Clinic n° 05 du 01/05/2021

 

Chirurgie

Orale

Louis HUAULT*   Yvan FRONTY**  


*AHU, Département d’anatomie crânio-faciale, UFR d’Odontologie de Bordeaux, Exercice libéral, Talence.
**Chirurgien-dentiste en chef, Praticien certifié en médecine d’armée, Chef du pôle médico-technique, Chef de service du centre de consultations externes, Service d’Odontologie, Hôpital d’Instruction des Armées Robert Picqué, Villenave-d’Ornon.

Le protocole opératoire d’avulsion de la troisième molaire mandibulaire est largement décrit dans les manuels de chirurgie. Cet article, à destination des praticiens et des étudiants, vise à mettre en exergue les séquences importantes de la thérapeutique, rassemblées en 10 points clés pour des raisons didactiques et pédagogiques.

Cet article concerne principalement les troisièmes molaires mandibulaires incluses, sous-muqueuses, enclavées ou en désinclusion, dont...


Résumé

L’avulsion de la troisième molaire mandibulaire nécessite de parfaites connaissances tant anatomiques que chirurgicales. Ces deux notions sont intimement liées et indissociables. Cet article vise à rappeler les bases fondamentales de cette avulsion parfois redoutée du fait de sa complexité ou des risques auxquels elle expose le patient (médico-chirurgicaux) et le praticien (médico-légaux) : difficulté d’accès, rapports avec les éléments vasculo-nerveux adjacents, procidence de la langue et du plancher buccal sur le champ opératoire, saignements, variations anatomiques, nécessité d’une coordination optimale assistant (e)/praticien… La finalité reste une prise en charge optimale du patient dans le respect des recommandations de bonnes pratiques.

Le protocole opératoire d’avulsion de la troisième molaire mandibulaire est largement décrit dans les manuels de chirurgie. Cet article, à destination des praticiens et des étudiants, vise à mettre en exergue les séquences importantes de la thérapeutique, rassemblées en 10 points clés pour des raisons didactiques et pédagogiques.

Cet article concerne principalement les troisièmes molaires mandibulaires incluses, sous-muqueuses, enclavées ou en désinclusion, dont l’avulsion est réputée plus complexe et souvent qualifiée de « chirurgicale ». Le respect de règles chirurgicales simples constitue le fondement d’un acte réussi.

La troisième molaire, dont les indications d’avulsion ont été mises à jour par la HAS [1] en 2019, constitue un motif de consultation fréquent, nécessitant au besoin d’orienter le patient vers un spécialiste. Une séquence diagnostique et thérapeutique précise et maitrisée concourt à la démarche de qualité et de sécurité.

1. UN BILAN PRÉOPÉRATOIRE COMPLET ET DE QUALITÉ

La première consultation est primordiale pour le recueil des données médicales à travers l’interrogatoire, l’examen clinique et une analyse minutieuse de l’imagerie. Elle aboutit le plus souvent au consentement éclairé (voire au refus éclairé des alternatives thérapeutiques non retenues) après exposé des rapports bénéfices/risques attendus [2]. Les explications sur le déroulement de l’intervention, les suites attendues, la délivrances des consignes et prescriptions post-opératoires ont également lieu au cours de cet entretien liminaire [3].

L’imagerie 2D (orthopantomogramme) ou 3D (CBCT) est une source d’informations importantes. Elle est analysée avec rigueur pour visualiser des particularités anatomiques et les rapports que les structures adjacentes entretiennent avec la dent :

- existence d’un foramen rétro-molaire [4-7] ;

- proximité avec le nerf alvéolaire inférieur [8-10] ;

- anomalies radiculaires.

UNE ANESTHÉSIE EXPLIQUÉE AU PATIENT

L’anesthésie, souvent redoutée par le patient, est le premier acte invasif de la séquence opératoire. Elle apporte au praticien un silence clinique permettant la réalisation de l’acte dans les conditions optimales. Il convient de rappeler au patient que la nociception est levée grâce à l’injection mais qu’une certaine proprioception demeure malgré tout, avec des termes appropriés (« certaines de vos sensations seront conservées, d’autres modifiées, mais sans douleur »), et que l’anesthésie peut être complétée en cours d’intervention si nécessaire.

