dans la littérature de technique scientifiquement validée pour mettre en forme les tissus mous avec des dents transitoires sur implant.
Nous utilisons la technique de compression basale issue de la technique de compression dynamique dans la zone esthétique, décrite par Wittneben, que nous avons légèrement modifiée mais surtout codifiée et précisée afin d'en améliorer la prédictibilité et la diffusion. Elle consiste à ajouter à la dent transitoire du matériau intrasulculaire dans la région cervicale mésiale et distale, pour comprimer la base des tissus mous proximaux et ainsi les pousser progressivement sous les points de contact ; nous l'avons donc renommée « compression basale » (fig. 6). Une fois les papilles recréées et ancrées aux points de contact, la réduction progressive des ajouts de résine intrasulculaire permettra de créer un profil du berceau gingival biologiquement compatible, sans régression du volume papillaire gagné.
Cette technique permet d'obtenir, en un à quatre mois, une mise en forme gingivale stable répondant aux objectifs esthétiques et biologiques, et permettant une hygiène péri-implantaire satisfaisante.
Une fois le deuxième temps chirurgical réalisé, l'accès à la connectique implantaire permet de fabriquer la prothèse transitoire vissée directement au fauteuil, ou indirectement au laboratoire suite à une empreinte.
Avant de procéder à la compression basale qui permettra de modeler les tissus mous, le volume coronaire de la dent transitoire doit être ajusté à celui des dents voisines (fig. 7 et 8). En effet, il faut parachever le rendu esthétique et disposer d'un volume initial fiable de la partie coronaire. Ce prérequis est important car il conditionne l'extension harmonieuse du volume coronaire dans la partie intrasulculaire. Il assure ainsi la cohérence et la continuité entre les volumes coronaires et intrasulculaires de la dent transitoire.
Les volumes coronaires sont corrigés sur toutes les faces, et les points de contact sont ajustés et situés sur la dent transitoire au même niveau que sur les dents naturelles adjacentes (fig. 9). Le simple dépôt de résine liquide à l'emplacement des points de contact directement en bouche sur la prothèse transitoire en place, ou bien sur la prothèse transitoire avant de la replacer, permet aisément de reconstruire le volume coronaire à proximité du point de contact et de bien visualiser sa position.
Lorsque les points de contact sont précisément placés, ils sont marqués au crayon pour bien les visualiser afin de les préserver. Puis de la résine liquide est disposée apicalement (fig. 10). Dans le volume ajouté, deux surfaces planes proximales convergentes de 10o environ en direction apicale et linguale sont créées, sans altérer les points de contact (fig. 11).
Les excès de résine et les angles sont alors supprimés. Enfin, les formes sont adoucies en préservant toujours les points de contact et l'orientation convergente des surfaces planes réalisées (fig. 12 et 13).
Toutes les surfaces sont polies soigneusement sans modifier les volumes prédéfinis. L'état de surface parfaitement lisse permet de réduire l'irritation mécanique du sulcus et de limiter l'adhésion bactérienne [, ]. Si les convergences ont été respectées, la mise en forme sulculaire en vue axiale est grossièrement triangulaire (fig. 14).
La prothèse transitoire peut alors être mise en place sur l'implant. Elle est vissée par étapes afin de permettre la déformation plastique progressive des tissus mous, tout en évitant les stimulations douloureuses (fig. 15). Le déplacement en direction occlusale de la muqueuse n'est pas toujours immédiatement visible (fig. 15 et 16). Mais le blanchiment ischémique qui signe la compression de la muqueuse est inévitable. Il disparaît normalement en quelques minutes (un quart d'heure au maximum). Cependant, il ne doit pas s'étendre au-delà de l'axe médian des dents adjacentes. La compression serait dans ce cas telle qu'une inflammation ou une nécrose pourraient survenir. Il faudrait alors immédiatement ajuster les volumes en conséquence.
