Chirurgie implantaire
L'EI est une pathologie rare (1500 cas par an en France) mais grevée d'une forte mortalité : 20 % à la phase aiguë et 40 % à 5 ans. Elle résulte de la colonisation et de la prolifération d'un micro-organisme (souvent une bactérie) sur les valves cardiaques, avec développement de lésions prolifératives, les végétations, à l'origine de complications hémodynamiques (insuffisance cardiaque), emboliques (migrations des...
Résumé
La prise en charge des patients à haut risque d'endocardite infectieuse (EI) représente souvent une appréhension pour les chirurgiens-dentistes. La gravité de cette maladie, sa possible origine buccale, la contrainte des soins dentaires autorisés et les traitements qu'elle implique (anti-vitamines K – AVK – au long cours) sont les raisons qui expliquent cette difficulté de prise en charge. Les recommandations de l'EI ont été revues en Europe et aux États-Unis avec une diminution nette de ses indications de prophylaxie. L'antibioprophylaxie reste à ce jour uniquement recommandée en cas de soins dentaires invasifs chez les patients à haut risque d'EI.
Si la liste des actes dentaires invasifs (induisant une bactériémie) n'a pas été révisée depuis 2002, les recommandations européennes de 2015 ont ouvert la possibilité de mise en place d'implants dentaires en stipulant « qu'il n'y a plus de raison de contre-indiquer la mise en place d'implants chez les patients à haut risque d'EI ». En revanche, cette pratique n'a été ni encadrée ni détaillée dans cette population spécifique à risque infectieux majoré. C'est le but de ce groupe de travail que de proposer une démarche raisonnée de cette option thérapeutique chez ces patients souvent partiellement édentés, en demande de soins bucco-dentaires.
L'EI est une pathologie rare (1500 cas par an en France) mais grevée d'une forte mortalité : 20 % à la phase aiguë et 40 % à 5 ans. Elle résulte de la colonisation et de la prolifération d'un micro-organisme (souvent une bactérie) sur les valves cardiaques, avec développement de lésions prolifératives, les végétations, à l'origine de complications hémodynamiques (insuffisance cardiaque), emboliques (migrations des emboles) et infectieuses [, ].
Si l'incidence de l'EI reste stable, le profil épidémiologique de l'EI a été modifié, touchant maintenant des patients plus âgés et, dans la moitié des cas, des patients sans pathologie cardiaque connue. Le diagnostic, difficile car les symptômes peuvent être peu marqués, repose sur l'échographie transœsophagienne et les hémocultures. Environ 50 % des patients subissent une intervention cardiaque avec remplacement valvulaire, les autres suivent un traitement antibiotique intraveineux au long cours et à forte dose [].
Les portes d'entrées principales de cette pathologie sont d'abord cutanées (40 % des cas), et sont devenues les plus courantes. Les autres portes d'entrées fréquentes sont gastro-intestinales (23 %), et aussi orales, dans 29 % des cas, dont 70 % impliquent des streptocoques [].
L'antibioprophylaxie,recommandée initialement aux États-Unis depuis 1955, puis dans divers pays, a pour but de prévenir l'adhésion bactérienne sur l'endocarde, à la suite de gestes invasifs induisant une bactériémie transitoire.
Après une phase ascendante pendant laquelle les indications se sont multipliées, une phase descendante s'est amorcée à partir de 2002 dans le consensus français []. La restriction de la prophylaxie s'est poursuivie en Europe et aux États-Unis jusqu'à maintenant, avec, en 2008, une position radicale de l'Angleterre qui a abandonné toute prophylaxie dans le cadre de la prévention de l'EI [-]. Les Britanniques ont assoupli cette recommandation en 2016 devant la recrudescence des cas d'EI en Grande-Bretagne [].
Les dernières recommandations de prophylaxie sont européennes et datent de 2015. L'indication de la prophylaxie antibiotique est actuellement limitée aux patients à haut risque d'EI, et uniquement pour les actes dentaires invasifs (tableau 1). La prise d'antibiotiques n'est plus indiquée pour des soins et actes chirurgicaux respiratoires et endoscopiques. Les doses ont été également réduites et limitées à 2 g d'amoxicilline, 1 heure avant un geste invasif bucco-dentaire [].