3. UNE INCISION GUIDÉE PAR L’ANATOMIE

Le tracé d’incision pour accéder à la troisième molaire mandibulaire comprend une incision intra-sulculaire en regard de la première et de la deuxième molaire, qui se prolonge en contre-incision le long de la branche montante. Elle se dirige toujours à 45° en direction du ramus en ayant préalablement palpé le rebord osseux ascendant [11]. La palpation de cette zone permet à l’opérateur d’appréhender l’anatomie locale du processus coronoïde jusqu’à la ligne oblique externe. Tout écart à ce tracé d’incision-type expose le praticien à des complications : risque de lésion du nerf lingual, risque de saignement, difficulté à lever le lambeau (figure 1).

4. INCISION AU CONTACT OSSEUX STRICT

Celle-ci est primordiale pour permettre de lever un lambeau muco-périosté d’épaisseur totale de bonne qualité. Elle est franche et de pleine épaisseur sur la branche montante. Le contact osseux est assumé. À cet endroit s’insèrent des fibres musculaires du buccinateur, du temporal et du masséter (figure 2).

5. UN LAMBEAU LEVÉ EN PLEINE ÉPAISSEUR

En fonction des habitudes du praticien, le lambeau est réalisé à l’aide d’un décolleur (Molt, Buser, Prichard) ou d’un syndesmotome faucille introduit entre os et périoste. Ce dernier présente l’avantage de pouvoir prendre la papille entre 6 et 7 et d’initier de façon atraumatique l’élévation du lambeau. Le décolleur complète ce temps opératoire et permet de ruginer le long de la ligne oblique externe et de la branche montante, en conservant strictement le contact osseux, le plus souvent tangentiel, aidé si besoin d’un mouvement de reptation.

Les fibres périostées sont bien visibles lors du décollement. Celles-ci suivent le lambeau et l’opérateur veille à ne pas les franchir. La persistance de fibres périostées décollées du lambeau et déchirées entraîne un saignement, une moins bonne visibilité du site ainsi que des suites opératoires.

Si des tensions trop fortes sur la papille entre 6 et 7 se manifestent par un blanchissement caractéristique, une incision complémentaire verticale jusqu’à la ligne de jonction muco-gingivale à distance du foramen mentonnier peut être indiquée afin de prévenir une déchirure spontanée (figures 3 et 4).

6. UN LAMBEAU CHARGÉ IDÉALEMENT

Le but est l’obtention d’un champ visuel optimal, mais sans tension excessive du lambeau, source de saignements intempestifs par déchirure du périoste, d’œdème et de suites postopératoires plus difficiles. Un travail en épaisseur totale stricte est un souci constant du praticien. Il positionne l’écarteur et veille à ce que son aide le maintienne en bonne position, ce dernier ayant un angle de vue différent du sien (figures 5 et 6).

7. UNE PROTECTION DE LA LANGUE ET DU PLANCHER BUCCAL ASSURÉE

L’utilisation d’un abaisse-langue de Wieder permet de récliner la langue et d’obtenir un meilleur visuel du champ opératoire.

En fonction du côté de l’avulsion, celui-ci est tenu par l’assistant (e) ou le praticien. Il protège également la langue d’un dérapage instrumental intempestif.

Toutefois, il n’a aucun effet sur la protection du nerf lingual, branche du nerf trijumeau responsable de la sensibilité linguale homolatérale.

Les dernières recommandations des bonnes pratiques de la HAS concernant « l’avulsion des troisièmes molaires : indications, techniques et modalités » [1] mettent en garde les praticiens lors de l’utilisation d’une lame de protection (décolleur ou lame de Tessier) en lingual du site d’avulsion : « Le recours à un rétracteur sous-périosté en position linguale augmente le risque de survenue d’altération de la sensibilité linguale ».

Classiquement, il permettait d’éviter une éventuelle lésion du nerf lingual par passage d’une instrumentation rotative ou de prévenir le dérapage d’un élévateur qui pourrait perforer cette région à « risque ». Cependant, une bonne utilisation du décolleur, introduit horizontalement puis se verticalisant avec une progression prudente en direction linguale, en s’assurant qu’il s’insère strictement entre os et périoste, évite une dissection involontaire et malencontreuse du périoste sous-jacent et a fortiori du nerf lingual, tout en protégeant ce dernier d’un fraisage ou d’une luxation même bien maîtrisée. Confié ensuite à l’aide-opératoire dont le rôle est de le maintenir sans le déplacer vers le bas ni en direction linguale [13] (figures 7 et 8).

8. UN FRAISAGE CORONO-RADICULAIRE PARTIEL

Le morcellement dentaire est primordial pour permettre l’avulsion de la troisième molaire de la façon la plus atraumatique possible et éviter ainsi des délabrements osseux excessifs.

