PARODONTIE
PU-PH
Faculté de chirurgie dentaire
Université Paris Descartes,
Montrouge
Hôpital Charles Foix, AP-HP,
Ivry-sur-Seine
Il est désormais établi que la gingivite peut évoluer, chez le patient à risque, en parodontite. Les parodontites sévères sont associées à une inflammation systémique et une bactériémie quotidienne, et représentent un facteur de risque de maladies inflammatoires chroniques ou d’infections respiratoires. Les parodontites impactent donc sur la santé du patient et les prévenir représente un enjeu majeur de santé publique. Le premier élément de prévention des parodontites consiste en la prévention de la gingivite, notamment via l’acquisition par le patient des compétences requises pour assurer une bonne hygiène orale.
Pour de nombreux professionnels de santé et pour de nombreux patients, la santé buccale se résume trop souvent à la santé des dents. Les pathologies pa-rodontales sont malheureusement oubliées. D’évolution lente et rarement douloureuse, les patients eux-mêmes ont rarement conscience d’avoir une maladie parodontale. Or, ces maladies ont des conséquences notables sur leur santé. La perte de dents associées aux versions et mobilités des dents restantes conduit à une diminution de la fonction masticatrice, voire une dénutrition, une baisse de la qualité de vie orale et de l’estime de soi [1]. Il est estimé que chez un patient atteint de parodontie sévère, les poches parodontales représentent une plaie équivalente à celle de la paume d’une main. La prévalence des parodontites sévères est estimée à 11 % de la population adulte mondiale [2]. En d’autres termes, être atteint de parodontite sévère signifie que l’on vit avec une plaie chronique de taille considérable. Comment la parodontite influe-t-elle la santé des patients ? Comment la prévenir ?
De nombreuses études appuient que les parodontites sont associées à des maladies inflammatoires chroniques telles que l’athérosclérose et les cardiopathies coronariennes, les polyarthrites rhumatoïdes (PR) ou encore à des maladies métaboliques comme le diabète, ce indépendamment de facteurs tels que le tabac ou l’obésité. Les études animales ont permis de clarifier deux mécanismes majeurs impliqués (fig. 1) :
- Le premier met en jeu les bactéries parodontales. Les bactéries buccales peuvent être inhalées et influer sur les pathologies pulmonaires, mais également pénétrer la circulation sanguine via l’épithélium de poche ulcéré. Disséminées par le flux sanguin, elles se greffent sur les cellules (ex. leucocytes), les tissus ou des organes à distance déjà lésés. Par exemple, Porphyromonas gingivalis (Pg) a été retrouvée dans des plaques d’athérosclérose au niveau des artères de gros et moyens calibres, dans la membrane synoviale de l’articulation ou encore au niveau de poumons. Une fois greffées, les facteurs de virulence des bactéries (endotoxines, fragments de la paroi bactérienne…) activent les cellules résidentes et les cellules de l’immunité contribuant au mécanisme pathogénique en cours.
- Le second mécanisme est celui de l’inflammation. Les cytokines pro-inflammatoires (IL-1, TNF-α…) libérées localement se diffusent dans le corps via la circulation sanguine. Ces cytokines et les bactéries induisent la production de protéines aigües de l’inflammation par le foie, avec en chef de file la protéine C réactive (CRP), qui influent à leur tour sur des processus inflammatoires à distance. Récemment, un mécanisme original de relation entre parodontites et maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) émerge. L’absorption du microbiote oral dysbiotique présent dans la salive participerait à la dysbiose intestinale caractéristique des MICI [3].
La parodontite serait donc un cofacteur de l’initiation ou du développement de ces maladies mais n’en est pas l’étiologie. Notons que les études épidémiologiques portant sur le lien entre parodontites et autres maladies inflammatoires sont complexes du fait de la présence de nombreux facteurs de confusion.
Une étude approfondie des liens entre parodontite et maladie systémique permet de révéler certains mécanismes originaux. C’est le cas de la polyarthrite rhumatoïde (PR). La PR est une maladie systémique auto-immune qui se caractérise par l’inflammation et la destruction irréversible de plusieurs articulations (articulations interdigitales, poignets, genoux), générant douleurs et handicaps. Cette pathologie débute entre 40 et 50 ans et concerne 2 à 3 femmes pour 1 homme. En France, 0,5 % de la population, soit plus de 500 000 patients, en sont atteints.
Un certain nombre de points communs identifiés entre PR et parodontite ont conduit à l’étude d’une association entre ces deux pathologies. Récemment, une analyse systématique confirme que les patients atteints de PR présentent plus de dents absentes et des pertes d’attache plus sévères que les patients non atteints de PR [4] (fig. 1).
Le diagnostic de la PR repose en partie sur la détection dans le sang d’auto-anticorps dont les anticorps antiprotéines citrullinées (anti-citrullinated protein antibodies, ACPA). Ces derniers sont très spécifiques de la PR, autrement dit leur dosage chez un patient atteint d’inflammation articulaire est à 95 % signe de l’existence d’une PR. Les hypothèses actuelles sont que la parodontite, via le Pg et Aggregatibacter actinomycetemcomitans (Aa) favoriserait le développement de ces anticorps ACPA. Ainsi, la parodontite serait impliquée dans l’induction de la réponse auto-immune qui précède le développement et les manifestations cliniques de la PR. Bien entendu, une fois la polyarthrite déclarée, la parodontite jouerait sur l’évolution de cette pathologie via la libération forte de cytokines depuis les poches parodontales et l’inflammation systémique, mécanismes décrits précédemment (fig. 2).
Prévenir le développement de la parodontite est capital pour le maintien de la santé, dans son ensemble, d’un patient. Un workshop récent mené par la Fédération Européenne de Parodontologie (EFP) définit cette prévention en deux axes :
1. prévenir la gingivite (car toute parodontite est précédée d’une gingivite) ;
2. modifier les facteurs de risques du patient (car la parodontite se développe chez un hôte susceptible).
Ce workshop liste les actions à mener de concert pour aboutir à ce résultat [1, 5] :
- les actions individuelles, réalisées par le chirurgiendentiste auprès de son patient : l’éducation du patient permet de lui faire comprendre les caractéristiques de la maladie parodontale, d’identifier les stades précoces de la maladie, le rôle qu’il joue dans son traitement et de l’accompagner pour acquérir les compétences en terme d’hygiène bucco-dentaire (choix du matériel et des produits adéquats, acquisition des techniques…). Dans cet esprit, le maintien d’un microbiote symbiotique semble essentiel. Ainsi l’utilisation de bains de bouche antiseptiques est déconseillée tandis que de nouvelles pistes émergent telles que l’utilisation de probiotiques. L’approche du patient doit être globale et le chirurgien-dentiste est en première position pour le dépistage et la correction du mode de vie global du patient (tabagisme…).
- les actions collectives via les campagnes de prévention portant des messages tels que « une gencive saine ne saigne pas ».
Cette prévention doit être appliquée à tout patient quel que soit son contexte médical. Toutefois, il est conseillé aux patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de consulter deux fois par an leur chirurgien-dentiste. Ces patients bénéficient dans la prise en charge de leur maladie de programmes d’éducation thérapeutique au sein desquels l’odontologie doit trouver sa place.