Cette évolution résulte notamment de la mise en évidence des bactériémies transitoires faibles mais répétées lors des activités de la vie quotidienne susceptibles d'engendrer des EI, et pour lesquelles une prophylaxie antibiotique n'est pas envisageable. La mastication, mais également le brossage font partie de ces sources de bactériémies itératives []. Une autre raison est liée aux antibiotiques et à la difficulté d'évaluer l'efficacité de leur utilisation dans ce contexte. Le risque d'émergence de souches bactériennes résistantes liées à une large utilisation des antibiotiques est aussi avancé, de même que le risque d'anaphylaxie fatale [].
Les dernières recommandations européennes soulignent le rôle crucial du maintien de la santé orale, plus particulièrement chez ces patients. En effet, plusieurs études révèlent que la bactériémie liée au brossage est significativement plus importante en cas d'accumulation de plaque et d'inflammation [, ]. L'équipe de Lockhart a montré également que la mauvaise hygiène orale est un facteur d'EI []. Le maintien strict de la santé orale fait donc partie intégrante de la stratégie de prophylaxie de l'EI, d'où l'existence de recommandations concernant l'hygiène orale chez ce type de patients (tableau 2).
La responsabilité des procédures dentaires sur la survenue d'un épisode d'EI est controversée. Très récemment, une équipe taïwanaise a montré qu'il n'y a pas d'association entre geste dentaire et genèse d'une EI. Une étude cas-témoins récente, comparant des patients avec une endocardite d'origine bucco-dentaire (cas) et des patients avec une EI non bucco-dentaire (témoins), a montré que les habitudes d'hygiène sont différentes entre les 2 groupes, mais également que les procédures dentaires invasives dans les trois mois précédant l'endocardite étaient significativement plus importantes chez les patients avec EI d'origine dentaire [].
Concernant plus spécifiquement la conduite à tenir vis-à-vis de ces patients, la liste des procédures contre-indiquées ou nécessitant une antibioprophylaxie a été élaborée en 2002 lors de la conférence de consensus. Les actes qui doivent faire l'objet d'une antibioprophylaxie impliquent une manipulation de la gencive ou de la région péri-apicale. Ils ont été référencés à nouveau sans modification par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en 2011 [].
Longtemps contre-indiquée formellement, l'implantologie a été autorisée pour les valvulopathies natives (patients à risque modéré) par l'American Heart Association (AHA) en 2007, par l'European Society of Cardiology (ESC) en 2009, puis par l'ANSM en 2011, mais maintenue pour le groupe des patients à haut risque (antécédent d'EI, prothèses valvulaires, cardiopathies congénitales cyanogènes). Plus récemment, les guidelines européennes de 2015 (EHJ) sur l'endocardite infectieuse montrent qu'il n'y a plus d'évidence à contre-indiquer les implants chez tous les patients à haut risque d'endocardite, à la condition d'un suivi régulier en fonction de chaque patient [].
Cette évolution est une avancée dans la prise en charge encore assez restreinte chez ces patients et répond d'ores et déjà à une forte demande de leur part, mais également de celle des praticiens. D'ailleurs, les attitudes au sein de l'Europe varient puisqu'en Espagne, l'implantologie est réalisée chez les patients à haut risque d'EI.
La question de cette option thérapeutique va se poser fréquemment puisque la quasi-totalité des praticiens suivent des patients à haut risque d'EI.
Mais la spécificité de cette prise en charge doit être améliorée, car une étude récente a montré que seuls 57 % des praticiens interrogés mentionnaient de façon appropriée les dernières recommandations. Si 80 % des praticiens prescrivaient une antibioprophylaxie avant un geste à risque, l'ordonnance était adaptée seulement dans 20 % des cas [].
Les soins bucco-dentaires comme les avulsions, détartrages ou anesthésies locales induisent des bactériémies dont l'intensité est variable en fonction des études. Concernant la mise en place d'implants, il existe à notre connaissance seulement deux études sur la bactériémie engendrée par cette procédure chirurgicale. Les résultats soulignent que la bactériémie est présente en postopératoire mais relativement faible, et tout à fait comparable à d'autres actes de chirurgie orale. En 2012, l'équipe de Gurler a montré une bactériémie présente dans 23 % des cas après mise en place d'implants à 30 minutes postopératoires sans administration d'antiseptique []. Des bactériémies plus rares encore (3,3 % 15 minutes postopératoires), qui deviennent nulles après protocole de désinfection à la chlorhexidine, sont rapportées [].
