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Tristan VALMY* Thibault CANCEILL**
*Exercice libéral, Montberon.
**AHU Biomatériaux, Université Toulouse III Paul Sabatier, Hôpitaux de Toulouse.
Le marché français des dentifrices rassemblait fin 2020 plus de 3 100 produits différents selon l’association UFC-Que Choisir (rapport disponible sur quechoisir.org). Ils peuvent être vendus en grandes surfaces, en (para) pharmacies ou encore sur internet. Ils vantent tous des propriétés différentes les unes des autres qui vont de la lutte contre les sensibilités dentinaires à l’action blancheur. L’esthétique prend en effet une part de plus en plus importante dans les...
Parmi la multitude de dentifrices disponibles en France, une part grandissante revendique des effets blancheurs sur les dents des consommateurs. Ayant tous leurs propres compositions et modes d’action, il est souvent difficile pour le praticien de s’y retrouver afin de conseiller au mieux son patient. Ces dentifrices sont-ils pour autant des produits efficaces pour permettre d’éclaircir rapidement la teinte dentaire ? Et peut-on conseiller ces dentifrices à nos patients en tant que chirurgiens-dentistes ? L’objectif de cette étude est d’évaluer in vitro l’efficacité sur la teinte dentaire de 4 dentifrices revendiquant un effet blancheur.
Le marché français des dentifrices rassemblait fin 2020 plus de 3 100 produits différents selon l’association UFC-Que Choisir (rapport disponible sur quechoisir.org). Ils peuvent être vendus en grandes surfaces, en (para) pharmacies ou encore sur internet. Ils vantent tous des propriétés différentes les unes des autres qui vont de la lutte contre les sensibilités dentinaires à l’action blancheur. L’esthétique prend en effet une part de plus en plus importante dans les produits cosmétiques pour répondre à la demande croissante du consommateur, ce qui se traduit au niveau des dentifrices par la multiplication des constituants sensés agir sur la teinte des dents (tableaux 1 et 2). Une grande variété d’agents blanchissants a ainsi été développée, qu’ils soient d’origine synthétique ou même naturelle pour tenir compte de l’évolution des modes de vies fondés davantage sur les produits bio, végan et naturels.
Les dentifrices peuvent être considérés comme produits cosmétiques ne nécessitant pas d’autorisation de mise sur le marché (AMM).
C’est le cas de la plupart des dentifrices que l’on retrouve dans les grandes surfaces ou les parapharmacies. En revanche, les dentifrices thérapeutiques ou pharmaceutiques étant considérés comme des médicaments, ils nécessitent une AMM. La composition des nombreux dentifrices, bien que présentant des différences, revêt une base commune avec un mélange d’eau, d’excipients et de principes actifs. Certains présentent une concentration plus importante d’un principe actif ou d’un excipient permettant de les distinguer des autres. Devant la multiplicité des dentifrices disponibles dans les rayons, et du fait du packaging très travaillé par les marques, le choix apparaît difficile pour le consommateur [1]. Le chirurgien-dentiste étant le seul professionnel de santé compétent concernant l’hygiène bucco-dentaire [2], il est fréquemment confronté à des questions sur les dentifrices de la part de ses patients. Afin de leur apporter des réponses concernant l’effet blancheur des dentifrices, cette étude in vitro a pour objectif d’évaluer l’effet éclaircissant de quatre dentifrices « blancheurs » sur la teinte dentaire.
Nous avons réalisé une étude in vitro au sein du plateau technique de la Faculté de chirurgie dentaire de Toulouse selon le protocole suivant. Quatre-vingt-quatre dents naturelles humaines extraites pour raisons parodontales ou orthodontiques et ne présentant pas d’obturation coronaire ni de lésion carieuse pouvant perturber la prise de teinte ont été récupérées. Après nettoyage, décontamination et stockage dans une solution de chloramine à 1 %, la teinte de chaque dent a été relevée grâce au teintier électronique Easy Shade IV® (Vita). Six arcades en silicone (Kite Surf Putty®, Acteon) ont ainsi été constituées en y implantant les dents de façon à reproduire la même composition qu’une arcade dentaire humaine (sans les dents de sagesse) et en respectant une harmonisation des teintes initiales entre les différentes arcades.