Sans avoir d'explication satisfaisante, nous observons que la papille mésiale répond toujours mieux à la technique de compression basale. Quelle que soit la dent traitée, elle est toujours en avance sur la papille distale qui nécessite plus de temps et de travail pour un résultat identique. Parfois, il est même nécessaire de combler la concavité mésiale de la dent proximale distale, canine ou prémolaire, pour fermer durablement l'espace sous le point de contact (fig. 17).
Pour autant, il ne faudra pas fermer complètement cet espace car il faut permettre aux tissus comprimés à la base du berceau gingival de s'échapper vers le point de contact. Si cet espace est fermé, ils se déplaceront horizontalement, donnant une papille rebondie, courte, mais insuffisamment festonnée, biologiquement instable et esthétiquement inacceptable (fig. 17).
Huit ou seize jours après le début de la compression basale, une ou plusieurs séances de contrôle permettent d'évaluer les progrès et d'adapter le volume de la dent transitoire pour corriger et optimiser l'esthétique des tissus mous et la forme de la couronne.
Durant cette période, les évolutions seront avantageusement objectivées par la réalisation de photographies qui permettront de suivre rationnellement et de documenter la maturation gingivale et les progrès de l'intégration coronaire (fig. 18).
Selon le biotype gingival, les volumes à déplacer, les anomalies à corriger, les objectifs et leur stabilité sont plus ou moins longs à atteindre. Plus le biotype parodontal sera fibreux et épais et plus les déplacements seront lents et stables. Plus le biotype parodontal sera fin et festonné et plus les déplacements seront rapides mais potentiellement instables. C'est pourquoi il se passe, selon le cas, de un à trois mois avant d'atteindre la stabilité nécessaire pour engager la réduction progressive de la compression.
À ce stade, il faut alors revenir progressivement à une forme d'émergence plus naturelle, en retirant peu à peu une partie ou la totalité du volume proximal qui a provoqué la compression initiale. En vue vestibulaire, la dent doit perdre progressivement son aspect carré pour adopter un profil d'émergence fluide à la convexité moins marquée (fig. 19). Malgré le retrait des ajouts de résines qui ont provoqué la migration occlusale des papilles, celles-ci resteront ancrées sous le point de contact.
Le succès des réhabilitations implanto-prothétiques dans le secteur esthétique peut être compromis, malgré une complète ostéo-intégration des implants avec des éléments prothétiques parfaitement mimétiques, si l'architecture des tissus mous environnants n'a pas un aspect naturel.
Plusieurs méthodes ont été décrites pour mettre en forme les tissus gingivaux avec les prothèses transitoires [, , ]. Elles précisent toutes que la section de la prothèse implantaire doit passer de circulaire, au niveau de la connexion sur l'implant, à triangulaire, au niveau de son émergence gingivale [].
En l'absence de mise en forme gingivale prothétique, même si les paramètres anatomiques prédisposent la muqueuse papillaire à combler l'espace sous le point de contact [], il est rare qu'il en soit ainsi, même après de nombreuses années. Il subsiste alors une embrasure ouverte qui affecte l'esthétique du sourire et qui est perçu comme un échec par le patient et le praticien [].
La compression basale telle que nous la pratiquons conduit, dans la plupart des cas, à des papilles engagées durablement dans les embrasures jusqu'au point de contact. Encore faut-il que les implants soient bien placés et que la distance entre la crête osseuse et le point de contact soit inférieure à 5 mm []. Les résultats semblent donc prédictibles même si les études probantes font défaut.
Certains auteurs [] préconisent de retoucher in situ les volumes ayant initié la compression dynamique. C'est extrêmement délicat. Le risque de blesser les tissus marginaux, les difficultés du contrôle des volumes et de l'état de surface nous ont conduits à abandonner cette pratique (fig. 20). Nous déposons la prothèse transitoire chaque fois que nous avons besoin de corriger son volume. Le travail avec des fraises de gros diamètre sur pièce à main et avec un outil de préhension enserrant un analogue d'implant permet de maintenir la prothèse transitoire et de la modifier aisément. Une fois dégrossie, les volumes sont affinés avec des disques abrasifs souples sur contre angle. Puis la surface est polie avec de la ponce sur une brossette, et un produit lustrant sur des disques en feutre.