Pour des raisons éthiques évidentes, il y a très peu d'études sur la mise en place d'implants chez les patients à haut risque d'EI ; seule une équipe israélienne a publié en 2014 les résultats de la mise en place de 57 implants sur 13 patients de ce type. Sur un suivi de 7 ans, il n'y a pas eu de survenue d'EI [].
Si le risque infectieux lors de la phase chirurgicale est faible, l'attention doit donc être portée sur le risque de complication infectieuse à plus long terme, qui, elle, pourrait être responsable de bactériémie à l'origine d'EI. Cette complication est évidemment la péri-implantite, redoutée pour plusieurs raisons : son étiologie infectieuse, son délai d'apparition parfois très long, sa fréquence, et l'absence de consensus de prise en charge. Il est difficile d'évaluer la virulence présumée de ces foyers infectieux, mais les études récentes du microbiote de la péri-implantite révèlent la présence de germes parodontopathogènes, et plus rarement de germes entériques et de staphylocoques [].
Le risque infectieux ne réside donc pas majoritairement sur la phase chirurgicale de mise en place d'implants, maintenant très protocolisée. C'est la raison pour laquelle le groupe de travail propose, en accord avec les recommandations européennes, une démarche prudente et raisonnée de l'implantologie chez ces patients, en fonction l'analyse des facteurs de risque de péri-implantite, mais également des facteurs liés aux patients.
Compte tenu de probables facteurs de susceptibilité liés à l'hôte, la contre-indication de mise en place d'implants est maintenue chez les patients à haut risque d'EI avec antécédent d'EI. En effet, des études récentes mettent en évidence le sur-risque de développer une endocardite chez cette catégorie de patients, par rapport aux autres patients à haut risque []. La mise en place d'implants est donc possible chez les patients à haut risque porteurs de prothèses valvulaires, et chez ceux avec une cardiopathie congénitale cyanogène, mais pas chez les patients avec un antécédent d'EI.
Pour des raisons évidentes, le comportement des patients sera primordial. Un patient fumeur ne pourra être candidat à un traitement implantaire, et il faut pouvoir s'assurer de la régularité du suivi du patient chez son chirurgien-dentiste, de façon à prévoir que le patient sera présent et actif dans ses rendez-vous de maintenance et de contrôle.
Les comorbidités comme le diabète non équilibré ou une pathologie traitée par immunosuppresseur sont aussi une contre-indication.
Parce que les patients opérés avec mise en place d'une prothèse mécanique sont traités par anticoagulant à vie, le risque hémorragique lié à l'intervention doit être évalué. Dans les recommandations qui émanent de la SFCO, la mise en place d'implant unitaire est considérée comme un acte à faible risque hémorragique. La mise en place d'implant unitaire peut être réalisée chez les patients à haut risque d'EI, après contrôle préalable de l'INR (inférieur à 4) et ne nécessitant pas de chirurgie pré-implantaire [].
Si la cardiopathie et les traitements des patients le permettent, les facteurs de risque avérés de péri-implantite doivent ensuite être analysés. Malgré une littérature très importante à ce sujet, peu de conditions sont actuellement identifiées de façon formelle comme favorisant la survenue d'une péri-implantite.
La nouvelle classification de Chicago montre que les antécédents de parodontite et l'absence de programme de maintenance sont maintenant des facteurs de risque avérés de péri-implantite [, ]. Le tabagisme et le diabète sont des facteurs suspectés. Le groupe de travail recommande également de maintenir la contre-indication du traitement implantaire chez les patients présentant ces facteurs locaux, d'autant plus que certains se superposent à des facteurs de risque généraux.
La certitude du suivi d'un programme de maintenance parodontale et péri implantaire, afin de prévenir la survenue de cette pathologie, est cruciale.
Enfin, c'est le bilan pré-implantaire local qui doit être réalisé afin d'évaluer la possibilité de mise en place d'implants (sachant que les chirurgies pré-implantaires sont contre-indiquées chez ces patients).