Un dentifrice différent a été attribué à chaque arcade pour le brossage. Nous avons en effet choisi de comparer 4 dentifrices revendiquant un effet blancheur, 1 dentifrice conventionnel et 1 brossage sans dentifrice en guise de témoin négatif. Pour arrêter le choix des produits utilisés, les dentifrices devaient être vendus dans le commerce ou sur internet, afficher comme argument de vente principal l’effet blancheur et être destinés aux adultes. Les 4 dentifrices retenus (figure 1) devaient également présenter des principes d’actions différents sur la teinte dentaire.
• Vademecum Bio Blancheur Naturelle® met en avant l’efficacité du thé blanc et de la silice hydratée. Il contient 99 % d’ingrédients d’origine naturelle dont 10 % d’origine biologique.
• Signal White Now® basé sur un effet optique dû à la présence de bleu de covarine. Un film bleu se dépose à la surface de la dent lors du brossage, la lumière bleue est réfléchie, la couleur complémentaire dans l’espace chromatique CIE L*a*b (le jaune) est absorbée et la dent paraît donc moins jaune.
• Aquasilice au charbon actif®, très répandu dans les magasins « bio ».
• Elmex Sensitive Blancheur® contenant des abrasifs classiques comme le bicarbonate de sodium ou encore le carbonate de calcium précipité. Il vante un effet non agressif pour retrouver la blancheur naturelle des dents. C’est une marque souvent recommandée par les chirurgiens-dentistes.
Oral B Répare et Protège® a été choisi comme dentifrice contrôle.
Le protocole de brossage a été standardisé pour être réalisable par deux opérateurs sur tout le temps de l’étude. Deux brossages d’une minute ont été entrepris tous les jours pendant 1 mois pour chaque arcade à l’aide d’une brosse à dents électrique (Oral B Pro 600®). Pour mimer une cavité buccale entre les brossages, les arcades ont été placées en atmosphère aqueuse dans un récipient fermé hermétiquement lui-même stocké dans une étuve à 37 °C.
Un relevé de la teinte de chaque dent a été réalisé de façon régulière une fois les brossages commencés (au 1er jour, 3e, 7e, 10e, 14e, 21e et 29e jour). Le teintier a été calibré avant chaque relevé et utilisé sur le mode « One Point » pour enregistrer la teinte au centre de la face vestibulaire de chaque dent. Nous avons choisi d’utiliser le système de teinte Vita 3D Master plutôt que l’enregistrement des valeurs L*a*b afin d’apporter des données plus faciles à extrapoler à la clinique. Ont ainsi été notées les informations de luminosité, de tonalité chromatique et de saturation lors de chaque mesure (correspondant respectivement aux trois valeurs de la teinte 2M3 par exemple). Cela permet d’évaluer le changement de teinte éventuellement perceptible à l’œil nu par un praticien et/ou son patient.
Les données ont été compilées sur un classeur Excel et analysées à l’aide des logiciels Stata v.13® et GraphPad Prism 5®. La comparaison entre les groupes sur chacun des paramètres évalués a été assurée par des tests non paramétriques de Mann-Whitney Wilcoxon ou de Kruskall-Wallis.
La première valeur indiquée par le teintier électronique correspond à la luminosité de la dent testée. Plus le chiffre est petit, plus la luminosité est importante. Malgré de légères évolutions des scores moyens de luminosité dans les différents groupes, aucune différence n’apparaît statistiquement significative entre eux au cours du temps (figure 2).
La lettre indiquée par le teintier correspond à la tonalité chromatique qui peut être notée M (équilibrée), L (à dominante jaune) ou R (à dominante rouge). L’évolution de ce paramètre dans les différents groupes est minime et ne laisse apparaître aucune différence entre les groupes au cours du temps (figure 3).
Enfin, le dernier chiffre correspond à la saturation. Aucune différence n’apparaît statistiquement significative entre les groupes au cours de la période de brossage (figure 4).
À l’issue du mois de brossage, le nombre de dents dans chaque groupe ayant présenté un changement de score de teinte par rapport à l’enregistrement initial a été relevé (tableau 3). Le dentifrice Signal White Now® est celui pour lequel le plus de dents ont présenté un changement de score de teinte (6 dents soit 42,86 % de l’arcade) sans que cela soit significativement différent des autres dentifrices (p = 0,93). Le dentifrice contrôle a modifié le score de 3 dents (soit 21,43 % de l’arcade) et le brossage sans dentifrice en a modifié 4 (28,57 %).