D'autres reprochent à cette technique les nombreuses déposes de la prothèse transitoire vissée, qui pourraient être autant d'agressions pour le péri-implant. Effectivement, nous observons parfois des traces d'épithélium adhérent à la résine en regard de traces d'arrachement dans le berceau gingival. Ces traces infimes, visibles uniquement à la loupe, trahissent une possibilité d'adhérence épithéliale à la surface du polyméthyleméthacrylate, à proximité du col implantaire. Elles trahissent aussi la rupture de cette adhérence lors des désinsertions de la prothèse transitoire vissée. Pour autant, nous n'avons pas observé de conséquences délétères à ce phénomène.
Le pendant de la mise en forme gingivale prothétique par la technique de compression basale est la définition précise du volume coronaire de la prothèse d'usage par la prothèse transitoire. Le travail sur la prothèse transitoire ne doit pas se borner à la mise en forme des tissus mous en ne formant que son volume intrasulculaire. Il doit aussi permettre l'élaboration d'une dent transitoire qui présente un volume coronaire parfait sur le plan esthétique et fonctionnel. Seule la caractérisation de la teinte ne sera pas élaborée au fauteuil. Elle le sera au laboratoire, lorsque la prothèse d'usage sera fabriquée en reproduisant scrupuleusement le volume de la prothèse transitoire.
La mise en œuvre de la compression basale exige, pour avoir des résultats stables, quatre séances réparties sur un mois, dans les cas les plus favorables, à huit séances réparties sur six mois pour les cas les plus difficiles. Des alternatives existent, sous la forme de piliers de cicatrisation plus ou moins sophistiqués, qui permettent une ébauche de mise en forme de berceau gingival dès le premier ou le second temps chirurgical. Le gain de temps peut être appréciable. Mais ces piliers restent standardisés et ne sont pas réalisés sur mesure. Ils ne peuvent donc pas être adaptés aux exigences particulières du site à mettre en forme. S'il est possible de les modifier par soustraction, il est difficile voire impossible de leur ajouter de la matière. La continuité avec la forme coronaire de la prothèse transitoire, lorsqu'elle est possible, n'est pas assurée et la gestion des points de contact est inconstante. La compression basale telle que nous l'avons codifiée n'est donc pas réalisable avec ces artifices.
Ils ne peuvent en outre pas préfigurer avec précision le volume complet de la prothèse d'usage et ne peuvent donc servir de modèle au laboratoire de prothèse. Ils peuvent cependant être utiles dans les cas favorables des secteurs antérieurs, lorsque les exigences esthétiques de la phase de temporisation sont faibles, ou dans les secteurs postérieurs.
La technique de compression basale permet au praticien prothésiste une mise en forme sur mesure des tissus mous péri-implantaires. Pour peu que l'implant soit correctement placé, en quelques séances, des papilles stables, une émergence esthétique, et des volumes coronaires adéquats peuvent être façonnés progressivement (fig. 21).
Une fois les objectifs esthétiques atteints, il ne restera plus qu'à transmettre au laboratoire de prothèse les éléments lui permettant de réaliser une prothèse d'usage qui soit l'exacte copie de la prothèse transitoire obtenue.
Pascal Auroy
PU-PH
Laboratoire de recherche clinique en prothèse odontologique
UFR d'odontologie
Unité fonctionnelle d'implantologie orale
Clermont-Ferrand
Jean-Luc Veyrune
PU-PH
Centre de recherche en odontologie clinique
UFR d'odontologie
Unité fonctionnelle d'implantologie orale
Clermont-Ferrand
Cyril Travers
Prothésiste dentaire
CHU de Clermond-Ferrand