Dans ce cas spécifique de patients à haut risque infectieux, il est important de se référer aux interventions permettant des taux de succès les plus importants avec le moins de complications. La littérature est vaste à ce sujet et parfois contradictoire mais, étant donné la mise en évidence de taux d'échecs et de complications plus importants avec les extractions-implantations immédiates, il est recommandé de permettre un temps de cicatrisation après les extractions et avant la mise en place d'implants [, ]. Les conditions de l'intervention doivent aussi correspondre aux normes émises par HAS en 2008 []. La question du type d'implants dans le cas des patients à haut risque infectieux est complexe, sachant que la topographie de la surface implantaire influence le comportement cellulaire. La recherche dans ce domaine est en constante évolution et les firmes implantaires rivalisent d'innovations pour proposer et vanter les caractéristiques de la surface de leurs implants. Certains cliniciens expérimentés évoquent le fait que les surfaces rugueuses entraîneraient plus de péri-implantites, pathologie moins présente avant les années 2000 lors d'utilisation de surfaces usinées []. Les systèmes d'implants hybrides, réunissant les qualités indispensables à l'ostéointégration d'une part et à la faible adhésion bactérienne d'autre part, sont disponibles. Les résultats rapportés dans la littérature sont contradictoires sur ce sujet, et rendent difficile à l'heure actuelle toute recommandation d'un type de surface dans le cadre de la pose d'implants chez les patients à haut risque d'EI [].
En accord avec les recommandations françaises et européennes, l'antibioprophylaxie pour tout acte impliquant une manipulation de la gencive est indiquée et doit donc être réalisée 1 heure avant la mise d'implant. L'utilisation de la désinfection pré-opératoire à la chlorhexidine est indispensable compte tenu de son rôle dans la réduction de la bactériémie.
Le tableau 3 résume les conditions locales ou générales qui contre-indiquent encore actuellement la mise en place d'implants chez patients à haut risque d'EI.
Si les risques ont été évalués et que le patient peut être candidat à un traitement implantaire, un contact avec le cardiologue référent doit être pris, et la thérapeutique décidée entre les deux spécialistes. Le cardiologue voit régulièrement son patient, il nous renseignera sur les traitements et la stabilité notamment de l'INR en cas de traitements par AVK.
Remplacement d'une 16 par une restauration implanto-portée chez un patient porteur d'une valve mécanique mitrale sous fluindione (Previscan®). Réalisation : Marc Baranes et David Raffenaud (artisan, prothésiste, Paris).
Les évolutions récentes ont déjà et auront encore un impact important sur notre pratique, avec la possibilité de mise en place d'implants chez les patients à haut risque d'EI. Il était crucial de proposer un cadre à cette option thérapeutique, compte tenu de la gravité que représente une endocardite infectieuse. L'inquiétude ne porte pas sur la mise en place d'implants (bien protocolisée et qui, dans des conditions d'asepsie stricte, n'induit pas une importante bactériémie), mais bien sur la redoutable complication infectieuse, la maladie péri-implantaire.
En fonction des données de la littérature à venir, ce cadre pourra être élargi. Mais la démarche proposée reste donc très prudente et permet pour le moment de répondre à des cas simples d'édentement unitaire, de stabilisation de prothèse amovible chez des patients dont on a la certitude d'un suivi cardiologique et dentaire strict, mais elle sera un réel bénéfice pour de nombreux patients.
Sarah Millot
MCU-PH, Chirurgie orale
CHU Montpellier, centre de soins et de recherches dentaires
Loredana Radoi, Philippe Lesclous
PU-PH Chirurgie Orale
Marie-Laure Colombier
PU-PH Parodontologie
Clément Messeca
PH Odontologie
Matthieu Balanger
Exercice libéral, Chirurgie Orale
Jean-Luc Charrier
MCU-PH Chirurgie Orale
Christophe Tribouilloy, Gilbert Habib, Bernard Iung
PU-PH Cardiologie
Emmanuel Lansac
PH Chirugie cardiaque
Fabien Doguet
PU-PH Chirurgie cardiaque
Xavier Duval
PU-PH Infectiologie
Alain Berrebi
PH Cardiologie
Stéphane Simon
PU-PH Endodontie
Philippe Tramba
MCU-PH Prothèse, Implantologie