Les résultats de notre étude in vitro mettent en évidence l’absence d’effet significatif des dentifrices blancheurs sur l’éclaircissement des dents après un mois de brossage. Une proportion variant de 28,5 % à 42,9 % des dents brossées a présenté un changement de teinte avec ces dentifrices, sans que cela soit différent des groupes contrôles.
Aucun effet sur la luminosité, sur la saturation ou sur la tonalité chromatique n’a pu être mis en évidence sur un mois de brossage régulier. Un brossage plus long aurait peut-être pu mettre en évidence un effet différé des dentifrices blancheurs, mais cela contredit l’argument de vente de certains de ces produits qui affichent un effet immédiat.
Des mesures avec des paramètres différents reposant sur l’espace de couleur CIE L*a*b ou l’index de blancheur WID (développé spécifiquement pour l’évaluation de l’éclaircissement) auraient pu montrer des variations des paramètres colorimétriques des dents parce qu’ils permettent l’obtention de scores beaucoup plus précis [3]. Leur application clinique est en revanche plus limitée car leurs variations peuvent ne pas être perceptibles à l’œil nu.
Cette étude menée à la faculté de chirurgie dentaire de Toulouse pourra servir de préalable au développement de protocoles de recherche clinique pour évaluer chez l’homme l’efficacité de ces mêmes dentifrices. Dans la littérature, les études s’intéressant aux dentifrices blancheurs sont pour la plupart réalisées in vitro sur des dents extraites ou bien sur des blocs comprenant émail et dentine directement découpés à partir de dents avulsées [4, 5]. Elles mettent en évidence que, parmi les dentifrices utilisés (Colgate Total Regular, Crest Extra Whitening et Rapid White), seul Rapid White différait du groupe contrôle (eau distillée) avec des valeurs de réflectances plus importantes. Rapid White a pu montrer une propriété plus importante pour éliminer les taches extrinsèques [5]. Les études cliniques déjà publiées montrent que le dentifrice blanchissant à la silice contenant de la covarine bleue était significativement plus efficace que le dentifrice témoin négatif. Une réduction statistique significative du jaunissement des dents et une amélioration de la blancheur ont pu être mises en évidence immédiatement après le brossage avec un dentifrice blanchissant contenant de la covarine bleue. Les mesures ont été exprimées en indice de blancheur CIELAB et WIO [6].
Nos résultats montrent notamment que le dentifrice au charbon actif, déjà très décrié par la profession, ne possède pas non plus d’effet éclaircissant sur la teinte dentaire. Une revue de la littérature sur les dentifrices au charbon a été publiée en 2017 et souligne que, même si certaines études montrent une légère réduction des caries, d’autres mettent en évidence l’apparition d’effets délétères pour les dents [7]. La grande abrasivité de ces dentifrices fragiliserait l’émail, ce qui pourrait augmenter le risque de sensibilité et laisser apparaître la dentine sous-jacente plus jaune (avec un effet inverse sur la teinte par rapport à celui initialement affiché). Les données cliniques et de laboratoire sont insuffisantes pour assurer la sécurité et l’efficacité des dentifrices au charbon [7].
Un suivi de l’effet abrasif des autres dentifrices blancheurs dans le temps serait intéressant pour évaluer leur influence sur la qualité de l’émail des dents brossées. La norme ISO 11609 indique que l’abrasivité des dentifrices ne doit pas excéder 4 fois celle du matériau référence pour l’émail (il s’agit d’un calcium pyrophosphate dans le cadre du test d’abrasivité de l’American Dental Association) [8]. Une étude conduite au Brésil en 2017 sur dents animales a montré que les dentifrices Oral B 3D White®, Colgate Luminous White® et Sorriso Xtreme White 4D® (non commercialisé en France) s’avéraient être les dentifrices causant le plus d’usure amélaire parmi ceux testés [9]. Les résultats sont malgré tout discordants, Johanssen et al. ayant conclu en 2013 que les dentifrices blanchissants n’avaient pas un effet abrasif plus important que les autres dentifrices [10].
Les résultats de cette étude montrent l’absence d’effet réel des dentifrices blancheurs sur la teinte des dents. Les chirurgiens-dentistes, tout en tenant compte des limites inhérentes à la réalisation d’études in vitro, pourront s’appuyer sur ces résultats pour renseigner leurs patients. Ces données viennent s’ajouter à celles déjà publiées concernant les effets des dentifrices contenant notamment du charbon.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.