Ainsi, la coronectomie s’effectue jusqu’aux trois quarts de la face occlusale dans le sens vestibulo-lingual, donc sans être complète. On privilégie une fracture à l’élévateur de la couronne plutôt qu’une découpe complète, l’objectif étant d’éloigner au maximum l’instrumentation rotative de la zone critique qu’est la muqueuse linguale, où chemine le nerf lingual (figure 9).

9. UN COUPLE ET UNE FORCE MAITRÎSÉS

Toute manipulation excessive expose au risque de fracture tant dentaire que mandibulaire (basale ou alvéolaire en lingual). Une dent retenue est bloquée par un obstacle anatomique, nécessitant une poursuite de l’ostéoectomie et/ou du morcellement de la dent.

Une fracture apicale place l’opérateur dans une position délicate, avec la nécessité d’évaluer le rapport bénéfice/risques encourus d’effectuer l’exérèse du fragment, le plus souvent grâce aux aides optiques, versus abstention thérapeutique et surveillance, patient dûment informé de la complication peropératoire.

La fracture mandibulaire basale postérieure, en direction de l’angle goniaque, bien qu’étant une complication très rare, doit rester en mémoire, avec son cortège de suites tant cliniques que médico-légales [14].

Une fracture alvéolaire en lingual de la dent de sagesse, plus fréquente, impose de s’interroger sur la nécessité d’extraire le fragment, surtout s’il a été préalablement dépériosté, ceci favorisant sa nécrose et son évacuation spontanée en lingual dans les semaines suivantes.

À l’inverse, peu mobile et bien vascularisé, sa conservation réduit le risque de lésion du nerf lingual, le praticien restant à la disposition du patient informé pour, le cas échéant, retirer un séquestre qui se manifesterait, de façon la plus atraumatique possible (figure 10).

10. UNE EXÉRÈSE TOTALE DES TISSUS GRANULOMATEUX ET FOLLICULAIRES

Une attention toute particulière est portée au retrait et au débridement post-opératoires de l’alvéole. Les dents sujettes à des épisodes de péricoronarites présentent le plus souvent un amas de tissus granulomateux à la jonction dent/os. Ce tissu est cureté, son ablation évitant des phénomènes infectieux et permettant ainsi les meilleures suites opératoires possibles.

Les tissus folliculaires (dents en éruption) doivent également être retirés délicatement à l’aide d’une pince de Friedman pour éviter la survenue de kyste résiduel, impliquant de facto une réintervention chirurgicale. Une attention particulière vis-à-vis du nerf lingual est à porter pour cliver des résidus provenant du versant lingual du lambeau.

CONCLUSION

L’avulsion d’une troisième molaire mandibulaire nécessite un protocole préopératoire et opératoire strict. Les contraintes locales anatomiques associées à la complexité et à la profondeur de certaines inclusions imposent le respect de certaines règles chirurgicales élémentaires. Un plateau technique complet, une aide-opératoire formée, une connaissance anatomique de qualité et une maîtrise de l’acte sur le plan technique permettent à l’opérateur de pallier différentes situations cliniques en rapport avec cette dent, certaines pouvant nécessiter d’orienter le patient vers un spécialiste.

BIBLIOGRAPHIE

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  • 3. Perrin D, Ahossi V, Larras P, Lafon A, Gérard E. Manuel de chirurgie orale. Technique de réalisation pratique, maîtrise et exercice raisonné au quotidien. Paris : Editions CdP, coll. JPIO, 2012.
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  • 8. Sarikov R, Juodzbalys G. Inferior alveolar nerve injury after mandibular third molar extraction: A literature review. J Oral Maxillofac Res 2014;5:e1.
  • 9. Rood JP. Permanent damage to inferior alveolar and lingual nerves during the removal of impacted mandibular third molars. Comparison of two methods of bone removal. Br Dent J 1992;172:108-110.
  • 10. Rood JP, Shehab BN. The radiological prediction of inferior alveolar nerve injury during third molar surgery. Br J Oral Maxillofac Surg 1990;28:20-25.
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  • 12. Gaudy JF. Anatomie clinique. Paris : Editions CdP, coll. JPIO, 2007.
  • 13. Huault L, Fronty Y. Perforation du plancher buccal d’origine iatrogène : conduite à tenir. Inf Dent 2021:12-18.
  • 14. Semur F, Seigneuric JB. Complications des avulsions dentaires : prophylaxie et traitement. EMC Médecine Buccale 2008;3:1-26.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts.